Almeda Point


- J'en ai ras le bol de toi ! Je vais rentrer en Australie ! Même si je dois vivre dans un immeuble miteux, au moins je ne serai pas obligée de te supporter !

- C'est ça ! Vas y ! Barre toi ! Cela me fera du repos ! J'en ai assez de tes crises d'hystérie.

- Tu me fais chier avec tes règles de savoir vivre à la con ! J'étouffe ici ! Tu parles d'un voyage en amoureux ! C'est un calvaire !

Le réveil de l'italien fût quelque peu brutal. Le couple de la chambre mitoyenne s'écharpaient. Les cloisons du vieil hôtel ne filtraient rien et il pouvait les entendre comme s'il était assis au pied de leur lit.

Azraël se demandait parfois ce qu'il serait devenu s'il la Sainte Alliance ne lui était pas tombée dessus. Il serait peut-être là à se crêper le chignon avec sa moitié, une institutrice ou une secrétaire, comme le couple d'à côté. Finalement, son sort lui convenait assez.

Soudainement, son smartphone vibra. L'italien regarda la pendule :

- Il est déjà vingt-trois heures, pensa-t-il.

C'est alors que l'hologramme d'un homme arborant la paramentique liturgique pourpre d'un évêque catholique irradia la chambre d'une lumière divine.

Le grand brun se redressa, réajusta son col de chemise, la tête haute comme au garde à vous, et prononça de manière claire et articulé :

- Bonsoir Monseigneur, comment allez-vous ?

Comme prévu, l'appel visait à lui transmettre les directives pour la poursuite de sa mission. Au bout de quelques minutes d'échanges, sans poser la moindre question sur le bienfait de la demande, il conclut :

- Bien Mon Seigneur... Tout est clair. Je vous rappelle une fois la mission accomplie.

- Que Dieu avec toi fidèle Azraël. Tu sais, je me souviens encore de toi jeune adolescent. On pouvait déjà voir en toi le merveilleux serviteur de Dieu que tu es devenu maintenant. L'éternel saura t'en être reconnaissant.

- Merci Monseigneur, cela me touche.

- A bientôt mon petit et bonne chance !

- Merci, je vous tiens au courant. Termina l'homme à la Balenciaga avant de raccrocher.

A la disparition de l'hologramme, la pièce replongea dans l'obscurité. L'homme enfila sa veste, pris ses clés de chambre et sortit dans le couloir d'un pas assuré. Il se dirigea vers l'ascenseur. La voisine en pleur l'attendait déjà. Elle portait une perruque rose carrée, mi-longue avec une frange. Avec sa jupe courte et ses cuissardes, elle ressemblait aux danseuses si chères au lieutenant Mendes.

- Bonsoir fit-elle d'une voix tremblante.

Son rimmel, essuyé à la hâte dans le couloir, avait laissé des traînées sombres sur ses joues.

- Vous devez me trouver ridicule... poursuivit-elle

Le chargé de mission ne répondit pas. Il leva ses grands yeux noirs et lui adressa un regard interrogateur.

- Vous n'allez pas me dire que vous n'avez rien entendu !

- Un peu...

La sonnerie de l'ascenseur se fit entendre et la porte unique de la petite cabine datant de la fin du vingtième siècle s'ouvrit.

Galant, le moine la laissa pénétrer en premier.

Les talons des cuissardes claquèrent en entrant sur le marbre du sol de l'ascenseur et l'australienne appuya sur la touche L pour descendre au Lobby.

Azraël, bien que n'ayant jamais renié le vœu de chasteté effectué à son entrée à la Sainte Alliance, était resté sensible au charme féminin toute sa vie. Il ne pu s'empêcher de regarder les fesses de la jeune femme galbées dans sa robe courte.

Il regarde mon cul on dirait lui ! pensa-t-elle.

Sans rien dire, elle fracassa le bouton stop de l'ascenseur avec ses faux ongles aussi rose que sa perruque.

Le missionnaire, dont le niveau de stress grimpa illico en zone rouge, pris la main de la jeune femme et l'immobilisa avec force.

- Cela vous dirait de me baiser, là maintenant dans cet ascenseur ? C'est tout ce que mériterait ce connard là haut

L'ayant plaquée dos contre lui pour l'immobiliser, il pouvait sentir les fesses charnues de l'Australienne sur son entre cuisse. Les frottements provoqués par les petits mouvements de la jeune femme essayant de se dégager accentuèrent la montée d'un désir pourtant refoulé jusqu'alors.

