cellule n°005 - douce sorcellerie
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Les yeux froncés vers le bas, j'avançais d'un pas peu assuré vers mon pupitre usé d'insultes, qui me paraissait si immense, à cette époque ; j'étais un simple gamin.
Non, pas un simple gamin. Un enfant qui ne possédait aucune confiance en lui, et qui n'avait aucun soutien à ses côtés.
« Monstre, monstre ! » me huait-on dans les couloirs.
« Espèce de fou ! Mais qui sont tes parents ? Une sorcière et un cyclope ? » continuaient-ils chaque matin.
Je n'avais pas de parents. Enfin, si. Mais, lorsque je les appelais simplement « papa » ou « maman », l'un me giflait, l'autre me déshonorait. Je n'étais pas leur fils. J'étais un monstre, comme au regard du monde.
Le soir, j'avais toujours plus peur de rentrer tôt. Je traînassais le long des étroites ruelles, et je jouais avec la neige l'hiver ; je jouais avec les moineaux le printemps ; je jouais avec les gigantesques flaques d'eau l'été ; je jouais avec la boue l'automne.
Je m'amusais, durant ces heures-là.
Je connaissais ce quartier par cœur, mes erres quotidiennes me rapportaient chaque jour une petite découverte, et je l'appréciai, tel un innocent, ce que je n'étais pas, d'après mes tuteurs. Le chemin de la maison aussi, je le connaissais par cœur.
Le chemin des gifles, des bleus, des insultes, aussi, je le connaissais par cœur.
Après être finalement rentré et passé sous les violences de mes parents, je me rangeai comme à mes habitudes sous la faible couverture en soie qui me servait de lit dans la chambre, non, de niche dans la cave.
Je pleurais, durant ces heures-là.
Mes larmes coulaient à n'en plus finir. Mon cerveau ne pouvait s'empêcher de se mutiler en se remémorant les instants de ma journée passée.
Monstre. Fou furieux. Psychopathe.
Elles étaient souvent monotones, ces journées. Toutes débutaient et se terminaient de la même façon. Et j'entendais, depuis le salon mal clôturé, ma mère qui pleurait aussi. Elle pleurait même plus que moi. Mon père ne disait rien, il l'écoutait seulement.
« Pourquoi, Dieu ? Pourquoi ce fils ? Pourquoi n'est-il pas comme tous les autres ? Comme celui de madame Ahn ? Ou de monsieur Chae ? Quel pêché ai-je commis pour avoir mis au monde un monstre pareil ? »
Ses lamentations me transperçaient les tympans chaque nuit. Ma mère ne m'aimait pas, et ne m'aimera jamais. C'était mes premières pensées en me levant chaque jour.
Maman n'aime pas MinSeok. C'est un mauvais garçon.
Je finissais toujours par m'approcher vers la porte entrouverte et assombrie par la nuit, les yeux encore noyés dans les gouttes d'eau salées qui longeaient mes joues, je chuchotais simplement avec difficulté, mais surtout avec amour :
« Maman. J'aime ... Maman. »
Mon corps se précipitait ensuite de nouveau sur mon futon abîmé, c'était l'instant.
Mon âme le ressentait. Cette transformation, détestée de tous, et de moi y compris. Je tremblais, je déglutissais à toute allure, ma vue se floutait, mon pouls s'accélérait comme une voiture sur l'autoroute, mes veines se gonflaient d'adrénaline, mes yeux tiquaient nerveusement, mes rétines s'asséchaient, je me mordais les lèvres pour ne pas hurler.
Mais les larmes qui longeaient ma peau ne cessèrent en aucun cas de couler.
C'était trop tard. J'étais redevenu le monstre que maman n'aimait pas.
Maman n'aime pas MinSeok. C'est un mauvais garçon.
— ILLNESS. +kms.
