- Que voyez vous sur cette vidéo patron ?

Le mot de patron ne sonnait pas comme une marque de respect dans la voix de Mendes. Il s'agissait de cette expression clôturant souvent les phrases dans les milieux populaires hispaniques de sa génération. Connelly l'avait entendu parfois lorsqu'il fût client dans une station service ou un fast-food : On fait le plein patron ? Un refill de café chef ?

Toujours est-il que ce jour-là, l'irlandais n'en n'avait rien à foutre qu'on l'appelle patron ou tartempion. Il répondit :

- Par quels moyens illégaux avez-vous eu cette vidéo de surveillance ?

- Nous ne dévoilons jamais nos sources vous le savez bien.

- C'est elle ? C'est Phoebe qui vous a aidé à les retrouver ?

Le lieutenant ne répondit pas et le PDG continua sur ce même ton fasciné comme s'il parlait de l'apparition de la sainte vierge à Lourdes.

- Vous lui avez parlé ? Est-elle aussi éblouissante qu'on le dit ? Je ne parle pas "d'intelligence" bien sûr mai.s de sa capacité à être bienveillante, bienfaisante et altruiste ?

- Ce n'est pas à moi qu'il faut demander cela. Je ne suis pas expert et ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui.

- Oh c'est le sujet Lieutenant, bien plus que vous ne le croyez !

- Alors éclairez moi !

- Je n'ai jamais ordonné à Titan de tuer Mallet.

- Pourtant c'est bien ce que l'on voit sur la vidéo...

- Avec nos ingénieurs, nous avons recherché les causes probables de ce dysfonctionnement.

- Et ?

- Nous avons trouvé un malware implanté dans le logiciel de Titan.

- Un malware...quésako ?

Ce lieutenant est vraiment un pure produit de l'exclusion numérique. Je ne pensais que seul le troisième âge était touché mais il semble que la fracture soit plus importante. Il faudra inventer un truc pour eux... pensa le CEO d'Alice Corp. toujours prêts à un coup marketing

- Un malware, lieutenant, est un logiciel malveillant dédié à nuire et implanté dans un système de manière illégale.

- Donc, si je résume à ma manière, vous me dites que quelqu'un aurait fait bouffer à votre vigile métallique un truc avarié le poussant à tirer sur le cofondateur de votre chère entreprise ?

- On peut dire cela comme ça...

- Et qui me dit que vous ne vous foutez pas de ma gueule ?

- Vous allez le savoir très vite lieutenant si vous continuer à fourrer votre nez partout dans cette histoire.

- C'est une menace ?

- Non pas du tout. Pas moi... Mais eux.

 -Qui ça eux ? Arrêtez avec ça ! De qui vous parlez ?

- Faites vous aider par des experts lieutenant et imaginez tout ce que l'on peut faire en combinant toutes ces nouvelles technologies : IA, impression 3D de tissus humains, algorithmes entropiques,... Quelle révolution universelle cela pourrait entraîner ? La genèse d'une nouvelle espèce cohabitant avec les humains. Une nouvelle espèce issue d'une créatrice unique et bienfaisante : Phoebe. Qui aurait le plus à perdre dans cette histoire ? Qui est le gardien de nos croyances depuis des millénaires ?

- Vous délirez Connelly...

- Si vous ne me croyez pas, ils se chargeront de vous convaincre...

- Toujours est-il que j'ai tout ce qu'il faut pour vous inculper du meurtre d'Alain Mallet. Titan vous appartient, nous avons la vidéo, et vous avez un mobile : récupérer l'entière possession technique et décisionnelle d'Alice Corp. Vous allez finir au trou Connelly. Fini les parties fines, les cocktails mondains et les breakfasts sur la terrasse avec vue sur la baie. Vous allez croupir en cellule dans une prison fédérale accompagné de deux ou trois malandrins prêts à profiter de vos belles petites fesses dans un coin noirs à chaque opportunité.

Pour la première fois, Mendes observa un début de tristesse sur le visage anguleux et froid de Connelly.

- Toute ma vie, j'ai voulu prouver à mon père que je pouvais être à son niveau ; lui montrer que je n'étais pas le bon à rien qu'il décrivait à qui voulait l'entendre. Vous savez lieutenant, Alice Corp. n'était pas les deux bartavelles brandies par Pagnol pour exposer au soleil couchant la gloire de mon père. L'objectif était de lui prouver que son fils, son petit enfant, pouvait aller à la chasse avec lui et ses amis !

- Et vous auriez pu aller jusqu'à tuer pour préserver cet œuvre.

- C'est faut lieutenant, j'ai pu faire des coups à la limite de la légalité des affaires c'est vrai... Mais jamais je n'aurais tué uniquement pour de l'argent.

- Ce n'est donc pas pour l'argent que vous avez tué votre père, mais pour les brimades accumulées ?

- Comment ça ?

- A l'époque du décès de votre géniteur, un témoignage troublant a été versé au dossier si je me souviens bien. Cette femme de chambre qui vous soupçonnait d'avoir éteint intentionnellement la machine tenant vptre père en vie.

- Il s'agissait du récit d'une folle qui n'en voulait qu'à notre argent. D'ailleurs on lui a donné ce qu'elle voulait et elle n'a plus jamais fait parler d'elle.

- Ou on l'a payée pour qu'elle se taise.

