IV. Une dose de bonne humeur

Étrangement, j'ai pensé à cette fille une bonne partie de la nuit. À son air boudeur de gamine de six ans. J'ai pensé à son café dégueulasse qui avait un arrière-goût. En fait, pour la première fois depuis un bout de temps, j'ai pensé à quelqu'un d'autre. Pas à "elle", mais à une autre et pour la première fois depuis un bout de temps, je me suis presque senti bien. Je veux dire, libre. Je ne me suis pas demandé ce que j'aurai pu faire pour que ça marche entre nous. Je ne me suis pas remis en question une seule fois. Non. Rien de tout ça.

Je me suis senti moi-même.

"- Je suis libre !"

Les bras tendus vers le ciel, je sors sur la minuscule terrasse qu'offre le bungalow dans lequel je vivais et soudain, un cri m'échappe.

"- Vous êtes plutôt du genre paresseux vous, non ?"

Elle était là. Encore.

Assise confortablement sur une chaise, buvant son café les pieds sur la table.

"- Qu'est-ce que vous faites là ?

- Je passe le temps. Sympa la vue !"

Ses yeux se baladent sur mon corps dénudé tandis que je remarque j'ai passé la nuit en caleçon.

Merde.

"- C'est du harcèlement !"

Je referme la baie vitrée en vitesse et je l'entends rire de l'autre côté. Elle a rire clair, limite cristalin. Un beau rire.

Pas un de ces rires de cochon comme beaucoup ont.

"- Rentrez chez vous bon sang ! C'est chez moi ici !

- Je sais. Je me suis dit que je pourrais vous tenir compagnie en attendant de trouver de quoi m'occuper.

- Allez vous baigner ou je ne sais pas moi ! Vous ne travaillez pas aujourd'hui ?

- Non, je suis toute à vous petit veinard !"

Tu parles d'une chance ! Je n'ai jamais demandé à me retrouver collé avec une glu pareille.

"- Et puis, comment vous savez que j'habite ici ?

- Je vous ai suivi."

Elle dit ça sur un ton tellement naturel que ça m'offusque.

"- Je devrais appeler la police. Vous n'êtes qu'une grande malade.

- Oh on me le dit souvent ça !"

Cela ne m'étonne même pas. C'est pour ça qu'elle est toujours seule cette fille. Personne ne voudrait avoir une psychopathe dans son entourage.

"- Bon, vous sortez ?

- Non !

- On pourrait aller se promener jusqu'aux rochers. Le coin est sympa.

- Rentrez chez vous bon sang ! Je ne vous ai rien demandé.

- Pas besoin, votre air malheureux de garçon plaqué le demande pour vous.

- Non, mais de quoi je me mêle ? Sérieusement, vous me tapez sur le système !

- Bonne chose, je crois. Plus vous allez vous énerver sur moi, plus vous allez oublier ce pour quoi vous êtes si triste.

- Je ne suis pas triste !

- Dis le mec qui se murge sur le sable."

Mais c'est qui cette fille au juste ? Sérieusement, si c'est une sorte "d'ange gardien" venu veiller sur moi, on a certainement dû recruter la dernière de la promo.

"- Allez, je ne vais pas vous manger. J'ai pris trois tartines et un bol de céréales ce matin pour info !

- Ravis de le savoir, mais je n'ai clairement pas envie de sortir avec vous.

- Tant pis ! Vous ne savez pas ce que vous ratez !

- Oh, mais au contraire ! J'en ai une petite idée."

Je la regarde s'en aller, retourner sur la plage, laissant son gobelet de café sur la table.

"- Hé ! Votre ..."

Je ne suis pas une poubelle. OK, ce n'est pas le royaume de la propreté chez moi, mais quand même. Un minimum.

Aujourd'hui le temps est grisouille. Je pense qu'il ne devrait pas tarder à pleuvoir. Il n'y a pas un touriste sur la plage, seulement quelques petits vieux se promenant main dans la main. Beurk, ça pue l'amour. Je déteste cette odeur, autant que celle des huîtres au réveillon de Noël.

Je me rappelle qu'avant, pour les vacances, on avait pour habitude de se balader sur la plage. Main dans la main, se regardant amoureusement et se faisant plein de promesses.

J'ai demandé sa main sur un bord de mer, devant un coucher de soleil. Putain, c'est tellement niais et cliché que j'ai envie de me jeter à l'eau pour oublier. Pour me laver de ces niaiseries que l'amour nous fait faire.

On ne m'y reprendra pas à deux fois.

Sans vraiment m'en rendre compte, je me dirige vers le bar et quand je suis devant, je la cherche du regard. Elle ne semble pas être là.

"- Tiens, le gars d'hier. Vous avez votre portefeuille cette fois?"

C'est moi ou ils sont tous aussi rudes dans ce bistrot ?

"- Je l'ai.

- Bien. Vous prendrez quoi ? Un café?

- Il n'est pas terrible votre café. Vous faites quoi d'autre ?

- Oh bah on a la spécialité du jour "Smoothie d'amabilité et de bonne humeur""

Le gars me regarde avec un faux sourire plus grand que son visage et j'ai limite envie de lui coller mon poing dans sa face pour sa pique gratuite. Mais je ne le ferais pas. Je me ferais mal.

Dans les films, le bad-boy en colle toujours une ou deux à droite, à gauche, mais croyez-moi, dans la vraie vie, un coup de poing, ça vous détruit une main.

"- Je prendrais bien un jus de fruit. C'est dans vos cordes ou c'est trop compliqué pour vous ?

- Si ce n'est que ça, je me débrouiller pour trouver deux oranges et trois bananes.

- Parfait alors."

Je m'installe au comptoir et je ne peux m'empêcher de repenser à la scène d'hier. Elle a vraiment craché dans mon café ou c'était juste pour rire ?

"- Vous cherchez Camille ?

- Je vous demande pardon ?

- Camille. Vous la cherchez?

- Pourquoi je chercherais une gamine comme elle ? Ce n'est même pas mon genre de femme.

- Elle a son charme...Disons qu'elle est plus tigresse que chatte.

- Quoi ? Je ne veux pas savoir. Écoutez, je veux juste boire mon jus de fruit en paix et rentrer sur la plage. C'est tout.

- Comme vous voudrez."

Au même moment, les premières gouttes de pluie se sont mises à tomber. Petit à petit. Délicatement. Puis brusquement. Une véritablement averse.

"- Il pleut comme vache qui pisse.

- Vous pouvez le dire..."

On échange un sourire complice et je finis de boire mon verre avant de sortir mon portefeuille. Je n'allais pas m'attarder ici.

Elle n'est pas là.

"- Hé ! Hé les gars !

- Qu'est-ce qu'il y a Val' ?

- J'ai vu Camille près des rochers avec un groupe de gars !

- Celle-là alors...toujours là où il ne faut pas ! Appelle les flics, je vais aller la chercher."

Et là, comme un réflexe de seconde nature, j'ai payé l'addition et j'ai foncé. J'ai couru sous la pluie, fracassant de mes pas chaque flaque d'eau que je traversais.

Pourquoi je vais là-bas ? Pourquoi je cours au juste ? Cette fille, je ne la connais même pas. Je ne l'aime pas. On n'est ni amis, ni proches. Elle ne représente rien.

Alors pourquoi est-ce que je me sens soudainement investi du devoir d'aller la sauver ?

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