Rendez le moi ! Mon Dieu, rendez le moi !


Le coup de feu se fit entendre dans toute la plaine sombre et désertique marquant le début du désert séparant l'Arizona du Nouveau Mexique. Les échos résonnèrent pendant plusieurs secondes comme un dernier adieu au grand échalas.

Le corps avait bondi sous l'impact de la balle du neuf millimètre. Le sable se gorgeait petit à petit du sang d'Arnaud s'écoulant par le trou béant à l'arrière de son crâne.

Son corps inanimé ressemblait à un vieux pantin désarticulé. Ses vêtements n'étaient plus qu'un tas de chiffons jonchés de poussière. Bien que l'on sentait encore une certaine chaleur se dégager de lui, sa posture était fixe, comme figée dans le temps.

On avait l'impression de regarder une vidéo d'Arnaud mais mise en pose.

L'homme se rendit compte seulement à cet instant de ce qu'il venait de faire. Il sentit comme une retombée de libido après une éjaculation masculine. Vous savez : le moment où l'homme, rongé par la mauvaise conscience, se dit que sa maîtresse avec qui il vient de copuler n'est pas si séduisante.

Qu'est ce que tu as fait ! pensa-t-il

L'inconnu se prit la tête entre ses deux mains pleines de poussière. Il se tirait les cheveux à se les arracher. Il voulait se faire mal pour ce qu'il avait fait. Puis en regardant le corps immobile et devenu froid, il cria :

- Mais c'est de ta faute à toi aussi ! Pourquoi tu t'es introduit dans notre histoire ?

Il se mit à frapper avec ses poings sur la dépouille du futur marié tout en continuant à crier et à pleurer.

Puis, épuisé, il s'allongea et s'endormit à côté du cadavre.

- Lève-toi !

Il fut réveillé quelques minutes plus tard par une voix féminine. Celle de Thatcher. L'Helter-Skelter, réveillée par les bruits de poursuite dans le jardin, réussit à suivre et à retrouver les deux hommes. Une fois arrivée à l'endroit du crime, l'assassin était endormi. Bien que submergée par les larmes et le stress de voir son ami Arnaud mort, elle eut le sang froid de prendre le pistolet resté dans le sable entre les deux hommes. Elle répéta :

- Tu as entendu ? Lève- toi !

L'homme, encore ébranlé par son acte irréversible, tarda à se relever et le fit avec peine. Il regarda la grande blonde puis cria :

- Je ne sais pas ce qui m'a pris mon amour !

- Comment ose tu encore m'appeler comme cela !

Kennedy, car il s'agissait bien de lui, tomba à genoux en essayant de ramper jusqu'aux chaussures de Thatcher.

- Recule toi ! cria la nordique complètement hors de contrôle en menaçant le nabot rampant de plus belle.

- Je ne voulais pas le tuer ! gronda-t-il en pleures.

- Tu es complètement taré mon pauvre, ta paranoïa de hacker t'est montée à la tête. Tu te comportes de la même manière que ceux que tu combats. Tu luttes contre l'état despote qui contrôle tout et tu es un vrai Big Brother pour tous ceux qui t'approchent. Tu es vicieux et pervers.

- Tu crois que je ne vous ai pas vus hier soir vous embrasser devant la fenêtre ? Comment voulais tu que je réagisse après t'avoir vu te faire grimper dessus et prendre ton pied avec lui.

- On n'a rien fait hier soir ! Ce n'était pas l'envie qui m'en manquait mais, il n'avait pas voulu. C'était un mec bien... Lui !

- Oui je sais. Tu n'as jamais cessé de l'aimer. Tu es venue vers moi par dépit. Remarque, j'aurais dû m'en douter. Une fille de ta classe ne pouvait pas envisager un avenir avec un nain minable comme moi.
Alors...Quels étaient vos plans ? Un mariage à Végas et un voyage de noces chez les froggies ?

- Il allait se marier... Mais pas avec moi !

- Quoi ? Qu'est ce que tu racontes ?

- Eh oui ! Monsieur l'autocentré ! Toute la terre ne tourne pas autour de ton auguste séant de pirate de merde ! Tu ne le savais pas ? Si tu t'intéressais un minimum aux gens autour de toi plutôt que d'essayer de les dominer... Tu aurais discuté avec lui et il t'en aurait parlé.

Le Helter-Skelter se retourna dos à terre, en haletant, pour regarder le ciel avant de poursuivre les yeux fermés comme s'il venait de se rendre compte soudainement de son erreur de jugement :

- Il ne m'en avait jamais rien dit. Vous n'avez pas couché ensemble, il allait se marier avec une autre...quel désastre !

- Il est un peu tard pour s'en rendre compte !

- Que vas-tu faire ? Tu vas me tuer aussi ?

La blonde sembla hésiter puis, toujours submergée de chagrin, elle tira le chien de l'arme en arrière jusqu'au déclic. Kennedy ferma les yeux en croyant voir venir sa dernière heure. Mais, Thatcher se reprit :

- Si tu savais comme j'ai envie de t'effacer complètement de ce monde et de mon esprit ! Mais je ne veux pas te rendre ce service. On va rentrer bien gentiment dans la maison et on va appeler la police. Et, tu vas tout leur raconter.

- Mais ils vont me mettre en prison jusqu'à la fin de mes jours !

- Oui encore mieux, ils vont te mettre sur la chaise. Et crois moi, je serai aux premières loges pour voir tes couilles de salaud griller comme deux châtaignes en automne.

