CHAPITRE 14

- J'en peux plus ! couina Eva en glissant contre la paroi du mur.

- J'ai envie de rentrer et de dormir pendant des jours, renchérit un infirmier.

Les deux médecins hochèrent la tête alors que le chirurgien sortait de la salle d'opération. Il avait un sourire soulagé et les traits tirés. Il se posta devant le petit groupe et avisa Morgan qui ne disait rien sur cette après-midi d'opération.

- Merci à vous. Vous êtes ma meilleure équipe. C'est un bonheur de travailler avec vous, dit l'homme. Je vous souhaite bonne soirée, je vais prendre mon tour de nuit, fini-t-il.

- Merci à vous de nous faire confiance, rétorqua le brun.

Les deux s'offrirent un regard entendu, avant que le chirurgien reparte en sens inverse. Le couloir était calme, alors qu'on transférait le jeune homme dans l'une des chambres libres. Ils avaient bien failli le perdre plusieurs fois, car son cœur avait été à deux doigts de ne pas tenir le coup. Les yeux bruns de Morgan suivirent le chemin qu'empruntait le lit, jusqu'à ce qu'il disparaisse vers les ascenseurs.

- Il est déjà dix-huit heures trente ? s'étonna l'infirmer. C'est l'heure d'aller dormir !

- Déjà ? Bon sang ! Il manque des heures à la journée, ce n'est pas possible !

Le docteur Prast se plaignit à grands coups de soupirs. Elle marmonna qu'elle était en retard, souhaita une bonne soirée et s'éclipsa immédiatement après. Morgan prit la même direction qu'elle, devant aller chercher ses affaires dans son bureau et dans la salle de repos. Dans l'ascenseur, il se frotta les yeux, fatigué. Non, épuisé, même. Lorsque les portes s'ouvrirent, il slaloma entre les corps qui y entraient. Il reconnut la petite amie d'un des patients qui venaient de se faire greffer un cœur. Il était entre de bonnes mains, et en amélioration à chaque heure qui passait. Morgan était son médecin depuis que le jeune homme avait déménagé dans la ville.

Dans la salle de pause, l'une de ses collègues dormait sur le canapé. Avec le plus de discrétion possible, il prit son sac avant de sortir ses clefs. Avant de partir, il recouvrit la jeune femme d'une des couvertures mises à disposition. Il ne faisait pas bien chaud ces derniers jours. Le chauffage n'était pas encore en route.

La porte bleue de son bureau était ornée d'un planning et des noms de patients. Les supérieurs avaient été réactifs pour rediriger tout le monde avec d'autres médecins. Ce n'était pas la meilleure solution, mais c'était toujours mieux que de devoir retarder tous les rendez-vous et de mettre en vrac les plannings créés sur les semaines à venir.

Le brun ouvrit son bureau et échangea sa blouse avec son long manteau et son écharpe. La pluie l'avait découragé de jouer aux aventuriers. Il passa la hanse de sa sacoche sur son épaule et descendit par l'entrée principale aussi rapidement que la technologie le lui permettait. A l'accueil, il adressa un signe de main aux personnes derrière le comptoir, et parti affronter le froid. La nuit était déjà tombée, alors que les lampadaires éclairaient les rues de leur lumière jaune. Dans les rues, des écoliers couraient un peu partout. Certains riaient fort alors que d'autres savouraient ces quelques heures en dehors de la maison familiale.

Il la connaissait, cette liberté. Il se souvenait de tous ces après-midis qu'il passait avec sa bande d'amis, dans les parcs, leurs skates sous le bras, un appareil photo accroché au cou d'Arthur et les paquets de bonbons que ramenaient les autres. Dans leur village, ils faisaient les trois-cents coups. Lorsqu'un commençait à faire une bêtise, les autres suivaient sans poser de questions. Surtout si c'était la petite blonde dont tout le monde était amoureux, lorsqu'ils étaient encore au collège. Morgan s'était toujours amusé à voir qu'elle l'avait choisi lui, alors qu'il était le seul à ne pas s'intéresser à elle. Le challenge, certainement.

