Chapitre 1


Après trois romances, me revoilà avec une nouvelle fantasy, composée de 7 chapitres. Pour celles et ceux qui préfèrent les ebooks, l'histoire est disponible sur Kobo et Bookelis.

Bonne lecture!

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

Cette nuit riait la Lune. Pleine et charmante, la demoiselle gloussa de bonheur au point d'en rougir de plaisir.

Cette nuit, la Lune avait revêtu ses plus beaux habits de sang. Écarlate et élégante, elle observait avec attention cet inattendu divertissement. Lassée d'une éternité à détailler faune, flore et humains, la combler de joie relevait d'un exploit aussi grandiose que difficile. Si le Soleil savait ce qu'il était en train de manquer, il en exploserait d'une jalousie non contenue.

Cette nuit, La Lune avait prévenu les étoiles qu'un fascinant spectacle se déroulait ici bas, une source d'amusement digne des plus belles pièces de théâtre tragique. Impatientes et attentives, leur regard perçant se posa sur les bois obscurs où une étrange fissure, subtil mélange d'infrarouge et d'indigo, était apparue. Bien qu'invisible pour l'œil humain, l'ouverture dégageât une telle énergie mortifère, que personne, des kilomètres à la ronde, n'aurait eu l'idée saugrenue de s'en approcher. Les animaux, ou du moins ceux dont l'instinct de survie fonctionnait parfaitement n'hésitèrent pas un instant avant de s'enfuir.

Cette nuit, la Lune et les étoiles s'amusèrent à compter. Une proie et six chasseurs étaient sortis de ce passage d'entre les mondes. La victime, une femme humanoïde qui semblait gravement blessée, et ses poursuivants, six hommes dont les pieds ressemblaient à des sabots de chèvre, probablement des satyres, transpiraient le désir de tuer. Leur violence et leur sadisme irradiaient par tous les pores de leur peau cuivrée et offraient une lueur inquiétante à leur regard malsain. Six contre une. Les astres ouvrirent les paris.

Ne se souciant pas de la Lune qui l'observait avec une curiosité plus que dérangeante, elle courait à vive allure, ses longs cheveux flamboyants collant dans son dos meurtri et poisseux. Les essences de la pluie diluvienne ne suffiraient pas à dissimuler son odeur et elle n'eut d'autre choix que de poursuivre sa fuite infernale. Les bruits de sabots s'écrasant lourdement sur le sol lui parvinrent. Haletante, elle décida de changer son itinéraire. À gauche puis à droite, elle zigzaguait entre les arbres centenaires et les pierres bien trop glissantes. De plus en plus vite. De plus en plus loin. Le temps jouait contre elle et, à la moindre seconde d'inattention, sa vie s'achèverait ici. Elle ne savait que trop bien ce dont étaient capables ses poursuivants. Elle les avait vus à l'œuvre bien trop de fois, bien trop souvent. Et elle aurait préféré brûler à jamais dans de l'eau bénite, plutôt que de sentir leurs mains griffues sur sa peau. À cette horrible réminiscence, son corps frissonna et elle manqua de perdre l'équilibre à cause d'une racine. Elle poussa un soupir. Si elle venait à trébucher et à tomber, les satyres la rattraperaient en quelques secondes et... Et rien, elle ne devait surtout pas y penser. Son esprit se focalisa de nouveau sur son objectif. Portée par son désir ardent de survivre, elle poursuivit sa course folle dans les méandres de cette forêt ténébreuse.

Un hibou s'enfuit sur son passage, tandis que ses pieds nus écrasaient sans honte la flore dormant au sol. Malgré sa rapidité impressionnante, la rousse ne tarda pas à entendre des murmures beaucoup trop familiers à une centaine de mètres au nord. En terrain amical, sa vitesse se révélait bien supérieure à la leur, mais ici, au milieu des arbres, ses maudits harceleurs possédaient un avantage non négligeable. Leur morphologie et leur excellente connaissance des forêts leur permettaient de se mouvoir aisément et rapidement dans ce type d'environnement. Pressentant qu'elle ne pourrait les semer encore longtemps et que la plus infime des erreurs lui serait fatale ; ses iris glacés s'écarquillèrent de terreur et elle se lança dans un sprint final en direction de l'est, priant pour y trouver son salut.

