CHAPITRE 16
Une semaine s'était finalement écoulée, sans que Morgan ne la voie passer. Il y avait toujours plus de travail à l'hôpital, et une urgence avait pointé son nez dans la nuit de mercredi. Il n'avait pas réussi à regagner le sommeil qu'il avait brusquement perdu. Ils étaient le samedi vingt-quatre novembre, et il ne savait pas vraiment quoi faire. Son portable affichait quinze heures. Apprêté pour sortir, il attendait il ne savait trop quoi dans le hall de son immeuble. Finalement, il n'avait plus le temps de douter, alors il s'engagea dans la rue où les pavés étaient mouillés et gelés. La localisation que lui avait indiqué Andy était à l'autre bout du centre, près de celui d'Elijah.
Morgan se posait des questions. Encore et encore. Depuis une semaine.
Il ne savait pas vraiment comment aborder la situation. Il avait tenté de repousser cette vague d'incertitude le plus longtemps possible, mais elle refaisait surface au pire moment. Slalomant entre les corps qui se pressaient déjà dans les magasins, il avait envie d'arrêter le temps. Il fallait l'avouer, il avait peur de mal réagir à quelque chose. C'était bien la première fois qu'il n'avait envie de faire aucuns faux pas.
Il ne connaissait pas Andy. Ils avaient échangé quelques messages, tout au plus un sourire lorsqu'il était allé au café. Morgan n'y était d'ailleurs pas retourné, depuis la dernière fois. Il se l'interdisait. Il avait envie d'aller trouver l'étudiant blond, mais de le fuir en même temps. C'était une idée folle, de se rendre ainsi à son logement pour qu'il puisse peindre son visage. De plus, il ne savait même pas ce qu'il l'y attendait.
Depuis quand bouleversait-il ses habitudes ?
« Depuis qu'il a croisé ton regard » murmura une voix en lui.
Et quel regard. Le brun n'avait encore jamais vu une telle couleur. Pourtant, avec les patients, il en voyait, des pupilles. Mais jamais il n'avait vu cette teinte de vert. Un vert comme les chats. Un vert mêlé avec l'ambre était d'une douceur sans égale. Il s'y était perdu en l'espace d'une seconde. Il avait été envouté. Morgan faisait parti de ces personnes qui affirmaient que les yeux étaient une porte vers l'âme. Ce qu'il avait lu en Andy s'était révélé quelque chose de puissant. Rien de bien net, assez pour se poser des questions. Assez pour se retrouver captivé, et en demander toujours plus. Les longs cils blonds qui encadraient ces yeux projetaient une ombre charmante, fascinante.
Pouvait-on dire tomber amoureux d'un regard ?
Certainement.
Morgan passa rapidement devant de grands bâtiments nouvellement construits. Il ne releva pas la tête pour voir la majestuosité de ces constructions. D'un pas rapide, il s'en éloigna, grognant mentalement lorsque des passants le heurtaient sans même s'excuser. Il y avait plus de monde ici. Le brun ne passait jamais dans ces rues plus animées. De plus, la période de noël commençait juste. Les plus organisés commençaient dès maintenant les achats pour le jour de fête. Généralement, Morgan ne sortait jamais à cette période.
Trop de monde dans les rues. Il faisait le trajet minimal, celui entre l'appartement et l'hôpital. Tous les ans, Eli se moquait gentiment de lui. Le châtain avait toujours aimé la foule et la vie qui régnait dans la rue.
Morgan soupira. Penser à Elijah l'amenait forcément devant son absence. Depuis leur accrochage chez son meilleur ami, il n'avait plus aucune nouvelle. Pas même un signe de vie, rien du tout. Le brun en était attristé, car il avait tant de choses à lui raconter. Il voulait lui confier ses peurs et ses doutes. Mais vu qu'il n'était pas digne d'être au courant des histoires de cœur du psychologue, il ne voulait pas se confier. Et c'était légitime.
L'homme tourna à un coin de rue et il se retrouva dans une petite ruelle surplombée par de hautes maisons de villes à deux étages. Un peu plus bas, il y avait un immeuble qui semblait peu sûr de ses fondations. Les volets bleus détonaient sur le décor austère.
« Il y a des volets bleus et une porte en bois » avait écrit Andy, par message.
