Thé à l'orange et Coquille de Noix [New Version]
A la porte du San Francisco Medical Examiner, le garde en faction se vit chassé de sa sieste éveillé par un bruit infernal, un sifflement de courroie d'accessoire strident. Vu qu'il n'était du genre à trop réfléchir, il posa sa main sur la crosse de son Sig-Sauer P228 inchangé depuis les années deux mille faute de budgets municipaux.
Il éloigna sa main en apercevant la Beetle mexicaine de Mendes qui entrait dans le parking.
Le lieutenant arrivait enfin à l'institut médico-légal du SFPD. Il n'avait pas pris l'I-280-N qui aurait été plus rapide, il préféra longer la baie de San-Francisco. Il aimait la vue que cette route lui offrait sur le San-Mateo bridge. Cela lui permettait de laisser son esprit vagabonder et le périple se terminait souvent en un spleen nostalgique. Comme beaucoup de gens, son apparence cassante et toujours narquoise, était une carapace qu'il s'était forgée pour se protéger. Mais au fond de lui, il était resté le petit garçon de sept ans, qui allait à la plage seul avec sa maman traînant dans l'eau au bout d'une ficelle un petit bateau en plastique vert. C'est ce que lui rappelait cette route et cette vue sur la baie.
Son père les avait abandonnés très tôt, lui et sa mère Rosa. Le père Mendes passait son temps à jouer et à boire dans le quartier de Bayview qui était justement sur son trajet ce jour-là. Et un soir, comme cela devait arriver, on l'avait retrouvé mort dans une ruelle allongé sur des sacs poubelles remplis de détritus. Le petit avait sept ans.
Le jour où Rosa apprit le décès, elle offrit à André-Pierre ce petit bateau verdâtre. Elle l'avait ensuite amené à la plage sans rien lui dire. Et c'est là, qu'après lui avoir donné son goûter favori, elle trouva le courage de lui annoncer.
Oh bien sûr, il n'était pas mort saoul, ordure parmi les ordures mais, disparu pour son travail dans un crash aérien que Rosa avait vu aux infos et qui tombait à pic, c'est le cas de le dire.
Il se souvenait du contraste entre la sensation de ses larmes de petit enfant qui coulaient sur ses joues et le spectacle magique de cette baie irradiée par la lumière rouge orangée du coucher de soleil californien.
Mendes joua longtemps avec cette petite coquille de noix verte, reproduction chinoise approximative des hors bords que l'on pouvait trouver ici. Elle était liée à tout jamais avec la date de l'annonce de la perte de son géniteur. Il aimait l'appeler comme cela car il ne l'avait jamais vraiment considéré comme son père. Malgré tout, depuis qu'il avait appris vers douze ans son meurtre pour une dizaine de dollars dans cette ruelle sordide, il recherchait toujours son assassin.
Grace ou à cause de cela, Mendes avait trouvé sa vocation. Il voulut entrer dans la police. A postériori, il n'avait jamais découvert l'identité du meurtrier de son père mais, mine de rien, il était assez fier de sa carrière.
André Pierre habitait toujours seul avec Rosa qui vieillissait irrémédiablement à ses yeux. Auto investi de la mission de toujours la protéger au mépris parfois de sa vie sentimentale, il était resté à ses côtés.
- Bonjour Lieutenant. Il faudrait faire quelque chose pour votre voiture tout de même non ?
- Quoi, elle ne vous plait pas ma voiture ? ... Oui je sais, c'est une allemande, je ne l'aime pas. Je vais la changer pour une française.
- Ah oui ? Vous ne préférez pas les italiennes ? Ferrari ?
- Pas assez fiable ! Moi, les voitures je les garde longtemps !
- Non sans blague murmura le garde en regardant la Beetle tomber en ruine sur le parking.
Mendes poussa la porte et se dirigea vers la morgue.
Ca renifle toujours autant le formol ici... ronchonna-t-il en arpentant un grand couloir à moitié éclairé dont les murs bleuâtres n'avaient pas dû être recouverts de peinture depuis le passage au pouvoir de Jimmy Carter.
Il poussa ensuite une lourde porte battante esquintée par les coups répétés de brancards mortuaires. En entrant, il déboucha dans une salle d'examens qui n'avait plus rien à voir avec celles qu'il avait connues à ses débuts. Il y avait des écrans plats partout dans la pièce. La table d'autopsie possédait un pupitre qui aurait fait pâlir un avion de chasse.
Mais ce qui n'avait pas changé, et ce qui lui faisait toujours le même effet angoissant, c'était la vue du corps nu qui gisait là. Il regarda l'étiquette accrochée à l'un des doigts de pieds du cadavre et il put lire : « Alain Mallet ». Sur une chaise à côté, il y avait un petit tas de vêtements trempés : une chemise, un pantalon, des sous-vêtements... Mais aucune chaussure évidemment.
- Bonjour lieutenant, content de vous revoir dit en entrant dans la salle un médecin légiste à l'accent chinois très prononcé.
- Bonjour Chang, comment allez-vous ?
- Non, Lieutenant ! Mon nom est Wang... Docteur Wang. Vous devriez le savoir, à chacune de vos visites, je vous répète la même chose.
- Ah ! Chang... Wang... c'est chinois pareil non ? Répondit Mendes.
