CHAPITRE 28

« Voudrais-tu aller manger quelque part avant l'exposition ? »

Etait-ce un rencard ?

Non, ç'en était pas un.

Si, ç'en était clairement un !

Pas quelque chose de direct, mais c'était une demande.

Morgan passa les mains dans ses cheveux en soupirant. A ses côtés, Milo avait le nez dans son chocolat chaud. Il touillait lentement les quelques céréales qui avaient résisté à son passage. Il en noya une avant de la mettre sur sa cuillère et la porter à sa bouche. Contrairement à son frère, il n'était pas du tout du matin.

— Le lit était beaucoup trop dur, j'ai mal au dos, se plaignit-il.

— Tu n'avais qu'à dormir par terre si ça ne te convenait pas.

Comment en était-il arrivé à héberger son frère, sa femme et sa nièce pendant trois jours ? Ils auraient dû repartir le lundi matin, mais l'hôpital les avait appelés pour passer de nouveaux examens car ceux fait samedi après-midi avaient été incomplets. Les deux parents avaient alors posé des jours comme ils avaient pu et étaient restés un peu plus.

Morgan avait dû gonfler le matelas gonflable pour que la gamine puisse dormir dessus. Il n'avait pas vraiment été d'accord, à cause de sa colonne vertébrale, mais rien n'avait réussi à la faire changer d'avis : ses parents dormiraient l'un avec l'autre.

— Ça aurait été pire.

— Alors ne te plains pas.

— Qu'est-ce que vous êtes aimables, dès le matin... marmonna Aurore.

Les deux hommes la regardèrent entrer dans le salon. Portant l'un des t-shirts de Morgan, elle paraissait minuscule dans ces tissus trop grands. Aucun des trois n'avait une tenue convenable pour dormi. Le médecin avait dû fouiller dans ses placards pour leur proposer quelque chose d'agréable à porter. C'était un peu du système D, mais ils ne s'en plaignaient pas. Ils avaient retrouvé la sensation agréable de passer du temps en famille.

— Tu travailles aujourd'hui Morgan ? s'intéressa la brune en s'assaillant.

Ses cheveux étaient en pagaille et elle avait la trace de l'oreiller sur la joue.

— Oui, cette après-midi. Sauf si une urgence arrive, bien entendu.

— On ne te dérangera pas plus longtemps alors. Nous partirons dans la matinée.

— Vous ne me dérangez pas du tout, rétorqua le brun.

Ce devait être l'une des rares fois où il y avait eu aussi longtemps de la vie dans son appartement. Généralement seul, il vaquait à ses occupations sur un fond sonore. Sinon, il était à l'hôpital en train de s'acharner à la tâche. Comme si le destin le récompensait, il avait une matinée de libre ce jour-ci, donc il avait bien l'intention d'en profiter.

— J'aimerais faire les boutiques. Noël approche, je n'ai encore rien acheté.

— Tu t'y prends tard, remarqua son beau-frère.

— Je n'ai pas eu le temps. Le boulot me prend beaucoup de temps. L'équipe est difficile et on a de plus en plus de charges sur les épaules.

— Allons-y alors. Tu viens avec nous Morgan ?

— Pourquoi pas, cela me permettra de sortir un peu.

— Tu n'y vas pas souvent ?

— Non, comme toi, le boulot me prend beaucoup de temps. Elijah a gains de cause, parfois, lorsqu'il insiste pendant des heures ou qu'il me casse les pieds. Vous le connaissez quand il a une idée en tête...

— Intenable ! Une vraie girouette ! On dirait une gonzesse, ricanna Milo.

— Parce que je suis une grouette, peut-être ? demanda Aurore, les bras croisés.

— Mais non chérie, ce n'est qu'une expression...

— Bien sûr ! Nous sommes toujours des expressions !

— Morgan, tu ne veux pas m'aider ? se plaignit son frère, le suppliant du regard.

— Tu t'es mis dans cette mouise, tu en ressors tout seul mon gars.

Pour appuyer ses dires, le médecin replongea dans sa tasse de café, alors que le couple se disputait à coup de piques et de regards noirs. Cela ne voulait pas dire grand-chose, mais c'était courant, entre eux. Milo était toujours le premier pour se mettre dans des situations délicates, et ne pas savoir en ressortir.