Arrivé au bas de l'immeuble d'Elijah, il composa le code digital. A force, le châtain lui avait donné, afin d'éviter de se bouger pour lui ouvrir la porte principale. Il grimpa les escaliers et toqua à la porte pour indiquer qu'il était arrivé. Un vague « Entre, c'est ouvert ! » lui répondit. Morgan appuya sur la poignée et donna un coup de pied dans le battant. Elle bloquait toujours, et par les jours de pluie, c'était une horreur pour l'ouvrir.

- Tu as sept minutes de retard, déclara Eli en guise de salut.

- J'ai été appelé au bloc opératoire, rétorqua Morgan sur le même ton.

- Il s'en est sorti ?

- On a failli le perdre, mais il est en observation cette nuit.

Elijah ne répondit rien. De dos à Morgan qui posait ses affaires, il faisait cuire le repas dans une grande poêle. L'odeur caractéristique des crêpes avait empli l'appartement depuis de longues minutes déjà. Le brun s'approcha de son meilleur ami en lui proposant son aide.

- Touche pas ! Tu fais toujours des catastrophes en cuisine !

- Je n'ai plus quinze ans, merci, je sais tout de même faire à manger...

- Ouais ben j'espère qu'Andy sait cuisiner sinon vous allez mourir de faim !

Morgan se figea devant ce sous-entendu qui n'en était pas un. Andy. Andy. Il avait complétement oublié d'envoyer sa semaine au blond. Elijah ne le savait pas, mais il venait de lui sauver la vie. De toute façon, ils ne pourraient pas se voir durant la semaine prochaine, même s'il était libre lundi matin. Le brun n'avait pas forcément envie de passer sa matinée de repos à faire mannequin pour un étudiant qu'il ne connaissait pas. C'était peut-être égoïste, cette façon de penser, mais il s'en fichait pas mal.

- Et toi, avec ton homme, vous allez mourir de faim ? attaqua le brun.

- Je sais exactement ce que tu es en train de faire, Morgan. Mais de nous deux, c'est moi qui soutire des informations aux autres. Tu ne vas pas m'apprendre le métier, je peux te le garantir, déclara Elijah en se retournant, la spatule levée en guise d'arme.

Le brun ne le regarda même pas. Il se détourna et alla dans le canapé pour taper un message sur son téléphone. Elijah fronça les sourcils, peu habitué à ce que le médecin abandonne aussi vite le combat. Il abaissa son arme de fortune, un peu désemparé.

- Ça va caméléon ?

- Très bien.

Le ton était sec. Eli n'avait pas le courage de faire son psy, comme disait Morgan. Il avait passé une excellente journée, alors il ne voulait pas qu'elle se finisse par une grosse engueulade avec son ami. Il laissait tomber le combat. Cela n'arrivait pas souvent, mais il n'avait pas assez d'énergie pour être sur tous les fronts. Il jeta un regard au brun, en espérant qu'il relève la tête. La crêpe allait bientôt cramer, alors il y reporta son attention, un étrange sentiment coincé dans la gorge.

Morgan relis la brève conversation qu'il avait eu avec Andy. Elle faisait beaucoup trop professionnelle à son goût, mais il ne pouvait pas non plus lui parler comme à un ami car ils n'en étaient même pas. Il lâcha un soupir avant d'envoyer son message. Rejetant la tête sur le dossier du canapé, il laissa vaguer ses yeux sur le plafond. Dans quoi il s'embarquait encore ? Il n'avait jamais eu à faire ça. Draguer une personne qui lui plaisait.

Du moins, il pensait qu'Andy lui plaisait. C'était déjà beaucoup.

- Comment il s'appelle ? demanda soudainement Morgan.

Sa voix était plus douce que tout à l'heure. Il voulait s'échapper de ses propres pensées, alors il délogeait Elijah des siennes. Il n'avait aucun remord de l'attaquer ainsi, mais il en avait assez de voir le châtain heureux, et de ne pas savoir pourquoi. C'était de la curiosité, comme on l'appelait. Et Morgan était quelqu'un de très curieux de nature.