Il n'y avait pas de digicode, comme chez lui, et encore moins d'interphone, visiblement. Il tenta alors d'ouvrir la poignée, et elle céda sous sa pression. Etonné, il entra dans l'immeuble. Le propriétaire de ce logement devait vraiment s'en fiche, pour ne pas remplacer la sécurité. Il n'y avait pas d'ascenseur non plus, alors il s'engagea dans les escaliers étroits. Les marches glissaient sous ses Dr Martens. Le bois avait travaillé avec le temps. Deuxième étage. Il grimpa quatre volées de marches d'un pas pressé. L'ambiance qu'il y avait dans la cage d'escalier ne lui plaisait pas. Comme si ce bâtiment était abandonné. Le dernier palier avait une petite fenêtre qui apportait de la lumière. Avec les nuages bas et le ciel gris, il n'y voyait pas grand-chose. Le chiffre six en doré était accroché à la porte. Il toqua trois coups secs.
Il y eu de l'agitation de l'autre côté du battant. Le cœur de Morgan battait vite. Il ne savait pas quelle expression offrir au plus jeune. La clef tourna dans la serrure. Le brun avala difficilement sa salive. Cela ne lui ressemblait pas. Comment faisaient les autres ? Il souffla et constitua un faciès neutre. Il mimait encore une fois les autres.
La porte s'ouvrit et la lumière inonda le palier.
Andy apparut aussitôt, un grand sourire sur le visage.
Morgan sût alors qu'il était vraiment fichu.
Le blond était enveloppé d'un jean qui serrait ses jambes fines, et d'un pull en laine vert sapin beaucoup trop grand pour lui. Si bien que l'encolure lui tombait sur l'épaule. Fine et pâle, et... Non. « Ne pense pas à ça » se dit le grand brun.
— Bonjour ! Viens, entre, il fait froid dehors ! s'exclama le blond en se décalant.
Morgan ne répondit pas, obtempérant juste. C'était un petit espace qui s'offrait à lui. Il n'avait pas mis les pieds dans un appartement aussi petit depuis longtemps. Il était propre, au moins. Et il faisait chaud. Les radiateurs crachaient leur chaleur depuis quelques jours déjà, car les températures étaient en chute libre.
— Tu veux boire quelque chose ? On a du chocolat, ou du café, si tu préfères.
« On » ? Morgan s'était-il donc trompé ? Il se senti mal une seconde.
— Du café, s'il te plait, répondit poliment le brun en regardant un peu partout.
Il s'efforçait d'être discret, mais le blond avait déjà capté sa curiosité. Andy se tourna afin de préparer la tasse dans la vieille machine à café. Il bruit caractéristique du liquide qui coulait s'en éleva. Il y avait un silence un peu lourd entre eux. L'un ne savait pas comment aborder l'autre, tandis que l'autre se posait mille et une question.
— Tiens, dit le blond en tendant la tasse au brun. Je vais chercher mes affaires.
Et il disparut dans le couloir. Une porte grinça un peu. Morgan laissait dériver ses yeux bruns sur tout ce qu'il voyait. Une table en bois avec quatre chaises, une petite cuisine fonctionnelle et un plan de travail un peu en bazar. Un paquet de farine trainait encore là alors que des fruits reposaient dans une corbeille. Tandis qu'il essayait de lire les titres des livres qui s'alignaient sous la télévision, un gros chat noir grimpa sur le canapé. Il émit un miaulement avant de s'assoir d'une façon tout à fait supérieure aux humains. De son perchoir, il ne ressemblait qu'à une boule de poils volumineuse.
— Salut toi... murmura Morgan en s'approchant prudemment de lui.
La tasse de café dans une main, il approcha l'autre de l'animal. Amadeus la lorgna un instant, il bougea de sa place. Un pas de côté. Il frotta le haut de son crâne contre la main de cet étranger. Ravi de ne pas s'être prit un vent, Morgan commença à le caresser entre les oreilles. Quelques minutes plus tard, le Maine Coon se surprit à ronronner aussi fort qu'un moteur. Le chat battit de la queue, avant de s'étirer sous la main affectueuse.
Au même moment, Andy revint dans le salon, avant de sourire. Ce n'était pas commun de voir son chat se prendre d'amitié avec quelqu'un. Généralement, il était un véritable ange avec leurs invités, mais complotait machiavéliquement contre eux dès qu'ils se tournaient. Il fut agréablement surpris de le voir s'entendre avec le brun qui ne semblait avoir d'yeux que pour lui.
