cellule n°003 - troubles

Après m'être de nouveau dissimulé le regard sous ma frange épaisse et la panse, j'attrapai brusquement les poignets de JongIn pour les placer fermement sur son bassin et le redirigeai vers le couloir principal ou les autres nous attendaient, comme je l'avais prédit, dans un vacarme écrasant.
Je montai les escaliers en colimaçon nerveusement sur de grandes enjambées, suivi du prisonnier. Je réfléchissais tellement aux événements précédents que j'avais bien failli embrasser le carrelage crasseux à plusieurs reprises; il connaissait désormais un de mes points faibles et je craignais qu'il joue avec ça pour me faire chanter, et ce dès aujourd'hui.

Un silence occupait l'étage, seuls nos pas lourds et le tintement de ses menottes retentissaient. Le prisonnier, juste avant que j'ouvre la porte blindée pour accéder aux prisons, tira légèrement les menottes vers lui, je me retournai automatiquement à ce geste.

« Pourquoi tu caches tes yeux ? » me murmura-t-il avec l'air d'un gamin.

Je redoutai cette question de sa part depuis quelques minutes, et la voici, posée avec intérêt par l'autre gosse de JongIn.

« Ça ne te regarde pas, finis-je par sortir. »

Je m'apprêtai à faire pression sur la poignée en métal de la porte, mais il continua de m'interpeller en tirant une seconde fois sur les menottes que je tenais fermement. Je ne pris même pas le peine de me retourner. Je soupirai avant m'exclamer d'une voix monotone :

« JongIn, ça suff-
— Ils sont magnifiques. C'est un atout d'avoir des yeux comme les tiens. »

J'ouvris grand ces derniers devant sa réplique. Était-ce bien monsieur Kim JongIn, imbécile sans le moindre neurone dans le crâne, persécuteur, connard de première catégorie, égocentrique prétentieux à s'en jeter d'un pont, qui venait d'émettre de sa propre bouche cette phrase ?
Je ne pus m'empêcher de dévisager d'une grimace sa tête baissée qui semblait avoir trouvé un intérêt soudain pour le parquet sombre.
Je soupirai une dernière fois en entendant la voix de sire Byun crier à tue-tête un mot méconnaissable à mes oreilles, tandis que les autres pouffaient indiscrètement en grande majorité, parce que, non, je ne voyais en aucun cas voir Do KyungSoo rire aux larmes. Je déglutis de désespoir, puis appuyait sur la poignée en métal.

Le clown des cellules se tut à ma vue. Je le regardais sévèrement tandis qu'il baissait les yeux.
Les autres ne semblaient pas m'avoir remarqué, en particulier ChanYeol qui tapait du pied à en faire décoller sa semelle en cuir, et se tenait le ventre, attaqué par des crampes violentes dues à son fou rire.

Je leur ordonnai sèchement de fermer leur clapet, puis conduisit JongIn dans sa cellule. Le silence revint à ses habitudes, seul ChanYeol suffoquait encore légèrement mais se tut à son tour en apercevant que je le toisais d'un regard plus que noir derrière mes longues mèches et ma panse.
Une fois JongIn gentiment placé dans sa cellule, seuls mes pas lents retentissaient sur le sol froid. J'allais contourner mon bureau pour ensuite m'y asseoir, mais fus interpellée par la voix de JunMyeon.

« Vous avez pris un peu de temps à arriver, JongIn et toi, quand même. »

J'ignorai sa réplique comme à mes habitudes, ne voulant pas gaspiller ma salive pour commencer un débat interminable sur une justification sans intérêt.

