Paternité [VC]
Après la découverte de l'insecte cybernétique, Arnaud s'endormit tout de même. Le lendemain aux aurores, il prit son fidèle destrier et se hâta de poster le message à Kennedy dès l'ouverture du bureau de poste de Scottsdale.
Le geek passa ensuite toute la journée à remettre sa maison en état. Il changea la serrure de la porte de derrière et récupéra ce qui était encore présentable de son canapé. Il cloua aussi quelques planches achetées au Lowe's du coin pour palier à la vitre cassée. Ce fut l'occasion aussi de faire un peu le ménage dans ses sous-vêtements de célibataire. L'ex français retrouva deux ou trois chaussettes trouées, des tee-shirts devenus trop petits avec l'embourgeoisement lié au confort psychologique de la vie de couple. Deux ou trois paquets de préservatifs périmés encombraient les tiroirs pas très loin, d'une vieille photo de ses parents restés en France perdue dans ses caleçons Calvin Klein.
Aller, Arnaud, il faut continuer, le temps presse. Ils peuvent revenir à tout moment ! se dit-il pris d'un intense et fugace moment de nostalgie.
Pendant cette chasse au trésor, l'expert en cybersécurité cambriolé fit la découverte de quatre nouveaux insectes espions qu'il s'empressa d'écraser.
Après plusieurs heures de rangement acharné, le soir venu, il prit son téléphone, sortit dans le jardin pour ne pas être écouté et appela Béa :
- Ne t'inquiète pas chérie, je gère. Tout se passe bien à Singapour ?
- Oui, arrête de me demander si tout se passe bien ici... Il n'y a rien de nouveau, je passe la majeure partie de la journée à l'hôtel pour préparer les dossiers pour les réunions avec le client.
- Et cela avance ?
- Oui on devrait conclure.
- Avec les clients ou avec ton chef ?
- Arnaud ! Ce n'est pas drôle.
- Excuse-moi !
- Je te comprends mon Amour, la situation dans laquelle tu es doit te stresser. Ils n'ont rien volé du tout ?
- Non rien...
- C'est étrange, ils devaient chercher quelque chose en particulier... et ces insectes robots, qui peut bien disposer d'une telle technologie.
- Je n'en sais rien. Je vais me réfugier quelque temps chez de vieux amis.
- Ne me dis pas que tu vas retrouver tes vieilles connaissances underground ?
- Si, je n'ai pas le choix. Eux seuls peuvent nous aider.
- Il y aura toujours, comment vous l'appelez déjà, Thatcher ?
- Oui mais ne t'inquiète pas ma chérie, tu es la seule maintenant à compter dans ma vie.
- Ok, je te fais confiance mon Amour. Tiens moi surtout informée !
- Oui bien-sûr, bonnes réunions mon cœur.
- Merci love...
Le lendemain matin, Arnaud monta dans sa fidèle Mustang de soixante-neuf. Au moins avec elle, il ne risquait pas une cyber attaque ou une prise de contrôle d'un hacker en voulant à sa vie. Par contre, vu le nombre de voitures autonomes qu'il allait croiser sur la route, il devait tout de même rester sur ses gardes. Il n'était pas à l'abri d'une voiture venant en contre sens, piratée à distance, et provoquant un choc frontal qui lui aurait été fatal.
Scottsdale était à trois cent treize Miles du repère de Kennedy, ce qui signifiait presque six heures à passer sur l'US-93N en comptant les pauses.
En parlant de pause, c'était le moment d'en effectuer une pour nourrir le gros V8 atmosphérique en gazoline.
Justement, on entre dans Kingman, se dit le français déjà rendu mainte fois dans les parages pour faire du tourisme.
La petite bourgade connue dans le monde entier, s'était auto surnommée comme "The Heart of Historic Route 66" . L'opération marketing fonctionnait tellement bien que les rues étaient bourrées de cars dégueulant partout leurs dizaines de touristes. Arnaud les connaissait bien. Il s'agissait pour la plupart de retraités français en mal de rêve américain.
Cela lui rappela une scène identique vécue lors de son passage au Bagdad Café sur la National Trails Highway à Newberry Springs Californie. Lors de l'un de ses road trips sur la route soixante-six, il se rendit dans la petite auberge rendue célèbre par le film de Percy Adlon. L'ambiance était désertique exactement comme dans le long métrage. En entrant on remarquait tout de suite les murs totalement recouverts d'innombrables témoignages de visite. Phénomène bizarre, tous ces messages étaient rédigés en français. Mais d'où pouvait venir ces tee-shirts signés par le comité d'entreprise du Crédit Lyonnais ou ces drapeaux dédicacés par les salariés d'Engie.
