Arnaud [New Version]
Une fois Mendes sorti du bureau, Stan put reprendre possession de son poste de travail.
- Regarde-moi toute cette boue. Eh oui ! Forcément c'était sûr !... Il en a même laissé sur le bord du bureau avec ses bottes d'égoutier péruvien...
Stan en pestant, prit un rouleau de papier essuie-tout pour essuyer frénétiquement le bord de la planche en bois stratifié qui lui servait de bureau.
L'espace de travail de Stan était forcément à l'image de sa personnalité. Il n'était pas clean et bien rangé loin de là. Mais, ce n'était pas non plus un capharnaüm comme certains du plateau où l'on pouvait trouver : pièces mécaniques en tout genre, souvenirs de business trips, cadres photos de toute la famille y compris le chien, pots de café, sachets de tisanes, pommes, bananes, boxer pour le jogging du midi, portes bonheurs, prix de l'employé du mois...
Non, celui de Stan était entre les deux. Il était bien rangé mais jonché de post-it gribouillés à chaque nouvelle idée du cocu créatif futur SDF.
Si, le seul truc original était un amoncellement de boites de chewing gum accumulées et englouties tout au long du projet "Taxi Robot". Il les avait gardées les unes après les autres. Une seule règle était imposée : chaque boîte devait être d'une couleur différente de celles des autres. Après plusieurs années, cela s'était traduit par un terril multicolore de boîtes circulaires en plastique juchées sur une petite étagère métallique accrochée à la mi-cloison séparant son bureau de celui d'Alain. D'ailleurs, cela avait le don de faire enrager son chef car, à chaque secousse involontaire de l'un ou l'autre des bureaux, la montagne sombrait dans un vacarme identique à celui produit par l'effondrement du Tacoma Narrows Bridge en novembre mille neuf cent quarante.
Mais, ce matin-là, Stan aurait bien aimé entendre son chef vociférer pour un oui ou pour un non.
Il n'y avait pas de bruit, rien. Pas de "Bonjour", ni de "Veux-tu un café ?" ou encore de "Alors ? Où va-t-on pour le prochain road trip ? ".
Ce silence était assourdissant. Stan, se lâcha et, pour une fois, ne retint pas les larmes voulant irrémédiablement dévaler les courbes de son visage. Cela faisait beaucoup pour lui en si peu de temps, il craqua.
Mais combatif, il se reprit rapidement. Il n'était pas genre à se morfondre et à s'enliser dans le sables mouvants de la nostalgie.
Bon... Aller Stan ! On va dissocier les deux sujets et les affronter. On va se nourrir de petites victoires et avancer ! Tu n'as pas le choix mon vieux de toute façon, se dit-il.
D'abord, il fallait confier ses déboires conjugaux à quelqu'un. Tout garder pour lui le rongeait de l'intérieur.
Tu dois te libérer de ce poids ! Pour cela, il faut en parler, mais à qui ? Et, en parler, c'est aussi l'accepter. Je ne puis m'y résoudre.
Il hésitait, mais il sentait bien qu'il n'avait pas le choix. Mais il ne pouvait certainement pas en parler à sa mère restée en France. Elle était trop fragile et, à neuf milles kilomètres de distance qu'aurait-elle pu faire de toute manière. À ses amis ? Il les fréquentait trop souvent avec Cécile. C'était détruire toute hypothèse de retour. À ses collègues de bureau ? Ce n'était pas le moment. Et il ne voulait pas attirer la pitié.
En parler à son chef ? Avec des dons de médium peut-être mais là, il était officiellement trop tard. De toute manière, cela aurait été un aveu de faiblesse impossible dans ces grandes entreprises modernes où il faut avoir un profil de gagneur pour réussir.
Arnaud ? Oui pourquoi pas... se dit-il
Il ne restait que ce vieil ami effectivement. Souvent confidents, ils aimaient répéter que leur rencontre datait du jardin d'enfants et de la maternelle. Au fil du temps, Arnaud était devenu petit à petit le frère que Stan n'avait jamais eu. Il avait été son compagnon de galère à chaque fois que nécessaire et n'avait jamais rien demandé en échange. Stan lui était redevable.
Arnaud était grand, blond et fin pour ne pas dire maigre. Sans doute à cause de ses habitudes alimentaires prises pendant ses nombreuses années de célibat. Il était très intelligent. Stan aimait parler avec lui et profiter de ses capacités de raisonnement au-dessus de la moyenne. Il le trouvait d'ailleurs bien plus astucieux que lui. Affichant la plupart du temps un look de geek immature, il savait tout de même aussi porter le costume deux pièces pour se rendre au bureau.
Le grand malingre était un fils de bonne famille. Stan connaissait et appréciait profondément ses parents. Ils avaient toujours été très présents et gentils avec lui. Ingénieurs eux aussi, ils avaient été une source d'inspiration pour les deux jeunes. L'époque était extraordinaire. Les gens beignaient dans la révolution de la micro-informatique. Arnaud et Stan grandirent avec la généralisation des ordinateurs personnels. Cela avait commencé avec les ZX81, M05 et TO7 des écoles françaises de la fin du vingtième siècle. Puis, les deux copains n'avaient pas tardé à harceler leurs parents pour qu'ils leur achètent les premiers Commodore 64. C'était le début de l'ère des jeux vidéo. Plus tard, avec les premiers PC émergea l'hégémonie des premières cartes graphiques 3D. Devenus autonomes et salariés, ils dépensèrent des milliers de francs puis d'euros dans l'achat de composants informatiques pour monter leur propre PC de gamers. Ils connaissaient par cœur le « quartier des chinois » rue Montgallet à Paris où ils allaient acheter les dernières config à la pointe. Tout cela, pour satisfaire une volonté bien masculine. Ils voulaient être celui qui avait la plus grosse... La plus grosse config et le nombre de FPS (image par seconde) le plus élevé lors des parties réseau que Stan organisait chez Arnaud. Ils étaient de vrais geeks, mais des geeks raisonnables. Ils n'étaient pas du genre à laisser cette passion empiéter sur leur vie de tous les jours. D'ailleurs, à présent, les deux amis n'avaient plus du tout le temps de se laisser aller à passer des nuits devant les successeurs en Virtual Reality des Unreal Tournament ou WarCraft du début du vingt-et-unième. Arnaud avait rencontré sa compagne et Stan, avec ses enfants, n'avait plus de temps à passer sur ces sujets.