— Il n'est pas habituel de voir Amadeus se laisser caresser. Tu as de la chance.
Morgan sursauta avant de poser le regard sur lui.
— Aller ma grosse vache, dégage de là, on va prendre la place, ria le blond.
Le chat sembla bouder, avant que son ami humain prenne place contre l'accoudoir branlant. Il vint se rouler en boule entre ses jambes croisées avec un grognement. Tandis que Morgan buvait sa boisson sans oser s'asseoir, Andy sortait tout son attirail de plusieurs trousses. Ses crayons de papier se succédèrent sur sa table basse alors qu'un calepin prit place sur l'une de ses cuisses. Entre elles, Amadeus bougea, peu heureux de se voir chassé de son endroit fétiche. L'étudiant regroupa ses longues mèches blondes dans un chinon approximatif, qui pendait lamentablement sur le côté de sa tête.
— Tu ne veux pas t'asseoir ? Bon, le canapé est un peu vieux, mais il est confortable.
Morgan posa alors ses fesses sur l'assise. En effet, le faux cuir était craquelé un peu partout, et par coins, il partait en morceaux. Maladroitement, le médecin prit la même position que son hôte après avoir enlevé ses chaussures. Ses doigts froids essayaient de capter la chaleur de la tasse. Finie, elle traina sur le bord de la table basse. Il ne savait pas vraiment comment réagir. C'était la première fois qu'il se faisait inviter pour un tel motif.
— Je... je ne vais pas te manger, avoua timidement Andy, en baissant les yeux.
Par un tic, il triturait le bas de son pull. Samaël lui répétait sans cesse qu'il allait les déformer, a force. Et c'était vrai, vu le nombre de fois où sa mère lui avait hurlé dessus pour cette même raison. Mais c'était un mouvement qui occupait les mains. C'était tout ce que demandait Andy.
— Je le sais bien, s'amusa Morgan. C'est juste que... cette situation est inédite.
— Ha. Oui... c'est pareil pour moi ! C'est la première fois que je vais dessiner les traits de quelqu'un en face de moi. Souvent, à l'école, ils le font... mais pas moi, du coup.
— Pourquoi donc ? s'intéressa le brun, curieux.
— Je suis les cours à l'appart', pour une raison de santé.
— Est-ce grave ?
— Non. Non, pas vraiment, va-t-on dire, mais c'est plus dérangeant qu'autre chose.
Il y eut un petit silence. Quelque chose qui flotta entre les deux. Ils se regardaient avec des coups d'œil timides. Vert félin contre brun automne.
— Tu travailles, non ? Puis-je te demander dans quoi ? tenta Andy.
— Dans le médical. Je suis médecin à l'hôpital. C'est pour ça que j'ai eu du mal à accorder mon emploi du temps. Et toi, le café n'est qu'un boulot ou tu aimes vraiment ça ?
— Un peu des deux, je pense. Parfois, c'est compliqué, mais j'aime beaucoup parler avec les clients, ça change. Et puis je ne reste pas tout le temps ici, c'est agréable. Et puis j'avance, pas à pas, avoua Andy en taillant l'un de ses crayons pour le poser sur la table.
— Le relationnel est toujours compliqué, de toute façon.
— A qui le dis-tu ! ria doucement le blondinet.
Par habitude, il avait caché sa bouche de sa main. Morgan le trouva mignon, avec cette timidité et cette pointe de douceur. La gêne commençait à disparaitre, petit à petit. Le plus jeune tentait de trouver un bon sujet de conversation, mais il ne savait pas sur quoi s'orienter afin d'être intéressant, et intéressé. Quant à lui, Morgan ne voulait pas brusquer l'étudiant. Il avait mille et une questions à lui poser, mais il ne voulait pas paraitre intrusif et déplacé. Ils tournaient un peu en rond, à vrai dire. Ce n'étaient que des sujets entre deux inconnus qui ne voulaient pas laisser le silence entraver leur après-midi.
— Et si on se mettait au travail ? proposa le plus jeune en esquissant un sourire.
— C'est plutôt toi qui vas travailler, je ne vais rien faire, il me semble.