Alors qu'il commençait à sympathiser avec le patron et sa fille, il comprit : brusquement, un car d'une cinquantaine de septuagénaires français se gara devant le café. L'ambiance changea radicalement. Les vieux débarquèrent en essaim d'abeilles bruyant, ne consommèrent même pas, se prirent tous en photo derrière les lettres en bois "Bagdad Café" posées sur le bar et repartirent aussi soudainement qu'ils étaient venus. Arnaud avait honte de ses congénères et était gêné vis à vis du patron. Une fois le silence revenu il demanda au tenancier s'il n'en n'avait pas assez de ces maudits français. En bon américain pragmatique, il lui répondit qu'au contraire, il les adorait. Tant qu'ils lui apportaient une grosse partie de son business, ils étaient toujours les bienvenus.
Ce jour-là à Kingman, l'ambiance était identique. Les français fourmillaient partout. De l'Historic Route 66 Museum à l'énorme locomotive 3759 de mille-neuf-cent-vingt-sept stationnée dans le Railroad Park, on ne voyait qu'eux. Ils braillaient, beuglaient et se bousculaient pour une photo qu'ils n'allaient plus jamais regarder une fois rentrés chez eux.
- On va encore avoir le droit à deux ou trois cols du fémur brisés, dit la serveuse du dining tout proche en servant le refill de café à Arnaud.
Voyant que l'homme à la Mustang souriait, elle continua :
- Vous êtes français vous aussi ?
- Oui en effet. Mais, plus je croise mes compatriotes, plus je suis heureux de vivre ici dans votre pays.
L'obèse issue de la minorité amérindienne, émis un éclat de rire bruyant tout en se dirigeant vers une autre table pour servir un vieux chauffeur poids lourd habitué des lieux :
- Tu as entendu ça John ? Le beau français sexy est heureux de vivre avec nous ! dit-elle en ajoutant avec un clin d'œil lancé vers Arnaud : Il peut venir habiter chez moi quand il veut ! Je vais lui montrer les délices de notre région !
Arnaud, jouant le jeu répondit en brandissant son mug de café :
- Cela aurait été avec plaisir mais j'ai une mission. A votre santé la belle !
Puis, il sortit du dining en laissant sur la table un tip de cinq dollars.
- Merci beau prince ! lui cria encore la serveuse en voyant l'immigré français sortir.
Le ronronnement du gros moteur tournant à deux mille tours par minute, à peine sollicité par les soixante-cinq Miles par heure et les longues lignes droites de l'US-93N, généra chez Arnaud un détachement propice à la méditation.
Qu'ai-je fait de ma vie jusqu'à présent ? se dit le futur marié. Je n'ai rien construit. Mon existence a-t-elle un sens ou existé-je vraiment d'ailleurs ? Si je devais disparaître, qui s'inquiéterait à part Béa. Mes parents sont presque séniles à l'autre bout de la planète. Qui se souviendra de moi ? Je passe sur cette terre comme une voiture sur cette route : sans laisser de trace... Je viens de franchir quarante ans et si je devais avoir un enfant maintenant, je serai retraité à ses
vingt ans.
De toute manière, suis-je vraiment capable de m'occuper
d'un enfant lorsque l'on voit comment je délaisse mes
parents ? La seule chose que j'ai su garder
d'eux est une vieille photo perdue dans mes slips.
Je n'ai pensé qu'à moi tout ce temps. D'ailleurs je continue,
la preuve. Il faut que je fasse quelque chose de bien pour les
autres pour une fois.
Je ne me suis jamais engagé sur aucun sujet. Je ne sais pas
d'où cela me vient. Sans doute parce que je ne peux pas
accepter d'être responsable de quelque chose. Durant toute
ma jeunesse, ma mère m'a toujours dit que rien n'était de
ma faute. Voilà où mène l'éducation de l'enfant roi : à
une société individualiste et auto centrée où plus personne ne
s'engage pour les autres.
Il interrompit le flot de ses égarements quelques instants comme s'il voulait se laisser un ultime temps de réflexion avant d'imprimer son subconscient avec l'engagement qu'il sentait poindre.
Oui c'est cela ! Je vais dire à Béa que je veux un enfant d'elle. Oui, j'en suis sûr maintenant. C'est une fille extraordinaire. Et je ne trouverai pas mieux.
Elle est paraplégique, et alors ? Tu l'aimes et elle peut monter dans la Mustang, c'est le principal... plaisanta-t-il avant de prolonger : son père, général dans la Navy, est un peu effrayant mais il m'apprécie. Connaissant mon passé de hacker, il me surveille j'en suis sûr, mais il est droit et direct. Et, sa mère est une crème.
Le geek futur papa fut extirpé de ses pensées engageantes par la vue sublime, sur le barrage Houver, qu'offrait la traversée du fleuve Colorado du haut du Mike O'Callaghan Memorial Bridge. Il venait de franchir la frontière naturelle entre l'état d'Arizona et celui du Nevada. Il n'était plus qu'à trente-six Miles du repère de Kennedy.
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