La révélation
La technologie emprisonne l'homme. La voiture a apporté la mobilité, mais depuis, tous les hommes ont voulu une voiture. Les villes ont été modifiées pour et par les voitures... La rupture technologique a emprisonné l'homme et a modifié son environnement. Et il en est de même pour toute révolution technologique, pensa Stan.
Il fit signe à l'humanoïde occupée à proposer les refill de café !
- Un bacon breakfast ! S'il vous plaît Madame.
Il se surprit lui-même à dire Madame à une machine.
- Merci, Monsieur est courtois ! Œufs brouillés ou sur le plat ?
- Brouillés s'il vous plaît.
Il pensa alors à regarder la carte routière sur son smartphone. L'application lui calcula les prochaines bornes de recharge possibles.
Le dernier tronçon du chemin empruntait la California One. Il se réjouissait d'avance du paysage, surtout qu'avec le mode Éco de l'électrique il allait avoir du temps pour en profiter.
Par contre, aucune borne de recharge sur cette route mythique.
Il allait devoir absolument recharger avant.
- Voilà beau gosse ! dit la machine à qui on avait appris à le langage milieu avec les clients
Il commençait à engloutir sa purée de pommes de terre et ses œufs brouillés lorsque son téléphone vibra. Il ne s'agissait pas du téléphone prépayé mais le sien, son téléphone personnel.
Il fut agréablement surpris de voir qu'il s'agissait d'un message de la plus petite de ses filles : Marie.
Papa ! Maman m'a donné un vieux téléphone ! Tu peux maintenant m'envoyer des messages sur ce numéro !
Stan sourit en réalisant que le temps inarrêtable courait sans que l'on puisse le ralentir.
Puis, sans même avoir le temps de répondre, un second message arriva.
Papa y a t'il toujours des fins aux routes ? Où vont-elles ? On n'en voit jamais le bout.
Il était écrit à la manière d'une petite fille de sept ans, c'est-à-dire, parsemé de cœurs et d'emojis câlins. Mais la profondeur de son sens fit chavirer Stan.
Avec tous les décès de ces derniers jours dans son environnement proche, l'allégorie bouleversante était évidente.
Il trouva tout de même l'énergie de répondre à la petite fille :
Ah ça ! C'est une longue histoire mon amour, je t'expliquerai quand on se reverra.
Puis, un troisième message arriva presqu'instantanément :
Mais on se reverra quand du coup Papa ? Car Maman me dit que l'on part demain pour la France !
La détresse dépressive du français se transforma instantanément en colère noire.
Il répondit :
Comment ça vous partez ? Je ne savais pas ! J'appelle Maman tout de suite. Je vous aime mes chéries et je vous embrasse fort !
Le père énervé appela instantanément la mère adultère.
- Allo Cécile ? Tu ne peux pas faire ça !
- Bonjour Stan, oui je vais bien merci et les filles aussi, vu que tu le demandes si gentiment et que cela a l'air de te tracasser...
- Arrête tes sarcasmes ! Marie vient de me dire que vous partiez définitivement en France ?
- Tu ne donnes plus de nouvelle mon cher, je supporte toute la charge et les filles ne savent même plus si elles ont un père. Cela ne va rien changer finalement.
- Tu n'as pas le droit ! Ce n'est pas en partant à neuf mille kilomètres que je vais pouvoir passer du temps avec elles ! Elles ont besoin d'un père !
- Il fallait t'en rendre compte avant ! Tu n'auras qu'à venir les voir... ou rentre en Europe toi aussi !
- Mais mon travail est ici ! Tu sais bien que je n'ai que cela pour vivre. Tout le monde ne peut pas avoir les comptes pleins grâce aux héritages.
- Bon il faut que je te laisse Stan, dit Cécile en raccrochant.
- Cécile ! Cécile ! Tu ne peux pas faire ça. S'il te plait, écoute moi, c'est déjà assez difficile pour tout le monde en ce moment...