Si ses informations se révélaient exactes, la jeune femme pourrait bientôt baisser sa garde et panser ses blessures. Si elle ne s'était pas trompée, le sommeil et la sécurité s'offriraient à elle sous peu. Dans le cas contraire, seul des sévices pires que l'enfer et la damnation éternelle l'attendaient. Si elle trébuchait et échouait maintenant, elle n'aurait jamais de seconde chance. Jamais. Parce qu'elle muterait en une ombre éparse, déchiquetée par des griffes insatiables pour l'éternité.

Trois mètres. Le parfum de la liberté enserra son cœur et lui fit presque oublier le bruit lointain des sabots.

Deux mètres. La flamme d'un espoir perdu se raviva dans son esprit, en une vague réconfortante.

Un mètre. Elle allait survivre. Il le fallait. Elle n'avait pas vécu si longtemps pour succomber si près de son but. Cela aurait été... Fâcheux et complètement stupide.

Elle émergea de la forêt avant de se précipiter, dans un ultime effort, vers le gigantesque bâtiment qu'elle avait souhaité trouver, son unique repaire dans sa quête de délivrance. Sans ce phare béni, elle aurait déjà sombré dans la noirceur des ténèbres qui tentaient de l'entraver. Dans un élan de désespoir, elle frappa violemment à l'antique porte en bois, sa main tremblante et dégoulinant de sang. L'averse n'avait cessé et ses habits déchirés lui collaient à la peau.

Une femme d'une trentaine d'années lui ouvrit, intriguée par une intrusion si tardive.

— Pitié, ma sœur, aidez-moi.

Jamais la rousse ne s'était entendue parler avec un ton si implorant. Voilà à quoi elle en était désormais réduite, à quémander de l'aide auprès de simples humains. Toutefois, aucune autre option ne s'était présentée à elle et elle n'était pas en position de demander monts et merveilles. La nonne grimaça devant l'état catastrophique de l'étrangère, qui semblait terrorisée et sévèrement blessée.

— Oh ! Mon enfant, viens, je t'en prie.

La femme l'invita à entrer, une lueur indescriptible traversant ses iris.

— Merci.

Elle poussa un soupir de soulagement lorsque la porte se referma derrière elle. Elle avait réussi. Elle se trouvait enfin en sécurité. Ici, entre ces murs saints, personne ne viendrait la chercher. Personne ne serait en mesure de la détecter.

Dans les cieux endormis, la Lune rit. Elle avait perdu son pari passé avec les étoiles, mais elle était terriblement excitée par la tournure que prenaient les évènements. Le Soleil avait intérêt à lui conter tout ce qu'il se déroulerait lors de ses absences.

La religieuse verrouilla rapidement la porte et aida la jeune femme à avancer sous les arches, à l'abri de la pluie battante.

— Mon enfant, que t'est-il arrivé ? Comment t'appelles-tu ?

— Je me nomme Callista. J'ai fui ma famille, car ils me frappaient à cause de mes convictions. Ce soir, ils ont menacé de me torturer puis de me tuer, puisqu'à leurs yeux, je suis une hérétique. J'ai été obligée de partir. Ma sœur, je vous en prie, acceptez-moi parmi vous. Permettez-moi de tout recommencer à zéro. Ma foi est comparable à la vôtre. Laissez-moi servir notre Dieu pour le restant de mes jours. Je ne veux qu'une vie simple, loin de la souffrance et des blessures que l'on m'a infligées.

Callista n'avait pas tout à fait menti ni dit la vérité. Oui, sa famille voulait l'assassiner ou au moins la torturer pour les millénaires à venir dans les entrailles glacées de l'Enfer. Mais, bien entendu, aucune religion n'était en cause. C'était bien plus grave. Elle avait osé désobéir. Elle avait eu l'outrecuidance de souhaiter utiliser son libre arbitre. Or, dans les tréfonds de la Géhenne, encore plus que dans ce monde mortel, une femme devait se taire et se soumettre à son roi et père. À l'image de ses sœurs, Callista aurait dû se plier aux quatre volontés de ses parents et de leurs lois. Mais elle, elle avait aspiré à autre chose. Certaines humaines parvenaient à s'émanciper et à devenir fortes, alors pourquoi pas elle ? Grisée par ce rêve un peu trop terrestre pour un démon, sa rébellion avait commencé.

