Mystère [new version]




Après la sieste, Stan, riverain exemplaire du conte de Santa Clara, prit le temps de tondre au cordeau le carré de gazon jouxtant l'entrée de la maison au bois beige et volets verts. Puis, après avoir arrosé les Fleurs de Sang et vérifié la vivacité des succulentes à l'aide de ses lunettes à réalité augmentée, il rentra à l'intérieur où régnait un silence de mort.

- Alexa parle plus dans un week-end que nous deux réunis, dit-il à Cecile, sans pouvoir lui arracher le moindre début de sourire bien-sûr.

La journée se poursuivit sans le moindre échange. Retourné dans sa chambre pour la nuit, sans s'en rendre compte, le père de famille, accablé par le stress continue de la situation, s'endormit.

Soudain, le lendemain matin :

- Bonjour Stan, j'espère que la nuit a été douce et reposante. Quels sont tes désirs pour la journée ?

Stan ouvrit un œil encore embué par les larmes de la veille. Il se prit à se demander qui pouvait bien lui parler de cette manière, si délicieusement, dès son réveil. Encore ensommeillé, l'espace d'une seconde, il eut l'espoir de reconnaitre la voix de Cécile. cependant, l'inconnue poursuivit :

La température extérieure est de soixante six degrés Fahrenheit et va monter dans les faibles seventies en cours de journée. Tu as sept réunions aujourd'hui. N'oublie pas de bien suivre ton objectif de régime nutritionnel ce midi. Je ne manquerait pas de te le rappeler de toute manière. Vue le taux d'ensoleillement de la journée, je te propose de mettre ton costume gris clair et ta chemise bleue ciel.


- Au diable les assistants personnel, gronda l'ingénieur spécialisé en Intelligence Artificielle. Avant d'entendre à nouveau :

Bienvenue sur ESPN, voici les nouvelles sportives du jour : La NFL était de retour ce week-end et les 49ers ont gagné largement leur premier match de conférence hier. Le moral de l'équipe est au beau fixe. Ecoutez l'interview de leur coach Robert Shanahan, le petits fils dde son illustre grand père, entretien exclusif KNBR the sports leader bien sûr...

Stan écrasa brutalement avec force le bouton on/off de son enceinte connectée. Il eut du mal à se lever. A quarante quatre ans, il ne récupérait plus aussi rapidement qu'auparavant.
Il réussit tout de même à se mettre en position verticale. Cécile était déjà debout en train de s'habiller dans le couloir éclairé. Sa chevelure blonde flamboyait dans la lumière du matin transperçant les fenêtres à larges carreaux.

- Je t'en prie Cécile, arrête !

- Quoi ? Tu n'as qu'à regarder ailleurs !

Encore une fois, sans aucune honte, elle continuait à se mettre nue devant lui. Le quadra détourna le regard, il était trop cruel de voir son corps. A l'inverse, lui ne voulait plus se montrer dénudé devant elle. Il ne savait pas pourquoi, mais il cachait son corps à cette femme comme à une étrangère. Peut-être qu'après avoir accepté toutes les humiliations, il pensait mériter ce dernier espace de respect. Malheureusement, il savait aussi que ce refus les séparait encore un peu plus.

En partant au travail, il n'avait même plus en tête les sujets qu'il allait devoir traiter dans la journée. Comme tous les matins, depuis deux semaines, il enchaina la traversée des différentes rues et avenues de banlieue sans même y prêter attention. Les paysages californiens le menant au Head Quarter de son entreprise à Montain View, tant désirés pendant des années et synonymes de son rêve américain, lui paraissaient bien fades à présent.

La seule chose immuable était ce même vieux en short qui marchait dans les rues tous les matins. Il n'avait jamais compris pourquoi cet homme était là tout le temps. Il n'était pas superstitieux, mais il s'amusait à penser qu'il s'agissait là peut-être d'un oracle ou d'un messager. Cette impression était amplifiée par le regard noir et perçant de l'homme..

Un jour je vais m'arrêter pour lui parler, se disait-il.