Mais personne ne répondait plus au père isolé en détresse. Il lança son téléphone sur le bar. Un peu trop fort car celui-ci parti en aquaplaning sur le zinc quand, soudain, il fût arrêté par une grosse paluche poilue. La grosse chevalière qui ornait un annulaire de la taille du pouce de Stan, tapa contre le métal du bar pour attraper le smartphone. Le français eut juste le temps de distinguer deux clés décussées dont les mécanismes étaient pointés vers le ciel. Il ne le savait pas mais elles étaient le symbole de la remise des clés par le Christ à l'apôtre Pierre. Surmontées du trirègne ou tiare, celle de droite, en or, évoquait le pouvoir sur le royaume des cieux tandis que celle de gauche, en argent, indiquait l'autorité spirituelle de la papauté sur terre. Les poignées en bas, dans les mains du vicaire du Christ, et unies par deux cordons à galons rouges les unissant pour symboliser le lien entre les deux pouvoirs, elles formaient l'insigne officiel du Saint-Siège.
Mais tout cela, le français ne le savait pas bien-sûr.
- Quelque chose ne va pas ? dit d'une voix grave le type à la chevalière.
L'ex. de Cécile leva le regard et se dit rapidement qu'il avait déjà vu la tête de ce type quelque part. Sans pouvoir raccorder les morceaux, il répondit :
- Une sombre histoire de couple comme il y en a des millions.
Azraël, car il s'agissait bien de lui, avait finalement accepté cette ultime mission. A son âge, l'ange de la mort ne croyait plus guère aux promesses mais, il devait bien ce dernier service à son maître.
Il avait donc roulé une partie de la nuit entre San-Francisco et Vegas pour retrouver la trace du Français.
Ne pouvant intervenir dans le vieux casino infecté d'Helter-Skelters, il l'avait attendu au Venetian puis retrouvé à son passage sur le Strip.
Après avoir suivi sa cible jusqu'ici, il s'était garé assez loin sur le parking et observa longuement le français à l'allure attachante se mélangeant les pinceaux entre la prise électrique et son vieux téléphone. Il fit alors une chose inédite en trente ans de service : il se dirigea vers le dining pour en savoir un peu plus sur l'objet de son ultime méfait.
- Merci beaucoup, dit le français.
L'engin, décidément designé pour l'aquaplaning sur zinc, avait parcouru, en sens inverse, les deux mètres cinquante séparant les deux hommes.
- Dieu merci, je n'ai jamais eu ce genre de difficultés déclara l'ange de la mort.
Stan regarda alors l'homme d'un air interrogatif.
- Je suis serviteur de l'église catholique.
- Une sorte de prêtre, c'est cela ?
- Oui si vous voulez. En tout cas, engagé assez profondément pour faire voeux de chasteté.
- D'où votre chevalière, n'est-ce pas ?
- Oui, vous avez l'œil à ce que je vois.
- J'ai toujours admiré les hommes ayant la force de caractère de faire don de leur vie à une cause. Que cela soit les humanitaires, les médecins ou les hommes d'église... Leur engagement mérite notre reconnaissance à tous
S'il savait... pensa l'italien avant de répondre
- Être un bon père et dédier sa vie à sa famille est aussi un sacerdoce et une œuvre méritant autant de louanges ne croyez vous pas ?
- S'il vous le dites. Mais je crois que, même cela, je n'y suis pas arrivé.
- Je suis sûr du contraire répondit le moine avec un sourire poli avant de poursuivre. Qu'est-ce qui vous amène ici, en plein désert avec cette vieille bagnole électrique alors que l'on dirait que votre famille vous attend ?
Stan, le regard aspiré par le smartphone acrobate qu'il faisait tourner sur le métal devant lui, répondit en soupirant.
- Si vous saviez... C'est une très longue histoire.
- Ah... Je ne vais pas vous infliger le cliché du curé confesseur mais, si vous voulez soulager votre âme, n'hésitez pas.
