AF0083 [New Version]

Les voyageurs du vol Delta AF0083 en direction de Paris sont appelés à embarquer porte douze.

L'appel de la voix de synthèse résonna dans tous le terminal. Une escadrille de drones chercheurs décolla. Stan repéré par la puce de son smartphone où son billet était stocké eu la bonne surprise de voir un des volatiles mécaniques se mettre en vol stationnaire au-dessus de lui. L'immigré français, éclairé par le halo lumineux de la bestiole était maintenant affiché comme retardataire à la vue de tous les autres passagers.

Mais que fait-il encore le Chicanos ! pensa Stan. Il devrait être là depuis une demi-heure. J'ai honte maintenant.

Le réfugié français s'interrompit en voyant débarquer au loin Mendes, sous son projecteur volant, avec une chemise hawaïenne jaune en coton, manches courtes, col échancré, boutons en bois de coco. Il avait dû mal à définir ce que représentait le motif. On aurait dit une décoration végétale bordant une vue de plage avec au centre une espèce d'animal marin indéfinissable.

- Quoi ? Elle ne vous plait pas ma chemise ? C'est quoi ce regard, vous avez honte ?

- Bonjour Lieutenant. Non, non... Mais vous ne trouvez pas cela un peu voyant ?

- Bien au contraire Stan, c'est la panoplie du parfait touriste. décontractez-vous mon p'tit !

Dépêchez-vous s'il vous plaît, l'avion vous attend ! indiqua fermement un hologramme d'hôtesse de l'air pressant les deux acolytes à scanner leur billet avant d'emprunter la passerelle pour monter dans l'avion.

- Elles nous cassent les cojones toutes ces machines ! vociféra le fils d'immigrés mexicain en panoplie de surfeur.

En passant la porte de l'avion, les deux hommes purent apercevoir un appareil sans tête, postée sur le siège du commandant de bord, vérifiant la « check list » d'avant décollage.

- C'est le nouveau prototype de robot pilote dont on a entendu parler dans la presse. Il vient d'obtenir sa certification. Je ne pensais pas qu'ils allaient le mettre en fonction si vite, dit Stan pas très rassuré en regardant Mendès qui l'était encore moins que lui.

Le français fan de technologie poursuivit :

- Sa mise en service a été longtemps retardée par des grèves de pilotes interminables.

- Non...sans blagues ! dit le policier réfractaire à toute introduction de technologie non consentie dans sa sphère personnelle. On va laisser notre vie entre les mains ou plutôt entre les pinces de ce truc ? brailla-t-il.

- Allons-nous installer dit Stan gêné par les regards de tous les occupants de la cabine braqués sur eux. Place 21A et 21B... c'est ici !

Les Dupont et Dupond modernes s'assirent sur leur siège dont le matériau à mémoire de forme prit instantanément l'empreinte de leurs augustes postérieurs.

- Bizarre ce truc, mes fesses n'ont plus de secret pour lui maintenant... Mais c'est assez confortable je l'avoue.

- Hottez-moi d'un doute : vous n'avez jamais pris l'avion Mendes ? demanda Stan.

- Non jamais ! C'est la première fois.

Stan ne put retenir un petit sourire en voyant le mexicain se décomposer au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de l'heure du décollage.

- Et cela vous amuse ?

- Non, excusez-moi lieutenant.

Puis sans pouvoir se retenir, le français continua :

- Vous connaissez l'expression : « Voir Paris et mourir » ?

- Arrêtez tout de suite avec vos blagues! Vous allez nous porter la poisse ! Et je sais pertinemment que la véritable expression est : « voir Versailles et mourir »

- Oh oui pardon ! Vous avez raison, rétorqua le français en éclatant de rire. Vous connaissez parfaitement les expressions françaises à ce que je vois, Lieutenant !
Mais n'ayez pas d'inquiétude Mendes voyons ! Un homme qui a tout vécu comme vous va survivre à un vol transatlantique, même piloté par un robot.

