CHAPITRE 6
Cela avait été une drôle de soirée pour Andy.
Après avoir reçu un coup de coude dans le visage, témoignant de son invisibilité aux yeux des autres, il s'était fait passer un savon par son patron, alors qu'il n'avait rien fait. C'était sa collègue qui avait fait une erreur de dosage dans les commandes, donc il manquait de sucre. Andy avait dû prendre sur lui pour ne pas faire une crise. Se faire hurler dessus sans motif valable était un facteur puissant pour alimenter ses angoisses. Le jeune homme avait dû aller en acheter d'urgence dans la supérette de la rue d'à côté. Lorsqu'il était revenu, il n'eut pas de remerciement, et encore moins d'excuses. Apparemment, son patron était d'une humeur exécrable.
- Souris, fais ton travail, et ça se passera bien. C'est ma technique de ces jours-là.
Isaac lui avait confié ces mots, juste avant d'aller apporter une commande à la table au fond de la boutique. Depuis qu'il était arrivé, il y avait de cela un mois, il était chargé de lui expliquer les choses. Ils avaient le même âge, donc parfois, c'était amusant. Cela n'était pas rare de voir Isaac jouer les apprentis-sorciers pour montrer les différentes boissons à faire, dans le fond de l'arrière-boutique. La première fois, Andy s'était recouvert tout seul de sucre, lorsqu'il avait échappé le paquet pour faire de la chantilly. En plus, elle avait eu un goût immonde car il s'était trompé de dosage.
De plus, Isaac ne le jugeait jamais. Même lorsque les larmes lui montaient aux yeux lorsqu'il y avait un client un peu trop insistant. Même lorsque ses mains tremblaient lorsqu'il sentait le regard du patron sur lui. Isaac était d'une patience innégalable et rattrapait toutes ces petites erreurs qu'il faisait sans même le vouloir
Malgré cela, le propriétaire du café avait tout de même fait prolonger son essai.
C'était une véritable victoire pour Andy.
- Il est vingt-et-une heures, tu veux que je t'attende pour rentrer ensemble ?
- Non merci, je vais me débrouiller. A demain ? demanda le blondinet.
- Ok, ben, a plus mec, répliqua l'autre en enfilant son bonnet.
Il lui fit un signe de la main avant de s'éclipser de l'arrière-boutique. Andy avait encore une heure à faire pour clore son service. Généralement, à ce moment de la journée, il n'y avait personne. Deux amies s'amusaient dans un coin tandis qu'un homme en costume noir sirotait son café, avec un livre dans la main. Andy le connaissait, il était un habitué. Agent de sécurité pour des grands évènements de la ville, il venait toujours prendre un café pour être certain de tenir la nuit. L'homme releva la tête pour croiser son regard félin. Il lui adressa un sourire avant de replonger dans sa lecture.
Les lumières tamisées du comptoir éclairaient doucement le plan de travail qui avait été astiqué avec soin. Les petites dosettes de sucres étaient joliment disposées dans une coupelle noire, à côté d'un pot où il y avait des sucettes gratuites pour les enfants. Celle a la cerise faisait de l'œil au blond depuis plusieurs minutes. Il regarda à droite, à gauche, afin de voir si son patron n'était pas dans les parages. Il attrapa le bonbon et batailla un instant avec l'emballage. Il la fourra dans sa bouche, satisfait de sa bêtise.
Un crayon entre les doigts, il griffonnait sur un bout de papier qui traînait avec les brouillons. Il n'avait plus rien à faire, car les stocks étaient vérifiés et rangés. Andy faisait partie de ces personnes qui aimaient l'ordre. Il aimait lorsque le travail était fait avec efficacité et rapidité. Une fleur apparut. Puis une envolée d'oiseaux. Amusé, il continua.
Puis, un sourire. Un visage marqué par la vie et le stress. Des yeux, légèrement en amande, et des sourcils fins, un peu arqués. Un nez droit se plaçait sur le visage tandis qu'une légère barbe de trois jours couvrait les joues. Il fit une mèche indisciplinée, puis une autre, et encore une. La tignasse ondulée prit forme, peu à peu.
