CHAPITRE 34

Andy regardait Julian détailler la moindre parcelle du visage de Morgan, suspicieux. Il avait une profonde envie de lui dire de reculer, mais il s'en empêcha. Il n'avait pas le droit de dire aux autres de ne pas s'approcher du brun.

— C'est fascinant... murmura l'autre étudiant. Tu as su retranscrire tous les traits et toutes les petites imperfections. Attention, je ne dis pas que ton visage est déplaisant, mais il faut savoir le souligner. Andy, ton travail est merveilleux !

Le garçon se redressa, des étoiles dans les yeux. Lui avait choisit de représenter sa copine, Alice, par l'art de la peinture. Certains traits étaient grossiers, tandis que d'autres étaient d'une délicatesse palpable. Cela créait un tableau captivant.

Ils étaient tous les quatre restés dans leur petit espace dédié, alors que leurs six compères étaient partis à l'aventure. Ils étaient un peu trop sûrs d'eux, et n'arrivaient pas à rester en place plus de trente secondes, si bien que la professeure avait abandonné l'idée de les faire rester à côté de leurs œuvres. Cette dernière était partie retrouver quelqu'un qu'elle connaissait, alors qu'elle devait surveiller les enfants.

Vous êtes tous majeurs et respectueux, avait-elle dit avant de s'éclipser.

— L'abstrait ne me parle pas du tout, couina Julian.

— Je ne comprends pas vraiment le principe, mais c'est sympa... tenta Andy.

Ils regardaient tous les deux le tableau de Carla, une des cinq élèves. Elle avait discuté un peu avec eux avant de partir avec les autres. Elle était douée avec l'abstrait, bien qu'on pouvait se demander si l'on pouvait vraiment l'être sur quelque chose de flou. A côté, la toile d'Isaac accueillait du cubisme. Ce mouvement avait fort plu à l'étudiant, et il avait trouvé sa voie, apparemment. Andy n'aimait pas vraiment, car les traits étaient trop durs et agressifs. En face, à droite du sien, celui d'Emma patientait. Porté sur l'orientalisme, elle affichait sans gêne une femme de dos, nue, sur des draps. Le blond avait l'impression de regarder une vieille peinture remise au goût du jour.

— Du coup, vous êtes ensemble ou vous êtes amis ? demanda Alice.

Plus grande qu'Andy, elle dût baisser le regard pour capter l'expression de son visage. Le blondinet faisait bien attention à garder son attention braquée sur le tableau en face de lui. Il ne voulait pas faire de faux pas. Du moins, pas encore.

— Nous sommes amis. Il est devenu mon modèle par un concours de circonstances.

— C'était pour un devoir, ou juste pour le loisir, embraya Julian.

S'il était curieux, sa copine l'était tout autant. Andy voulait arrêter de répondre à leurs questions qui ne cessaient de pleuvoir, mais il s'abstint de les renvoyer d'où ils venaient. Ce n'était pas poli, et il n'allait pas briser les efforts qu'ils faisaient pour s'intéresser.

La complexité humaine à travers un visage existant, il me semble.

— Mmh... c'est signé Mme. Guillot, ça ?

— Oui. Elle aime bien faire des sujets vagues. Je l'ai tout ce semestre.

— J'adore cette prof, elle est cash.

Andy se contenta d'hocher la tête. Que pouvait-il répondre à cela ? Il n'était pas à l'aise du tout. Morgan s'était un peu éloigné, durant leur échange, afin d'inspecter ce qu'il avait sous les yeux. D'un tableau moderne à une statuette révolutionnaire. Lui non plus de comprenait pas comment les gens pouvaient s'extasier devant ça. Il tournait autour, ne sachant pas vraiment comment aborder la chose.

Il sentit une présence à ses côtés, et avisa Andy qui avait le même air perplexe sur le visage. Apparemment, les deux ne savaient pas vraiment ce que la statuette représentait.

— Tu as réussi à t'échapper de leurs griffes ?

— Oui... il était temps. Je n'aime pas être au centre d'une conversation.

« J'avais remarqué »

— C'est vrai qu'ils sont trop curieux.

— J'aurais dû faire comme toi dès le début, en fait, marmonna le blond.

