Mercury 1971
Comme le dit toujours ma mère :
Les chemins retour paraissent toujours plus rapides que les allers,
pensa le Chicanos au volant de sa Beetle
Cela se vérifiait encore une fois pour Mendes. Il entrait déjà dans San Leandro alors qu'il pensait avoir quitté la Men's Central Jail depuis peu de temps. Il faut dire que son esprit repassait en boucle l'entrevue avec l'assassin de son père depuis son départ. Mais, en repassant sur l'Oakland Bay Bridge, l'image de Connelly et l'affaire Mallet lui revinrent instantanément. Tout cela n'était pas clair. Le baveux chevelu du CEO d'Alice Corp. avait réussi à écourter l'entretien une première fois mais, le mexicain n'avait pas dit son dernier mot. Il n'avait pas l'habitude de lâcher une piste comme cela, surtout lorsqu'il s'agissait de sa dernière. Et puis ce bout de papier avec indiqué "Sainte Alliance"... Que voulait-il bien vouloir dire ?
Encore un truc mystique de ces bobos intoxiqués au haschich, au quinoa et au lait de soja, pensa-t-il.
- Allo ? Mon cher Karl ? Tu m'entends ?
- Oui mais qui êtes vous ? Et pourquoi m'appelez vous aussi tard ?
- C'est Mendes, tu ne te souviens pas depuis hier ? Ton meilleur ami ! Le lieutenant de police !
- Que me voulez vous lieutenant ? Je ne veux pas vous parler. Veuillez contacter directement mon avocat, je vous prie.
- On ne va pas perdre de temps avec ton pote Emmett le doc de "Back to the Future" ! Écoute, j'aimerais bien revoir encore une fois avec toi ta déclaration. J'ai l'impression que tu ne m'as pas tout dit, je me trompe ?
- Mais de quel droit me tutoyez-vous d'abord !
- Ok l'irlandais, je vais le dire autrement. Si son altesse, le prince consort, roi des Geek, voulait bien se donner la peine de venir rapidement avec la DeLorean de son baveu, nous redonner quelques détails dans notre humble commissariat, ce serait un honneur pour nous !
- Je vous ai tout dit lieutenant !
- Allez, rendez-vous demain matin à huit heures. Si tu es sage je t'offrirai un café. Mais pense tout de même à venir avec une petite valise au cas où on te garderait, ok ?
- Vous plaisantez Mendes ?
- A moitié, Connelly... à demain ! Dormez bien ! Conclut André Pierre avant de raccrocher.
Si il arrive à dormir avec ce que je lui ai mis, il aura de la chance ricana intérieurement le mexicain.
Pris dans les embouteillages de sortie de boîte de nuit, le klaxonne de la vieille Beetle rugit soudainement :
- Aller !! Puta Madre ! Avance le Chicanos avec ta Mercury de mierda ! C'est à cause de toi que nos frères ne trouvent pas de boulot !
Il ne reçut pour unique réponse qu'un doigt d'honneur boudiné levé par la fenêtre conducteur.
Énervé par Connelly, fatigué par le mini road trip en Coccinelle, le flic senteur tacos, mît brutalement son gyrophare bleu pétant sur son toit et lança sa sirène.
L'effet fut immédiat. L'homme à la Mercury, visiblement habitué à se faire arrêter, n'insista pas et se rangea sur le bas-côté.
Le trottoir, encombré de prostituées et d'hologrammes rabatteurs de boîtes de nuit, se vida instantanément. Même les chariots autonomes africains, vendant à la sauvette des Golden Gates chinois en plastique dorée, s'étaient évaporés.
Le pourfendeur des frères mexicains dégradant l'image de la communauté sud américaine aux US, ouvrit la porte grinçante de la vieille allemande et posa les semelles crottées de ses santiags sur le macadam souillé de préservatifs usagés. En poussant un soupir de fatigue digne d'un septuagénaire mettant ses chaussettes le matin, il s'agrippa à la carrosserie et sortit la tête haute. Il sortit son insigne pour le mettre à la ceinture et s'approcha de la Lincoln-Mercury de mille neuf cent soixante et onze rétrofitée en propulsion électrique.
- Alors comme cela on insulte ses frères ?
- Je me promenais Monsieur l'agent, il ne faut pas être stressé comme cela ! répondit un lourdo basané dont les blinders n'étaient que décoratives vue l'heure avancée.
- C'est lieutenant... Espèce de branleur.
- Ah ok ! Depuis quand les mexicains sont lieutenants dans la police ? ricanna le gros plein de soupe.