La nonne, sœur Maria, se dépêcha de réveiller Rosine, la mère supérieure, afin de la prévenir de l'apparition soudaine de la jeune femme. Cette dernière, une dame au sourire doux et déjà bien avancée en âge, accepta de l'héberger et de lui faire suivre sa formation avant qu'elle puisse, un jour peut-être, prononcer des vœux définitifs. Elle lui attribua une chambre vide et indiqua à sœur Maria d'offrir à la nouvelle deux assortiments de vêtements d'apprentie. Callista fut ensuite amenée dans la pièce qui lui avait été désignée, son seul endroit d'intimité désormais. À bien y réfléchir, ce serait la première fois en un millénaire qu'elle aurait la possibilité de s'isoler sans risque, la première fois qu'elle pourrait enfin apprécier la douceur de la solitude. Sœur Maria lui apprit que le réveil sonnait à six heures précises et qu'elle serait présentée aux autres religieuses dès le petit-déjeuner de six heures trente.

Callista refusa catégoriquement de montrer son corps et la nonne respecta ce choix de la pudeur. Elle lui laissa une trousse de soins et s'éclipsa en refermant la porte de la minuscule chambre aux allures de cellule. La rousse se débarrassa sans attendre des loques trempées qui collaient à sa peau meurtrie. Elle grimaça en sentant le sang séché qui s'agglutinait à ses mèches et soupira en apercevant ses ongles brisés. Sur sa silhouette dénudée, une succession de tatouages plus étranges les uns que les autres, dont seuls ses avant-bras avaient été épargnés. Runes, pentacles inconnus et écriture d'un monde infernal courraient dans son dos et sur ses cuisses. Ses côtes arboraient des promesses dont personne ne voudrait. Sur son décolleté, un symbole d'une soumission d'un autre temps. Son corps était une œuvre d'art maudite, marquée à jamais par la violence et les regrets.

Si Callista avait pu, elle aurait arraché sa peau et en aurait revêtu une vierge de toute mémoire. Elle adorait les tatouages, mais pas ceux-là. Pas comme ça. Elle aurait voulu peindre son corps de mille et une œuvre d'art comme les humains savaient si bien le faire. Elle aurait voulu... Naître ailleurs, dans un autre monde et une autre époque. Elle n'était pas quelqu'un de bon, mais pas de foncièrement mauvais non plus. Callista n'avait jamais vraiment été adepte de la torture, qu'elle soit mentale ou physique. La vue de l'hémoglobine titillait ses sens, mais ne la rendait pas folle de désir. Elle n'avait jamais réussi à comprendre ses frères et sœurs. Comment pouvaient-ils apprécier la moiteur immonde du sang qui collait, cette odeur dérangeante de mort promise ?

La sensation des os qui se brisaient sous ses doigts aux ongles beaucoup trop longs la perturbait. Et ce bruit... Et ces cris... Ses tympans se crispaient de douleur à chaque fois. Callista ne supportait pas la complainte des victimes, dont les murmures désespérés lui étaient plus désagréables que le chant d'un millier de banshees affamées.

Malgré tout, malgré tout ça, il ne s'agissait pas de la raison de sa fuite. Elle avait quitté son monde et les siens pour ne pas mourir. Elle représentait la honte de son clan, mais elle n'avait pas accepté de se soumettre. Pour la première fois de son existence, Callista avait décidé de vivre pour elle-même. Elle, la démone qui ne s'intéressait pas au sexe ni à la violence. Elle, la succube asexuelle qui refusait de damner les âmes des humains.

Callista caressa du bout des doigts les plaies qui commençaient enfin à cicatriser. Elle savait parfaitement qu'elle ne méritait pas la compassion de ces religieuses, et encore moins de résider en un tel lieu. Toutefois, bien qu'optimiste, elle n'en demeurait point stupide et ne souhaitait pas une rédemption quelconque. La rédemption de quoi d'ailleurs ? De son âme de démon ? Elle laissa échapper un rire sans joie. Son corps et son esprit n'étaient que péchés et déchéance ; et une vie entière de confession et de bonnes actions ne suffirait même pas à laver un centième de son âme. Alors non, la rousse ne comptait pas courir après un salut imaginaire. Toutefois, par respect pour celles qui lui avaient ouvert la porte, la jeune femme ne voulait pas non plus corrompre cet endroit ou ses habitantes. Ici, Callista ne cherchait que le calme et la sécurité, un lieu paisible où elle pourrait réfléchir à son avenir. En possédait-elle au moins un ou était-elle condamnée ? La démone ne savait pas si sa famille la traquerait pour l'éternité ou s'ils finiraient par se lasser. S'ils trouvaient un nouveau jouet, elle avait une chance de s'en sortir. Dans le cas contraire, elle se retrouverait contrainte d'errer de lieu saint en lieu saint, jusqu'à ce qu'ils se résignent. En aucun cas elle ne souhaitait le pardon de sa mère ou les félicitations de son père. Quoi qu'il arrive, son futur ne se trouvait pas en Enfer. Elle préférait même naviguer à jamais dans les limbes, plutôt que de retourner là-bas.

