Love Story
- Ah John ! Mon directeur de l'ingénierie préféré ! Comment vas-tu ?
- Vous n'en n'avez qu'un Monsieur Connelly.
- Cela n'empêche que tu peux être mon préféré, non ?
L'expérience "Love Story" avance-t-elle comme prévu ?
- Oui, le rapprochement des deux sujets progresse rapidement, conformément au planning que nous avions construit.
- L'IA possède-t-elle toutes les connexions nécessaires pour agir sur leur environnement extérieur ?
- Oui nous connectons en ce moment même certaines rompues par des évolutions logicielles sur les infrastructures de la ville, mais la majeure partie des liens fonctionne.
- Rappelez-moi le terrain d'action possible ?
- L'algorithme peut agir sur la signalisation routière : feux rouges, panneaux lumineux sur les autoroutes et dans la ville, publicité sur les abribus, ... pour n'évoquer que le domaine public.
- Mais ce n'est pas tout ?
- Non effectivement, des connexions existent avec les banques, les appareils électroménagers, les télévisions, les automobiles et, bien-sûr, tous les ordinateurs, webcam et autres assistants personnels.
- Tout ce programme doit rester ultra confidentiel vous le savez.
- Je le sais, monsieur.
- Où en est le rapprochement des deux sujets alors ?
- Depuis la rencontre dans la station service, la femme est en train de se séparer de son mari ce qui est un gros jalon de passé. L'homme, lui, ne l'a toujours pas annoncé à son épouse. Il veut peut-être garder une bouée de sauvetage au cas où.
- Ah les hommes, soupira Connelly, ils ne changeront donc jamais...
- Le projet a encore progressé fortement hier. Ils ont dîné avec les enfants de madame à son domicile.
- Bravo ! Cela valait le coup de tenter cette expérience, s'exclama Connelly enjoué. Imaginez le marché potentiel d'un tel algorithme ! Tous les célibataires de la planète vont se l'arracher. J'imagine déjà la plaquette commerciale :
" Vous recherchez l'âme sœur ?
Mme Claude, notre conseillère nuptiale s'occupe de tout. De la sélection de votre promise, jusqu'à l'organisation d'une rencontre fortuite. Vous n'aurez qu'à vous laisser guider par les événements jusqu'à la concrétisation de votre idylle."
- La partie sélection de l'algorithme fonctionne bien aussi. C'était une riche idée de prendre les employés d'Alice Corp. et leur famille proche comme échantillon de test, poursuivit le CEO qui ne s'arrêtait plus.
- J'ai tout de même quelques remords au sujet des deux familles détruites avec cette expérience. Nous aurions peut-être dû rester sur un échantillon de sujets célibataires dit l'ingénieur titillé par sa conscience.
- Mais la compatibilité était moindre n'est-ce pas ? répondit Connelly qui lui avait perdu la sienne depuis longtemps.
- Oui effectivement.
- Ce couple était de toute manière en pleine crise de la quarantaine. Nous n'avons fait que précipiter ce qui allait arriver de toute manière. Ce n'est pas nouveau mon vieux, ce phénomène est le produit de notre société individualiste et de la durée de vie qui augmente. Les quadra sont encore jeunes et se projettent sur le temps qui leur reste à vivre en bonne santé. Individualistes et éternels insatisfaits, ils se demandent s'il ne peuvent pas trouver une meilleure vie ailleurs. Le divorce est devenu si commun. Alors ils ouvrent leur chakras, certains s'inscrivent sur des applications de rencontres adultères. D'autres flirtent entre parents d'élèves pendant que la petite fait son équitation ou en attendant le garçon à la sortie de l'école. C'est l'entropie de l'univers qui augmente là aussi. Les couples se dissocient, le modèle familial des années mille neuf cent cinquante est terminé, le désordre s'amplifie.
- On peut voir les choses comme cela effectivement monsieur Connelly répondit l'ingénieur.
- Quels sont leurs noms déjà :
- Cécile Martin et Laurent Bachellerie.
Ah oui merde je me souviens maintenant... C'est la femme du collègue de Mallet. Quelle coïncidence malheureuse. Il n'a vraiment pas de chance celui-là... pensa le chevalier d'industrie avant d'abréger la conversation.
- Ok Merci beaucoup John. On se tient au courant !