— N'en sois pas si sûr, ricana Andy. C'est difficile d'être un model, en réalité.
— Ha oui ? Il ne suffit pas de rester immobile ?
— Non ! Enfin oui... mais non... Il faut dégager quelque chose, tu vois ? Avoir une position est quelque chose d'important, avoir un faciès aussi, il en va de soi. Mais dégager quelque chose, une aura, un sentiment, n'est pas donné à tout le monde.
— Vraiment ?
Andy hocha la tête.
— Alors pourquoi as-tu voulu de moi comme model ?
Son homologue rougit immédiatement. La peau pâle de ses joues se colora d'une délicate couleur rosée. Ses yeux verts se mirent à briller. Un sourire courba le bas de son visage. Andy détourna immédiatement les yeux, prétendant s'intéressé à ses crayons.
— Tu... j'aime beaucoup ce que tu montres de toi, a vrai dire... marmonna le blond.
— Et qu'est-ce que je montre de moi ? continua le brun.
— Une... heu... rien. C'est juste un ressenti, c'est tout, se dépatouilla-t-il.
Morgan aima voir la gêne entraver le doux visage du plus jeune. Visiblement, il dégageait quelque chose, mais il n'était pas lui-même au courant. Voulant sortir Andy de cette mauvaise passe, il décida de changer de sujet en se tournant vers lui.
— Tu dessines depuis longtemps ?
— Depuis tout petit. Je passais mes après-midis à dessiner et à lire.
— Tu lis quel genre de littérature ?
— De la littérature étrangère, principalement de l'anglais et de l'italien, et beaucoup de fantastique. Du fantasy aussi, mais un peu moins. Les romances m'ennuient, car c'est toujours le même schéma. Je préfère lire un bouquin pour m'évader complétement, pas pour tomber dans des sentiments qui dégoulinent des pages. Et toi, vers quoi tu te tournes ?
— Du classique, principalement. J'ai un peu de mal avec l'imaginaire.
— Pourquoi donc ?
Andy avait attrapé un de ses crayons, le rouge avec une gomme noire, et commençait déjà à poser les premiers traits sur sa feuille. La forme du visage s'encra alors, laissant des trainées grises sur le grain pâle du support.
— Je suis plus du côté de la science, alors la magie, je le conçois difficilement.
— Et c'est bien dommage, renchérit l'artiste. La magie ouvre des portes !
La courbe d'un nez droit, légèrement retroussé. Une mâchoire carrée et marquée. Il n'y avait pas de cloison entre ce qu'il voyait et ce que ses doigts traçaient sur le papier. Le brun se prêtait au jeu de ne pas bouger. Il fixait un point derrière Andy. Les chaises autour de la table semblaient vraiment passionnantes. Parfois, ses yeux voguaient sur le jeune homme, lorsqu'il avait les yeux rivés sur son art.
— Elle nous permet de rêver, et même de penser qu'il y a autre chose, avec nous.
— Genre des fantômes ? Des loups-garous, des vampires et de la télékinésie ?
— Peut-être pas jusque-là, mais tu as l'idée !
— Ça me fait plus peur qu'autre chose, ces histoires.
Un regard malicieux coula sur lui. Un sourire amusé s'ourla sur les lèvres d'Andy. Décidément, il n'avait jamais autant souri que ces derniers jours. Cela lui faisait du bien. Il ne se rendait pas vraiment compte, mais ne pas être seul lui était très agréable.
— Tu n'aimes pas partir à l'aventure, alors ? taquina le blondinet.
— Je n'aime pas ce qui change, répliqua Morgan, sérieux.
Une bouche boudeuse s'échoua sur le papier. Un peu fine, entourée d'une barbe de trois jours qui donnait un charme certain à son porteur. Le trait de la bouche était un peu appuyé, faisant ressortir sa courbe harmonieuse. Des pommettes s'ombrèrent sur le haut des joues. Ce n'était qu'une esquisse, mais Andy aimait cet exercice.
S'il pouvait, il continuerait durant des heures.
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Hey vous !
Voici un nouveau chapitre ! Celui que vous attendiez en plus hehe. Le petit rapprochement de nos deux loustics ! Mais qu'est-ce que cela va donner ? Tantantaaaaaaan ! (Bon ok, je me tais, promis)
Des avis ? :)
Bisou sur votre joue gauche,
Rheexus
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