[09 : 22] Andy : Oui ! Oui, pourquoi pas. Ce serait chouette. Où voudras-tu aller ? Tu as peut-être une préférence ? Je connais un très bon kebab. Enfin, si ça ne fait pas trop « nul » de manger un kebab avec moi ?

[09 : 47] Morgan : Parfait. Un kebab est parfait. Tu as eu une excellente idée. Ça doit faire quelques années que je n'en ai pas mangé. Je viendrais te chercher. On se tient au courant pour l'heure ?

Sa dernière question était pleine d'espoir.

[09 : 48] Morgan : Ton idée et bonne, et tu es loin d'être « nul », sache-le.

Avait-il été trop direct ?

Il prit un morceau de pain qui trainait dans une corbeille, et le tartina de beurre. Il n'était pas friand de ce mélange, mais il n'avait plus rien dans les placards. Il préférait garder le fond de céréales pour Clémentine qui allait bientôt se lever.

[09 : 51] Andy : Okay ! J'ai hâte !

Le message était accompagné un smiley qui souriait.

Morgan imagina Andy sourire, et son cœur se réchauffa immédiatement.

[09 : 51] Andy : Arrête, tu vas me faire rougir !

« J'y compte bien »

Un sourire amusé mangea les commissures de ses lèvres.

— Morgan sourit ! Je répète ; Morgan sourit ! Tu es malade frangin ?

Le concerné leva la tête. Il reprit pied dans la réalité d'un seul coup. Il n'avait pas entendu que le couple avait arrêté de se disputer. Il n'avait même pas remarqué que sa nièce était perchée sur les genoux de son père. Elle avait un deuxième bol en face d'elle et elle noyait sans scrupule ses céréales dans le lait.

Morgan cligna des yeux, incertain.

— Quoi ?

Il se sentait bête et gauche.

— Tu es heureux. C'est bizarre. Un peu flippant, même, réfléchit à voix haute Milo.

— C'est Andy ?

— Maman, c'est qui Andy ?

— C'est l'amoureux de son oncle.

— Quoi ? Mais ce n'est pas vrai ! Arrête de dire des bêtises.

— Il est beau le n'amoureux de tonton ? demanda innocemment l'enfant.

Décidément, le prénom de ce garçon était sur toutes les bouches, en ce moment.

« Tant qu'il n'est pas dans les bouches, c'est l'essentiel »

Morgan avala sa gorgée de café de travers. Il émit un affreux bruit de gargouillis avant de s'étouffer. Il tenta de tousser pour enlever cette sensation fort désagréable, mais rien ne l'aida. Son frère tapa sans délicatesse son dos, et il se sentit mieux. Pour une fois, le rouge lui était monté aux joues. De quel droit pensait-il à cela ? Il ne se reconnaissait pas.

— Parler de blondinet te met dans de tels états ? Mon pauvre vieux, t'es fichu.

— Papa, pourquoi il est fichu tonton ? On lui a tiré dessus ?

— Non Clem', pourquoi tu dis ça ?

— Ils disent ça dans les dessins-animés...

Sa mère soupira. Bien qu'il n'y avait pas de sang, Aurore n'aimait pas que sa fille regarde ses animations violentes. Malheureusement pour elle, la petite fille était plus du genre robots et petites voitures que princesses et poupées. A son anniversaire, elle avait reçu un Transformers géant, et elle avait été la fillette la plus heureuse du monde.

— Je ne suis pas fichu ma puce. Ton père exagère, comme toujours.

— C'est bien vrai ça ! dit-elle toute fière.

— Pardon ? Et depuis quand, jeune fille ?

— C'est maman qui le dit tout le temps ! Maman a toujours raison !

Elle sauta des genoux de son père avant qu'il ne puisse l'attraper. Elle grimaça à la réception, et porta une main à son dos. Elle vit dans le regard de son oncle qu'elle aurait pu se faire très mal. Elle parti en rigolant vers les chambres.

— File crapule ! Tu le regretteras quand tu iras mieux ! s'écria Milo, hilare.

— J'ai même pas peur ! cria la gamine en retour.

Décidément, Morgan n'avait pas vécu de réveil aussi animé depuis longtemps.