— Partir ?

— Oui.

L'air bougon d'Andy donna à Morgan l'envie de l'enlacer. Pourtant, il garda les bras le long de son corps et les mains dans ses poches. Il avait une fugace envie de lisser une des mèches couleur soleil entre ses doigts.

— Tu n'es pas heureux d'être ici ?

— Si, très, répondit-il rapidement.

« Mais ce n'est pas pour l'exposition » voulu-t-il rajouter.

— C'est juste que je n'aime pas quand les gens viennent me parler comme si de rien n'était. Ça me stresse, et je ne sais jamais comment réagir, en fait... avoua le blond.

— C'est plutôt embêtant. Et si quelqu'un vient te voir pour parler du portrait ?

— Personne ne sait que c'est moi, je suis ici incognito.

— Parce que tu es un agent secret ? demanda le brun, pour détendre l'atmosphère.

— Peut-être bien, qui sait ? Tu as peut-être le plus grand meurtrier de tous les temps !

— Mmh non... je ne pense pas... Le plus grand meurtrier de tous les temps ne s'amuserait pas à recueillir un chaton abandonné dans un parc.

— Et pourquoi pas ?

— Ça n'irait pas avec son profil de meurtrier.

— Bon, d'accord, d'accord ! Je reformule ; qui te dis que je suis pas le plus grand meurtrier de tous les temps qui aime les chats ?

— Non, il n'y a rien à faire, je ne te crois toujours pas.

— J'aurais essayé, au moins !

Les deux hommes se mirent à rire. Andy, meurtrier ? Ce n'était pas possible. Il était la personne la plus gentille qu'on pouvait connaitre. Rien que de voir du sang couleur lui faisait un coup, alors tuer délibérément, ce n'était clairement pas envisageable.

— On doit rester combien de temps ? s'enquit Morgan.

— Tu peux partir quand tu veux, personne ne te retient...

— Et que feras-tu si quelqu'un vient t'accoster ?

— Je courrais me réfugier dans les toilettes, plaisanta le blond.

— Pour le bien commun, je vais rester jusqu'à ce que tu t'en ailles, alors.

Baboum.

Andy était presque certain que son cœur avait loupé plusieurs battements à cette réponse. Il pensait que le brun serait parti dès qu'il en avait l'occasion, mais il venait de dire clairement qu'il resterait à ses côtés durant l'après-midi.

— J'espère que tu ne vas pas t'ennuyer, alors.

— Je ne m'en fais pas pour ça.

Leurs regards se croisèrent un instant, avant de se détourner. L'un rougissait comme une fleur qui s'épanouissait devant les rayons du soleil, et l'autre se demandait s'il pouvait arrêter le temps et passer au moins une semaine dans cette galerie d'art, avec le blond.

— Tu veux qu'on aille faire un tour ?

— Je pense que c'est à peu près la seule occupation à faire, ici !

Andy éclata d'un rire timide. Quel doux son.

***

Dix-huit heures trente venaient de sonner, et il s'en était passer, des choses. Cerise avait tenu parole et s'était pointée dans la galerie deux heures plus tôt. Victor avait suivi quelques temps après, ne voulant pas laisser le blond entre les mains de la rousse. Andy avait voulu rembourser leurs tickets, mais ils avaient fermement refusé.

On est venus te voir, pas avoir une sortie expo gratos, avait-elle dit.

Andy s'était senti tellement bête qu'il avait rougit.

Morgan avait dû faire face à n'importe quelles questions, et il avait fait en sorte que ses réponses soient assez précises pour garder la jeune fille à distance. Il s'était avéré qu'ils avaient une grande culture générale, lorsque Cerise était partie dans un duel. Au moins, cela avait animé leur groupe quelques temps. Victor, plus discret, s'était rapproché du blond pour lui demander comment il allait. Il s'était attendu à une réponse mitigée, mais il avait souri, et avait dit qu'il était bien ici. Victor aurait pu croire que c'était le cadre qui le ravissait, mais il avait suivi des yeux ceux d'Andy et était tombé sur le brun qui essayait de décrire ce qu'il avait sous les yeux. La réponse avait été évidente ; c'était mission impossible.