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MinSeok et Yi Fan ne se lâchaient plus. Ils s'attaquaient de différentes façons, l'un cognait sa tête contre le crâne de l'autre, qui lui enfonçait a plusieurs reprises son talon dans la cuisse. MinSeok semblait déjà moins violent physiquement qu'avec YiXing la dernière fois, mais je pouvais percevoir sa haine intérieure. Son cerveau bouillonnant, mordu de vengeance le commandait sans difficulté. MinSeok, qui semblait une personne formidable il y a quelques instants, s'était métamorphosé en quelques dixièmes de secondes. Je ne m'étais pas encore habituée à ce changement de personnalité si brutal, mais je n'avais plus peur.
Désormais, je connaissais ce garçon aux deux visages davantage, et je voulais en savoir davantage sur lui. Ce garçon mérite d'être aidé. Je veux simplement le soutenir, même si ses crimes sont dignes des pires actes de la ville. C'est contre la loi, ce que je souhaite faire, je le sais si bien, mais je sens que je ne vais pas pouvoir m'en empêcher.
« Iseul ! Qu'est-ce que tu fous ? Aide-moi, merde ! m'ordonna Yi Fan. »
Mon coéquipier demeurait aussi livide qu'une page blanche, son visage secoué de spasmes m'implorait sévèrement du regard, il attendait une défense de ma part.
Je secouai rapidement la tête pour mettre fin à mes pensées. J'avançai d'un pas mal assuré vers la bagarre. Pourquoi ai-je presque perdu mes moyens face à l'action ? J'entrevus la blessure de Yi Fan au nez et au menton. Je n'avais même pas envie de le défendre.
Qu'est-ce qu'il me prend, putain ? C'est mon ami, pourquoi rester plantée là ?
Mon corps avait comme la paresse de venir mettre fin à leurs séries de coups de poings.
Je clignai des yeux à plusieurs reprises, ne comprenant aucunement mon être.
Plus rien n'allait, on me chuchota même de le laisser dépérir, la gorge griffée par les ongles de MinSeok. Une folle envie de me frapper le système contre une brique me vint à l'esprit, je dois être bien sonnée. Ma tête tiqua d'un balancement à droite, et Yi Fan, que j'avais déjà oublié, poursuivit, à bout de souffle :
« Putain, Iseul bouge-toi ! Tu veux me laisser pourrir entre ses poignets ? »
Je finis par simplement m'interposer. Face à MinSeok, qui lâcha prise à ma vue.
Je ne sentais plus mon corps, seul mon instinct agissait. Ce dernier m'invita à déposer lentement mes paumes pâles contre les joues crasseuses du ledit monstre, dont la respiration vacante avait du mal à reprendre son rythme naturel.
Et, on me chuchotait toujours à l'oreille, tandis que je commençais à caresser le visage de MinSeok.
Iseul. Calme-toi, Iseul.
« MinSeok. Calme-toi, MinSeok. »
HaNeul t'aime. Le monde t'aime.
« Le monde t'aime. »
Une courte onde me traversa l'ouïe, la voix avait apparemment disparu. Et le monstre de MinSeok aussi, avait disparu.
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Un calme légèrement imparfait avait pris possession du couloir étroit. Les avalanches de gouttes martelaient sans irruption les murs dociles du bâtiment. C'était un samedi encore plus morose qu'aux habitudes de la ville.
J'avais profité de ce quasi-silence pour venir jusqu'au seul encadrement du compartiment, l'unique source de lumière naturelle, cette fenêtre, qui elle aussi privait les prisonniers de liberté ; ses barreaux solides faisaient comprendre à tous ceux ici présents le remord qu'ils étaient obligés d'avoir en travers de la gorge.
Je me retournai instinctivement en cernant le crissement de la porte blindée, mais non, Yi Fan n'était pas revenu. Ce dernier, suite à mon opposition face à lui, afin de défendre MinSeok, s'était enfui dans les escaliers en colimaçon. Je n'avais eu le temps de lui en demander la raison, il s'était sûrement enfermé dans la salle de sport. Depuis son départ, le couloir nageait dans une ambiance lourde. Je pouvais voir les questions silencieuses des neuf garçons s'entremêler dans leurs cerveaux.