Mais, voyant qu'il avait froissé son hôte, il se ravisa.
- C'était une blague, excusez-moi. Je vous promets de faire un effort.
Mendes lui-même surpris par sa compassion inhabituelle se dit :
Cela ne te réussit pas de repasser par les quartiers de ton enfance, tu te ramollis André-Pierre !
Le médecin chinois, au flegme asiatique légendaire, semblait prêt à faire son débriefing au policier. Mendes, voyant le corps d'Alain recousu de partout, compris que le travail de pesée de tous les organes et d'analyse des blessures était terminé. Il donna donc le top départ :
- Que pouvez-vous me dire alors sur ce qui lui est arrivé avant d'aller prendre un bain de minuit ?
Il vit le docteur Wang lui faire un signe de la main lui signifiant que tout n'était pas encore terminé.
- Encore deux minutes s'il vous plaît. Vous voulez un thé à l'orange ?
- Un thé à l'orange ? répondit le Chicanos qui n'en pouvait plus de cette odeur de formol... Vous ne voulez pas que l'on lui prenne un ou deux gigots pour faire un barbecue non plus ?
L'asiatique, qui n'aurait pas eu cent pour cent des points au TOEIC, n'avait pas compris la mauvaise blague. Il prit son mug affublé d'un « I love SF » décoloré puis y versa une eau chaude ponctué d'un sachet d'Earl Grey bon marché.
Le lieutenant continua :
- Finissons-en au plus vite, je n'ai pas le temps de prendre un thé !
Le docteur montra du doigt la bouche du cadavre d'Alain et dit d'un air fier de son effet théâtral :
- Regardez !
C'était un vrai dialogue de sourds. C'était au tour de Mendes de ne pas comprendre ce que l'autre voulait dire. Il regarda mécaniquement l'endroit indiqué par le doigt du médecin. Il vit alors deux espèces de petits mille-pattes métalliques. L'un venait de sortir de la bouche de Mallet pendant que l'autre essayait tant bien que mal de s'extraire de sa narine gauche. Puis d'un seul coup, les deux robots miniaturisés, déployèrent quatre petites ailes chacun et s'envolèrent vers un rack électronique rattaché au serveur présent dans la pièce.
D'un seul coup, les écrans du médecin s'illuminèrent et Mendes se rendit compte que toutes les analyses étaient issues des deux bestioles venant de déverser leurs enregistrements de données dans le serveur.
- Voilà les dernières analyses que j'attendais, dit le chinois.
- Alors ? Faites-moi rêver.
- Il s'agit d'un homme approchant la fin de la cinquantaine, cadre supérieur dans cette entreprise.
Sa sérologie est O négatif, il a eu une appendicite à 9 ans, deux opérations du ménisque du genou droit et souffre d'un taux de cholestérol élevé,...
Le Chinois n'eut pas le temps de finir sa phrase, Mendes l'interrompit :
- Il avait trente pourcents de chance d'affronter un cancer du côlon, quatre-vingt-cinq pourcents de risque d'ablation de la prostate et dix ans d'autonomie cérébrale avant de souffrir d'Alzheimer... Je sais déjà tout ça !
Le Docteur Wang, regarda le lieutenant étonné en fronçant les trois ou quatre poils lui servant de sourcils et répondit :
- Oui en effet c'est ça ! Comment le savez-vous ?
- J'ai croisé un de vos collègues près de la scène du crime tout à l'heure.
- Eh bien justement ! L'étang n'est pas la scène du crime ! poursuivit le légiste qui avait repris de sa superbe.
- Comment ça ?
- Eh bien, il n'y avait pas d'eau dans les poumons. Donc la mort est intervenue avant que l'homme soit tombé à l'eau. C'est l'une des deux balles qui a entraîné le décès. Elle est entrée par l'arrière du dos et a perforé l'aorte.
- Deux balles ? répondit le lieutenant qui avait sorti son carnet de notes et son crayon à papier légendaire.
- Oui, la seconde est venue se loger dans sa cuisse gauche en lui brisant le fémur. Autre chose : l'heure de la mort se situe entre vingt-trois heures et minuit hier soir.
- On pourrait en déduire qu'il fuyait quelque chose, que la première a ralenti sa course, donnant ainsi tout loisir à son assassin de le rattraper pour lui administrer la seconde. Vous êtes en phase ?
- Je n'en sais rien, je ne suis pas lieutenant... répondit le buveur de thé avec un petit rire aigu qui eut le don d'énerver Mendes.
- Ok, et c'est tout ?
- Oui, à part les autres analyses que vous connaissez par cœur à ce que je vois.
- Bon, gardez-le-moi au frais, j'en aurai peut-être encore besoin.
- Ah ah ah... Celle-là aussi vous me la faites à chaque fois grogna l'asiatique un peu fatigué par Mendes.
Puis, se grattant la tête, il ajouta :
- Ah dernière chose, Lieutenant, j'allais oublier désolé !
- Oui ? répondit le mexicain qui avait déjà presque passé la porte battante.
- Il avait un petit mot imprimé dans sa poche de pantalon. Malgré le séjour dans l'eau il est resté lisible. Regardez !
Il tendit le petit message à Mendes qui le lut à haute voix.
Je t'aime fort Alain. Quoique tu décides, je t'aimerai toujours, ne l'oublie jamais.
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