« Les gars, j'parie douze mille wons qu'ils se sont un peu trop rapprochés, objecta YiXing d'un air à la fois sérieux et amusé.
— N'importe quoi ... ronchonna JongIn, les bras croisés.
— Vingt mille qu'ils se sont tripotés, ajouta ChanYeol, s'étant pris au jeu lui aussi.
— Vous êtes sérieux ? s'étonna à peine le concerné, les sourcils arqués.
— Cinquante mille qu'ils se sont bécotés, prétendit BaekHyun, par-dessus le marché.
— Euh, j'te permets pas là, voulut se défendre JongIn, visiblement mis à vif à cause des sottises émises par ses camarades de prison.
— Quelles gamineries, le coupa une voix monotone. »

Nous eûmes tous le réflexe de se retourner vers l'origine de cette réplique, et, à notre plus grande surprise, KyungSoo avait entrouvert pour la première et dernière fois peut-être, ses lèvres. Ce dernier demeurait bras croisés, il était simplement assis sur l'unique banc qui dominait son espace. Il nous observait tous de ses yeux sombres et plutôt effrayants.

« Tu insinues que nos paris ne sont que perte de temps ? » s'indigna BaekHyun, visiblement très sérieux dans ses affaires.

Do soupira discrètement en clignant de ses paupières d'une cadence lente.

« Êtes-vous donc aveugles ? chuchota-t-il presque.
— Hein ? poussa JunMyeon, dans l'incompréhension la plus totale de son interrogation. »

KyungSoo se leva pour venir s'agripper aux barreaux métalliques, puis pointa mon front du bout de son index crochu.

« Il s'est passé quelque chose avec ses cheveux. Ils ne sont pas coiffés comme auparavant, sa frange est moins volumineuse, d'habitude. Elle a voulu cacher son regard. »

Mais par quelle sorcellerie arrivait-il à sortir des vérités pareilles ? Je tentai de rester interdite à la situation devenue compromettante.

« JongIn a vu ses yeux, j'en suis certain. »

Je sentis tous les regards se braquer lentement sur ma frange, tous faisaient pression dessus comme s'ils voulaient qu'un quelconque tour de magie fasse qu'elle dévoile mes yeux vairons.

« S'il les a vus, moi aussi, je veux les voir ...
— Ouais, c'est pas juste ! »

La prison se transforma à nouveau en un poulailler furieux. Mes bras encore croisés en dessous de ma poitrine un instant tombèrent ballants, je soupirai lourdement, avant d'inspirer une grande bouffée d'air pour simplement leur exclamer d'un ton vaincu :

« Taisez-vous. Ça devient chiant, y a rien à voir là-dessous. »

Pas un seul ne se tut, bien sûr et au contraire, après une demi-fraction de silence, ils augmentèrent leur volume sonore.

« Allez, demoiselle Jung, la plus douce de toutes, révélez-nous votre beau regard, dit Sehun, d'un ton mielleux, pour une fois actif à la conversation.
— Oui, nous te demandons faveur, s'exclama YiXing, excité. »

Au fur et à mesure des supplications, ils commencèrent à m'encourager pour que j'accepte leur demande, je commençai à perdre le contrôle du couloir. Inconsciemment, j'analysai l'espace, je m'arrêtai brutalement sur JongIn. Ce dernier, contre les barreaux de sa cellule, m'adressait un regard horriblement doux et gêné. Mon cerveau ne sut répondre à ce visage bien trop inédit et embarrassant à mes yeux. Qu'est-ce qu'il couvrait, lui aussi ? Est-il devenu fou ? Mais quelque chose clochait, ma conscience m'en disait peu.

Puis, ce véritable bazar en arrière-plan se plaça alors sous silence. Tout devint flou, hormis les deux lèvres de JongIn qui progressaient lentement en un sourire déstabilisant et presque angoissant.
Mon corps se fit alors lourd, je dus me précipiter vers la chaise de mon bureau pour ne pas m'effondrer sur le sol.
Je me frottai le front, pour essayer de donner départ à la douleur. Seuls les pulsations de mon cœur résonnaient dans mon corps, j'étais comme devenue sourde. Des cris lointains vinrent par la suite déranger mon cerveau. Ils me paraissaient atrocement familiers. Une jeune femme criait. Elle sa brisait la voix à m'appeler, elle semblait à jour de souffle, et moi, tel une innocente enfant, je ne comprenais pas.

