Jour 24 (OS avec --may--)
Assis en tailleur sur l'une des tables hautes du fast-food, adossé à la baie vitrée, je regardais les gens défiler. Même en ce vingt-quatre décembre, tous paraissaient plus pressés les uns que les autres et certains n'hésitaient pas à élever la voix si on tentait de les doubler. J'esquissai un sourire cynique, les vivants ne savaient pas être heureux alors même qu'ils avaient tout pour, comment pouvait-on demander à un mort de l'être ? J'étais persuadé d'être définitivement coincé dans ce monde à cause de cette règle stupide.Un soupir m'échappa. Déjà vingt ans. Ou du moins presque, car ma mort avait eu lieu un vingt-cinq décembre. Un couple vint poser son plateau à travers mes jambes, inconscient de ma présence. Lorsque quelqu'un ou quelque chose me traversait, c'était comme si des milliers de petits glaçons s'insinuaient en moi à cet endroit, ce qui était particulièrement désagréable. Je me levai donc et partis rejoindre une autre table, à l'écart des autres et surtout déserte. J'avais toujours trouvé surprenant le fait de pouvoir m'asseoir sur de grandes surfaces mais de passer à travers les gens et les objets plus petits.Mon regard dériva sur l'extérieur dès que je fus installé. La neige tombait sans relâche depuis la veille. J'aurais voulu sortir mais les jours de neige et de pluie étaient particulièrement difficiles pour moi, pour la simple raison que les flocons et les gouttes me traversaient sans relâche.Un raclement de gorge sur ma gauche attira mon attention et je tournai la tête afin de voir ce qu'il se passait. Je haussai un sourcil en découvrant un jeune homme devant avoir entre dix-huit et vingt ans, soit plus ou moins l'âge que j'avais lorsque j'étais décédé, assez grand, aux cheveux bruns en bataille et aux yeux noisette, qui regardait dans ma direction. Il devait être malade.
-Désolé de te dire ça, mais je ne suis pas franchement certain que s'asseoir sur les tables soit autorisé. Et puis j'ai besoin de poser mon plateau, déclara-t-il.
Je regardai tout autour de moi à la recherche de son interlocuteur mais ne trouvai rien.
-C'est à toi que je parle, ajouta-t-il sans cesser de fixer dans ma direction.
À ces mots, mes yeux s'écarquillèrent. Il ne pouvait pas me voir. Ce n'était jamais arrivé en vingt ans. Je devais me faire des idées.Le garçon leva les yeux au ciel avant de reprendre.
-Bon, est-ce que tu vas bouger un jour ?
-Moi ? vérifiai-je néanmoins après une hésitation.
C'était la première fois depuis l'année de ma mort que je parlais à quelqu'un d'autre que moi-même ou un animal.
-Oui, toi. Qui, sinon ? commença-t-il à s'agacer.
J'en rester bouche bée mais me décala tout de même après un temps de déconnexion. Il posa son plateau et commença à manger. La moindre des politesses aurait été de le laisser seul mais en ce moment même je ne m'en souciait pas. Je n'avais parler à personne depuis ma mort alors je comptais bien le faire aujourd'hui.
-Tu es tout seul ? Lui demandais-je avec hésitation
-Oui
-Pourquoi ?
-J'avais envie de manger dehors. Et personne ne pouvait venir. Et toi ? Pourquoi tu es tout seul, sans rien à manger en plus.
-Eh bien...
J'hésitais longuement avant de reprendre à sa question. Devais-je lui dire la vérité et risqué d'attirer de la peur chez lui ou bien devrais-je lui mentir, sans savoir combien de temps je pourrais garder ce secret.
-Je comprend. Tu as tes secrets et tu veux les garder
-Co...comment le sais-tu? Begais-je
-Tu es tout seul sans aucun plateau alors que cette endroit est fait pour manger. Tu t'es sûrement disputé avec tes amis ou ta famille, et tu ne voulais pas rester dehors par le temps qu'il fait.