Le froggie immigré répondit par un sourire affichant son hésitation. Puis, il relata toute son histoire avec Cécile du début à la fin. De l'annonce brutale à la vision de sa femme avec un inconnu flirtant sur un banc de jardin public.
- Je ne peux imaginer dans quel état on doit se trouver à cet instant précis, remarqua l'italien pensif.
Mais sentant bien que l'atmosphère devenait trop morose et, voyant l'ange de la mort loucher sur ses œufs brouillés, Stan remis un peu de second degré dans la conversation :
- Je vous conseille le breakfast au bacon, c'est une belle découverte. Ils sont à se damner... enfin si je peux m'exprimer ainsi, dit-il en regardant l'homme d'église avec un petit regard malicieux dont il avait le secret.
- Je vous remercie, mais j'ai déjà déjeuné. Ce serait par gourmandise et c'est un péché vous le savez, répondit Azrael en souriant tout en sentant encore la morsure du cilice sur sa cuisse.
Au bout de plus d'une heure de discussion New-Yorkais adepte de sévices taillandais, se surprenait à entrer en sympathie avec ce Stan. Il sentait bien que l'homme assis à côté de lui n'était pas l'ennemi machiavélique de l'église comme l'avait décrit le cardinal.
Il s'agissait là d'un honnête père de famille pris dans un engrenage qui le dépassait ; un homme à la vie si proche de celle dont il avait toujours révé. Il aurait voulu discuter des heures avec lui. Il y voyait une sorte de formation accélérée préparant son propre futur une fois sortie des ordres. Même si malheureusement, la mort de ce français était la clé de cet avenir tant désiré.
Mais, le ton changea lorsque le récit de sa vie conjugale fût terminé. Machinalement, porté par l'ambiance de cette discussion pseudo-amicale, Stan aborda un tout autre sujet.
- Mais, mon père, ma vie familiale n'est pas la raison de ma présence ici.
- Ah bon ? Vous me rendez curieux Stan.
- Avec des amis, nous nous sommes laissés entraîner dans une histoire qui n'était pas la nôtre et qui nous a dépassé.
- Ah mince, mais quel genre d'histoire ? Un trafic quelconque ? Si vous êtes recherché par la police, ne vous inquiétez pas. L'église ne fait jamais de délation.
Le français, en confiance, poursuivit :
- Non... rien d'illégal dans notre histoire. Un vieil ami à moi est mort laissant derrière lui une découverte qui intéresse beaucoup de gens.
- Le suspense est insoutenable ! répondit en souriant le grand brun de sa voix grave faussement naïve.
- Mon ami a mis au monde quelque chose de révolutionnaire.
Le regard noir et perçant d'Azraël fixaient Stan lancé dans son histoire :
- Une sorte de madone des ordinateurs ! Si je devais employer une image qui vous parle à vous, homme d'église, je dirais qu'il s'agirait là d'une prophète !
- Allons voyons, vous savez bien que tous les prophètes sont déjà connus et assez nombreux, répondit le moine dont le temps changea brutalement.
- Oui pour les hommes. Mais imaginez : un ancien testament des machines, un Dieu créateur, une prophète et des apôtres comme moi, ayant assisté à tout et propageant des évangiles.
Les mots qu'il venait de proférer raisonnèrent dans la tête de Stan. Bien qu'ayant déclamé cette phrase une seule fois, elle se répétait encore et encore dans son crâne de quinqua. Tout était devenu clair pour lui en une fraction de seconde. L'église ne pouvait supporter l'existence de Phoebe. Lui, Stan était devenu seul dépositaire de sa parole. Et, l'homme en face de lui, était certainement le bras armé ayant pour mission de le supprimer.
Il eut un brusque mouvement de recul amplifié par la vision d'un Azraël dont le faciès trahissait une montée de violence soudaine.
Le fils d'immigrés italiens attrapa la main de l'ingénieur d'Alice Corp. et, sous l'action probable de la nouvelle sympathie pour Stan, lui laissa un sursis inédit en trente ans de carrière :
- Je te laisse une heure d'avance.
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