Même entouré de personnes plus jeunes que lui, Morgan avait évolué comme un poisson dans l'eau. Il mimait, comme toujours. Il s'ajustait à eux et s'adaptait à leurs conversations d'adolescents. Cependant, il avait été surpris par la maturité qui s'en dégageait. Du moins, avant que Cerise grimpe sur le dos de Victor, pour une quelconque raison obscure. Ils avaient dû faire taire ses éclats de rire, sous peine de se faire virer de l'exposition. Ensuite, elle avait été sage. Du moins, autant qu'elle le pouvait.

Ensuite, une gamine haute comme trois pommes avait confondu Andy avec sa maman. Lorsqu'elle s'en était rendue compte, elle avait penché la tête sur le côté.

— Mince, je croyais que tu étais maman... mais elle est où, du coup ?

Il l'avait prise par la main et avait fait deux fois le tour de l'exposition pour retrouver la mère de la petite qui était perdue. A chaque fois, lorsqu'ils se trouvaient dans une salle, la femme était dans une autre, ayant remarqué que sa fille avait disparu. Ils l'avaient retrouvée avant qu'elle n'aille à l'accueil pour faire une annonce. La femme s'était confondue en excuses, et avait un peu grondé sa fille.

Et puis, pour finir, Mme. Azanet avait fini par tomber sur eux au détour d'un tableau. Elle était finalement restée avec le petit groupe, surprise de voir deux de ses élèves. Elle avait plusieurs prospectus dans les mains, et avait prit beaucoup de photographies.

— Bon, je vais vous laisser les jeunes. Passez une bonne soirée ! dit-elle.

Derrière eux, les portes de la galerie se fermaient pour la nuit.

— Merci de m'avoir recommandé, madame, dit Andy.

— « Il faut valoriser nos meilleurs éléments », a dit le proviseur. Je l'ai appliqué.

Andy voulu répliquer qu'il n'en était pas un, mais la femme se détournait déjà. Les boucles de ses cheveux coulaient dans son dos, à chaque pas qu'elle faisait en s'éloignant. Le parking s'était considérablement vidé. Il ne restait que les voitures des employés.

— Je vais aussi y aller, ma mère va s'inquiéter. Bonne soirée !

Victor offrit une poignée de main aux deux hommes et embrassa les deux jours de son amie. Il lui avait murmuré quelque chose à l'oreille, si bien qu'elle avait les traits tirés. Mais pas dans le mauvais sens, juste un choque, qui se transforma en un rictus mutin.

— Je vais faire pareil, alors. Rentrez bien. Et Andy, rentre-toi ça dans le crâne ; tu es quelqu'un. Je veux dire, tes projets et tes œuvres méritent d'être vues, alors arrête de vouloir les cacher, parce que tu n'es pas assez doué, selon tes dires.

— Mmh... je ne me referais pas, écoute, répliqua le blondinet.

Cerise ria avant de le frapper sur l'épaule. Elle les salua une nouvelle fois et s'éclipsa sous la lumière jaune des lampadaires. Andy se demanda s'il ne devait pas se proposer de l'accompagner chez elle, mais l'envie de rester avec le brun était la plus forte.

— Je te raccompagne ? demanda Morgan en prenant la direction de la sortie.

— Tu habites loin de la coloc' ?

— Non, je suis proche, ne t'en fais pas.

Faux. Il était à l'autre bout du centre, à bien trente minutes à pied.

— Je veux bien alors, s'il te plait.

Andy voulait garder le brun le plus longtemps auprès de lui. Il avait même envie de l'inviter à manger avec eux, mais il n'était pas certain que ce soit une bonne idée. Morgan avait certainement trente-six milles choses à faire une fois rentré.

— En tout cas, tes amis sont vraiment chouettes. C'est sympa de leur part.

— Je ne sais pas s'ils sont vraiment mes amis, mais je suis heureux.

— Pourquoi ?

— Pourquoi quoi ?

— Cerise et Victor ont l'air d'être attachés à toi, tu sais.

— Ils vont vite se lasser. On verra bien dans quelques mois, trancha le blond.

— Tu n'as pas confiance en toi à ce point-là ?