« JUNG ! »
































Ma paupière gauche se décolla avec difficulté, puis la droite fit de même.
Je déglutis avec le peu de salive stockée au fond de ma gorge.
Je n'étais pas vêtue de mon habituelle combinaison kaki, non, j'étais nue, enveloppée d'un drap.

« Un léger traumatisme crânien, je l'avais dit. »

Je tournai ma tête vers l'émission de cette voix, et tombai nez à nez avec un homme, habillé d'une large blouse d'un bleu immaculé. Ses lunettes ovales argentées reposaient sur son nez parfaitement droit, et son regard me fixait intensément, au plus profond de mes pupilles, comme s'il attendait une réponse de ma part.

« Où suis-je ?
— Au département hospitalier du quartier de la justice, brave demoiselle. »

Je m'apprêtai à lui demander pourquoi étais-je ici, mais il lut dans mes pensées et ne me laissa le temps de l'interroger.

« Vous êtes tombée. Évanouissement, suivi d'un traumatisme crânien.
— On s'en fout ! Et les prisonniers ? Où sont ces sans-cerveaux ? Je dois les surveiller.
— Jung Iseul, tout est pris en charge, ne vous en faites pas pour si peu.

Cette voix posée, droite. La présidente était apparue au pied de mon lit, accompagnée par ses dix gardes-du-corps armés jusqu'au bout des ongles.

Elle déposa doucement ses mains froides aux tons laiteux sur la barrière de mon lit, face à moi.
Elle ne souriait pas, mais elle ne semblait pas énervée non plus.
Cet air paisible qui dominait son visage me rongea davantage de curiosité.
Ses lèvres minces semblaient justement étirées, pour ne laisser apparaître aucune pensée.
Ses cheveux coupées à la garçonne étaient parfaitement plaqués sur son crâne, le léger maquillage soulignait son visage mûr.
Elle semblait petite, mais la puissance et la domination dans son regard indiquait la hauteur de son grade, que j'ai si souvent critiqué.
J'avais peur, très peur.
La présidente ne se déplaçait jamais pour des affaires aléatoires.
Elle se déplaçait pour les problèmes, les grands problèmes.
Une tempête de questions prirent possession de mon cerveau. Je voulais éclairer tant de choses dans mon esprit qu'elle seule savait.
Pourquoi m'avoir choisie pour surveiller les neuf garçons ? Pourquoi les avoir rassemblé dans le même couloir ? Tout cela avait un lien ? Pourquoi suis-je la seule à les surveiller ? Pourquoi autant les entraîner ? Y aurait-il un intérêt important ? Était-ce simplement pour les faire souffrir ? Quel serait vraiment leur châtiment ? Leur peine est de combien d'années ? Cela n'a toujours pas été décidé ?

« Jung Iseul. »

J'ouvris grand les yeux, et me redressai d'un geste. La dame de fer avait prononcé mon identité de manière lente et articulée. Mon cœur ne faisait que grandir ses pulsions, au fil des secondes glaciales qui s'écoulaient dans la pièce.

Je la sentais fixer mon œil gauche qui se cachait tant bien que mal derrière la panse.

« Vous serez en arrêt de travail pour quatre jours. »

M'aurait-elle prise pour une employée fragile ? J'en rageais intérieurement. Je décidai de répondre, très calmement :

« Madame la présidente, je vais bien. Je peux reprendre le travail dès maintenant. »

Après m'avoir entendue, la gouvernante laissa échapper un petit rire froid, avant de me reprendre d'un petit sourire que jamais je n'aurai imaginé voir.

« Jeune femme, vous êtes l'une de mes plus fidèles fonctionnaires. Si l'on rajoute le fait que vous soyez une femme, et que vous n'avez jamais posé de congé, complètement imprégnée par votre travail, je vous autorise généreusement ces quatre jours. Vous les méritez. »

Je voulais lui dire que je ne demandais qu'à être dans mon élément, ces quatre jours malgré mon mal-être ne me feraient point plaisir, mais je me résignai à rester interdite. Je ne voulais pas faire ma têtue devant une personne pareille, je ne jouais pas les hypocrites, simplement, des rumeurs couraient à son propos comme quoi quiconque s'opposait à son opinion, il risquait fortement de perdre ses membres par écartèlement ou autres vacheries des familles.