- Bonne journée monsieur.
Sur l'immense terrasse de sa villa, Connelly raccrocha et l'hologramme de l'ingénieur disparu de la surface de la table en marbre blanc.
La vue sur la baie était magnifique. Sa maison, comme son bureau, étaient le symbole de sa réussite sociale.
Mais pouvait-on dire que Connelly réussissait sa vie ? Sa sphère privée ressemblait plutôt au Beyrouth des années mille neuf cent quatre vingt qu'à cette superbe villa. Il était désespérément seul.
Lorsque la fin arrive, à l'aube du dernier jour, nous le sommes tous de toute manière, pensait-il pour se rassurer.
Mais, les autres trouvaient au moins une compagne ou un ami proche pour faire illusion, mettre des œillères et oublier la solitude vertigineuse des derniers instants de nos vies si fugaces. Lui n'y arrivait pas.
On sait que la déviance de nombreux tueurs en série prend source dans les actes dégradants de leur mère envers eux à leur jeune âge. Connelly lui, puisait sa froideur et sa sociopathie dans les marques indélébiles laissées par son enfance avec son père.
Le vieux Connelly s'en rendit compte sur son lit de mort. Branché à toutes ces machines qui le maintenaient en vie dans la chambre de son immense manoir, il fut glacé par la sécheresse sentimentale de son fils. Au matin du jugement dernier, il aurait voulu lui exprimer l'amour qu'il lui avait porté à sa façon. Mais il était trop tard. Les tuyaux dans sa gorge rendaient impossible toute communication et son fils n'aurait rien voulu entendre de toute manière. Alors il pleura.
Le CEO d'Alice Corp. n'avait jamais vu pleurer son père auparavant. Il ne sut pas comment réagir. Ce n'était pas codé dans son logiciel reprogrammé par tant de brimades paternelles accumulées au fil des années.
Lorsque se firent entendre les sonneries stridentes des moniteurs cardiaques, synonymes de l'infarctus fatal à son géniteur, l'irlandais ne fît rien. Il ne prévint personne. Il regarda les larmes couler sur les joues de son père sans aucun geste de tendresse envers lui. Froid et impassible, ce fut la dernière image qu'eut le père de son fils.
Alors, vous pensez... Réduire en cendre la vie conjugale de Stan ne le choquait pas plus que cela. Il n'y avait ni revanche, ni plaisir, c'était un "non sujet". Il ne pouvait s'imaginer ce que ressentait le français qui lui, voulant par-dessus tout vivre en tribu, était son opposé social.
L'irlandais revint à la réalité lorsque son téléphone sonna une nouvelle fois.
- Bonjour Titan, alors comment va le chef de ma garde rapprochée préféré...
- Je suis flatté, merci monsieur répondit le robocop un peu limité cérébralement qui n'avait pas reconnu la malice du Chief Executive Officier.
- Où sont-ils en ce moment ?
- Ils sont à Vegas.
- A Vegas ! Ils font le tour du monde ou quoi ?
- On les soupçonne d'avoir récupéré ce qu'ils cherchaient à Paris. Mais effectivement, nous ne savons pas ce qui les amène au Nevada.
- Il faut récupérer cette IA à tout prix, vous le savez Titan !
- Oui c'est notre unique préoccupation Monsieur. Toutes nos équipes sont mobilisées. Nous vous tenons au courant.
- Ok Titan, mais je veux des résultats rapides cette fois-ci. Le futur de notre chère Alice Corp. en dépend. Sans le sursaut économique procuré par cette IA, nous allons mettre la clé sous la porte.
- Une dernière chose monsieur si vous le permettez.
- Oui quoi encore ! répondit le british dont le ton virait vers la case "énervement".
- Il semble que nous ne soyons pas les seuls sur le coup monsieur.
- Comment ça ?
- Je ne sais pas encore avec précisions mais, des signaux étranges captés par nos insectes cybernétiques nous inquiètent. Je vous en reparle dès que cela deviendra plus précis.
- Ok je veux un rapport quotidien Titan vous entendez ?
- Bien monsieur.
Connelly rentra inquiet et furieux dans la villa. Une grosse averse de pluie commençait à s'abattre sur la ville, ce qui n'était pas arrivé depuis l'année dernière...
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