19. Quelques jours avant Noël
Plus que quelques jours avant Noël, effectivement, et la fin de notre calendrier de l'avent... mais comme la saint Valentin approche, est-ce ça vous dirait que je lance un nouveau projet du style ? Pas sous forme de recueil (sauf si ça vous plait comme ça), mais en faisant une liste de lecture pour regrouper tout le monde, comme ça pas de contrainte de groupe ou de pairing encore une fois :)
Et sinon, un OS de PollyGaufrette pour ce soir !
Quelques jours avant Noël, les rues de Paris rassemblent l'excitation, attirée par les lumineuses vitrines, qui, en ce début de soirée, éclairent les visages émerveillés de leurs promotions.
Tous rient, observent la nuit et le froid souffler sur des joues rouges, sentent le froissement des épais manteaux qui se frôlent tant la foule se compresse sur le trottoir.
On ne regarde plus l'argent, tout semble nous embrasser sans qu'on ne s'en rende compte. On déambule, chargé de lourds sacs emplis de présents, on ne compte plus l'heure, on laisse seulement l'agréable chaleur nous guider.
Puis on sourit, presque sans y penser.
Seunghee fait partie de cet amas de personnes mais essaie de se détacher d'eux pour avancer. Le souffle court, des petits nuages sortent de sa bouche maquillée. Elle vient de prendre le métro, elle se hâte maintenant, priant pour qu'un chemin se trace avec magie, que les gens se décalent, la laissant courir librement jusqu'au théâtre du Châtelet.
Imaginant les blagues idiotes de Ten et Hendery sur son retard, elle pense à tout ce qu'elle aurait pu faire plus vite, mieux. Pourtant, elle connaît la désagréable impression de délaissement quand on attend quelqu'un et les minutes qui semblent se perdre inutilement. Mais c'est plus fort qu'elle parfois, l'angoisse gagne sur son efficacité. Elle semble respirer plus vite à présent, son cœur bat contre ses tempes, fort.
Quand elle aperçoit finalement deux ombres colorées tournés vers elle, son bras s'agite au-dessus de sa tête, son stress se dissipe pour finalement disparaître de sa poitrine, et l'air glacial la fait étrangement sourire.
Des douces embrassades et des banalités futiles s'échangent. Les trois amis passent les grandes portes vitrées du théâtre. L'ambiance réchauffe leurs mains et le bout de leur nez. Les dorures au plafond brillent. Bien plus que les vitrines des boutiques, pense Ten.
Tous les trois se sont rencontrés durant leurs études, dans la grande école d'art dramatique de Paris, quand leurs rêves débordaient encore. Elles ne les ont pas quittés ces envies, elles se sont simplement accordées à l'amère réalité.
De simples connaissances, ils s'étaient transformés en réels amis, ceux qu'on idéalise à la télé, qui se comprennent en un regard, que le temps ne sépare pas en un coup de vent.
Ils représentaient une harmonie évidente où la complexité tacite d'un trio paraissait inexistante. Tout se perdait dans leurs rires, les plaies encore ouvertes recevaient l'amour afin qu'elles cicatrisent. Les maux glissaient sur leur corps chéris, marqués par des conflits révolus. Leurs épidermes s'embrassaient sans se toucher. A leur image, l'équilibre silencieux jouait entre eux un ballet fragmenté de pièces mélodramatiques, de poésie, d'amour inavouable.
Arrivés à leurs places, l'immense salle luxueuse se présente à eux : le lustre aux magnifiques éclats menace de plonger au milieu de l'effrayant trou tapissé d'une multitude de sièges presque remplis. L'endroit où ils se trouvent leur laisse apercevoir les peintures au plafond et la scène en face d'eux, impatiente d'accueillir une poignée d'artistes qui, derrière l'épais rideau rouge, écoutent attentivement les infimes bruits du public.
