Mission District [New Version]
Le jour se levait sur Mission District. Les rayons rasants du soleil d'automne illuminaient les façades peintes de fresques hispaniques multicolores. Décoratives pour la plupart, un certain nombre d'entre elles portait de réels messages politiques plaidant la cause de la minorité Chicanos aux Etats-Unis. Certaines, permanentes, étaient devenues grisâtres avec le temps ; d'autres, régulièrement repeintes, resplendissaient.
Les odeurs de burritos venant des Taquerías rétro flottaient déjà dans l'air et se diffusaient à travers les salons de tatouage jusqu'au Dolores Park. Les humanoïdes éboueurs vidaient les poubelles devant le Roxy Theater à deux pas d'une Mission Street cuvant la nuit agitée qui venait de s'éteindre et encore déserte.
Seule présence humaine, deux SDF, pipe de crack en poche, précédaient le camion poubelle en quête de quelques restes ou fruits avariés à l'image de mouettes poursuivant un chalutier breton.
Mendes vivait dans ce quartier avec Rosa depuis la mort de sa femme. Il l'avait fait déménager de Broadway et du Red Light District pour louer avec elle une petite maison victorienne en bois de couleur verte. Rosa avait eu du mal à s'y habituer. Bien que ne dépassant pas les quatre-vingts mètres carrés, la maison lui semblait trop cossue et trop grande. Mais le lieutenant, fraichement promu pouvait au moins offrir cela à sa mère ! Et puis, mine de rien, elle était rassurée et heureuse d'habiter avec son fils.
- Tu te lèves tôt ce matin ! Tu as bien dormi mon fils ? dit-elle en voyant débarquer le kid de Broadway portant un caleçon hawaïen qui avait dû perdre ses couleurs il y a dix ans déjà.
- Oui merci Mama, et toi ? dit-il en se frottant le front endolori par les bières de la veille.
- Oui ça va... A part, le voisin... encore !
- Quel voisin Mama ? répondit Mendes l'air fatigué d'avance par ce qu'allait lui raconter la vieille mexicaine.
- Flores ! Celui de la maison d'en face !
- Ah encore lui... soupira André-Pierre blasé.
- Oui ! Celui qui me drague ! Moi... une femme honnête et respectable !
Puis en se recoiffant de manière coquette dans le miroir du salon, Rosa poursuivit avec un petit sourire roublard.
- Je me demande bien ce qu'il me trouve !
- Cela te fait plaisir, avoue-le, Mama !
- Ne parle pas comme cela à ta mère André Pierre !
Elle l'appelait par son prénom lorsqu'elle était énervée.
- Tu sais bien qu'il n'y aura jamais personne d'autre que ton père.
- Il est mort il y a trente-cinq ans Maman !
- Et alors ? Ce n'est pas pour cela que je vais sortir avec le premier venu !
- Cela fait quinze ans qu'il se morfond en amoureux transit ce Flores ! Il doit approcher les soixante-dix ans. Il dépérit à vue d'œil à force d'attendre un signe de ta part toujours assis sur sa chaise en face de chez nous. Tu es cruelle Mama !
- Je ne suis pas encore prête ! S'il me veut vraiment, il m'attendra ! dit-elle arborant le même petit sourire allumeur en finissant de se recoiffer.
Le lieutenant en culotte courte du matin voulait changer de sujet. Il désirait lui faire part de son départ pour la France. Elle qui avait toujours rêvé de visiter Paris sans jamais avoir eu les moyens de faire le voyage... Comment allait-elle réagir ?
Avec sa délicatesse légendaire, il prit la décision de ne pas tourner autour du pot et de lui annoncer brutalement.
- Maman, je pars pour Paris demain.
Un long silence occupa soudainement le minuscule salon. Le regard de Rosa, devenue muette, parcourut lentement la pièce qui ressemblait à un petit bout désuet de Paris.
Il y avait une petite tour Eiffel dorée et toute moche sur le vieux buffet. A côté de la télé, trônait une boule qui faisait tomber de la neige sur un arc de triomphe en plastique lorsqu'on la remuait.
Dans un cadre accroché au mur, on pouvait voir une photo d'Edith Piaf découpée d'un magazine.
Bref, cela sentait la misère et l'ennui. C'était sa vie entre une réalité difficile et les mirages d'un rêve Français inaccessible.
