Santa Barbara
Il était huit heures du matin et le soleil se levait sur la Californie. En digne héritier des Charros mexicains, Mendes chevaucha toute la nuit sa fidèle Beetle. La belle à la croupe bariolée, répondit présente encore une fois.
Telle une quinqua nouvellement divorcée, fougueuse et épicurienne, elle ruait des quatre fers sur cette superbe California Dream Road depuis leur départ de Frisco.
André-Pierre raffolait de cette Pacific Coast Highway. La succession de criques escarpées, de falaises balayées par l'océan et de plages à perte de vue, offrait, sur plus de neuf cents kilomètres, une nouvelle surprise à chaque lacet.
Généralement, de peur de ne plus jamais revoir ce spectacle, il essayait d'imprimer, à l'encre indélébile, sa mémoire avec chaque détails. Cette obsession, surtout connue des mortels ayant passé la cinquantaine, ne prédominait pourtant pas cette fois-ci.
Il était parti directement du SFPD à minuit et, la raison de cette nuit blanche sur la route occupait ses pensées.
Tout de même, en passant au petit matin sur le Bixby Bridge, son point de vue préféré, il profita d'une vue plongeante sur un Big Sur balayé par l'aurore automnale.
Santa Barbara, qui me dira
Pourquoi, j'ai le mal de vivre ?
Santa Barbara, je ne sais pas
Je vais, comme un bateau ivre
Emportant mes souvenirs
En traversant Santa Barbara, André-Pierre ne put s'empêcher de chantonner le générique du Soap Opera des années quatre-vingt.
Il le fit en français dans le texte ! S'il vous plaît ! Lorsqu'il avait une douzaine d'années, Rosa, toujours obnubilée par Paris, s'était inscrite à des cours de français par correspondance. La méthode était basée sur les séries télé célèbres pour accroître l'assiduité des élèves. Dans le petit salon familial, son fils entendait donc en fond sonore, tous les soirs avant le diner, le générique des aventures de la belle Kelly Capwell et du ténébreux policier Cruz Castillo.
Avec encore en tête la belle chevelure de Robin Wright, coupée plus tard (quel blasphème) dans House of Cards, il vit enfin apparaître au loin la silhouette imposante de la MCJ.
C'était là, après une nuit passée à rouler, qu'il allait enfin le découvrir.
À la Men's Central Jail, le mexicain allait pouvoir, après des années de recherches infructueuses, mettre un visage sur ce nom : Pedro Gonzales, le meurtrier de son géniteur.
- Lieutenant Mendes, SFPD, j'ai appelé hier pour interroger un de vos détenus dans le cadre d'une affaire de mœurs à Frisco.
Le black du Check point marquant l'entrée à la Centrale ressemblait légèrement à Morgan Freeman dans « Les évadés ». Mendes, sarcastique comme à son habitude, eut un petit rictus amusé avant de s'apercevoir qu'il n'y avait que le haut du corps pour lequel la ressemblance était frappante.
Et pour cause, le gardien n'était qu'un buste posé sur une table. Le reste n'existait pas. Il s'agissait, encore une fois, d'un humanoïde. Le programme de réduction des coûts de la pénitentiaire américaine avait eu raison de son arrière train.
- C'est bon, vous pouvez entrer Lieutenant. Présentez vous au bloc Delta. Quelqu'un vous mènera jusqu'au prisonnier.
Mendes s'engouffra dans les méandres d'une multitude de couloirs tous aussi crasseux les uns que les autres.
- Quelqu'un va vous mener à lui... il en a de bonnes le Cul de jatte. Il n'y a plus âme qui vive dans ces prisons.
Le Chicanos avait raison, à part les prisonniers, on ne croisait plus aucune présence humaine depuis longtemps dans les prisons. Les caméras branchées sur des IA spécialisées en reconnaissance de formes avaient remplacé les matons. Les chariots autonomes distribuaient les recharges de papier toilette, les savonnettes et la bouffe.
- Fais pas le con André-Pierre. Pas de geste suspect surtout ! se dit le lieutenant en croisant les tourelles ornées de canons et branchées elles aussi sur les algorithmes de surveillance.
- Gentille... gentille la cocotte ! murmura-t-il en passant sa main sur l'une d'elle.
Soudain, une voix se fit entendre faisant sursauter le vieux garçon illectroniste.
- Faites attention Lieutenant, ces petites merveilles sont assez chatouilleuses.
André-Pierre se retourna pour découvrir un indien d'une quarantaine d'étés dont le visage semblait ne pas avoir connu la lumière du jour depuis des années.
- Sergent Omaha, enchanté lieutenant. Installez vous dans cette salle, le détenu va arriver.
Par curiosité, le mexicain ausculta le dernier des mohicans de haut en bas. Une fois assuré qu'il était bien de chair et d'os, il obtempéra et s'installa.
- Ok merci Geronimo ! Soupira-t-il.