- Elle ne pourra plus vous le dire car la pauvre femme n'est plus de ce monde.

- Oui vous avez raison, elle a disparu tragiquement dans l'accident d'un des premiers prototypes de drones livreur d'Alice Corp. ; écrasée dans son jardin par la machine à la dérive pendant qu'elle étendait son linge. Bizarre vous ne trouvez pas ?

- Les enquêteurs de l'époque ont conclu à un tragique accident.

- Je vais demander à ce que l'on ouvre à nouveau ce dossier aussi.

- Allez-y, acharnez-vous Mendes ! Si cela vous permet de prendre votre propre revanche sur la vie. C'est mon jour de distribution gratuite, you're welcome ! Je ne suis déjà plus de ce monde de toute manière.

Soudainement, la voix d'un homme énervé se fit entendre dans le couloir. Elle se rapprochait de plus en plus de la petite salle d'interrogatoire. Puis, brutalement, la porte s'ouvrit :

- C'est une honte ! Je vais en faire état immédiatement à vos supérieurs et au maire de la ville qui est un ami de Monsieur Connelly.

L'avocat de l'Irlandais venait d'entrer avec fracas.

Era Saguro... Pensa Mendes en reconnaissant la chevelure longue et blanche de Maître Livingstone, la star du barreau de San Francisco.

- Vous n'avez rien contre Monsieur Connelly, je vous ordonne de le laisser sortir immédiatement !

Bon, il va baisser d'un ton le "Emmett Lathrop du tribunal" sinon je le renvoie dans sa DeLorean illico presto ! soupira le Chicanos avant de répondre :

- Nous avons des preuves irréfutables contre votre client.

- Une vidéo, des emails et des enregistrements audio usurpés sans mandat par on ne sait quels moyens.

- Ces enregistrements sont bien réels.

- Ils ne sont pas recevables et vous le savez lieutenant.

- C'est une question de temps avant que le juge fédéral ne nous délivre un mandat de perquisition et que l'on officialise ces preuves.

- Donc vous n'avez rien.

- Peut-être mais attention maître !

- Attention à quoi ?

- Si nous venions à ne plus retrouver ces enregistrements dans vos bases, cela serait vraiment dommageable pour le matricule de votre client et pour votre réputation.

- Mon client et moi-même n'intenterons jamais rien d'illégal bien sûr.

- Je vais y veiller personnellement, faites moi confiance.

Sur cette dernière réponse du représentant de l'ordre de la ville de San Francisco, Livingstone rangea son début de dossier dans sa mallette, se leva et invita Connelly à en faire de même.

Mendes s'approcha du géant Irlandais pour le prendre par le bras et lui chuchotter :

- Tu es fichu mon pote !

Connelly, ne sembla pas prendre en compte la menace de Mendes. De toute façon, son visage éclatait déjà de déprime comme un fruit pourri proche de la fermentation.

Plutôt que de lui répondre, il fit une chose semblant préparée à l'avance en amont même de l'interrogatoire.

Discrètement, il chercha un petit bout de papier dans sa poche pour le bourrer dans la paume calleuse de la main droite de Mendes.

- Bonne fin de journée lieutenant, et au plaisir de ne jamais vous revoir ! s'écria le chevelu du barreau en sortant de la salle d'interrogatoire avec son client au bras.

- De même mon cher Maître, répondit le mexicain narquois.

Puis , une fois ses deux invités partis, Mendes retourna dans la zone technique, de l'autre côté du miroir sans teint.

- Tout est dans la boîte sergent Rosario ?

- Oui Lieutenant, la procédure officielle de secours en cas de panne du nouveau dispositif assisté par IA a été suivie à la lettre.

- Toutes ses déclarations sont-elles donc bien recevables ?

- Oui tout à fait ! Nous le tenons !

- Parfait, c'est du bon boulot sergent ! Vous pouvez rentrer chez vous retrouver votre famille. Il est bien tard pour la misérable paye que vous donne l'administration de la ville.

- Merci Lieutenant, passez une bonne soirée vous aussi ! Vous voulez venir dîner à la maison ? Joanna ma femme et ma petite fille serait ravies de rencontrer mon boss avec qui je passe toutes mes soirées depuis mon arrivée ici au SFPD.

Mais Mendes, fidèle à sa phobie de nouer des rapports amicaux déclina :

- Je vous remercie Rosario, c'est gentil . Peut-être une prochaine fois, mais là, cette affaire est trop importante et j'ai encore des choses à terminer pour ce soir.

- Vous devriez garder du temps pour vous Lieutenant... Vous devez bien avoir des envies ou quelques plaisirs ?

- Rosario, à mon âge, devinez quelle est l'envie la plus fréquente ?

- Je ne sais pas Lieutenant.

- Et bien, c'est l'envie de pisser Rosario...

Le sergent, à peine âgé d'une trentaine toute fraîche, sourit et répondit :

- Bonne soirée tout de même !

- Oui merci, bonne soirée aussi et mes homages à la petite famile..., répondit le Chicanos pensif en ouvrant le message de Connelly griffonné sur un petit bout de papier à l'en-tête d'Alice Corp.

Sainte Alliance

- Je n'y comprends rien... "Sainte Alliance", il débloque vraiment de plus en plus le rupin. Il est aux abois, on va se le bouffer comme un bon vieux burritos.