Les ombres et l'éclairage se modifia peu à peu, comme si le dessin prenait vie.
Andy se figea.
- Jeune homme, je souhaiterais prendre une part de flan, s'il vous plaît.
Andy sursauta.
Il regarda l'homme de tout à l'heure, un peu perturbé. Son cœur battait vite alors qu'il éloignait le dessin d'un geste de la main. Est-ce qu'il allait faire part de ce moment de pause à son patron ? Allait-il se faire sanctionner ? Ne pense pas à ça...
Il s'activa immédiatement en saisissant les petites pelles. Il prit la pâtisserie avant de la déposer dans un carton prévu à cet effet. Il la manipula pour la sceller avec un ruban multicolore. Il introduit la carte dans le moniteur et l'homme paya. Après s'être souhaité bonne soirée, il partit sans demander son reste. Les deux amies profitèrent de ce moment pour régler leur commande. Le blond alla débarrasser la table avant de laver la vaisselle. Ils avaient un grand lave-vaisselle prévu à cet effet, mais pour deux tasses ? C'était inutile.
Il détacha le tablier qui pendait à ses hanches et l'accrocha sur l'un des petits crochets dans l'arrière-boutique. Celui du patron et de ses collègues pendaient déjà. La fermeture lui était confiée. Il passa un coup de balais, mit les chaises convenablement et éteignit toutes les lumières. Il s'était déjà assuré que tout l'électroménager était débranché. Cette précaution rassurait le patron. Le blond ferma la porte à clef après avoir tiré les larges rideaux sur les baies-vitrées.
Lorsqu'il respirait, l'air froid lui brûlait un peu les poumons. Ses mains gelées se planquèrent instinctivement dans ses poches. Il se bénissait d'avoir autant insisté pour acheter cette veste, il y avait plusieurs années. Andy avait dû batailler de nombreuses heures pour faire céder sa mère. Ce devait être la seule bataille qu'il avait gagnée.
Marchant d'un pas rapide, il passa devant le quartier bourgeois, comme il l'appelait. Les personnes qui y habitaient le regardait de haut, tandis qu'il longeait les murs. Ses longs cheveux blonds et son apparence un peu mal habillé ne semblaient pas leur plaire. Qu'est-ce que cela devait être avec les personnes tatouées et percées ! Il sortit de cet endroit où il ne se sentait jamais à sa place, pour atterrir à une rue près de la collocation. Ici, il n'y avait que des bâtiments résidentiels. La rumeur des rues piétonnes ne parvenait pas jusqu'à eux. Le calme était seulement chassé par les voitures qui roulaient à toute heure de la nuit. Heureusement, personne n'était assez fou pour klaxonner, lorsque la nuit tombait.
Andy grimpa les escaliers étroits de l'immeuble. Le néon de leur palier était cassé, mais le propriétaire ne bougeait pas pour le faire réparer. Eclairé par la lampe torche de son téléphone, le jeune homme fouilla l'intégralité de son sac à dos pour enfin trouver ses clefs. Elles tintèrent doucement, mais il eut l'impression de réveiller les voisins. La porte s'ouvrit dans le salon qui avait pour seul point de lumière la télévision allumée. Samaël s'était encore endormi devant. Les services qu'il faisait le soir l'épuisaient continuellement. Son chef de cuisine était intransigeant, et se reposait sur lui un peu trop souvent. Par ce fait, il devait endosser son rôle, et réparer les bêtises des autres. Le métis finissait souvent sa journée ainsi, endormi sur le canapé.
Le jeune homme attrapa la couverture en polaire et l'en drapa. Il ajusta la température des radiateurs afin de filer dans sa chambre. Il se fraya un chemin risqué entre ses affaires, avant de tomber sur Amadeus qui semblait l'attendre.
- Je sais, je suis en retard, ça arrive à tout le monde, non ? Je faisais la fermeture.
