CHAPITRE 13
Morgan regardait attentivement le papier qu'il tenait en main. Le planning était nul à chier. Il n'y avait pas d'autres mots. Tous les soirs, il ne rentrerait que vers vingt heures trente. Jamais il ne pourra pas libérer un créneau pour son rendez-vous avec Andy. Il soupira et rejeta la tête en arrière sur son fauteuil. Donc quoi s'était-il encore embarqué ? Il n'aimait pas les changements de plans, et pourtant, il avait mis un grand coup de pied dans ses principes. Mais le blond avait été si mignon et si désemparé par sa propre demande qu'il n'avait pas trouvé le courage de lui répondre par la négative.
— Morgan, nous allons manger, tu viens avec nous ? demanda Luna.
Sa tête était passée dans l'entrebâillement de la porte. Il ne l'avait pas entendu frapper avant d'entrer. Ou elle n'avait pas frappé, comme la plupart du temps, d'ailleurs. Il faudrait vraiment qu'il songe à lui dire, car à chaque fois, il avait l'impression qu'elle perçait l'intimité de ses pensées.
— J'arrive, dit-il en se levant.
Il attrapa l'un de ses sacs en dessous du bureau, caché a la vue de tous, et sortit accompagner sa collègue dans les longs couloirs qu'il connaissait par cœur. Ils tournèrent à droite une fois, et la porte de la petite salle de repos se présenta à eux. Il vérifia que son bipper soit bien dans sa poche pour se permettre d'entrer. Il devait rester joignable tout le temps. Surtout s'il était dans l'enceinte de l'hôpital.
Il y avait déjà plusieurs personnes assises autour de la table. Deux docteurs le saluèrent. Le micro-onde, perché sur une étagère, vrombissait bruyamment. Le brun était certain de reconnaître le fumet d'une pâte à la carbonara.
— Salut vous ! s'exclama une petite brune en faisant de la place sur la table.
— Enola, je voulais te parler, justement ! s'exclama Luna en prenant la place libre.
En voyant la seule place inoccupée être investie, le médecin alla s'installer dans le petit canapé, un peu plus loin. Il y avait ces midis, où la chance ne lui souriait pas. Etant à chaque fois bon dernier pour prendre sa pause repas, il n'avait pas souvent de place à la table. Avant, ils s'asseyaient ici avec Elijah et le châtain lui exposait des théories farfelues sur les dernières séries qu'il avait regardé.
Mais il n'y avait plus le châtain.
Alors il se retrouvait seul. Morgan se rendait compte qu'il n'avait jamais prit la peine de tisser des liens avec ses collègues. Sa vie n'était pas assez intéressante pour être partagée, et il n'avait pas franchement envie d'entendre parler les autres durant des heures, comme sa collègue brune. De plus, s'il commençait à se faire un cercle d'amis, il devrait sortir avec eux, le soir, et il n'en avait pas envie. Cela dérogeait à sa routine bien huilée.
Le tupéroire ouvert sur ses genoux, il massacrait des rondelles de concombre. Il n'avait pas faim. C'était samedi, il pleuvait depuis trois jours, il faisait froid et il aurait voulu échanger sa place pour regarder un film, couvert d'un épais plaid, au chaud dans son appartement. En regardant sa montre, il fit le décompte du temps qu'il lui restait à faire avant la fin de son service. Encore six heures. Aujourd'hui était une petite journée.
Son téléphone vibra dans sa poche, a la réception d'un message. Délaissant ses concombres, il avisa la photo que venait de lui envoyer son meilleur ami. Il avait fait des cookies, et se proposait de lui en apporter dans la soirée. En zoomant un peu, il vit une main dans le coin en haut a gauche. Elle se servait un cookie, sans aucune gêne.
[12 : 17] Morgan : Tes cookies sont les meilleurs, je ne vais pas me priver. Au fait, elle est à qui, cette main ? A la personne avec qui tu as cassé ton canapé ?
Morgan était curieux de cette fameuse personne. Eli le lui cachait depuis déjà un petit bout de temps. Il détournait la conversation, ou il ne répondait pas, tout simplement. Le brun avait déjà vu des rougeurs sur ses joues, alors qu'il se perdait dans ses propres pensées. Il n'était pas assez bête pour croire qu'il ne se passait rien avec Elijah et peut être un autre.
[12 : 20] Elijah : On s'fait ça ce soir alors. Ça te regarde pas, trou du cul. Peut-être que je te le dirais si tu osais envoyer un message à ce petit blond qui fait battre ton cœur !
Morgan sourit au smiley enfantin qui suivait le message. Il n'y avait que lui pour lui tirer un sourire avec simplement quelques lignes. Etrangement, il avait hâte d'être ce soir. Il ne travaillait pas demain, et il avait bien l'intention de ne rien faire. Aller chez Elijah lui semblait être une excellente idée, au lieu de rester dans un appartement froid et vide.
[12 : 22] Morgan : Je serais là pour dix-neuf heures.
[12 : 23] Elijah : Court vite alors, je ne vais pas t'attendre cent-six ans.
La journée de Morgan venait de s'égayer.
