Introduction [Final version]




Jour zéro - Ce soir, son monde s'est écroulé.

En s'échappant de Newark, il ouvrit la fenêtre de la porte côté conducteur de l'énorme SUV électrique. Il sentait le mélange du soleil chaud et du vent froid de la baie parcourir sa nuque. L'automne était bien là, mais comme toujours dans l'ouest des Etats-Unis à cette époque de l'année, la nature ne semblait pas anticiper l'hiver qui s'annonçait.

Sous le ciel bleu immuable de Californie, il prit l'I-880 qu'il connaissait par cœur. L'emplacement de chaque nid de poule jonchant son bitume défoncé lui était maintenant familier. Apres avoir pesté une nouvelle fois sur une administration démocrate spécialiste des taxes mais incapable d'entretenir ses routes, il n'oublia pas de fermer sa fenêtre avant que les vapeurs nauséabondes de la décharge de Milpitas n'inondent l'habitacle revêtu de cuir synthétique couleur sable. Il s'enfourna alors dans Downtown San Jose. Après avoir faillit mourir encore une fois en évitant de justesses une Corvette jaune poussin doublant par la droite, il prit la sortie vers la 7 th street, bifurqua avec empressement dans la petite avenue bordée de pelouses taillées au cordeau. Downtown San Jose, comme tous les Downtown de la baie servait de refuges a quelques homeless dont les baraques de fortune, faites de bâches et de caddies Walmart, bordaient les autoroute et les parcs. Mais cela ne le dérangeait pas, il les côtoyait et ils n'étaient pas hargneux de toute façon, à son grand étonnement d'ailleurs. Une sorte de fatalité les habitait. Certains, sous l'emprise de l'alcool, de quelques amphetamines frelatées ou tout simplement de la solitude, parlaient parfois a des êtres imaginaires, seuls au monde en faisant de grands gestes. Ici, contrairement a certains pays européens ou ils auraient pu etre parquées dans des refuges, ils étaient libres de survivre la ou ils l'entendaient. Du coup deux mondes completement étrangers se côtoyaient. Les communautés sécurisées comme celle de Stan, remplis d'ingénieurs bourgeois de la Tech jouxtaient les campings urbains sauvages.

Le SUV sept places s'immobilisa sans un bruit sur l'allée donnant a la porte du garage. Pour une fois, les sifflements stridents des d'hélices des escadrilles de drones ne les couvraient pas, le quadra pu écouter quelques secondes les chants d'oiseaux numérisés émergeant des hauts parleurs fixés aux grands palmiers du parc voisin.

Une sale journée qui s'achève enfin, se dit-il heureux de rentrer chez lui.

La stabilité offerte par sa vie de famille lui permettait de surmonter le stress de batailles quotidiennes pour garder son travail. Cette ambiance, propre a la Silicon Valley, n'aurait pas été supportable sans la presence de sa famille. Il regarda une dernière fois les messages sur son smartphone, puis arrivé sur le pas de la porte, le grand brun, en veste de costume beige et jeans bon marche, leva la tête et admira le tas de planches de bois pose sur un terrain minuscule dont le prix dépassait, sans qu'il ne comprit pourquoi, le million de dollars.

Tout allait pour le mieux pour lui au bureau. La compagnie qui l'employait commençait enfin a faire de l'argent comme ils disaient ici. Il sentait bien que son couple s'essoufflait. Mais il se persuadait que cela était temporaire. Le père de famille aimait profondément sa femme Cécile depuis leur rencontre douze ans plus tôt et avait une confiance totale en la force de leur couple.

Il poussa la porte :

- Papa !

Les enfants lui sautèrent au cou comme tous les soirs.

- Tu rentres tôt, tu as passé une bonne journée ? dit leur mère en embrassant son mari comme à son habitude.

- Ça va, mais je suis content que la semaine soit terminée.

- Mets-toi à l'aise, on va bientôt dîner.

Le grand brun gravit le large escalier blanc pour monter dans sa chambre et se changer. Assis sur le lit, le parisien, immigré aux Etats-Unis il y a plus de huit ans, regarda par la fenêtre le soleil disparaitre lentement derrière les fameuses collines bordant la baie. Imaginez: la fameuse carte postale californienne du couché de soleil couleur feu bordé d'ombres de palmiers Washingtonia. Il pouvait en profiter et la contempler invariablement tous les soirs. Le genre de truc qui le faisait rêver sous la grillase parisienne et qui lui paraissait presque monotone ce soir là. Un vol de drones livreurs, encore eux, gâcha un peu plus ce bref moment de médiation contemplative. Depuis la construction de cet entrepôt à deux kilomètres, les oiseaux avaient déserté le paysage, effrayés par ces engins mécanisés volants. Alors la communauté de riverains, pragmatique comme toujours ici, proposa un enregistrement de cris d'oiseaux plutot que d'essayer de contrevenir a l'extension du business et du travail.

Il enfila son t-shirt des 49ers acheté a bas prix au Walmart de Story Road et son pantalon de jogging gris délavé.

Il est un peu pourri ce jogging,
il va falloir en commander un autre, se dit-il.
Autant que ces maudits drones servent à quelque chose pour une fois.

Puis, il repensa aux projets de sorties en famille qu'il avait imaginés pour le week-end en réfléchissant à une stratégie pour les proposer à sa femme.

En redescendant, tout était prêt. La table était mise, des tenders de poulet fermier étaient cuits et disposés dans un plat sur la table. Tout le monde l'attendait sagement assis.

La petite famille mangea en regardant toujours les mêmes émissions à la télé. A table, le père observa avec amour ses enfants. Avec sa femme, ils échangèrent même plusieurs fois des regards complices en riant aux frasques des deux fillettes. Puis, une fois le dîner avalé, la table débarrassée, les petites couchées, le mari fidèle prépara le café comme à son habitude.

C'est alors, qu'au beau milieu d'une émission ancestrale et surannée, genre "Une famille en or" ou "Jeopardy", conservée étonnement par les chaînes populaires américaines, il tenta sa chance.

- On pourrait faire une balade dans les bois vers Yosemite ce week-end avec les filles qu'en penses-tu ? Il fait beau, cela leur ferait plaisir non ?

Sa femme prit la parole et dit d'un ton monocorde :

- Stan... Je ne suis plus heureuse avec toi, je te trompe depuis quatre mois et je vais demander le divorce. Tu dois quitter cette maison qui m'appartient et te reloger rapidement...

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