Se plaçant au centre, Hendery sent son regard attiré par le vide et quand ses amis se délaissent de leur sac et discutent, lui reste concentré sur la hauteur du balcon, scrute les personnes qui semblent bouger de façon inutile, comme des fourmis. Il ne peut se détacher de l'emprise irrationnelle qu'a l'altitude sur lui.
Remarquant son absence, Seunghee attrape sa main et entame des légers mouvements circulaire dessus. Ten lui murmure combien il aime ce théâtre et raconte ses nombreux souvenirs que détient cet endroit. Rassurante, sa voix, qu'Hendery connait si bien, vient trouver son regard, se détachant du sol.
Les minutes passent ; la pièce se remplit progressivement.
Subitement, les lumières s'éteignent, les bruits parasites se cachent. L'intimidant silence qui ne laisse plus place à l'erreur s'étire dans les balcons, sur l'orchestre, sur la scène, sur les bouches entrouvertes suspendues au moindre mouvement. Soudain, ils entrent.
A partir de cet instant, les infimes tremblements des comédiens comblent les âmes des spectateurs. Les figures dansantes arpentent le plateau, vivent avec leurs vulnérables âmes d'humain à travers leurs personnages.
Leurs puissantes voix vibrent contre les parois du théâtre, de leur corps pas plus grand que les autres émanent une monstrueuse envie de dire, de ressentir, d'imaginer, jusqu'à ce qu'on y croie, réellement. Peut-être qu'en cette période, les gens veulent croire en l'impossible, en l'irréel, pour oublier l'horreur à l'extérieur. Ils semblent protéger de tout, dans ce bâtiment intemporel. Ils se cachent de l'inévitable, se réfugient dans la confusion et récupèrent les misérables cendres d'espoir. Ici, le chaos se peint avec la voix.
Les yeux humides, ils acceptent chaque troublante émotion comme elle arrive, grandissant dans le creux de leur cœur, laissant sur un coin son odeur déconcertante.
Seunghee, Ten et Hendery ont, en cet instant, l'intime conviction que leur avenir se tient devant eux, que leur place est sur cette scène, à laisser à ce pauvre monde une trace, infime soit-elle.
Quand, plus tard, ils sortent de leur enchantement, la lune rend une éclatante magie qui absorbe leur espace – temps si commun. Seunghee enfile ses gants, Ten ajuste son béret devant la triste vitrine d'une boutique fermée.
Hendery ne fait que de les regarder attendri et attrape dans un bond soudain leur main. Un sourire bête survient. Son expression contemplative est le reflet d'un bonheur d'une soirée où l'on ne se pose aucune question, où l'on tient les mains des personnes aimées, où l'idiotie d'une réponse nous paraît évidente.
Il doute parfois de ses choix, de ses sentiments, de ses désirs. Mais pour ce soir, pour seulement cette nuit, il souhaite vivre sans y réfléchir.
Seunghee indique une brasserie, ses écriteaux lumineux, ses quelques visiteurs attablés à l'intérieur.
Une fois à une table, ils commandent joyeusement trois chocolats chauds et profitent des lumières jaunâtres du commerce et de la vieille musique pour souffler.
Ils discutent à mi-voix, ne voulant éparpiller les souvenirs du spectacle. Ils se regardent. L'agréable impression d'être à la bonne place se réveille en eux. C'est doux, chaud et, comme une caresse endormie, l'affection brûle tendrement leur chair ; un baiser frôlant l'aube.
« - La mort m'effraie, l'échec aussi. Je voudrais m'enfuir, très loin. Vous voudriez bien m'accompagner ? On serait tous les trois, seuls au monde. On existerait mal, mais on serait ensemble. »
Le violent vent sourd paraît lointain. Seules leurs présences et la tasse sucrée de chocolat les gardent éveillés. Cette fois, ils ne tomberont pas dans les bras de la nuit.
« - Merci d'avoir passé cette soirée avec moi. »
La tête de Seunghee se cale contre l'épaule de Ten, Hendery lui tient la main, et les phrases hasardeuses se perdent au beau milieu du néant. Quelqu'un les retrouvera peut-être.
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