— C'est juste que je suis compliqué, et les gens n'aiment pas les choses compliquées.

— Ta crise d'angoisse ?

« Pourquoi vises-tu toujours si juste ? »

— Non.

Morgan ne savait pas comment aborder ce sujet en douceur. Le blond se refermait lorsqu'il effleurait la surface de ses problèmes. Il avait eu le loisir d'observer ses réactions concernant sa famille, et maintenant son angoisse. Il ne savait pas sur quel pied danser.

Mais, avait-il le droit de creuser ces sujets ?

Les deux tournèrent à une rue, et la rumeur du centre s'évanouissait peu à peu. Le quartier était calme. Les lampadaires diffusaient une lumière douce sur les pavés de la ville. Le brun aimait bien faire le trajet du retour de l'hôpital dans ce cadre. Les rues devenaient effrayantes, et chaque bruit était intriguant.

— Je peux te poser une question ? demanda le blond, après un long silence.

— Je t'écoute.

— Qu'est-ce que ça fait d'être aimé ?

Le médecin plissa les yeux, essayant de savoir si cette question était une blague. A ses côtés, Andy regardait droit devant lui, ne voulant pas lui offrir ses doutes de front. Le brun réfléchit un instant, avant de s'humidifier les lèvres.

— C'est quelque chose de doux. Même si tu fais des erreurs, tu sais que tu vas être soutenu. Même si tu trompes de chemin, tu sais qu'ils seront là pour t'épauler, et te faire avancer toujours plus loin. En fait, je ne sais pas comment répondre correctement à cette question. Mais, tu n'es jamais seul. Il y a toujours quelqu'un qui croit en toi.

— D'accord, merci.

De la fumée blanche sortait de leurs bouches lorsqu'ils parlaient. A chaque mot qu'avait articulé Morgan, la fumée s'enroulait autour de lui, avant de s'évaporer. Il s'était toujours amusé à en produire, depuis qu'il était tout petit.

— Pourquoi tu me poses cette question ?

Il venait de lui demander, étant à peu près sûr qu'il ne lui répondrait pas.

— J'ai dix-neuf ans, et je crois que je commence tout juste à être aimé.

L'innocence du blond lorsqu'il prononça cette phrase était touchante.

— Il n'y a pas de norme, pour ça. Tu pourras être heureux, alors.

— Je crois que je le suis.

— Vraiment ? C'est une excellente nouvelle !

Ils tournèrent une dernière fois à l'angle d'une rue, et ils arrivèrent bien vite devant l'immeuble d'Andy et de Sam. Lorsqu'il venait ici, Morgan se demandait toujours comment on pouvait vivre ici. La façade ne donnait pas envie, et de ce qu'il en savait, l'intérieur était du même ton. Il n'y avait même plus de sécurité sur la porte du hall.

— Bon, je vais y aller aussi. Merci d'avoir passé la journée avec moi, c'était chouette.

— Même si tu as de drôles d'amis, c'était sympa.

— Il faudrait peut-être refaire ça un jour, alors ?

— Oui, pourquoi pas.

Ni l'un ni l'autre voulait terminer cette conversation. Malgré les températures en dessous de zéro, ils restaient plantés l'un en face de l'autre, embarrassé et indélicat. Le médecin passa ses mains dans ses cheveux bruns afin de cacher sa gêne. Son cerveau tournait à plein régime.

— Passe une bonne soirée, murmura Andy.

— Hum... Oui, toi aussi.

Alors, le blond se détourna. Apprès avoir mis ses clefs dans la serrure, il appuya la main sur la poignée de la porte. Il allait l'enclencher, mais il en fut stoppé par une grande main qui empoigna son bras avec force. La force du désespoir.

— Attends. Excuse-moi.

— Pourquoi ?

L'autre main glissa sur sa mâchoire. Stupéfait, Andy se laissa faire quand l'homme tourna doucement son visage vers le sien. Simplement, il posa tendrement ses lèvres froides contre celles du blond. C'était un simple contact, mais qui voulait dire tant de choses.

Tout compte fait, c'était la chance de sa vie ?

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Hey vous !

Voici un nouveau chapitre !

Des avis ? :)

Bisou sur votre joue gauche,

Rheexus

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