Le gros chat noir pencha la tête sur le côté. Il ne semblait pas d'accord avec son maître. Ses yeux clairs semblaient juger le blondinet qui se confondait en excuses de ne pas l'avoir nourri à temps. Plus vite, humain, semblait-il vouloir dire. Andy se dépêcha se sortir le bocal de croquettes de son armoire pour en verser dans la petite gamelle au pied de son lit. Le chat s'étira pour dénouer ses muscles, et le petit blond pu admirer sa robe magnifique, oscillant entre le noir et la collerette grise. Tandis qu'Amadeus se sustentait, Andy se changea. Il ne pouvait pas prendre sa douche à cause des murs trop fins. Il risquerait de réveiller Sam, et il n'avait pas envie de se confronter à lui.
Le chat bailla en se léchant les babines. Il vint se blottir contre son humain, au niveau de son oreiller. Habitué, Andy se glissa entièrement sous les draps, pour n'en faire sortir de sa tête. Le nez dans les poils longs de l'animal, il trouva un doux réconfort.
Un ronronnement bas s'éleva entre les deux.
Andy ferma les yeux, souhaitant que la journée du lendemain soit plus tranquille.
***
Le soleil filtrait à travers la fenêtre de la chambre. Le blondinet grogna, mécontent. Il avait encore oublié de fermer ses volets. Il songea un instant qu'il allait mettre des post-it sur son bureau afin de s'en rappeler. Il rabattit la couette sur sa tête avant de se rendormir doucement. Dimanche était levé depuis quelques heures. Il avait du temps. Comme souvent, il était seul le dimanche matin. Samaël partait au travail tôt, et ne revenir que vers midi. L'inconvénient de son métier résidait là ; il avait des heures éparpillées dans la journée et il devait se lever pour y aller les week-ends. Seuls ses mardis étaient libres.
Andy se retourna, l'esprit embrumé.
Son nez atterrit sauvagement dans une toison qui le chatouillait. L'odeur délicate de son chat l'apaisa immédiatement. Grognant une nouvelle fois, il extirpa sa main des couvertures pour le caresser. La Maine Coon se mit alors à ronronner comme un petit tracteur. Il se leva, s'étira et se cala contre le ventre du blondinet. Heureux, il se roula en boule et repartit dans le pays des rêves. Andy le suivit presque aussitôt. Il ne se rendait pas compte du pouvoir qu'avait cette boule de poil sur lui.
Par la porte entrebâillée de sa chambre, un doux fumet de poivrons s'infiltrait dans la pièce. Andy se releva immédiatement, repoussant la couverture loin sur ses pieds, dérangeant Amadeus par la même occasion. Des poivrons ? Sam était rentré.
Quelle heure était-il ?
12 : 38
Il détourna les yeux de l'affichage rouge de son réveil et sauta presque du lit. Avec les cheveux en bataille et un t-shirt lui couvrant à peine son caleçon, il débarqua dans la cuisine. Les yeux écarquillés, il observait le grand métis faire relever des poivrons. Il avait raison. Sam se tourna vers lui, un grand sourire amusé sur les lèvres.
- Tu es tombé du lit ? On dirait que tu t'es battu avec Ama ! déclara le cuisinier.
- C'est drôle ça... rétorqua le blond en lâchant un bâillement. Je ne pensais pas m'être rendormi aussi longtemps, alors j'ai été surpris, c'est tout...
- Je suis en train de faire la garniture pour des fajitas car on m'en a filé au boulot vu elles ne seront pas utilisées avant leur date de péremption. Tu veux quoi dedans ?
- Il y a des escalopes dans le frigo, j'en ai acheté hier, on peut les mettre ? Et peut-être une sauce au fromage frais ? T'as dit qu'il fallait le passer rapidement, réfléchit Andy.
Sam hocha la tête en continuant de touiller. Andy sortit les aliments nommés avant d'aller se doucher. Il avait froid. Dehors, les cheminées des maisons crachaient déjà leur fumée blanche. La saison des pulls et des chocolats chauds était ouverte depuis longtemps. Le jeune homme n'avait pas envie de sortir, alors il empoigna un gros pull en laine jaune et un treillis militaire qu'on lui avait donné. Même sous la menace, il ne s'abaisserait pas à mettre un jogging.
La buée rendait la petite salle de bain moite, si bien qu'il devait passer sa main sur le miroir afin de se voir. Ses clavicules gardaient quelques gouttes d'eau tandis que ses longs cheveux blonds perlaient dans son dos. Décidant de les laisser libres, il enfila ses vêtements et sortit, ne s'attardant pas sur son reflet maigre.
