Kennedy [New Version]



Il adorait les reflets de cette terre ocre, fine et collante, au coucher du Soleil.

Arnaud avait toujours voulu finir sa vie ici en Arizona, assis devant les parois chaudes en aluminium d'une Airstream Clipper avec son chien, un bon livre et un fusil. Il aurait pu se satisfaire du seul plaisir d'écouter le silence du désert, les yeux fermés, en respirant l'air chaud.
La seule vue des tumbleweeds virevoltant au loin entre les grappes de mail boxes figées dans le temps, le comblait de bonheur.

Il poussa brutalement le levier de sa boîte automatique sur drive, accéléra à fond pour entendre la voix rauque du V8, ouvrit la fenêtre pour sentir le vent sur son crâne et fonça en laissant le soleil couchant derrière lui.

Son long capot était prêt à mordre le macadam noir pétrole. Droit à l'infini et déchiré en son milieu de deux lignes jaunes éclatantes il proposait un chemin direct vers la méditation.
L.A. passé, sa vieille Mustang de mille neuf cent soixante-neuf, toujours fringante, semblait ruer des quatre fers entre les Mack, les Kenworth et les premiers Joshua trees sur l'Interstate Ten.
En résumé, il se sentait, comme à chaque fois, vivre libre et sans contraintes.

Il y avait plus de dix heures de route entre l'appartement de sa promise à Santa Clara et sa vieille maison de Scottsdale. Mais, le mini road trip à travers la Californie du sud et l'Arizona, leurs déserts, rodéos, Corny Dogs, hommes canon et même courses de cochons ne lui pesait pas.

- Bonjour mon amour. Tout va bien, je ne te réveille pas ?

Arnaud n'avait pu s'en empêcher. Très amoureux de Béa, il avait pris son téléphone pour l'appeler.

- Non, mais même si cela était le cas ce ne serait pas grave. Tu t'en sors à Santa Clara ? Tu trouves tes petites habitudes ?

- Oui pas de problème répondit Arnaud sans rien dire à la future mariée au sujet des dizaines de sacs remplis de canettes de bière qu'il avait jetés le matin même dans les poubelles.

- Mais quel est ce bruit de moteur que j'entends ?

- Euhh... En fait, je suis reparti à Scottsdale.

- Ah bon ?

- Oui, je t'avais dit que Stan devait passer me voir, tu te souviens ?

- C'est vrai. Quand vas-tu me le présenter enfin ce fameux Stan ?

- Bientôt mon amour, promis. Mais pour le moment, il a besoin de moi.

- Et cela t'impose de retourner chez toi à plus de sept cents miles ?

- Tout mon matériel est à la maison tu sais. Et toi ?

Stan, sentant qu'il n'allait pouvoir s'empêcher de tout raconter si la discussion se poursuivait, changea de sujet.

- Comment ça se passe à Singapour ?

- Beaucoup de boulot mais ça va. Jean-Yves est vraiment sympa avec moi.

- Jean-Yves, c'est ton nouveau chef c'est ça ?

- Oui.

- Il n'est pas trop sympa j'espère ?

- Ne t'inquiète pas Arnaud, tu es l'homme de ma vie même à l'autre bout du Pacifique. Je t'aime.

- Moi aussi je t'aime Béa. J'arrive devant la maison. Tu es déjà prête pour aller au bureau ? Les installations à l'hotel sont bien adaptées ?

- Oui, ne t'inquiète pas.

- Je te laisse alors, bon courage mon amour.

- Passe une bonne soirée, tu me manques.

Arnaud gara la vieille Ford bichonnée depuis la fin des sixties devant la porte de son garage sur Sand Hills Road.

Il était ravi d'habiter avec sa nouvelle compagne mais il cherchait toujours à préserver ces petits moments où il pouvait se ressourcer chez lui. Ce besoin caractérisait bien, selon lui, les couples de quadras ayant déjà vécu longtemps seuls avant de faire le grand saut. Béa, qui était plus jeune, avait eu du mal à le comprendre dans un premier temps. Issue d'une famille italienne, le schéma familial qu'elle connaissait était radicalement différent. Habituée à sa tribu, elle dut faire avec. Elle devait laisser cela au geek à la toison corporelle surdéveloppée si elle voulait le garder.

La petite maison était la dernière de la ville avant le désert. De sa terrasse, il avait une vue imprenable sur l'immensité aride. La future mariée ne l'aimait pas car elle la trouvait trop isolée. "S'il t'arrivait un problème, personne ne le saurait !" disait-elle souvent à Arnaud.

Arrivé devant la porte, les bras encombrés avec l'ordinateur portable d'Alain et tout son matériel informatique, Arnaud chercha les clés dans sa poche.

Il fait froid ici, j'ai dû encore oublier de fermer une fenêtre en partant, se dit-il en parlant tout seul.

Le français n'eut pas le temps de finir sa phrase.

