Argine
Kennedy voulait mettre à profit l'absence de la petite troupe partie jouer au poker.
Il avait deux objectifs principaux : se rapprocher de la belle française et en savoir un peu plus sur cet artiste mexicain à la curiosité surdéveloppée.
- Vous n'aimez pas le poker ?
- Rester des heures, sans pouvoir bouger, attablée avec des pécores texans, des puceaux sociopathes et des retraités désœuvrés... très peu pour moi.
- Vous aimez l'action et les vrais hommes vous on dirait non ?
- Oui peut-être... Vous en voyez vous ici ? Moi non... lui répondit-elle sèchement.
Tout gourou des Helter-Skelter internationalement connu qu'il était, Kennedy fut remis à sa place en moins de deux pas la séduisante chercheuse. Mais il ne s'avouait pas vaincu. Il n'avait perdu que le premier round. Il comptait bien revenir à la charge plus tard. Il s'éloigna du pupitre où Isabelle était installée pour parfaire ses connaissances de base sur les algorithmes entropiques et se dirigea vers les chambres improvisées pour les hôtes venus de Paris.
Il marcha jusqu'à la vieille salle de roulette transformée en dortoir où les lits de camp étaient alignés comme en colonie de vacances. Il reconnut tout de suite celui de Mendes. Les couleurs vives sortant de la vieille valise irradiaient la pièce. Il regarda une dernière fois derrière lui dans le couloir attenant pour vérifier que personne ne venait et il pénétra dans la pièce.
Il commença à fouiller dans le sac du Chicanos.
Après avoir écarté deux caleçons à fleurs usés jusqu'à la corde il fut intrigué un bout de tissus noir troué.
Comment peut-on percer ses chaussettes sous la plante des pieds ? On peut les user devant avec des ongles mal coupé ou au talon avec des chaussures trop petites... Mais en dessous ? se demanda le hors la loi numérique en pleine spéléologie anthropologique.
Il souleva ensuite deux chemises satinées, une vert pomme et l'autre orange sanguine en prenant bien garde de ne pas les froisser.
Il trouva alors une petite pochette fermée. Il l'ouvrit et découvrit une photo du petit Mendes à l'âge d'aller à la maternelle accompagné de Rosa sa mère et de ce qui devait être son père.
qui a dit que le goût pour la mode n'est pas héréditaire, pensa-t-il en découvrant la garde robe du papa Mendes.
Kennedy ne connut jamais son père. Ses parents immigrés russe arrivèrent ici car son paternel était un agent double du FSB.
A peine deux mois après être arrivés sur le sol américain, le père de famille fut empoisonné au Novitchok pour l'empêcher de divulguer ses secrets. L'enquête de police pointa les services secrets russes car le poison était identique à celui utilisé sur Navalny, l'opposant à Poutine, en deux mille vingt.
Le hacker poursuivit son tour d'horizon des effets personnels du kid de Broadway en continuant à fouiller dans la petite pochette.
Il trouva ensuite des cheveux dans un petit sac en plastique. La mèche était soyeuse et bouclée. On sentait qu'elle avait été gardée précieusement pendant de longues années comme une relique. Un petit bout de papier l'accompagnait. On pouvait déchiffrer un court message :
Je t'aime mon amour, excuse moi mais,
ce monde est devenu trop difficile pour moi.
Ne connaissant pas l'histoire de Rosa Mendes (deuxième du nom), Kennedy put tout de même imaginer que la mèche de cheveux venait d'une femme, ou d'un homme, proche de Mendes. La fin du message laissait deviner, par contre sans ambiguïté, une issue fatale.
Son rythme cardiaque s'accéléra alors soudainement en sortant le dernier objet présent dans la petite pochette.
J'en étais sûr ! pensa-t-il en découvrant la plaque de police du SFPD du lieutenant Mendes
Isabelle, toujours à son pupitre, fut étonnée de voir redébouler à toute hâte son amoureux transit obsédé sexuel.
Elle leva la tête sans rien dire et l'observa. Le fils de dissidents russes donna deux ou trois ordres aux gros balaises restés à la niche. Il prit son téléphone, sans doute pour prévenir aussi Zeus et Apollon en vadrouille à quelques pas de la bande du poker.
La française tapota discrètement un message sur son téléphone prépayé à l'attention de Stan.
Il se passe des choses bizarres ici, Kennedy est subitement très énervé. Il tourne en rond et alerte toute sa garde rapprochée. Faites attention...
Pendant ce temps, à la table du Bellagio, Mendes était en veine. Il avait pratiquement raflé tout le stack de jetons des autres joueurs. Trois geek post-pubères seraient bien restés pour admirer les formes élégantes de Thatcher mais, sans jeton, il durent quitter la table. Stan et la sociétaire des Helter-Skelter étaient mal en point eux aussi. Seul Arnaud, le retraité et le fermier, arrivaient à surnager. Voyant les jetons s'accumuler devant l'artiste couleur jaune abeille, deux filles de petite vertu rodant dans le casino à la recherche d'un Roméo plein aux as, approchèrent pour se coller à lui et l'encourager.