Je les détaillai tous.
MinSeok vacillait désormais sur le banc de sa cellule, son regard sans vie n'avait pas lâché d'une seconde le sol aux couleurs du temps d'aujourd'hui.
JunMyeon, KyungSoo et YiXing avaient choisi de fermer à moitié les yeux, visiblement bercés par le rythme des larmes lâchées par le ciel.
ChanYeol s'était muni d'un morceau de bâton et avait apparemment trouvé un jeu susceptible de le satisfaire, BaekHyun ne cessait de fixer le jouet de sa moitié,
ses yeux étrangement pétillants étaient l'exception qui confirmait la règle des autres ; l'air dépassé du reste du couloir.
JongIn pratiquait les cent pas dans sa cellule, tête baissée, tel un homme d'affaires subissant une pleine crise économique. On dirait qu'il s'est abstenu de critiquer.
En réfléchissant à tous les instants passés avec eux depuis désormais un petit mois, ma surveillance envers eux ressemblait davantage à une garderie — voire une crèche pour certains — qu'un guet de prison. Je soufflai en tentant t'étouffer mon amusement.
Ces garçons, qui avaient pourtant mon âge, étaient finalement devenus de vrais enfants à garder, c'était flagrant, rien qu'à cerner leur intelligence et autonomie peu élevées.
Secrètement, je parie ma main à couper que pour quelques personnes, j'étais devenue comme une seconde mère, à leur donner des conseils, les surveiller quand ils se lavaient pour éviter les blagues de mauvais goûts — souvenir qui me remémora l'instant ou KyungSoo avait fait avalé son flacon de shampoing à Sehun, qui ne cessait de l'embêter par-dessus la rambarde — ou les aider à s'endormir en finissant forcée à chanter une horrible berceuse pour tout le compartiment.
Au final, ils n'avaient pas ce qu'ils méritaient. Ces garçons baignaient dans le crime, ils devraient périr ici jusqu'à perpétuité, être torturés chaque matin comme aux autres étages. Mais j'avais pris goût à leurs conneries quotidiennes ; ces gamins étaient trop attachants. Ce fut dur d'avouer que je ne voudrais peut-être pas les remettre à Yi Fan dans cinq mois. Cela faisait seulement quatre semaines que je suis en leur compagnie, alors que penser à la fin de ce semestre ?
Je m'apprêtai à ouvrir la bouche, mais au bout de quelques secondes de réflexion, la gardai fermée. Ce silence m'apaisait plus que tout, je n'osais pas le rompre.
Mon regard se planta donc à l'extérieur du bâtiment. Le ciel noirâtre ne demandait qu'à éclater, des milliers de faibles lumières dominaient la ville, chacun semblait chez soi. L'étendue du cinquième, sixième et huitième arrondissement me faisait face. En me penchant sur le rebord, je réussis à apercevoir le sol, depuis notre haut palier.
Une bouffée d'air gelé me caressa sèchement le visage, je souris sans raison particulière suite à cet instant. Néanmoins, mes lèvres s'arrêtèrent vite de s'étirer.
Une voiture noire, cirée comme des souliers de riche et blindée comme une porte à cinquante serrures, venait tout juste de pénétrer dans la cour du bâtiment instable, comme recousu de partout, qu'était la prison ; et devinez qui sortait de cette parade automobile.
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Je traînais les pieds vers le collège, comme toujours, ma sœur était déjà partie à la chasse au fric.
La musique, envoyée par mon baladeur retentissait dans mes tympans, sans vraiment que je l'écoute. Je n'avais aucun but, aucune ambition. Quand le conseiller d'orientation me demandait ce que je souhaitais devenir dans quelques années, je répondais encore et encore, avec ce même ton morose et endormi : « Je ne sais pas. »
Je passais mon temps libre à fixer le vide. Je n'avais que rarement des pensées imaginaires. Simplement, mon ventre m'ordonnait de manger, ma montre de presser le pas pour éviter un retard, mes oreilles de se censurer des bruits gênants qui provenaient de la chambre de ma sœur.