Sa phrase à peine terminée, le cocu ayant déjà un peu oublié Cécile vit le locataire de la chemise fleurie se pencher en avant, joindre ses mains et chuchoter :

- Padre nuestro, que estás en el cielo,
Santificado sea tu Nombre
venga a nosotros tu reino
hágase tu voluntad en la tierra como en el cielo.

Mendes faisait sa prière. Stan respecta ce moment, ne dit rien et du coup, eut le temps de détailler les motifs sur la chemise hawaïenne de son voisin.

PNC, attention au décollage.

La voix métallique du robot pilote se fit entendre. Bien que moins important depuis que les avions fonctionnaient à l'hydrogène, le bruit des moteurs électriques du jumbo jet résonna soudain. Les vibrations remontèrent du plancher et des sièges jusqu'au ventre des passagers. Les mains d'André-Pierre serraient si fort les accoudoirs qu'ils faillirent se déchirer. Le nez de l'avion se braqua enfin et les deux compères sentirent leur estomac tomber au fond de leurs chaussettes. Stan connaissait bien cette sensation caractéristique des roues perdant contact avec le tarmac de la piste. Mendes sembla la découvrir et frôla le malaise vagal.

Il fallut bien une demi-heure au lieutenant pour réussir à faire redescendre son niveau de stress et pouvoir enfin interagir socialement avec son voisin.

- Écoutez Stan, on va passer dix heures côte à côte, il faut absolument que vous me parliez, cela va me faire oublier ma phobie des airs. Enfin, j'espère.
Pourquoi toutes ces allusions de Bourgeois au sujet de votre femme... Cécile ? C'est bien son prénom ?

Stan, surpris de l'intrusion soudaine de son compagnon de voyage dans son espace privé, mit quelques secondes à définir le niveau de réponse qu'il souhaitait apporter.
Toutefois, sous l'air bourru du touriste californien, il sentait une forte sensibilité. Il ne savait pas l'expliquer car cela était loin d'être évident au premier abord, mais il se sentait en confiance et décida de se livrer.

- Mon couple subit quelques turbulences actuellement... En fait non... Il explose littéralement.

Mendes tourna la tête vers Stan et descotcha son regard du hublot. La déclaration du français l'intéressait subitement plus que de vérifier si l'aile de l'avion ne se décrochait pas.

- Ma femme me jette dehors comme un vulgaire Kleenex, crache sur quinze années de vie commune et, par-dessus le marché, tout cela pour un petit chauve qui travaille chez Alice Corp.

Le lieutenant ne disait rien mais l'écoutait avec la plus grande attention. Ce qui était rare chez lui.

- J'ai tout essayé pour la séduire à nouveau, mais sans succès. Je commence à me faire une raison.
Cela va vous paraître bizarre mais, maintenant, ce qui me stresse le plus, c'est de savoir comment je vais pouvoir me reloger et ne pas finir sous les ponts.

Le Chicanos l'écoutait toujours et lui tendit un café que venait d'apporter le chariot automatique qui sévissait à la place des hôtesses des années deux mille.

- Merci pour le café. Et vous lieutenant ? Jamais marié ?

Mendes, contrairement à la ligne de conduite qu'il s'était fixée, s'attachait de plus en plus à ce français qu'il apprenait à connaître.

Il fit ce qu'il n'avait jamais fait depuis une passe platonique avec une prostituée chinoise de Broadway dix ans auparavant : il se livra.

- J'ai été marié il y a presque vingt ans maintenant. A une époque où il n'y avait pas toutes ces fichus machines, vous voyez ?
On s'était rencontré à l'école de police. Elle était fabuleuse. On parlait pendant des heures sans se soucier du lendemain. Elle me faisait rire. Je la vois encore danser le jour de notre mariage, seule dans le jardin avec sa robe blanche sous le soleil couchant. Nous allions même avoir un enfant. Vous imaginez ? Un petit Mendes qui aurait crapahuté partout autour de nous en tirant son petit bateau au bout d'une ficelle comme son papa. Et ma mère ! Elle qui rêvait d'être grand-mère...