Il mangea machinalement, en regardant les actualités et en écoutant d'une oreille les ragots sur le personnel de l'hôpital. Apparemment, l'une des infirmières avait fait un malaise dans la matinée. Heureusement qu'elle était au bon endroit pour être prise en charge. Elle avait été congédiée chez elle l'heure qui avait suivi, laissant son travail sur les bras des autres. C'était devenu un gros bazar, s'il croyait l'infirmière qui racontait l'histoire.
Il fini rapidement son repas maigrement constitué de légumes et de deux tranches de jambon. Morgan entendait déjà les paroles de Louis « Tu ne manges pas assez en ce moment. En plus tu fais du sport, il faut pouvoir suivre le rythme ». Généralement, il lui offrait un sourire de circonstances et passait à autre chose. Pourtant, son ami avait raison. Il reprendrait une alimentation plus adaptée plus tard.
Le brun repoussa son sac sur le côté, et se leva. Il rangea ses couverts et son tupéroire avant de chercher son paquet de cigarettes, quelque par dans ses grandes poches.
— Morgan, je te prépare un café ? demanda Luna en le regardant se lever.
— S'il te plait, oui, je vais aller fumer, je reviens vite, dit-il.
— Comme tous les midis ! ria gentiment sa collègue.
Alors qu'il partait de la pièce trop petite pour eux-tous, Eva Prast l'interpella.
— Je peux me joindre à toi ? demanda-t-elle en s'engouffrant dans l'ouverture.
Le médecin hocha seulement la tête. La petite femme se mit à sa hauteur, en repoussant sa natte d'une façon machinale. Ils ne parlaient pas, mais il n'y avait rien de désagréable là-dedans. Ils montèrent dans l'ascenseur, comme tous les midis, et Morgan pressa le bouton du rez-de-chaussée. La cage métallique dégringola dans les étages inférieurs, et par chance, il ne fut pas sollicité jusqu'en bas. Les portes s'ouvrirent sur le hall qui était assailli par une famille dont les deux enfants étaient en pleurs.
Décidément, cela ne donnait pas du tout envie à Morgan d'avoir des enfants.
Les deux médecins passèrent les portes vitrées et se firent souffler de l'air chaud au visage, comme d'habitude. Un peu plus loin de l'entrée, il y avait de larges cendriers. Morgan se posa contre l'un d'eux et sorti son briquet. La cigarette entre les lèvres, il protégea le bout de la pluie pour l'allumer. Le halo orangé projeta sa lumière sur son visage, faisant pétiller ses yeux d'une lueur fauve.
— C'est intenable le rythme en ce moment, hein ? demanda Eva, à côté de lui.
— Je me demande quand est-ce que d'autres professionnels viendront.
— S'ils ne quittent pas le navire entre temps. Comment va Elijah ?
— Il se plaît bien, au lycée. Ses heures ont diminué... il a une vie, maintenant.
Il cracha sa fumée dans un nuage blanc opaque. Le rebord du toit sous lequel ils se trouvaient leur offrait un abri de fortune contre la pluie. Elle venait dans leur sens, mais ils étaient plus ou moins protégés. C'était le principal, cela dit.
— Je pensais que ce n'était qu'une question de temps pour que tu le suives, mais j'ai bien l'impression que tu vas rester ici pour encore un bon moment ?
— Sauf si je trouve une meilleure offre ailleurs, contredit le brun.
— Cela va de soi ! Comment se passe la cohabitation avec le jeune ?
Morgan leva les yeux sur les nuages. Ils étaient gris et menaçants. Le jeune homme n'était pas si perdu que cela. Il était enthousiaste et se portait souvent volontaire pour aller faire des diagnostiques simples aux patients. Pendant ce temps-là, l'homme soufflait un peu entre deux rendez-vous. S'il restait aussi passionné, il ferait un bon médecin.
— Plutôt bien. Passionné et dégourdi de ses dix doigts. Pas comme le dernier.
Le petit bout de femme éclata de rire. Le dernier avait été une catastrophe. Dans tous les sens du terme. Il n'avait pas une once de douceur avec les patients, et il déplaçait son propre corps, sans jamais prendre d'initiative. Morgan s'était arraché les cheveux bon nombre de fois, si bien que le docteur Prast avait dû le prendre avec elle pour qu'il ne finisse pas dans la remise, la gorge tranchée par un scalpel.
— J'étais bien content quand il est parti, lui... ricana-t-elle. Un boulet !
En un regard, Morgan approuva. La flamme orangée commençait à entamer la fin de la cigarette. Il leur fallait remonter avant la fin de la pause. Ils soupirèrent en concert, avant de tirer une dernière fois sur l'agent destructeur. La dernière taffe de douceur avant de retourner travailler. Le brun la savoura plus qu'il ne le devait.
La journée était difficile, aujourd'hui.