- Ah ouais ! Vous avez fait ça bande d'enfoirés ! cria-t-il avec un flegme comparable à celui d'un gilet jaune manifestant au rond-point du supermarché du coin.

L'ex-hacker découvrit son intérieur complètement retourné. Il marcha dans tous les sens et dans toutes les pièces du rez-de-chaussée. Il observa avec effroi son canapé désossé, ses coussins éventrés, sa table de salon retournée, tous les tiroirs vidés sur le sol,...

En se précipitant dans l'escalier, il constata que les malfrats avaient sévi aussi à l'étage. Son matelas était déchiré et ses sous-vêtements éparpillés. Ils avaient même vidé les tubes de dentifrice pour vérifier que rien n'y était caché.

Il devait s'assoir et vite car il se sentait mal. Il manqua de trébucher en redescendant. L'état de la porte de la cuisine donnant sur le jardin à l'arrière de la maison fournissait une explication à la température basse régnant dans la maison. Elle avait été littéralement défoncée. La moustiquaire d'ordinaire solidaire était complètement déchirée et battait au gré des rafales de vent chaud du désert.

Arnaud prit un verre d'eau puis alla s'effondrer sur ce qui lui restait de son sofa. Il avait une vue imprenable sur ses ordinateurs et divers moniteurs tous renversés et jetés à terre.

Qui a bien pu faire cela ? se demanda-t-il
Ils n'ont rien volé on dirait. Ils devaient chercher quelque chose de précis.

Le pote de Stan ne comprenait pas. Ou plutôt, il craignait de comprendre. Tout cela aurait-il un lien avec le décès d'Alain et les petites escapades de ces derniers jours avec Stan et Mendes ?

Ils n'ont pas pu être aussi rapides à venir jusqu'ici... Ou alors cela veut dire qu'ils sont encore plus déterminés que ce que l'on pensait, pensa le geek désorienté.

Ils auraient tué Mallet et seraient venus jusqu'ici pour une IA amoureuse ? Mais ils vont aller jusqu'où ? se dit-il sentant un frisson d'angoisse lui parcourant l'épine dorsale au système pileux abondant.

Mais sans se désunir, Arnaud prit des planches, un marteau et des clous dans son garage et installa une barricade de fortune à la place de sa porte de derrière. Puis il s'attacha à rebrancher ses ordinateurs et tous ses serveurs, enfin ceux qui étaient toujours en état de fonctionner.

Au bout de plusieurs heures, il put enfin raccorder le laptop d'Alain à son réseau et lancer ses outils de recherche pour extirper le peu d'informations encore disponibles.
Il était maintenant plus de deux heures du matin et il n'avait toujours pas dîné. L'estomac creusé par les émotions, il ouvrit son réfrigérateur, malheureusement vide comme à son habitude. Il fouilla alors dans son cellier et recula brutalement en découvrant un scarabée posé sur une étagère.

- Alors toi mon pote, tu vas payer pour tout ce bordel ! dit le futur marié laissant de côté ses convictions écolos.

Il attrapa une cuillère à soupe qui trainait par là et écrasa du premier coup la bestiole qui essayait de s'échapper.

- Yes ! Cria-t-il

En observant les restes du défunt bousier, il put s'apercevoir qu'il n'avait rien d'une bête à bon dieu.

- Mais c'est quoi ce truc ? grogna Arnaud parlant tout seul sous l'effet de l'adrénaline liée au stress.

L'effet de surprise passé, il put disséquer du regard les entrailles du scarabée : un micro, un mini haut-parleur, des puces en tout genre et même une micro seringue remplie d'un produit dont il ne voulait pas connaître l'utilité.

Il doit y en avoir plein d'autres dans toute la maison, se dit Arnaud apeuré. Je ne peux rester ici une minute de plus, c'est trop dangereux.

Bip, Bip, Bip...


Un signal sonore se fit alors entendre dans le salon de la petite maison. Il s'agissait des outils informatiques qui en avaient fini avec l'ordinateur de Mallet.

Voyons ce que tu avais encore dans le ventre mon salaud ! pensa le geek amoureux du désert.

L'ex-hacker, n'ayant rien perdu de ses réflexes, parcourut les pages de résultats fournis par ses outils faits maison que lui seul pouvait utiliser. Il ferma les yeux plusieurs dizaines de secondes pour mieux réfléchir. Puis, le français prit une feuille de papier, une enveloppe et un timbre. Il voulait envoyer un message par le seul moyen ne pouvant pas être tracé par tous les scarabées ou drones du monde : le courrier postal.

Après avoir trouvé un stylo, il écrivit :

"....

Salut Kennedy, c'est De-Gaulle.

J'espère que Sin City est toujours paisible loin des Feds.

J'aurais besoin de quelques-uns de tes clusters.

Objectif : y faire nager une petite surdouée renaissante.

Contacte-moi sur mon mobile prépayé au :

(213) 509 - 6995

Embrasse Thatcher pour moi

..."

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