Je finis par acquiescer en guise de remerciement, puis elle quitta la pièce, suivie par ses gardes-du-corps aussi imposants que des tanks. Je m'exclamais rapidement avant qu'elle franchisse le pas de la porte :

« Madame ! »

L'intéressée se retourna lentement, et baissa son menton pour m'observer au-dessus de ses lunettes de vue.

« Pourrais-je savoir qui a été choisi pour remplacer mon poste pendant ce délai ? »

La présidente avala discrètement sa salive, puis répondit sérieusement :

« Monsieur Wu, le principal gardien du camp de Busan. »

Je restai ébahie un instant. Wu ? Serait-ce Wu Yi Fan ? Ce grand imbécile était donc à Busan, tout ce temps ?
Il devait assurer la suite de mes six mois de surveillance, mais je n'y croyais pas vraiment. Il était parti, il avait arrêté, d'après mes conclusions apparement trop hâtives.

Je tentai de dissimuler ma joie de recevoir de ses nouvelles, et remercia notre gouvernante. Yi Fan était mon plus fidèle compagnon lors de ma formation ; certes, cet homme semblait sévère et parlait peu, mais je l'appréciais pour sa qualité de binôme. Des souvenirs inoubliables rôdaient encore dans mon esprit, et à la simple pensée de ces derniers, je souriais bêtement.
Nous fûmes séparés à nos débuts de fonctions. C'est une heureuse nouvelle de le connaître encore vivant malgré les perturbations politiques au sud du pays.

« Une dernière chose, mademoiselle Jung, m'interrompit la présidente dans mes songes.
— Oui ?
— J'ai de grands projets avec vous, je compte sur vos capacités pour afficher un avenir meilleur à notre pays. J'annoncerai cela prochainement. Sur ce, je vous laisse au repos. »

Et la porte se referma, me laissant dans le suspense le plus total. Des projets avec moi ? Elle avait délivré une information très vague, je n'avais pas fini de me torturer l'esprit.
Je restai également étonnée par la raison de sa visite qui se résumait à une annonce de mon arrêt de travail temporaire ainsi qu'un projet abstrait que j'épaulerai sûrement.

Depuis son arrivée au pouvoir, et surtout depuis la révolte, elle était tranquillement restée devant son bureau en cristal à siroter son café noir, en observant le désastre de notre capitale depuis le cent-dix-septième étage de la Tour R. Notre gouvernante n'a jamais agi. Pas une seule fois, pendant douze longues années et cela continue. Le nombre de coréens qui se font tuer en une nuit sans avoir été protégés par leur gouvernante me donne envie de l'étrangler, de la briser en morceaux jusqu'à ce qu'elle disparaisse complètement.

Je soupirai, puis sursautai en apercevant que le médecin était encore à mes côtés. Je m'excusai rapidement, et il m'expliqua les détails de mon séjour.
Je l'écoutais à moitié, mes pensées s'étaient encore perdues à songer à propos de Yi Fan. J'ai hâte de le voir, vraiment, et j'espère qu'il s'en sortira facilement avec ces neuf idiots.

« Donc, en gros, si vous perdez vos ongles de pieds, vous n'aurez qu'à les déposer sur la commode à droite, et je vous les recollerai avec de la glue, conclut le médecin.
— Hein ?
— Pourquoi personne n'écoute la voix de la raison, râla-t-il d'un ton monotone et exaspéré. Je vous parlais de vos soins, mais comme avec chaque client, je finis toujours pas raconter des sottises pour confirmer qu'ils ne m'écoutent aucunement. »

Je restai de marbre, et le soignant recommença ses explications, non sans souffler pour recommencer à nouveau le texte qu'il semblait avoir appris par cœur.

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