L'irlandais [New Version]
- Titan ne vous a pas trop effrayé j'espère ? C'est un succès commercial. Depuis qu'il a été rendu célèbre par une vidéo où il se promenait en garde du corps du roi de Bahreïn, tout le monde se l'arrache. Il est fabriqué sur des anciennes chaînes de montage GM à Detroit. C'est bon pour les emplois américains en plus !
- Non pas de problème ! C'est plutôt votre boîte de conserve qui a eu une frayeur, dit Mendes en ricanant.
Mendes était finalement arrivé jusqu'au bureau du boss. Après avoir redécouvert qu'un ascenseur pouvait lui boucher les oreilles, il surgit dans un hall d'accueil où tout était maculé de blanc. Le mobilier en bois laqué blanc se reflétait dans un sol en marbre brillant issu des mines de Yule. Des palmiers de cinq mètres de haut trônaient au milieu de l'espace qui devait bien faire plus de cinq cents mètres carrés. Une statue grecque représentant un apollon négligemment nu adossé à un tronc d'arbre offrait une touche artistique et anachronique. Tout autour, en périphérie, les vitres descendaient jusqu'au sol et offraient une vue à trois cent soixante degrés sur la Silicon Valley.
Mendes eut à peine le temps de décliner, avec entrain cette fois-ci, son identité à une superbe secrétaire blonde portant un tailleur jupe aux couleurs de la société, que le PDG ouvrait déjà la porte de son bureau en le priant d'entrer.
- Bon, mais vous n'êtes pas venu pour discuter de mon garde du corps, venez, asseyez-vous Lieutenant, je vous en prie !
- Merci Monsieur... Connelly c'est cela ?
- Oui c'est cela. Un patronyme hérité d'une longue lignée irlandaise. Vous voulez un scotch ?
- Non merci, jamais pendant le service, Boss ! répondit le flic un poil insolent et droit dans ses bottes de cow-boy.
- Mais, vous pouvez m'appeler Karl, dit le CEO qui faisait partie de cette nouvelle race de chef d'entreprise voulant changer le monde en basket et tee-shirt tout en tutoyant tout le monde.
- Et vous Lieutenant quel est votre prénom ?
A cette question, vous pensez bien que Mendes ne répondit pas "André-Pierre".
- Ce sera : « lieutenant Mendes » s'il vous plaît.
- Ok comme vous voudrez ! répondit l'irlandais arborant une grimace surprise.
- Comme vous devez le savoir, un corps vient d'être retrouvé dans un des lacs de votre complexe.
- Oui, on vient de me faire part de cette tragique histoire.
- Le nom du défunt est un certain : Alain Mallet. Vous le connaissiez bien ?
- Alain... Comment dites-vous ? répondit le CEO d'un air circonspect qui étonna le lieutenant.
- Mallet... Alain Mallet répéta Le Chicanos.
Le nom d'origine française est plus facile à prononcer par un hispanique qu'à comprendre par un américain de souche irlandaise. Mais tout de même, cela semblait surjoué, pensa le flic.
Mais Connelly se reprit et poursuivit :
- Ah oui bien-sûr ! Je le connais un peu. Il avait la charge d'un programme de recherche sur l'application de l'IA aux véhicules autonomes.
Mendes, écoutait religieusement, assis, recroquevillé sur sa chaise pour prendre des notes sur un petit calepin à spirales. Le contraste était saisissant avec l'irlandais, grand blond, affalé sur son fauteuil énorme en cuir, le faisant tourner de gauche à droite, les yeux levés vers le plafond comme s'il dictait un mémo à sa secrétaire.
- Il m'a toujours fait l'impression d'être de ce genre de vieux cadres qui disent constamment : c'était mieux avant. Ce n'est pas avec ces gens-là que l'on fait avancer une boite qui veut marquer le monde.
- Il était dépressif selon vous ?
- Possible...vous pensez qu'il se serait suicidé ?
- Nous n'en savons rien pour le moment. Il n'avait plus ses chaussures, il était en chemise et elle était déchirée. C'est un peu troublant pour une personne qui veut se suicider, vous ne trouvez pas ?
- Vous savez ici, on a de tout. Je suis surpris tous les jours par les comportements de nos ingénieurs. Nous recrutons les meilleurs sur tous les axes de la révolution digitale : IA, blockchain, 3D printing, objets connectés, technologies spatiales...Cela donne une population très atypique.