- Robert ?
- Oui Monsieur Stan, que puis-je faire pour vous ? dit l'hologramme d'une silhouette asexué, sans vêtement, de couleur « bleue fantomas » venant de surgir du bureau de l'expert en voitures autonomes.
Quand j'y pense... J'avais le choix entre une femme blanche, blonde, rousse ou brune, une noire, un homme hétéro, un gay ou cet humanoïde semblant recouvert d'une combinaison intégrale en latex...Et il a fallu que je choisisse cela. Sois-disant parce que je le trouvais plus amusant et moins équivoque. Quelque fois, je ne me comprends pas moi-même, se dit-il.
- Appelle Arnaud, chez lui à Scottsdale Arizona ou sur son mobile.
- Bien Monsieur.
Un téléphone virtuel apparut près de la silhouette asexuée qui s'empressa de composer le numéro avec un déhanché un tantinet efféminé.
Qu'est ce que c'est débile ce truc... pensa tout haut Stan
- Qu'il y a-t-il Monsieur ? Une remarque ? dit l'homme recouvert de plastique façon sac poubelle.
- Non, non rien... Excusez-moi.
Les bips de la sonnerie se firent entendre.
- Je vous mets en relation avec Arnaud sur son mobile car rien à Scottsdale.
- Il doit être chez sa « nouvelle copine »... gronda l'ingénieur.
- Comme vous dites ! ajouta l'hologramme d'un air toujours un peu vexé.
En entendant son interlocuteur décrocher, Stan se demandait comment il allait aborder le sujet. Il préféra une communication assez directe pour être sûr de ne pas renoncer à l'avouer.
- Allo, Arnaud ?
- Oui, c'est Stan ? Comment ça va ?
- Ecoute, désolé de te déranger, mais j'ai une grosse nouvelle à t'annoncer... Cécile a décidé de me quitter.
- Ah bon ? Non c'est une blague ?
- Malheureusement non, elle me trompe, veut aller vivre avec son amant.
- C'est pas possible tu me fais marcher, arrête tes blagues Stan, ce n'est pas amusant.
- Non, elle me dit avoir été malheureuse depuis douze ans et me quitte.
- Elle n'a pas le droit de te dire cela, en tout cas ce n'est pas l'impression qu'elle m'a donné pendant toutes ces années. Elle n'avait pas l'air malheureuse !
- C'est ce qu'elle dit pourtant.
Grâce à ce court dialogue de quarante secondes, où il avait pu enfin avouer à quelqu'un ce qui lui arrivait, Stan se sentit soulagé. Cette tension énorme qui le rongeait disparut pour un instant.
- Tu aurais une soirée de dispo dans la semaine pour m'inviter à dîner ? proposa le cocu, Il faut que je te parle d'Alain aussi.
- Alain, c'est le nom de l'amant ?
- Non !! Alain Mallet.
Arnaud lui aussi avait été recruté chez Alice Corp., peu après Stan, en immigrant lui aussi par la même occasion au Etats-Unis. Mais le vieux garçon souffrait de problèmes avec la hiérarchie et l'autorité en général. Il avait démissionné quelques années plus tard pour poursuivre ses recherches seul dans son garage en Arizona.
- Ah oui, comment va se vieil Alain ? Toujours aussi ronchon et froid ?
- Ronchon... plus trop, mais beaucoup plus froid qu'avant c'est certain... dit Stan adepte de l'humour noir en toute circonstance.
- Il est de mauvais poil encore ? Il a encore des problèmes avec Connelly ?
- Il est mort.
Arnaud marqua un temps d'arrêt. Stan l'imaginait bouche bée à l'autre bout de la 6G.
- Quoi ? C'est dingue ! Cela fait beaucoup pour toi d'un seul coup. Écoute, je suis chez Béa ce soir à Santa Clara. Tu vois ? C'est à côté de l'Intel Museum. Je t'envoie l'adresse. Viens ! Tu me raconteras tout cela.
- Mais je vais vous déranger et ta nouvelle copine n'a pas envie de voir un dépressif passer à la maison. Pour une fois que tu en as une, ce serait dommage de la perdre...
- Merci Stan mais la dernière phrase n'était pas obligatoire.
- Oui pardon, excuse-moi Arnaud.
- Béa n'est pas là pendant quelques jours, elle est en voyage pour son boulot à Singapour. Viens, nous discuterons de tout ça.
- Ok, à ce soir !
L'humanoïde virtuel raccrocha le téléphone en ajoutant à son mouvement un petit pas de Samba et dit :
- Besoin de quelque chose d'autre Stan ?
- Non merci Robert, tu peux prendre ta pause.
- Je vous reconnais bien là Stan : toujours une bonne petite blague... Vous savez bien que les hologrammes ne peuvent pas prendre de pause.
- A bientôt Robert !...
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