- Ne t'ai-je pas déjà dit que je t'en parlerais si tu envoies un message à Andy ?

- C'est déjà fait, avoua Morgan.

- Quoi ? Et tu ne me l'as même pas dit ? Je sers à quoi moi alors ? Je suis un meilleur ami pot de fleur, c'est ça ? bougonna Eli en posant sa crêpe sur le tas qu'il avait déjà fait. Depuis quand tu fais des cachotteries dans mon dos ?

- Depuis que tu files le parfait amour sans m'en parler, dit Morgan.

Il y eu un silence. Quelque chose de plus ou moins gênant. Les deux hommes se dévisagèrent, une fois qu'Eli s'était détourné de sa cuisson. Il vint vers son ami, les sourcils froncés. Depuis quelques semaines, ils ne se parlaient plus comme avant, et cela se sentait à ce moment précis. Le plus vieux ne s'était pas rendu compte que ne pas avouer les choses rendait le plus jeune mal à l'aise. Morgan se trouvait fort inutile, du moins, assez pour qu'Eli ne lui dise pas toute l'histoire. D'habitude, ils se disaient tout.

- Non, en fait je m'en fiche. Si tu avais eu besoin de parler, tu l'aurais fait.

- Morgan... ne fait pas la tête... Je suis un peu perdu, d'accord ?

Elijah sut qu'il n'avait pas dit les bonnes choses.

- Parfait. Je vais te laisser te retrouver, ok ? Tu sais où je suis, de toute façon.

L'homme se leva, une boule dans la gorge. Son meilleur ami l'avait oublié. Il n'était donc pas assez bien pour qu'il lui confie ses doutes et ses peurs, alors qu'il avait tout balancé, la dernière fois qu'il était venu. Cela avait presque toujours été ainsi. Morgan lui disait tout, alors qu'Elijah ne lui disait rien. C'était franchement blessant.

Morgan enfila de nouveau son manteau et son écharpe. Venir ici avait été une réelle perte de temps. Il aurait pu dormir une fois rentré, et tenter de rattraper ses heures de sommeil. Mais il se retrouvait à l'autre bout du centre-ville, à se fâcher contre le châtain qui n'arrivait pas à trouver les bons mots pour le faire rester.

- Tu ne vas pas partir ? J'ai pas fini de faire les crêpes, dit Eli d'une toute petite voix.

- Apparemment, je ne suis pas utile en cuisine, car je foire toujours tout. Alors, tes crêpes, tu vas te les garder et les bouffer tout seul, j'en ai rien à carrer, cracha Morgan.

- Putain mais c'est quoi ton problème ? explosa à son tour le psychologue. Pourquoi tu m'agresses, alors que je n'ai rien fait ? Tu n'as pas besoin de passer ta journée de merde sur moi ! La mienne a été excellente, alors merci de garder ta mauvaise humeur !

- C'est bien ça le problème ! Tu n'as rien fait ! Ecoute, tant mieux pour toi. Nous allons donc nous aller, ma mauvaise humeur et moi, vu qu'on dérange.

Le brun serrait les dents pour ne pas cracher plus de venin. Sa respiration était courte alors que ses poings étaient serrés. Il empoigna son sac d'un geste rageur et se dirigea vers l'entrée afin d'ouvrir la porte capricieuse. Etonnement, le battant s'ouvrit sans problème, comme si elle l'invitait à partir. Cependant, ce n'était pas le cas de son propriétaire.

- Morgan... arrête de faire l'enfant. Ça ne rime à rien cette dispute, et tu le sais.

La voix d'Eli était redevenue douce, comme si de rien n'était. Le médecin était face à la maitrise parfaite des émotions d'Elijah. D'une minute à l'autre, comme si de rien n'était, il pouvait passer d'un calme olympien, à une colère noire. Et inversement. Le plus jeune avait toujours eu horreur de cette façon de le prendre pour un gamin.

- C'est parce que tu as du mal au boulot ? demanda doucement Elijah.

- En quoi ça te regarde ? Je t'ai déjà dit de ne pas jouer au psy avec moi.