- Depuis qu'ils se sont mis au boulot... Tu vois ce que je veux dire ?
- Non pas du tout.
- Et bien, c'est bien cela le problème ! gronda Mendes avant de sortir son téléphone.
- Tu ne vas tout de même pas me verbaliser frère !
- Je vais me gêner... répondit le flic en s'y reprenant à trois fois avant d'arriver à lancer l'application du SFPD.
- C'est déjà assez difficile de travailler toute la journée pour nourrir ma famille, si on ne peut plus se détendre le soir venu !
- C'est quoi ton boulot ?
- Je fais passer des castings aux humanoïdes pour le Big Bazar.
- C'est quoi ça : le Big Machin ?
- Vous ne connaissez pas ? C'est la boite de nuit à côté du Hustler.
- Oui je vois maintenant, mais c'est un bordel !
- Non, c'est une boite d'entertainment plutôt..
- D'enterre quoi ? Bon aller... J'ai assez perdu mon temps avec toi.
Soudainement un hologramme de formulaire jaillit du smartphone couleur tacos et se projeta devant les yeux du directeur de casting pour accouplement bionique.
- Quoi ? Trois semaines de stage sur la grandeur de la culture mexicaine... Mais c'est pire que la tôle ! Vous ne pouvez pas me faire ça !
- Si si, cela va ouvrir tes chakras ! Aller, file avant que je change d'avis et que je transforme la sentence en trois semaines de stage intensif sur la "sodomie facile pour les membres de gangs" à la "prison d'Etat de San Quentin".
Le gros lard ne demanda pas son reste et démarra en trombe au volant de sa vieille américaine bardée de néons de toutes les couleurs.
* * *
Après avoir raccroché le téléphone, Connelly fixa les illuminations de la baie à travers l'immense baie vitrée de sa villa obscène.
Oh bien-sûr, il aurait aimé pouvoir redonner cette baraque et tout le reste de sa fortune pour revenir en arrière, revivre le petit moment où tout a chancelé.
Je ne sais même pas dire à quel moment tout a basculé...Aurais-je dû accepter la stratégie utopiste de Mallet et transmettre sa technologie au monde sans en tirer un seul kopeck pour sauver Alice Corp. ? Cela n'aurait pas empêché ces intégristes catholiques de mettre le nez dans nos affaires.
Aurais-je dû tout dire au sujet de cette Sainte Alliance à la troupe de Stan et Mendes ?
D'ailleurs, je ne sais rien d'eux... A part quelques traces laissées dans le code de Titan et ce que mes ingénieurs ont pu trouver sur le Dark Metavers... rien de bien précis.
Les pensées de l'irlandais milliardaire déchu furent interrompues par des cris issus d'un drone cargo-bus rempli de locataires d'une maison de retraite. Les vieux, venus admirer le Golden-Gate by night, avaient mal choisi leur jour. Le vent violent, soufflant ce soir-là sur la baie, déstabilisait la machine volante autonome. Les trous d'air succédaient à de brutales embardées latérales. Même si les algorithmes stabilisateurs faisaient leur travail, certains n'allaient sûrement pas réchapper à la visite au grand plaisir du fond de pension de leur ancienne entreprise.
Mais le drone disparut derrière les collines. Connelly repiocha une dragée d'amphétamine avant de reprendre sa réflexion.
Je ne sais même pas ce qui les effraie chez Phoebe. Il s'agît là encore d'une preuve de mon manque de talent par rapport à mon demi-frère Alain.
Contrairement à moi, il était le digne héritier de notre père lui par contre. Le pater avait bien fait d'aller engrosser la mère Mallet pendant l'une de ses nombreuses missions en France. De toute manière, ma pauvre mère sombrait déjà dans l'alcoolisme... Et dire que Mallet n'en n'a jamais rien su. Avec tout le pognon que mon père à donner à sa mère pour l'élever, il aurait fallu en plus que je lui donne la moitié de la fortune du vieux ! Jamais !
Cette fois-ci, ce fût la sonnette de la villa qui extirpa le fils prodigue de sa réflexion.
Connelly se dirigea vers l'interphone et afficha l'image de la caméra 3D implantée sur le montant du portail de la somptueuse villa.
Un homme grand, brun en costume noir se tenait seul devant la grille. Typé italien et les cheveux noirs balayés par le vent, il regardait fixement la caméra.
- Bonsoir, que voulez-vous si tard ? Qui êtes-vous ?
A cette question ouverte, Connelly reçu la réponse qu'il craignait :
- Bonsoir, Monsieur Connelly. Vous savez très bien pourquoi je suis là. Ouvrez-moi, merci.
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