Lorsqu'ils firent le chemin inverse, ils durent partager l'ascenseur avec des familles de patients. Un couple les regardait comme s'ils allaient leur apporter des réponses, et l'autre ne leur adressa pas un regard. Ni même un bonjour. Jour après jour, Morgan se lassait de ce manque de reconnaissance. Un sourire suffisait, un hochement de tête aussi, comme les deux premiers. Ils n'étaient pas des machines qui servaient juste à soigner les autres. Non, ils étaient humains, et parfois, ils craquaient, eux aussi, par ces petits gestes qui n'étaient presque jamais présents, lorsqu'ils croisaient des patients dans les couloirs.
L'étage arriva rapidement, et les deux médecins sortirent à renfort de « pardon » et de « excusez-moi ». Le petit espace de la cage de métal était trop exigu pour eux tous. Sa collègue lui tint la porte de la salle de repos, et une douce odeur de café les accueillis.
En l'espace de vingt minutes, Morgan tombait dans ses deux addictions.
Elijah s'amusait à dire que ce n'était pas du sang qui coulait dans ses veines, mais du café. Le châtain n'avait jamais vraiment compris comment il faisait pour boire autant de ce liquide en une journée. Lui n'avait jamais eu ce besoin, alors il restait perplexe.
— Tiens, bien serré, avec un sucre, annonça Luna en lui tendant le mug rempli.
— Merci. Vous savez qui est de garde, cette nuit ? demanda-t-il à la cantonade.
Des noms fusèrent. L'équipe serait bonne. Il s'assurait qu'il n'allait pas être appelé en urgences à deux heures du matin, comme la nuit dernière. C'était pour cette raison qu'il ne reprenait que lundi, dans l'après-midi. Les heures qu'il avait fait durant la nuit avaient été décalées. Il prendrait ce temps pour dormir le plus possible. Ou peut-être s'adonner à des plaisirs charnels avec Louis, si son ami était d'humeur.
Les mains autour de son mug, Morgan suivait les conversations qui se déroulaient dans la pièce. Les paroles devenaient pressées, et les gestes saccadés. Comme d'habitude à vrai dire. La fin de la pause repas allait sonner dans moins de dix minutes. Les équipes changeaient, où elles se retrouvaient pour faire le chemin ensemble. D'un coup, la salle de repos se vida. Les femmes et les hommes se dirigeaient tous vers le même point. Il ne resta que quelques médecins, et un infirmier qui finissait de manger.
Ce manège orchestré par le temps amusait Morgan.
Il fini son mug en une longue gorgée. Il ne voulait pas être en retard pour son premier rendez-vous de l'après-midi. Il avait la réputation de ne presque jamais être en retard sur ses consultations, alors il ne voulait pas que cela change.
Jusqu'à ce que son bipper s'affole dans sa poche.
Mais ce n'était pas le seul.
Ils échangèrent un regard avec le docteur Prast.
Finalement, il ne pourrait pas se rendre à ces consultations de l'après-midi. Ses collègues allaient devoir répartir les patients de Eva et de Morgan dans leur planning. Le brun ne prit même pas le temps de remettre son sac dans son bureau qu'il partit d'un pas rapide vers les urgences. Il détestait les changements de plans.
— Je me demande ce que c'est, cette fois. L'autre jour, ce n'était pas joli à voir, hein ?
L'air paniqué de sa collègue lui était habituel, maintenant. Elle n'aimait pas être prise de court, comme lui, mais elle l'exprimait par des gestes. Ses doigts trifouillaient dans sa natte qui commençait à se défaire.
L'ascenseur arriva trop lentement à leur goût, comme toujours. Lorsqu'ils en descendirent, ce fut pour se présenter aux grandes portes des Urgences. Le bâtiment était un peu à part de l'hôpital. On voyait directement pourquoi, à la seconde même où on y entrait. L'ambiance avait radicalement changée. De l'autre côté de la porte, on vivait à cent à l'heure, mais ici, c'était le bordel.
Dehors, les sirènes de l'ambulance hurlaient, alors que les portes vitrées venaient de se refermer sur un brancard avec deux ambulanciers qui criaient des instructions. Un infirmier ne prit même pas la peine de se présenter et les suivit en courant. Eva et Morgan accouraient également pour encadrer ce patient. Un jeune homme blond, le visage ouvert et le corps en miette. Accident de voiture.
Les gestes devinrent machinaux. Les actions guidées par l'expérience et l'instinct. Il n'y avait pas de place pour l'hésitation. Maintenant, ni jamais.
— Il fait un arrêt cardiaque ! hurla l'infirmier.
Le défibrillateur fut mis en place en un temps record. Les couloirs passaient jusqu'à ce qu'ils arrivent dans la salle d'opération. Le jeune homme fut transféré sur la table. Le chirurgien était déjà présent. Des femmes s'affairaient déjà dans la pièce. Morgan faisait ce qu'il avait à faire. Il se sentait à l'aise, dans son domaine, malgré les cris et l'agitation.
Décidément, il avait bien besoin de ces cookies.
________________________________________________________
Hey vous !
Voici un nouveau chapitre ! Je tiens a préciser qu'on m'a fait la remarque d'une coquille, mais je n'ai pas encore eu le temps de la corriger... mais ce sera fait pour la version finale hehe :)
Des avis ? :)
Bisou sur votre joue gauche,
Rheexus
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top