Oh miséricorde, il sentit même monter une érection immédiate dans son boxer d'ecclésiaste. Le moine ne montra rien mais, un combat moral féroce se déchaîna en lui.

Et la fille en rajouta :

- Aller ! Baise moi ! Tu en meurs d'envie, je le sens !

- Tais toi ! lui répondit-il en serrant encore plus intensément son avant-bras sur sa gorge.

Mais, sans anticiper les conséquences funestes de ses actes elle poursuivit :

- Bah alors ?! Tu ne t'en sers jamais de ce truc que je sens bien dur sur mon cul ! Ça t'excite tout de même, on dirait mon cochon...

Azraël n'en put plus. Il ne pouvait accepter cette faiblesse passagère, ce manque à la foi insupportable. Il n'allait jamais pouvoir assumer et gérer ce souvenir. Il fallait supprimer cet épisode de sa mémoire. Une rage féroce monta en lui. Il se détestait. Mais, à part retourner une nouvelle fois chez la chinoise au cilice aiguisé, il ne pouvait se châtier plus. Cela n'allait pas suffire pour apaiser sa colère, il le savait ! Il lui fallait plus.

Par chance, aucune caméra n'était installée dans ce vieux Vertigo. Alors, fermant les yeux, serrant les dents, il pris la tête de la jeune femme et d'un geste brusque lui brisa la nuque.

Le corps, la perruque, les fesses rebondies, les cuissardes... Tout s'effondra d'un seul coup comme un vulgaire tas de linge à mettre à la machine à laver. La vie s'était échappée une nouvelle fois d'un amas de chair.

Il appuya sur le bouton stop pour relancer le maudit ascenseur. Arrivé au lobby, il passa devant l'accueil comme si de rien n'était. Arrivé dans une ruelle adjacente, il retrousse son bras de chemise et s'entailla la peau avec la fixation de son bouton de manchette. Le sang gicla littéralement sous l'effet de l'adrénaline. il devait expier cet épisode. Pour le meurtre de la jeune femme mais aussi et surtout pour sa faiblesse devant la tentation de la chair.

Tout comme Mendes, Isabelle ou Stan, le moine portait un regard désabusé sur sa vie. Qu'avait-il construit ? Rien... Avait-il des perspectives ou des projets personnels ? Aucun... A quoi bon poursuivre si ce n'était que pour éliminer des vies. Mais il avait un pressentiment, sa vie ne serait plus jamais la même après cette dernière mission.

Il s'épongea le bras, referma son bras de chemise à l'aide de son bouton de manchette et enfila de nouveau sa veste.

La nuit était tombée depuis plus de deux heures. La température était devenue nettement plus supportable pour le ladin. Il décida de marcher à pied jusqu'au Ferry Building pour prendre une navette maritime.

La suite de la mission l'amenait à Almeda Point, sur la rive Est, de l'autre côté de la baie de San-Francisco. Il n'y avait personne à cette heure tardive dans l'embarcation autonome. Aucune des cinquante places n'était prise et cela lui convenait tout à fait.

La traversée ne dura pas plus de quinze minutes à cet endroit où la baie est la plus étroite.

Il devait se rendre au célèbre Almeda Point Antiques Fair. Pas pour acheter un fauteuil ou une table de salon mais pour un tout autre type de marchandise. Il faut dire que cet endroit n'avait plus rien à voir avec le marché aux puces touristique d'antan. Parti en désuétude par le recul du tourisme lié aux vagues épidémiques de la première moitié du vingt et unième siècle, il était devenu petit à petit le refuge de tous les trafiquants de la ville. Les petits commerces d'antiquités les plus onéreuses côtoyaient des marchands ambulants de chaussures d'occasion, de cigarettes de contrebande et de NFT contrefaits. Signe des temps, la moitié du marché était maintenant occupée par le plus grand espace de vente d'humanoïdes d'occasion. On pouvait trouver toutes les pièces nécessaires à la réparation de son robot femme de ménage, taxi, prostituée, hôtesse d'accueil ou conjointe mécanique. Sur les étales, les têtes débranchées aux câbles pendants chevauchaient des mains, des cuisses ou des caméras-œil de génération dépassées.

Mais ce n'est pas cela qu'Azraël venait chercher. Après avoir contourné deux ou trois derniers stands de rotors d'occasion pour drones, il trouva enfin l'échoppe recherchée.

Il s'engouffra dans une échoppe devant laquelle on pouvait distinguer une pancarte discrète : "Armurerie"

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