- Mais il semble que les recherches de Mallet étaient le fleuron de votre société. On en voit de nombreux posters sur les murs ici et on ne peut pas se promener dans les allées sans croiser une voiture autonome. "Humanity" c'est bien cela ? C'est le nom que l'on voit sur ces véhicules.
- Oui Humanity est un projet important pour notre société. Injecter de l'IA dans une voiture va révolutionner les transports. Mais ce n'est que l'un des nombreux sujets sur lesquels on travaille ici.
Mendes, en écoutant le CEO, comprit qu'il connaissait bien plus Alain Mallet qu'il avait bien voulu le dire au début de l'entretien.
Mais soudain, un seul coup, un homme à la mine patibulaire, crâne rasé, costume noir, entra dans le bureau sans frapper.
Connelly, d'un air directif et beaucoup moins urbain que celui qu'il employait avec Mendes, dit :
- Non ! Pas maintenant Igor, sortez !
L'homme referma la porte aussitôt et l'Irlandais reprit son ton presque mielleux :
- Veuillez excuser cette intrusion lieutenant. C'est le plus fatigant dans mon travail, les sollicitations sont permanentes.
- Pas de problème, on porte tous notre croix, répondit Mendes en se disant que des vies plus difficiles que celle du CEO existaient tout de même.
- Pour en revenir à Mallet, il travaillait seul sur ce programme ? Il n'avait pas de collègues proches ?
- Si, il y en avait un. En fait, ils travaillaient plutôt en tandem sur ce sujet. Son compère répond au nom de Stan Martin. Un immigré français comme lui. Tous deux, attirés par le rêve américain et issus du mouvement de fuite des cerveaux de la French Tech du début du siècle.
- Et on peut le voir ce Monsieur Martin ? répondit le flic intrigué.
- Je ne l'ai pas croisé aujourd'hui. Mais c'est un peu tôt, vous savez les gens ici sont libres de leurs horaires. A huit heures trente du matin, il y a peu de monde. Si vous repassez à vingt-trois heures, vous verrez, c'est une vraie fourmilière.
- Ok, nous allons recueillir son témoignage.
- Allez-y, vous pouvez rester dans nos locaux autant que vous voudrez lieutenant Mendes. Et n'hésitez pas à profiter de la qualité de vie que nous offrons à tous nos collaborateurs...Mais je dois vous laisser maintenant car mon temps est compté.
Le CEO prononçant ces mots, montra la porte au représentant de la justice, l'invitant à sortir de son bureau d'un air limite dédaigneux voire snobe.
En se dirigeant vers la porte, Mendes se dit :
- Eh ben, si la qualité de vie ici pousse à se noyer dans un étang vaseux... Tu vas voir, le british, que je ne vais pas en profiter longtemps.
En sortant du bureau il vu la belle dactylo blonde en train de frapper, frapper et frapper encore frénétiquement son clavier et son écran.
Il s'approcha pour en savoir plus et lui venir en aide...
On ne sait jamais, sur un malentendu...tout peut arriver, pensa-t-il un bref instant laissant vagabonder son cerveau reptilien et sa libido toujours à l'affût.
- Vous avez un problème choupette ?
Eh oui, c'était sa manière de draguer à lui, il approchait les femmes en les appelant choupette. Il pensait que cela permettait de briser la glace. Ce n'avait jamais vraiment fonctionné, et pour cause, mais il ne changeait pas ses habitudes, c'était son style.
Cette fois-ci, il n'eut aucune réponse. Et la secrétaire continuait à détruire son ordinateur.
Il s'approcha un peu plus, et vit que les pupilles de la jeune fille restaient fixes. Elle tournait en boucle et répétait encore et encore ses gestes. On aurait dit un automate de Vaucanson. Les joueurs de flûte ou de tambourin n'auraient pas renié le comportement de la jeune femme.
Mendes découvrit, un poil déçu, qu'elle n'était en fait, elle aussi qu'un humanoïde dont le programme bogué tournait en boucle.
- Putain de monde où on n'est plus sûr de rien, ni à qui on parle...se dit le Chicanos, vexé d'avoir eu des pensées presque érotiques pour un truc fait de métal et de silicone.
Il sortit ensuite de l'immeuble, non sans oublier de faire un salut moqueur à son nouvel ami "Titan" en passant devant lui.
Puis, s'apprêtant à aller fumer une cigarette pour s'accorder quelques minutes de réflexion, il s'arrêta net.
Au sol ou plutôt dans la terre, à la racine d'un bosquet tout proche de la porte d'entrée de l'immeuble, on pouvait apercevoir une chaussure Nike, blanche et rouge.
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