D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, la succube rêvait de liberté. Plus de chaînes à ses poignets, plus d'obligations dont la teneur lui offrait des frissons d'horreur. Dès sa naissance, on lui avait appris que tout son être n'était qu'un objet au service du bien général, un outil infernal qui ne lui appartenait en aucune façon. Aujourd'hui, elle avait envie de se le réapproprier. Elle n'était qu'une succube, mais elle désirait ardemment que son propre corps devienne sien. À elle et à elle seule. En quoi était-ce mal ? Elle se souvenait encore du rire moqueur de son père et de ses sœurs lorsqu'elle avait émis cette idée pour la toute première fois. La sensation brûlante du fouet dansait toujours dans son esprit. Elle avait osé se rebeller. Elle avait osé chercher à s'émanciper, elle qui n'était qu'une femme, une démone créée pour servir.

Callista pénétra dans la minuscule pièce d'eau de sa chambre, ne réalisant pas qu'il s'agissait là d'un luxe rarement présent dans un couvent. Laissant couler l'eau brûlante sur son corps meurtri, elle se lava, et frotta beaucoup plus fort que nécessaire, pour ôter les marques laissées par son propre sang. Bien que sa peau ait commencé à la brûler, elle continua à la frictionner sans relâche, incapable de se contrôler. La démone aurait aimé que l'eau puisse emporter avec elle les souvenirs dont son corps ne voulait plus, qu'elle puisse effacer les cris stridents des ombres qui la hantaient, qu'elle arrive à purifier son cœur des tourments qui la détruisaient. Épuisée par sa fuite, elle réalisa enfin qu'elle était parvenue à s'enfuir et qu'il ne s'agissait pas là de l'une de ses fantaisies. Quelque chose en elle se brisa et Callista se laissa glisser sur le carrelage blanc et usé, après avoir coupé l'eau. Un air frais vint caresser sa peau nue et elle ramena ses genoux contre sa poitrine. Ses larmes, les premières en plusieurs siècles, se mélangèrent aux gouttes perlant encore sur son visage diaphane.

Cette nuit, personne ne poserait les mains sur elle. Demain, personne à séduire ou à torturer. Demain, personne pour l'humilier. L'aube ne lui amènerait ni ses frères incubes ni ses poursuivants satyres. Le crépuscule ne serait pas synonyme de hurlements de terreur et d'âmes arrachées. Les sanglots de Callista résonnèrent dans l'espace minuscule, plainte inutile, mais salvatrice, annonciatrice de jours meilleurs, d'un renouveau tant espéré.

La succube trouva finalement le courage de quitter la salle d'eau, après avoir séché ses larmes avec une serviette d'un bleu bien plus éclatant que ses yeux. Lentement, elle termina de boutonner les vêtements secs que la nonne lui avait apportés. Jamais son corps n'avait été si couvert, lui offrant ainsi une drôle de sensation. Au fond de son esprit, la voix de sa mère résonna.

« Ce n'est pas convenable ! »

Callista se retint de défaire ses habits étranges. Nouvelle vie, nouvel uniforme. Elle s'y habituerait. Elle noua ensuite ses longs cheveux roux en une tresse compliquée, qu'un humain aurait mis plusieurs heures, au minimum, à réaliser. Peut-être qu'un jour elle les couperait en un ultime signe de liberté. Mais pas encore. Pas tout de suite. Elle n'était tout simplement pas prête pour ça. La démone, pour ne pas sombrer, savait qu'elle devrait y aller doucement, étape par étape. Après tout, seule l'éternité l'attendait.

Callista s'approcha du petit miroir qui avait bien vécu et y caressa son reflet. Quand avait-elle vu son visage sans maquillage pour la dernière fois ? Elle ne se souvenait plus de la couleur de ses lèvres ou de la délicatesse de son teint. Sa beauté semblait différente ainsi, bien plus douce et innocente. Elle paraissait aussi très jeune, comme si elle n'avait guère plus de vingt ans. La succube osa s'adresser un sourire. Sa quête de liberté allait pouvoir commencer. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top