Fermer les cercles
- Vous êtes sûr de vouloir nous quitter lieutenant ? dit Phoebe en voyant passer Mendes près du pupitre.
- Oui, il faut aller vite dans ce genre d'affaires, répondit Mendes qui se surprit à parler à une machine.
- La nuit vous a-t-elle permis de vous reposer un peu après ce violent coup sur la tête ?
- Je saigne encore mais c'est supportable. J'irai me faire poser des points de sutures en arrivant à San-Francisco.
- Lieutenant, j'ai quelque chose pour vous.
Le chicanos fronça les sourcils perplexe.
- Oui, comme nous ne nous reverrons peut-être pas, j'ai une information à vous transmettre. Je ne peux pas la garder pour moi.
- Quel genre d'information ? répondit Mendes intrigué.
- Une information sur un événement ayant eu lieu dans votre famille.
- Comment avez-vous ce genre d'informations ?
- Là n'est pas la question André-Pierre.
Le mexicain habillé sobrement pour une fois ne fut même pas étonné de la découverte de son prénom par un algorithme.
Phoebe poursuivit :
- C'est au sujet du meurtre de votre papa. J'ai retrouvé le nom de son assassin. Voulez-vous le connaitre ?
Mendes n'en crut pas ses oreilles. Lui qui avait cherché pendant des dizaines d'années sans succès, parlait à une "chose immatérielle" ayant réussi ce tour de force en quelques heures à peine.
- Vous ne voulez peut-être pas savoir. Cela ne sert peut-être plus à rien maintenant après tout ce temps.
- Laisse-moi deux minutes pour réfléchir s'il te plait, Phoebe.
Le Chicanos, ébranlé, se dirigea vers la terrasse du vieux casino. La vue sur Vegas était toujours aussi superbe. Le jour se levait et la ville silencieuse se réveillait à peine. Les drones livreurs parsemaient le ciel et les véhicules autonomes de nettoyage de la voirie parcouraient les avenues avec leurs gyrophares.
Son regard se porta sur les fontaines du Bellagio. Il se revit enfant, avec son petit bateau vert au bout d'une ficelle, le jour où sa Mama lui annonça la mort de son père. Il se souvenait encore de tous les détails de la scène. Les couleurs sur la baie de Frisco étaient semblables à celles du Nevada ce matin-là. Et, la même bouffée de stress lui coupait la respiration en ce moment même.
Il ne savait rien de ce père après tout. Il s'était construit avec l'image que Rosa lui avait transmise de lui. A quoi bon revenir sur cette histoire, le passé était le passé. Il n'avait aucun esprit de vengeance envers le meurtrier. Il ne lui avait rien pris, son père ne lui avait rien donné.
Comment allait-il réagir en le voyant ? Pourquoi prendre le risque de gâcher les quelques années lui restant à vivre avec une histoire à laquelle il ne pensait même plus ?
Peut-être que cela lui permettrait de fermer un cercle de sa vie pour espérer avancer. Il pensa aux écrits de Paulo Coelho :
Il est toujours nécessaire de savoir quand se termine une étape de la vie.
Si tu insistes à vouloir rester en elle au-delà du temps nécessaire, tu perds la joie
et le sentiment du reste.
Il faut fermer des cercles, ou fermer des portes,
ou fermer des chapitres, comme tu voudras le nommer.
Eh oui, le Chicanos extravagant était aussi cultivé. Preuve qu'il ne faut pas se fier aux apparences.
Il redescendit dans la salle et se dirigea vers le pupitre.
- Bon ok... Tu as raison la sainte vierge numérique, donne moi l'info.
- Je suis flattée André-Pierre. Je prends votre comparaison biblique pour un compliment, répliqua Phoebe.
- Bon allez, accouche ! poursuivit le mexicain fier de cette nouvelle blague frisant le mauvais goût.
- Le meurtrier de votre papa s'appelle Pedro Gonzales.
- Au moins, c'est quelqu'un de la communauté, grommela le Chicanos voulant rester sur l'humour noir.
- Il tenait un bar bien connu du monde de la pègre de San Francisco. Votre père lui avait emprunté de l'argent pour payer sa consommation d'alcool.
- Dis, la pucelle numérique, si c'est pour me dire que mon père était un poivrot, je le savais déjà.
- Il ne l'a pas supprimé pour cela Lieutenant.
- Comment ça ?
- Votre père avait été recruté...
- Recruté ? Mais recruté par qui ? Parle Phoebe ! Arrête de me faire languir !
- Mais vous m'interrompez constamment Mendes !
- Alors continue !
- Votre papa était un indic du FBI. Ils lui donnaient parfois quelques Dollars en échange d'informations sur Gonzales.
- Pute borgne ! soupira Mendes en s'affalant dans le fauteuil. On en apprend tous les jours avec l'informatique...