Cela dit, Stan oublia vite l'homme pour se replonger dans son chagrin. Il n'avait même plus en vie de conduire lui même. Il engageait au plus vite le pilote automatique de son véhicule pour se repasser en boucle toujours les deux mêmes vieilles chansons. Il savait qu'elles le faisaient pleurer à chaque fois, mais il les écoutait chaque jour. Il s'agissait de « Catch & Release » de Matt Simons et « Lost on You » de LP. Ce n'était pas le cas ce matin-là, mais les jours où le temps était pluvieux, il regardait longuement les gouttes de pluie glisser sur les vitres tout en écoutant ces deux titres. En bon expert en conduite autonome, il gardait tout de même un œil inquisiteur sur la route, mais ne pouvait et ne voulait pas retenir les larmes qui ruisselaient sur ses joues.

Au bout de quarante cinq minutes de trajet, Stan aperçût enfin l'énorme complexe situé en plein centre de cette célèbre Silicon Valley tant fantasmée. Il travaillait dans cette grande entreprise depuis quinze ans maintenant. Après avoir commencé comme ingénieur chez Renault en France, il avait eu le courage de prendre le risque d'une expatriation aux US. Il ne regrettait pas et Cécile non plus d'ailleurs. Sans le dire, et partageant le même rêve, elle y avait trouvé son compte elle aussi.

Depuis, leur arrivée, il était resté fidèle à son entreprise : start-up dédiée à la conduite autonome à la génèse puis diversifié en multinationale de l'IA.

Un vrai chien fidèle ce bon vieux Stan ! pensa-t-il.
Fidèle à son boulot autant qu'à Cécile... Quel con !



Il marcha doucement du parking extérieur au "connecteur quatre C" où était son plateau. Son corps avançait seul et son âme était ailleurs. Des ombres inconnues marchaient dans le même sens que lui. Il ne les connaissaient pas. Dans ce centre technique de quatorze mille personnes, on pouvait rencontrer des personnes différentes et inconnues chaque jour. Stan aimait comparer cela à une ambiance de galerie commerciale. Pas de sourire, pas de bonjour, au mieux pouvait-il espérer que les personnes s'écartent pour le laisser passer si besoin. Et, ce n'était pas toujours le cas.

- Bonjour Stan, 1er étage comme tous les jours ?

L'engin avait lu son badge lorsqu'il était entré à l'intérieur et lui proposait directement l'étage de son bureau.

Même s'il n'était qu'au premier étage, il préférait prendre cet ascenseur plutôt que les escaliers. Cela lui permettait de se voir dans la glace. Il sentait qu'il allait se regarder dépérir chaque matin depuis l'annonce de Cécile. Ses costumes allaient devenir trop larges et allaient former des plis à la ceinture, il en était sûr. Son corps réagissait toujours de cette manière. Ses joues allaient se creuser et les cols de ses chemises allaient s'élargir virtuellement autour de sa nuque affaiblie.

En arrivant à son bureau perdu au centre d'un open space, il dit bonjour aux trois collègues présents dans sa boquette. Bien que très sympathiques, aucun d'eux n'avait remarqué sa perte d'appétit. Depuis deux jours, ils n'avaient pas remarqué les moments où il s'isolait parfois pour ne plus avoir à leur parler. Lorsqu'il n'en pouvait vraiment plus, il ne voulait voir plus personne. Il allait dans les toilettes avec son ordinateur portable. Il le laissait ouvert pour être sûr que les gens puissent penser qu'il était toujours connecté. Il le posait sur le carrelage vert hopital, s'adossait au mur assis sur les toilettes, fermait les yeux et laissait son esprit s'évader de cette réalité trop cruelle. Cela pouvait durer dix à quinze minutes. Il n'avait pas besoin de plus. Il repartait ensuite, rechargé en énergie pour deux ou trois heures.

- Stan ! Je peux te voir tout de suite s'il te plait ?