***

Le brun s'effondra après avoir posé son sac sur le canapé. Il était courbaturé de sa journée. Ils avaient passé deux bonnes heures dans les rues piétonnes de la ville. Ils étaient entrés dans un nombre incalculable de boutiques, dont Morgan ne se souvenait plus le nom. Aurore avait réussi à acheter tout ce qu'elle voulait, Milo avait trouvé quelques babioles dans une friperie, alors que Clémentine était ressortie d'une librairie, toute fière, son premier gros livre à la main. Devant son enthousiasme devant ce livre sans images, le brun n'avait pas hésité à dégainer la carte bleue.

Heureusement que la petite ne croyait plus au père noël, après une tragique fête.

Ensuite, il les avait raccompagnés à leur voiture après avoir fait une pause à un supermarché pour faire le plein de sandwichs. Le médecin avait grimacé, il n'y avait rien de pire que ces pains de mie en force de triangle, sans goût. La petite famille avait choisi la simplicité et la rapidité. Le trajet n'était pas vraiment long, un peu moins de deux heures, mais à l'heure du repas, tout devenait plus compliqué.

Morgan était passé manger quelque chose à l'appartement, et était reparti immédiatement. Sa journée de travail commençait tout juste, que dès le pied à l'hôpital, on l'appelait aux urgences. C'était le trou noir, pour la suite. Il ne se souvenait pas vraiment de ce qu'il s'était passé, avec le recul. Les gestes avaient été vifs, précis et rapides, dans l'habitude et les mécanismes qui étaient encrés en lui depuis des années. Quelque part au fond de lui, il était certain de pouvoir faire des choses les yeux fermés.

Maintenant, il était aux alentours de deux heures du matin, et il venait tout juste de rentrer. Il avait l'estomac dans les talons. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu aussi faim après le service. Il ne pouvait clairement pas se coucher, alors que son ventre faisait un bruit de fin du monde. Il enleva son manteau et se posta devant frigidaire. Les mains sur les hanches et la porte ouverte, il analysa ce qu'il y avait sur les étages.

Plusieurs légumes cuisinés, un peu de fromage et de viande, et une bière.

Là, au fond, il y avait un reste de pizza qu'ils avaient fait le dimanche soir.

Ce serait parfait.

Il l'attrapa, coupa un morceau et le disposa dans une assiette qui termina sa course dans le micro-onde. Il tourna le bouton du minuteur. Cherchant subitement son téléphone qu'il avait oublié depuis de longues heures, il le trouva dans la poche avant de son sac. Ravi d'avoir retrouvé l'objet, il répondit à deux messages, et lorgna quelques secondes ses réseaux sociaux. Ce n'était pas ce qui l'intéressait, c'était juste de la curiosité.

Le « bip » de l'appareil sonna dans le logement, et il eut l'impression de réveiller l'immeuble entier. Entendre ses voisins hurler ne l'aurait pas surpris.

[02 : 39] Morgan : Je suis sûr que tu aimerais le repas.

Il accompagna son message d'une photo de la part de pizza qui trônait en face de lui. Il avait découvert au détour d'un message qu'Andy aimait manger de plat lorsqu'il était dans un jour sans, comme il avait dit. Morgan n'avait pas posé plus de questions.

[02 : 42] Andy : C'est clair, mais pas à deux heures du matin.

Morgan haussa un sourcil. Il ne s'attendait pas à une réponse à cette heure.

[02 : 43] Morgan : Tu ne dors pas ?

Question bête. Si Andy répondait, il ne dormait pas. Sauf s'il était en proie à un formidable somnambulisme. Il but d'une traite son verre d'eau et mâchouilla un bout de chorizo avant de voir que la LED de son portable clignotait.

[02 : 45] Andy : Non, je suis en train de trier des photos. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas fait, il faut que fournisse un peu mon Insta. Des gens me demandent si j'ai arrêté. Apparemment, mon travail plait, alors...

Le brun sauta sur l'occasion. Il déglutit et tapota l'écran.

[02 : 48] Morgan : Tu postes tes photos ? Est-ce que je pourrais les voir ?

[02 : 54] Morgan : Oui, mon compte est en public, c'est fait exprès. Tu me trouveras sous ce nom : andy_bloom. Ce n'est pas quelque chose de pro, mais c'est sympa. Enfin, je crois... Il y a des bons avis, alors c'est encourageant !

Le brun savait comment il s'appelait sur la plateforme, après ses recherches avec son frère et sa belle-sœur. Mais, à ce moment, ce n'était pas pareil. Andy l'invitait à le suivre pour voir son travail, alors il ne s'en priverait pour rien au monde. Il activa la Wifi et cliqua sur l'icône colorée. Dans la barre de recherche, il tapa le nom, et s'abonna sans même se poser de questions.