Elle resta abasourdie pendant un moment. Puis, elle se laissa tomber de tout son poids sur une chaise et attrapa au passage la boule à neige de ses mains de septuagénaire parsemées de taches de vieillesse. La femme coquette et aguicheuse avec le voisin parût soudainement fragile et chancelante.
Elle secouait et regardait le petit Arc de Triomphe parsemé de bouts de plastique en guise de neige et se mit à pleurer. Mendes s'en voulait de la mettre dans cet état. L'estomac noué, il prit la parole.
- Mama, je suis désolé, je sais que c'est ton rêve depuis toujours. Et, je sais aussi que tu voulais par-dessus tout y aller avec moi, dit le fils unique en s'approchant d'elle pour la prendre dans ses bras.
Comme elle ne disait rien, il continua :
- Ne pleure pas Maman, s'il te plait. J'y vais pour le travail, je ne vais pas avoir de temps pour le tourisme tu sais.
- Mais je pleure de bonheur André-Pierre !
Mendes la regarda, étonné.
- Je suis heureuse car mon fils va enfin connaître la France ! Je me moque de ne pas y aller avec toi. J'aurais préféré t'accompagner bien-sûr. Mais, de savoir que toi, mon fils, tu vas découvrir ce pays... Mon cœur est rempli de joie !
- Je t'aime Mama tu sais ?
- Moi aussi je t'aime mon fils ! J'ai de la chance de t'avoir. Je ne te le dis pas souvent mais je le pense réellement.
Si tu pouvais juste un peu assouplir la carapace que tu portes et t'ouvrir un peu plus aux gens, comme tu le fais avec moi... Ta vie en serait encore plus riche.
Mais, vu ce que tu as vécu, ton père, ta femme... je comprends que tu veuilles te protéger.
Excuse-moi fils, je m'en voudrai toujours de ne pas avoir pu t'apporter l'environnement que tu méritais pour grandir.
- Arrête Maman, je ne pouvais pas espérer meilleure mère que toi. Tu vas pouvoir t'en sortir seule pendant mon absence ?
- Oui pas de problème. Et si j'ai besoin de quelque chose, je demanderai au voisin Flores que tu aimes tant !
Les deux échangèrent un sourire complice et se prirent mutuellement dans les bras. Puis, Rosa se releva pour remettre la boule à neige à sa place en boitant légèrement comme à son habitude et changea de sujet.
- Depuis hier en revanche, il se produit des choses étranges. En ouvrant la fenêtre pour aérer, un gros bourdon...Enfin je crois que c'était un bourdon... est entré dans la pièce. Il en a fait le tour, mais sans se cogner sur les murs comme le font habituellement ce genre de bestioles. Puis il est resté devant mon visage. On aurait dit qu'il me regardait dans les yeux et enfin... il est reparti, comme il était venu, par la fenêtre.
Puis, en montrant un vieux pc de bureau encombrant sa chambre elle poursuivit :
- Et, cette nuit, ce fût l'ordinateur. Il s'est allumé à deux heures du matin alors que j'étais persuadée de l'avoir éteint hier soir avant de me coucher.
Quel que soit la source de ces évènements rapportés par sa mère, le fils prodigue savait qu'il devait s'inquiéter. Si ces incidents étaient réels, ils étaient étranges et peut-être liés à l'affaire Mallet. Dans le cas contraîre, cela voulait dire que sa mère déclinait de plus en plus.
Il jeta un œil à l'ordinateur. Vues ses connaissances en informatique, l'inspection fut de très courte durée. Il ne vit rien de bizarre et remonta dans sa chambre pour finir de se préparer. Il ne trouva rien de mieux à se mettre qu'un bermuda et une chemise hawaïenne.
L'accoutrement du parfait touriste pour pouvoir brouiller les pistes, pensa-t-il.
Après avoir terminé son sac, il était prêt à partir.
- Aller au revoir mon fils ! Envoie-moi une petite photo de toi devant l'arc de triomphe, une autre avec la tour Eiffel et aussi une dernière avec le moulin rouge !
- Rien que ça ! dit Mendes en la serrant à nouveau longuement dans ses bras pour l'embrasser.
Il sortit enfin et ferma la porte fragile de la petite maison derrière lui. Il eut la brève impression qu'il n'allait jamais revoir sa mère.
Mais gardant son humour noir, il salua avec un petit sourire en coin le voisin d'en face sur sa chaise en marmonnant :
C'est ta chance Flores ! Elle est prête !
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