Sous son chapeau de paille aromatisé à l'huile de tacos, la fatigue de la nuit blanche commençait à l'emporter lorsqu'un bruit de frottements métalliques lui fit rouvrir les yeux.
Un détenu, vêtu de la combinaison orange traditionnelle, les poignets liés aux chevilles par une énorme chaîne, venait de faire son apparition. Le septuagénaire rabougrit était guidé par un chariot autonome et entouré de drones armés miniaturisés.
Une fois sa chaîne accrochée à l'anneau de la table, toute sa garde rapprochée autonome disparut et la porte automatique se referma.
C'est un vieillard. J'ai poursuivi un homme toute ma vie pour me retrouver à mon âge devant un vieux délabré. C'est pathétique. Il est temps d'aller de l'avant Mendes et d'arrêter de chasser les fantômes du passé. Tu as vu leur gueule ! pensa Mendes
- Que les vaut l'honneur, dit Gonzales
Le fils de Rosa, toujours dans la contemplation de cet homme tant recherché, ne répondit pas tout de suite.
- Vous voulez ma photo ? Vous l'avez déjà et bien plus que ça ! Avec tous les contrôles de santé et autres que vous nous faites passer. C'est encore pour un examen ? Car les auscultations par l'intérieur de la dernière fois m'ont mis l'anus en chou fleur !
Andre-Pierre ne répondit toujours pas.
- Gardes ! Ce type est taré, venez me remettre dans ma cellule !
Le flic se décida enfin :
- Je ne suis pas d'ici, je n'ai rien à voir avec ceux qui vous interrogent ou vous surveillent habituellement.
- Alors vous êtes qui ?
Le kid de Broadway ne répondit toujours pas. Il se souvenait des heures passées dans son bureau à éplucher le dossier sommaire de l'enquête sur l'assacinat de son père. Les heures passées en planque le soir ou à interroger la faune des bas fonds de The City by the Bay. Et par dessus tout, il revoyait le visage de sa mère et de la promesse qu'il lui avait fête.
- Ne pleure pas maman, je vais le retrouver et il subira la même chose que ce qu'il a fait endurer à Papa.
- Ne dis pas de bêtises mon fils. Il y a eu assez de malheurs comme cela dans notre famille.
- Il doit payer !
- Tu n'as que quinze ans. A ton âge, la révolte est normale et fondatrice. Tu vas te construire grâce à elle mais, je t'en prie, choisis un autre combat.
- Non Maman ! Tu entends... Un jour ou l'autre je l'aurai !
Ce jour d'automne ensoleillé, parenthèse en pleine affaire Alain Mallet, était celui-là.
- Cela fait combien de temps que tu pourris en prison ?
- On se tutoie maintenant ?
- Réponds moi...
- Cela fera trente cinq ans la semaine prochaine. Vous venez pour me souhaiter mon anniversaire ? répondit Gonzales sarcastique.,
- A l'époque, tu étais célèbre et recherché par toutes les brigades de Frisco. Ton organisation contrôlait Bayview tout entier. Je suis impressionné. Tu fais partie de l'histoire des bas fonds Californiens.
- Vous me flattez maintenant ?
- Non je t'assure. Tu es une légende... Une légende prête à trucider son frère pour être le seul héritier des affaires déjà louches de sa mère. Puis, à suicider la vieille car elle ne partait pas assez vite à la retraite.
- Tout cela est bien schématique.
- Raconte moi alors. Comment en es-tu arrivé là ? J'ai envie de te connaître.
- Me connaître ? Et vous, qui êtes vous ?
- Tu te souviens d'un certain Juan Mendes ?
Soudain, Gonzales sembla songeur. Son regard se fixa sur une mouche désorientée. Le pauvre insecte, rêvant de retrouver les fientes des mouettes de Malibu, se fracassait sans cesse contre la peinture écaillée de cette salle sans ouverture sur l'extérieur.
- Cela ne me dit rien, répondit le chef de gang dont le crâne collectionnait davantage les tâches de vieillesse que les cheveux décanillés depuis longtemps.
Mendes, déjà fatigué par la nuit blanche, le rythme cardiaque au rupteur sous l'influence de l'adrénaline emmagasinée depuis quarante ans, ne pu se retenir. Subitement, il saisit Gonzales. Ses doigts boudinés et poilus poussèrent violemment le crâne ridé du septuagénaire en avant. La tête du vieux fut projetée contre la table devant lui. Son visage s'écrasa sur l'anneau métallique servant de fixation à la grosse chaîne qui l'entravait. Une giclée de sang éclaboussante jaillit du nez qui éclata comme une vieille figue pourrie tombant de l'arbre.
- Ne te fous pas de ma gueule s'il te plait.
Le vieillard fébrile, ex chef de gang tant redouté du Broadway du vingtième siècle, s'essuya le visage d'une main tremblante avant de répondre :
- Cela peut me dit quelque chose en effet. J'ai dû le croiser il y a très longtemps. Mais pourquoi me parler lui ?
- C'était mon père....
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