[03 : 05] Morgan : Ton travail est beau. Ça dégage quelque chose, j'aime beaucoup.

Avait-il le droit de lui adresser ces mots ? Il n'avait pas vraiment besoin de donner son avis, mais il avait presque ce besoin de parler au petit blond. Lorsqu'il le faisait, ses problèmes s'envolaient et la fatigue qui l'étreignait quelques minutes plus tôt s'envolait.

[03 : 07] Andy : Merci ! Toi, par contre, ton profil est chiant !

Un smiley accompagnait le message.

[03 : 07] Andy : Je plaisante !

Un autre smiley.

Morgan ne s'en offusqua pas. Le blondinet avait raison. Son profil n'était pas intéressant. Quelques photographies étalées sur plusieurs années. Elles n'étaient pas belles et ne retenaient pas l'attention comme celles de l'étudiant. Des paysages de ses vacances, ou d'un élément qui avait retenu son attention. Des fleurs, souvent, car c'était plus facile de les capturer car elles ne bougeaient pas.

Morgan était tout de même content. La journée se terminait très bien.

Il termina sa pizza et entassa la vaisselle dans l'évier. Il n'avait pas le courage pour la faire aussi tard dans la nuit. Ou aussi tôt dans la journée, selon le point de vue. Une fois dans sa chambre, il enleva les boucles de ses Dr Martens et les hôta d'un coup de talon. Il fit tomber ses habits dans la panière de linge sale, avant d'aller sous le jet de la douche.

L'eau chaude lui fit plus de bien qu'il le pensait. Elle dénoua les muscles endoloris de ses épaules alors qu'elle tapait durement dessus. Lessivé, Morgan posa son front sur la paroi vitrée de la cabine, regardant les gouttes faire la course jusqu'au sol. Il n'avait aucune envie de sortir, mais l'appel de son lit se faisait de plus en plus fort. D'où il était, il pouvait presque l'entendre murmurer des mots doux. Après s'être frotté énergiquement les cheveux et avoir enlevé la mousse de son corps, il s'extirpa enfin de la douche.

L'air froid de la pièce le fit frissonner, mais il avait tellement la tête en vrac qu'il passa juste un caleçon et partit s'écrouler sous la couette chaude et lourde. Le matelas s'enfonça agréablement sous son poids. Lorsque sa tête se posa sur l'oreiller, un gémissement lui échappa. Il ne ressentit aucune honte. Il était seul, de toute manière.

Il regarda une dernière fois son téléphone après l'avoir cherché dans les plis du drap.

[03 : 14] Andy : Bon, j'ai terminé pour cette nuit. Je te souhaite un bon repos.

[03 : 29] Morgan : Bonne nuit alors.

Ses yeux se fermaient tous seuls. Devait-il attendre la réponse du blond ?

[03 : 30] Andy : Fais de beaux rêves !

Il n'imagina pas le smiley qui envoyait un cœur.

[03 : 30] Morgan : Tu n'attendais pas ma réponse, quand même ?

La fatigue lui faisait écrire n'importe quoi. Pourtant, sur le moment, ce fut la meilleure idée qu'il lui soit venue. Il voulait vraiment durer la conversation, mais ses paupières n'étaient pas d'accord avec lui. Elle se fermait toutes seules, ne lui laissant pas le choix.

[03 : 33] Andy : Si je te dis que si, je passe pour un psychopathe ?

[03 : 34] Morgan : Non. Fais de beaux rêves Andy.

Il ne sût même pas s'il avait vraiment cliqué sur la petite flèche. Il sentit vaguement ses muscles se détendre. Ses mains lâchèrent le téléphone qui se verrouilla de longues secondes plus tard. Il sentit Morphée le prendre dans ses bras et chuchoter à son oreille des mots doux pour apaiser son esprit tourmenté par son après-midi. Morgan se laissa emporter au loin, sans regarder en arrière.

Andy avait attendu sa réponse avant de couper.

Cette simple pensée remplissait tout son être d'un bonheur sans nom.

Enfin si, il avait un nom : Andy.

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Hey vous !

Voici un nouveau chapitre !

Des avis ? :)

Bisou sur votre joue gauche,

Rheexus

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