- Regardez bien le prochain coup mes poulettes ! leur dit Mendes un cigare électronique à la bouche en découvrant deux trèfles, un roi et un as, dans son jeu.
Le retraité et le fermier semblaient avoir du jeu eux aussi. Au flop, deux autres trèfles apparurent sur l'écran au centre de la table : un dix et un valet. Il ne manquait plus à Mendes que la dame pour avoir une Quinte Flush royale. La main la plus forte au poker. La troisième carte était un autre Valet.
- Je rajoute deux mille, annonça le sociétaire du SFPD imperturbable avec ses lunettes de soleil.
- Suivi ! répondit le fermier.
Il doit avoir un brelan de Valet ou un trèfle pour la couleur supposa André-Pierre.
- -Je me couche, répondirent les uns après les autres, Stan, Thatcher et le retraité, en appuyant sur le bouton "Fold" du petit écran devant eux.
La croupière distribua virtuellement une nouvelle carte. Il s'agissait d'un autre dix.
Deux valets et deux dix. Alors qu'est-ce que tu as mon coco ? Un petit full avec un autre misérable valet ou un petit dix ? pensa Mendes en fixant droit dans les yeux me fermier aux mains calleuses.
L'autre fixa les "entourage of 7" du mexicain et tranquillement annonça :
- All in ! en poussant tout son tapis de jetons au centre de la table.
La croupière humanoïde fixa Mendes. Elle prit un air sobre, impartial, presque "robotique" comme l'aurait fait tout IA de génération précédente. Cependant, sentant que le mexicain prenait à cœur la partie, une émotion proche de l'empathie se dessina sur son visage de silicone.
Pas mal pour un algorithme commercial... pensa Stan
Il fallait une dame de trèfle à la "river" pour que le lieutenant puisse l'emporter. Tout autre carte entraînerait sa défaite, la perte des trois quarts de ses jetons et le dédain de ses deux groupies.
Le fils d'immigrés mexicain adorait ce jeu pour ses aspects psychologiques. Il continuait à fixer le fermier comme s'il s'agissait d'un suspect. La technique se rapprochait finalement assez bien de celle d'un interrogatoire. Mendes était à l'affût du moindre signe psycho morphologique. Les réactions en cas de bluff étaient similaire à celles d'un inculpé essayant de dissimuler la vérité. Tout signe répétitif mais non constant était bon à prendre.
Depuis le début de la partie, il remarquait que, malgré son flegme, le fermier tapotait sur la table de ses ongles noirs de la main gauche lorsqu'il avait une bonne main.
Et là... Ses ongles martelaient littéralement le tapis vert de la table.
Tu l'as ce full mon salaud ! se dit le Chicanos.
Il n'était donc plus question de psychologie pour ce coup mais de probabilité. Il lui fallait absolument cette dame de trèfle sur la cinquième carte pour l'emporter. Ses chances étaient minces mais il se sentait chanceux. En passant les mains derrière ses deux groupies debout à côté de lui, puis les serrant contre lui, son cigare électronique bleu fluorescent à la bouche, il clamat :
- Suivi !
Une animation numérique débuta soudain sur l'écran géant au centre de la table.
Les jeux des deux joueurs se dévoilèrent en énorme autour des quatre cartes du jeu commun au centre.
Des cris et des commentaires se firent entendre dans le public attiré autour de la table par le spectacle de ce dénouement.
Le fermier découvrant la possibilité de quinte flush royale dans le jeu de Mendes se leva pour se décontracter et attendre l'arrivée de la cinquième carte en levant les doigts croisés au plafond.
Tu l'as bien ton full agriculteur de mes deux... pensa Mendes restant assis, imperturbable mais resserrant tout de même son étreinte sur ses deux bimbos supportrices vénales.
Thatcher, Stan et Arnaud attendaient eux aussi la tant convoitée dame de trèfle.
Alors, la dernière carte se dévoila. Les cris dans le public redoublèrent. Le fermier cria comme s'il venait de se prendre un coup de sabot de vache dans ses parties génitales.
Une belle Argine, anagramme de Régine signifiant reine en latin apparu sur l'écran avec un beau trèfle bien rond et bien noir.
Nos quatre compères se congratulèrent, Mendes embrassa sur la bouche les deux groupies et le fermier s'enfuit de la table en donnant un coup de pied dans une chaise qui traînait par là.
Attention Monsieur ! Prochain geste violent et vous serez exclu du casino ! hurla un drone quadcoptère de la sécurité en s'approchant en piqué au-dessus de l'agriculteur. Le fermier redoubla de frustration et donna un grand coup de chapeau sur le drone qui alla s'écraser contre un mur. Deux humanoïdes armés s'empoignèrent alors et le jetèrent par la porte du Bellagio comme un malpropre.
Au même instant, Stan reçut le message d'Isabelle et décida inquiet, malgré les contestations de Mendes, que le jeu était terminé et qu'il était temps de rentrer.
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