Dans le couloir, le gros chat noir vint se frotter à ses jambes en enroulant sa queue autour de lui. Des petits miaulements l'avertirent de son envie de manger. Il effectua sa tache rapidement et retourna dans la cuisine où Sam venait de l'appeler. Andy mit rapidement la table et servit les assiettes avant de s'avachir sur sa chaise. Il avait encore dormi dans une position qui défiait les lois physiques, donc il avait mal partout.
- Tu bosses encore tes cours aujourd'hui ?
- Mmh... j'attends le mail de ma prof avec le sujet qu'on doit traiter.
- Quel support, cette fois ? s'intéressa Sam, entre deux bouchées.
- C'est libre, mais je pense que je verrais en fonction de ce qu'elle demande.
Un silence confortable s'installa entre les deux. L'un mangeait avidement sa portion, tandis que l'autre avait la tête ailleurs, vers la vieille. Le soir où il en avait pris plein la figure par son patron. Sa seule consolation, sur le moment, avait été de revoir cet inconnu. Il avait échappé à une crise, aussi. Et c'était une grande victoire pour lui. Il allait mieux, de temps en temps. Devait-il le dire à Sam, ou s'en ficherait-il ?
- Au fait, cette aprèm, je vais chez Zoé, elle est revenue de son séminaire, donc on voudrait passer du temps ensemble. Tu arriveras à te débrouiller pour la bouffe ?
Andy releva les yeux sur son colocataire. Zoé était sa petite amie depuis des années. Pourtant, ils n'avaient jamais eu envie d'habiter ensemble. Cette curieuse façon de vivre une relation l'intriguait. Les deux avaient des sentiments à n'en plus mesurer, mais ils n'éprouvaient pas le besoin d'être constamment l'un avec l'autre. De plus, leurs boulots respectifs leur imposaient un timing bien spécial.
- Je ne suis pas si bête que ça, je peux quand même faire des pâtes.
- Vive le repas... ça te sert à quoi que je t'apprenne à cuisiner convenablement ?
- Pas grand-chose, visiblement... rétorqua Andy sur un air de défit.
Il faisait référence à ses prouesses culinaires qui finissaient toujours mal.
Le métis leva les yeux au ciel avant de boire une gorgée d'eau. Il embraya presque immédiatement sur un sujet sans vraiment de saveur. Les deux avaient toujours des discussions superficielles, ne rentrant pas dans l'intimité de l'autre. Cette fine barrière s'était élevée naturellement entre eux. L'un ne s'épanchait pas sur lui-même tandis que l'autre refusait d'empiéter sur son espace personnel. Sam s'intéressait que lorsqu'il fût question des photos ou des dessins d'Andy.
Une fois le repas terminé, le blondinet se colla sur son ordinateur. Il devait aller vérifier si son professeur lui avait envoyé le travail à faire. Après avoir enfoncé la touche d'activation, l'appareil chercha pendant de longues secondes le réseau qu'il devait utiliser. La page du moteur de recherche apparut et les doigts d'Andy tapèrent le clavier par habitude. Sa boîte mail scolaire lui jaillit au visage. La petite icône pour les mails clignotait. Le jeune homme cliqua dessus et ouvrit ce que disait Mme. Guillot. Ses yeux verts si étranges s'arrêtèrent sur le nouveau sujet qui s'affichait en gras.
« La complexité humaine à travers un visage existant ».
Une pause.
Andy regarda à droite, à gauche, mais l'inspiration ne venait pas. Comment allait-il pouvoir dessiner un visage qui remplissait certaines conditions, énumérée juste en dessous ? Pour la première fois depuis des mois, il ne savait pas comment aborder ce thème. Devait-il demander à Sam d'être son modèle ? Non, c'était trop simple.
Il se rendit compte qu'il était profondément dans la merde.
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Hey vous !
Voici le sixième chapitre ! (spéciale dédicace à MissPurpleInk)
Des avis ? :)
Bisou sur votre joue gauche,
Rheexus
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