- Et que s'est-il passé ? interrompit Stan en buvant sa tasse d'un liquide qui n'avait de café que le nom.

- Elle s'est suicidée. J'essaie toujours de trouver une explication à son geste. Elle était angoissée par l'enfant qui allait naître. Au boulot, elle subissait une forte pression psychologique. Elle traitait les affaires de maltraitances familiales au SFPD. Est-ce que son mal-être venait de là ?

Je cherche toujours ce que j'ai mal fait ou ce que j'aurais dû faire.

- Dans ce genre de situation, je crois que l'on ne peut rien faire. La personne qui se donne la mort est la seule responsable finalement. Vous n'avez rien à vous reprocher Mendes.

- J'aurais pu mieux m'en occuper et lui apporter plus de soutien. Je n'ai pas vu son sentiment de profond malaise, trop absorbé par ma carrière, je venais de passer lieutenant.

Cette déclaration parlait à Stan. Les points communs entre leurs deux histoires étaient criants. Même si bien-sûr le mal devait être plus profond chez Rosa et l'issue plus clémente pour Cécile. Les deux histoires prenaient source dans le décalage entre le niveau d'attention nécessaire à l'un et celui que peut lui donner l'autre.

La personne du couple délaissée se réfugie dans les ovnis d'une vie meilleure avec quelqu'un d'autre, dans une vie solitaire centrée sur les enfants ou dans les mirages de la vie après la mort. Pour Stan, il était utopique de croire en ces solutions. Le remède était souvent pire que le mal. Il valait mieux aller toujours de l'avant et se battre, il n'y avait pas d'autre choix.

- C'est quoi ce truc vert gluant ? dit Mendes qui voulait changer de sujet ayant épuisé son quota de confidences pour les dix années à venir.

- C'est une huître lieutenant ! Vous ne connaissez pas ? On peut en déguster de succulentes aussi en Californie, il n'y a pas que les tapas !

- Jamais je ne mangerai ce truc, vous la voulez ?

- Il va falloir faire un effort car pas de voyages en France sans découvrir notre gastronomie : les huîtres mais aussi, le fromage, les abats, le foie gras, les cuisses de grenouilles,...Et les escargots français bien-sûr, célèbres dans votre pays ! On ne peut plus voir une terrasse l'été à Paris sans voir des ricains manger des escargots !

Le sociétaire du SFPD ne fit pas attention à la remarque de Stan et s'en prit à ce qu'il avait sous la main.

- Eh toi ! La charrette à quatre roues remplie de boustifaille ! cria l'adepte des bars à pôle danse en désignant le chariot autonome apportant les repas.

- Oui Monsieur, que puis-je faire pour vous ? dit le substitut d'hôtesses de l'air affublée d'une voix de femme douce et sensuelle choisie par ses concepteurs pour détendre les voyageurs les plus stressés.

- Donne-moi autre chose que ce coquillage gluant vert ressemblant plus à une expectoration grippale qu'à un bon steak.

- Monsieur, cette huître vous est offerte par le conseil général de Charentes Maritimes pour vous faire découvrir les délices des meilleurs parcs à huîtres de Marennes-Oléron.

- Quoi ? Je m'en tape moi de votre "mareene olironne" dit le Chicanos qui n'arrivait pas à prononcer à la française le texte inscrit sur l'écran publicitaire venant d'apparaitre sur le chariot autonome.
Qu'est-ce que vous avez d'autres ?

- Burritos à la viande hachée, fromage râpé et tomates... dit d'une voix devenue sèche l'IA passée dans la catégorie de réponses pour « clients irrécupérables et à ne pas fidéliser ».

- A la bonne heure ! Je vais prendre ça Médor !

Les deux collègues de circonstance se mirent alors à rire de bon cœur sur le dos de la machine. Ils échangèrent comme cela moult blagues de potaches pour oublier virtuellement le no man's land de leur vie personnelle et le stress du danger qui les attendait peut-être à Paris dans le cadre du meurtre de Mallet.

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