Aussi, je n'aimais pas parler. Je ne le faisais qu'en cas d'obligation. Les professeurs, tout comme les élèves, s'inquiétaient pour ma part, mais ont fini par me laisser de côté. Et je m'en foutais. Ma vie était ainsi. Je ne cherchais absolument pas à la modifier, ne serait-ce qu'une habitude.
« Mince, moi qui pensait louper cette fichue corvée. »
Cette voix claire, polie et fausse, mais si intrigante. Pour une des uniques fois de ma vie, moi qui ne retenait jamais l'identité des autres, ni même leurs visages, un frisson parcourut malicieusement ma colonne vertébrale. Et pour la première fois depuis mon entrée dans cet établissement, je levai la tête, puis je le découvris.
Un jeune blond venait tout juste de lâcher ce bougonnement, appuyé contre le grand manche à balai, plus grand que ce garçon de petite taille. Sûrement dans ma classe, c'était logique puisque les corvées sont réservées aux élèves étudiant dans cette salle. Celui qui avait remarqué mon regard levé vers sa tête frêle, détailla mes yeux, un sourire satisfait aux lèvres.
Cette simple analyse, à mon égard, me parut une éternité. Ses yeux comportaient chacun une pupille étrangement large, le reste pouvait être comparé à un ciel étoilé lors d'un été paisible, c'est agréable à regarder.
Ce garçon avait une apparence parfaitement angélique ; des mèches dorées tombaient avec justesse sur ses fins sourcils, eux-mêmes décorant le regard scintillant et ambitieux de cet individu, ses lèvres minces et pulpeuses à la fois se déplaçaient lentement au gré de son sourire.
« Enchanté, murmura-y-il presque en se penchant un tantinet vers moi, Byun BaekHyun. »
Cette voix me paralysait entièrement, telle celle d'un dieu. Ce garçon, si parfait, d'apparence à occuper les premiers rangs, l'oreille toujours à l'écoute et la main toujours levée, le nez plongé dans ses devoirs, c'était ce que je préjugeai de lui. Alors qu'il en était absolument le contraire.
« Et ... tu es ? m'interrogea-t-il après un silence trop long à son goût.
— Ch-ChanYeol, bégayai-je légèrement, d'un volume sonore peu audible.
— Travaillons bien ensemble, ce soir, chuchota-t-il cette fois, les yeux plissés avec complicité.
C'est ainsi que la soirée débuta, nous trempions nos serpillères dans le produit de ménage bleuâtre, c'était parti pour deux heures de corvée, mais également deux heures de découverte vis-à-vis de l'autre. Je réussis à m'ouvrir un peu, pour dévoiler une partie de moi. Et lui aussi, s'ouvrit. Bien davantage, d'ailleurs. À la fin de cette tâche ménagère, je savais tout de BaekHyun.
Byun BaekHyun était très intelligent. Il m'avait au passage, embarqué dans ses gigantesques projets, et inconsciemment, je suivis son bras aguicheur qui me dirigeait vers la porte des plus sombres de la ville, celle qu'il étudiait en silence, comme ensorcelé par cette puissance, celle qui l'emportait sur le monde entier. Il était possédé, oui, et il me l'avait répété tant de fois, cette nuit-là.
« ChanYeol, retiens cette phrase, et ne l'oublie jamais. C'est un ordre. »
« Les trois désirs les plus prononcés par l'Homme sont la puissance, le sexe, l'argent. Médite là-dessus, ChanYeol. Réfléchis-y, et comprends l'Homme. Puis manipule l'Homme. »
J'avais soif d'ambition, dès ce soir-là.
Fallait-il le remercier ? Ou bien le détester ? Jamais je ne me suis posé cette question durant cette époque. Je le suivais simplement, comme amoureux de lui et de ses projets.
« Travaillons encore une prochaine fois ensemble, ChanYeol. »
— ENVY. +bbh; pcy. [1] ◢
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