- Quel sentiment cela fait-il germer en vous André-Pierre ? demanda l'IA qui voulait en profiter pour en apprendre encore d'avantage sur la psychologie humaine.
Vous le prenez plutôt comme une bonne nouvelle ?
Mendes réfléchit pendant quelques secondes avant de répondre.
- Cela ne change rien en fait... Ok, il a peut-être voulu aider la communauté mais, il n'avait pas le choix et il l'a fait pour ses propres besoins. Il n'a jamais levé le petit doigt pour prendre ses responsabilités et participer à mon éducation. Ma mère aurait continué à tout gérer seule, tout meilleur indic du FBI qu'il aurait pu devenir. L'absence de mon père sera, paradoxalement, toujours présente en moi et ce que tu me racontes me semble étranger finalement.
- Je suis désolé André-Pierre. Pour finir en étant complète, Gonzales est incarcéré à la MCJ de Los Angeles.
- A la Men's Central Jail ?
- Oui c'est cela.
- Vous partez lieutenant ? Votre tête va mieux ? dit Isabelle venant de se lever.
- Oui cela va beaucoup mieux. J'ai appelé mon chef, ils sont en train d'arrêter Connelly, je dois rentrer au plus vite pour l'interroger.
- Vous avez besoin que l'on vous accompagne à l'aéroport ? interrogea Arnaud sortant lui aussi du dortoir.
- Non, merci c'est gentil Arnaud mais j'ai réservé une espèce de robot bus comme vous dites.
- Robot taxi précisa le futur marié amoureux du désert.
- Oui c'est ça ! Enfin, c'est toujours un satané robot quoi...
- Moi aussi je suis une machine André-Pierre, dit d'une voix triste Phoebe.
- C'est vrai, mais toi, tu es peut-être la seule avec qui je pourrais peut-être m'entendre...
- Venant d'un amoureux de la révolution digitale comme vous, je suis vraiment flattée !
- Tout doux... T'enflamme pas cocotte, j'ai dit : peut-être dit le flic avant de poursuivre : fais attention à toi ! Je ne voudrais pas retrouver un autre amoureux de tes disques durs au fond d'un lac.
Mendes ne manqua pas de faire un clin d'oeil complice à la caméra et prit sa valise pour se diriger vers la porte du casino délabré.
- Vous ne me dites pas au revoir lieutenant ?
- Ah Stan, désolé je ne voulais pas vous réveiller. Mais j'allais vous tenir au courant de toute manière.
Sans rien dire, l'ex de Cécile approcha et prit le mexicain dans les bras. A sa grande satisfaction il sentit le kid de Broadway accentuer l'étreinte et le serrer fort lui aussi. Ils ne se connaissaient pas vraiment finalement. Mais, avec ce qu'ils avaient partagé ces derniers jours, ils n'allaient plus jamais s'oublier. Eux, qui ne voulaient plus jamais s'attacher à personne, auraient tout fait pour sauver la vie de l'autre. Qui aurait dit qu'un Chicanos, allergique à la technologie, se serait trouvé des atomes crochus avec un docteur en sciences français spécialisé en IA. La période sentimentale traversée par l'un et l'autre contribuait certainement à cette affection. La solitude amoureuse du cocu futur SDF se rapprochait de celle du mexicain veuf précoce. Lorsque Mendes écoutait la déprime pudique de Stan parlant à ses filles au téléphone, il ressentait, avec lui, la même absence de perspective vertigineuse. Stan aurait été prêt à aller chercher la mère d'André-Pierre, juste la voir réaliser son rêve de découvrir Paris une fois dans sa vie...
Bref, plus de l'empathie ou de la sympathie, une réelle amitié était née entre eux et cette embrassade d'au revoir en était la révélation.
- Je sais bien qu'il n'y a pas d'homosexuels, il n'y a que des hommes qui s'aiment mais on va finir par s'attacher si on continue. Vous êtes en mal de calin Stan ? dit Mendes en donnant un terme à cette étreinte amicale.
- Bon salut les filles !
- Au revoir Mendes ! répondirent la bouche en coeur Thatcher et Isabelle à la manière des drôles de dames disant au revoir à Charlie.
- Faites attention à vous Lieutenant.
- Oui vous aussi Arnaud ! Rentrez chez vous et mariez vous, ne restez pas ici. C'est le passé ici pour vous, lui indiqua le mexicain.
- Ne vous en faites pas Lieutenant.
La porte s'ouvrit, une berline noire attendait le sociétaire du SFPD.
- Désolé pour l'attente le robot ! Pas grave car, "l'impatience" tu connais pas de toute manière... Aller, à l'aéroport et plus vite que cela. Sinon, je connais une de tes congénères et, un geste de ma part, elle te fait ta fête car elle est super intelligente. Remarque toi, elle ne pourra pas te faire de révélations sur ton père, tu n'en n'as pas...
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