- Tu ne m'aides pas, là ! Arrête d'être aussi borné, bon sang !

- Donc maintenant, je suis le problème ? Très bien ! Le problème s'en va avant d'entendre des conneries sortir de sa bouche, dit-il enfin avant de tourner les talons.

Il descendit les escaliers en sens inverse, et fit une pause, juste avant de sortir. Il faisait nuit noire, et la pluie avait redoublé d'intensité. Bien évidemment, il n'avait pas de capuche. Il sortit et claqua la porte, afin d'être certain que personne ne puisse l'ouvrir de l'extérieur. Le brun avait l'envie passagère de dégommer tout ce que son regard voyait. Il détestait de fâcher avec Elijah. Pour la simple et bonne raison qu'il perdait son meilleur soutien pour une durée indéterminée.

« C'est parce que tu as du mal au boulot »

C'était précisément le gros du problème. Mais Morgan avait bien trop de fierté pour l'avouer. Il vivait pour son travail, tout simplement. Mais pas dans le bon sens du terme. Le travail représentait beaucoup pour autrui. Une manière de s'échapper. Une grande partie de la vie. Un salaire au bout afin de survivre dans ce monde où l'argent était roi. Mais pas pour lui. L'argent, il en avait déjà amassé depuis quelques années, car il ne le dépensait pas. Il ne s'échappait pas, car s'il faisait la moindre erreur, c'était une vie qui était entre ses mains. Mais c'était une grande partie de sa vie. Si bien que son sommeil en pâtissait, qu'il n'avait plus de temps pour tisser des liens, ni même respirer le temps d'un week-end. Il devait toujours être sur ses gardes.

- Qu'elle journée de merde, grogna-t-il lorsque la pluie infiltra le col de son écharpe.

Il la sentait couler le long de sa chemise. Il allait tomber malade, avec ces bêtises. Il pressa alors le pas, en serrant compulsivement la hanse de son sac. Dans cette histoire, il était certainement en tort, de prendre ainsi la mouche, mais il s'en moquait. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, il n'irait pas s'excuser en premier. Elijah savait manipuler les esprits, et durant les disputes, il faisait toujours en sorte qu'il soit la victime pour que l'autre vienne s'excuser.

- Tu peux toujours courir pour que je m'excuse, grinça-t-il une nouvelle fois.

Une femme pressée passa à côté de lui en lui jetant un regard étrange. Il fallait dire que voir un homme parler tout seul sortait de l'ordinaire. Durant les vingt minutes de marche qu'il lui restait, le brun rentra le plus possible la tête dans son écharpe trempée. Il pariait déjà sur les chances qu'il avait d'attraper un rhume.

Enfin arrivé devant son immeuble, il s'engouffra dedans, trempant le sol avec ses vêtements qui dégoulinaient. Il s'en moquait et ferma ses doubles portes avec plus de douceur que cette d'Elijah. Il prit l'ascenseur car il n'avait pas le courage de gravir les marches. Avec hâte, il déverrouilla sa porte d'entrée, et se jeta presque dans son appartement. Il faisait beaucoup plus chaud que chez le châtain. Il enleva à la hâte ses vêtements imbibés d'eau. Il essora son jean dans le lavabo de la salle de bain, tandis que son manteau et son écharpe avaient été mis sur le dos d'une chaise, devant un radiateur.

Il ne réfléchit pas à deux fois avant d'aller sous la douche. La différence entre l'eau glacée qui tombait du ciel, et cette chaude du pommeau était saisissante. Il mit de longues minutes avant d'arrêter de trembler. Malgré la chaleur, le bout de ses doigts était tout de même froid. Il resta sous l'arrivée une bonne vingtaine de minutes. Il était certain de ne jamais avoir pris de douche aussi longue de toute sa vie. Epuisé et contrarié, il s'affala dans son lit, éteignit la seule lumière qu'il avait allumée depuis qu'il avait passé la porte.

« Qu'elle journée de merde »

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Hey vous !

Voilà un nouveau chapitre !

Des avis ? :)

Bisou sur votre joue gauche,

Rheexus

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