Il fut extirpé de sa torpeur par Alain, son manageur.
Français lui aussi, toujours bronzé et la toison blanchie par les année, cet homme au caractère fort était le mentor de Stan depuis le début de sa carrière. L'ex de Cécile avait été subjugué dès le début les connaissances techniques de son ainé qui lui, avait pris ce jeune ingénieur sous son aile. Alain ne mâchait pas ses mots. Lorsqu'il n'était pas d'accord avec quelque chose, il le disait et souvent, sans en mesurer les conséquences. Cela lui avait joué des tours.
Depuis quelques mois, Alain le flamboyant, s'était métamorphosé en vieux manager aigri placé sur une voie de garage par le nouveau CEO de l'entreprise. Il vociférait à chaque pause café sa nostalgie des méthodes de travail et des organisation d'il y a dix ans. Stan, n'avait pu se résoudre à voir son idole professionnelle dépérir sans rien faire. Il avait tout tenté pour lui redonner le gout aux responsabilités techniques mais sans succès. L'homme au costumes toujours trop amples issus d'une mode dont ne pouvait donner l'origine ne se faisait plus plaisir qu'avec quelques petits bricolages informatiques dans son garage.
Il avait abandonné ses ambitions et attendait déjà la fin des sept années qui devaient le mener jusqu'à la retraite.

- Stan, suis moi vite s'il te plaît !

Le quinquagénaire était parti de son pas rapide habituel en direction de la sortie de l'open space. Stan, le regard fixé sur le pantalon trop long de son mentor, eut du mal à le rattraper.

- Pas si vite Chef !

Il aimait l'appeler comme cela. Il s'agissait d'une manière emphatique de s'adresser à lui. Les relations des deux hommes n'étaient pas des relation habituelles de subordination. Techniquement, Stan était devenu maintenant l'égal d'Alain. Et, le vieux manager s'en était bien rendu compte. Un profond respect mutuel, humain et technique s'était installé. On pouvait sentir une réelle amitié les unir.

- Alors ! Tu viens ?

- Mais on va où comme cela ? Alain, tout va bien ?

- Tais toi et marche. Toujours à lambiner, tu n'as pas changé décidément !

Les deux hommes passèrent les deux portes battantes du plateau, descendirent un premier escalier pour revenir au rez-de-chaussée, puis un second pour arriver à la porte sécurisée des ateliers.
Alain passa son badge et montra sa pupille à la caméra.

- Bonjour Alain, vous allez bien ?

Les portes automatique avaient été mises à jour pour délivrer ce genre de messages sympathiques après l 'épidémie de suicides des collaborateurs qui avait eu lieu 2 ans plus tôt.

Le quinqua ne pris pas le temps de répondre à la machine et Ils s'engouffrèrent dans l'atelier où trônaient une dizaine de voitures autonomes. L'endroit, rempli d'oscilloscopes, d'ordinateurs et de câblages électriques de tous genres était l'antre du programme ultra secret, fleuron de la technologie de l'entreprise, dont le nom de code était "Humanity". Stan et Alain en étaient les deux têtes pensantes.

Il faudra un jour que l'on fasse un peu de ménage ici tout de même, pensa Stan.


Alain continuait à courir dans l'atelier, au risque de bousculer les électroniciens travaillant sur les voitures qui le regardaient passer d'un air surpris.

- Aller, Stan ! Ne traine pas bon sang !

- J'arrive, j'arrive !

Ils entrèrent alors dans une salle remplie de dièdres collés partout sur les murs, le plafond et même le sol.

- Pourquoi m'amènes tu dans la salle anéchoïque ? Que se passe-t- il ? Tu me fais peur Alain...

Alain prit le quadra dépressif qui avait oublié l'espace de quelques minutes ses tourments amoureux par les épaules.

- Ici, ils ne pourront pas nous entendre...

- Quoi ? Mais qui voudrait nous écouter ? Qu'est ce que tu racontes Alain ?

Le Chef haletait, il ne semblait réellement pas bien. Il était submergé par un stress inconnu de Stan. Il ne l'avait jamais vu comme cela.

Les deux collègues se regardaient droit dans les yeux. Il n'y avait aucun bruit dans cette salle servant aux essais de compatibilité électromagnétique. Alain serrait fort les épaules de Stan dans ses mains à lui en faire presque mal. L'atmosphère était suffocante, les deux hommes étaient sueurs. Ce moment de silence sembla durer une éternité avant qu'Alain daigna enfin y mettre un terme :

- Stan, nous avons un gros problème !

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