- Tu ne vas pas faire cela mon Amour, après tout ce que l'on a vécu ensemble ! Je t'aime ! Nous pouvons recommencer sur de bonnes bases.Tu sais, j'essaie de travailler sur moi même.

- Joli résultat !

- Ok mais j'ai des circonstances atténuantes. Tu ne sais pas ce que c'est de grandir ici aux Etats-Unis en étant le fils d'un opposant Russe empoisonné par Poutine. Je n'ai connu que la violence, la méfiance et la domination depuis mon plus jeune âge. Tu es ce qui m'est arrivé de mieux dans ma vie. Il n'avait pas le droit de me le prendre.

- C'est toi qui les a fait suivre partout alors depuis le début ?

- Pas du tout, Arnaud faisait partie du passé pour moi... Jusqu'à ce qu'il débarque à nouveau dans notre vie.

- Mais Phoebe semblait bien t'intéresser aussi non ?

- Bien-sûr ! Une IA si rapide et si développée ne peut être que passionnante pour un malfrat numérique comme moi. Tu imagines comment elle aurait pu être utile à notre action ? Je pensais lui voler à la première occasion. Et, je me suis ravisé. Tu sais pourquoi ? Pour toi justement.. Je n'ai rien fait pour te garder. Mais il était déjà trop tard.

- Tu es pathétique ! répondit Thatcher en tentant d'essuyer les flots noirâtres issus du mélange de ses larmes et de la poussière sur ses joues.

Puis, elle poursuivit avec cette sommation biblique bien à propos :

- Allez ! Lève-toi ! Et marche...

Le gourou des Helter-Skelter savait qu'il ne survivrait pas si les flics l'arrêtaient. Avec toutes les surveillances préventives mises en œuvre ces dernières années, les meurtres se raréfiaient. Les juges n'avaient aucune clémence pour les derniers meurtriers qui échappaient aux mailles du filet tendu par les IA. Les caméras, les objets connectés et les humanoïdes possédaient tous une partie de leur logiciel réquisitionnée par l'État pour observer et enregistrer les comportements déviants. Les potentiels meurtriers étaient arrêtés avant même d'avoir songé à tuer.

- Ok... Ok ! Je me lève, tu as gagné, répondit-il tout de même à la jeune femme tenant son pistolet à la manière de Tokyo dans Money Heist.

Mais, tout en se levant, le pirate attrapa une poignée de sable qu'il jeta soudainement à la figure de la belle tatouée. Celle-ci fût surprise, elle fit feu sans le vouloir et sans savoir où elle visait.

Elle mit quelques secondes avant de pouvoir retrouver la vue. Il n'y avait plus aucun bruit. Elle s'empressa de regarder dans la direction de la maison pour apprécier l'avance qu'avait dû prendre son ex. mais, elle ne le vit pas.

C'est alors qu'elle baissa le regard et se rendit compte que sa balle, sortie par erreur du magnum, avait usiné un trou entre les deux yeux de Kennedy. A l'arrière, sa boite craniène était ouverte comme une boite de conserve. Une partie de sa cervelle, éjectée à plusieurs mètres attirait déjà quelques Solenopsis invicta.

Le pirate informatique s'était effondré. Son corps chut sur celui d'Arnaud.

Thatcher tomba à genoux elle aussi. La scène était sûr-réaliste et si macabre qu'elle ressentit une envie violente de vomir.

Elle se retourna pour vomir au pied d'un cactus. Elle avait l'impression que ses tripes allaient être expulsées par sa bouche. Les spasmes dû aux vomissements se confondaient à ceux provoqués par les pleurs d'horreur qui la terrassaient.

Elle se trouvait prostrée devant les derniers hommes de sa vie, tous les deux figés dans le temps en moins de dix minutes.

Elle prit la tête sanguinolente d'Arnaud dans ses mains et se mit à crier en implorant vers le ciel :

- Non ! Ce n'est pas possible ! C'est un cauchemar... Rendez le moi ! Mon dieu ! Rendez le moi !

Mais bien-sûr son vœu ne fut pas exaucé.

Elle ne pouvait alors plus supporter la vue de leurs deux corps et de leur sang mêlés.

Elle courut à s'en faire éclater la poitrine en direction de la maison d'Arnaud.

Dans la pénombre de cette aube d'automne, elle percutait les Joshua Trees, les Mooving stones et les diverses succulentes toutes plus épineuses les unes que les autres. Telle une boule de flipper elle était baladée de droite et de gauche mais s'en moquait. Les chocs devenaient de plus en plus violents, certains lui faisaient perdre l'équilibre mais, elle poursuivait sa course infernale en hurlant d'une voix presque d'outre-tombe. Elle voulait se faire mal elle aussi.

Une fois revenue dans le salon d'Arnaud elle s'assît sur le grand canapé en cuir Angus noir. Elle commençait à peine à reprendre sa respiration lorsqu'un petit cadre photo en bois lui sauta à la figure. On y voyait un couple d'amoureux, le français et Béa, heureux et enlacés devant les trois sœurs de Monument Valley.

La culpabilité, le manque de perspective, le découragement, la solitude, constituèrent alors un cocktail funeste d'où sa conscience ne pût s'évader.

Toujours assise dans le canapé, les yeux rivés sur le sourire sepia d'Arnaud, elle mit le canon du trois cent cinquante sept magnum dans sa bouche et, sans réfléchir une seconde... Tira.

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