Je le regarda ébahi. Au moins, je n'avais plus à me torturer la tête pour savoir quoi répondre. Il y avait fait seul. Je le laissai manger tranquillement quelques instants avant de me décider à lui poser une ou deux questions dans le but de savoir à qui je m'adressais.
-Comment est-ce que tu t'appelles ? me renseignai-je.
-Alec. Toi ? fit-il entre deux bouchées.
-Eren, répondis-je.
-Eren, répéta le brun. C'est joli. Un peu Shingeki no Kyojin, mais joli.
Je clignai des yeux sans comprendre. Alec le sentit et haussa les épaules.
-Oublie, me dit-il.
-Dacodac. Je le vis esquisser un sourire mais je ne relevai pas.
-Bon, puisqu'on est tous les deux seuls la veille de Noël, que dirais-tu de faire un peu connaissance, mon petit Eren ? reprit mon premier interlocuteur en vingt ans.
-Ça me va.
-Cool. Alors, pour commencer de façon simple, est-ce que ça va ? En dehors de ta probable dispute, bien sûr.
La fameuse dispute imaginaire m'évitant d'avoir à expliquer ce que j'étais...
-Ça va, répondis-je. Et toi, ça gaze ?
Cette fois-ci, il laissa échapper un rire à peine dissimulé. Je haussai les sourcils, perdu. Qu'y avait-il de drôle ?
-Désolé, c'est juste que j'ai l'impression d'entendre mes parents parler avec mes oncles et mes tantes comme quand ils étaient jeunes, pouffa de plus belle Alec.
Oh. Effectivement. En vingt ans, les expressions avaient changé, c'était logique. Je me sentis rougir légèrement.
-Mon père est encore rentrée bouré et il est entrain de s'engueuler avec ma mère. J'en avais marre de les entendres alors je suis parti.
Je regarda Alec quelque instant, je ne savais pas quoi lui dire.
-Je suis désolé pour toi.
C'était bien une phrase inutile.
-Ce n'est pas grave, tu n'y peux rien. Et il croqua une nouvelle bouchée dans son hamburger.
-Tu viens souvent ici ? Me demanda-t-il.
-Sa m'arrive, oui. Et toi ?
-J'aime bien cette endroit mais je n'ai pas toujours de quoi payer.
-Alors tu vas où dans ces moments la ?
-Je vais te montrer si tu veux, dit-il en souriant. Alec se leva pour débarrasser et je le suivis, curieux. Il m'entraîna hors du bâtiment. À peine eus-je mis un pied à l'extérieur que la neige commença à me traverser. Je me crispai et serrai les dents mais décidai de l'endurer. Je voulais voir où Alec allait m'emmener.Je fus extrêmement soulagé lorsque nous nous arrêtâmes sous un abribus désert. Tout mon corps de fantôme se détendit immédiatement.Le garçon s'installa sur le banc et me fit signe de le rejoindre, ce à quoi j'obéis sans protester.
-C'était censé être près d'ici, non ? relevai-je.
-Ça l'est. Environ cinq minutes de bus, j'ai seulement la flemme de marcher jusque-là avec ce temps, avoua-t-il, un léger sourire aux lèvres.
Je m'apprêtais à lui répondre, cependant je vis un couple de retraités venir dans notre direction. Un peu paniqué, mon regard fit des allers-retours d'eux à Alec, ce dernier me fixant avec curiosité.
-Qu'est-ce qu'il... commença-t-il.
Je posai immédiatement un doigt sur ma bouche pour lui indiquer de se taire, ce qu'il fit malgré l'incompréhension clairement visible qu'il ressentait. Poli, le brun se leva, laissant la place aux deux plus âgés et je l'imitai. Après une vague hésitation, je me penchai vers son oreille.
-Ne me parle pas en public, lui soufflai-je.
Je ne souhaitais pas que la seule personne m'ayant vu et m'ayant adressé la parole en vingt ans soit cataloguée comme folle par les autres vivants.Il fronça les sourcils. Je ne savais pas quoi lui dire pour lui expliquer la situation sans qu'il ne prenne peur. Je me mordillai nerveusement la lèvre inférieure tout en jetant des regards en coin au couple.Alec sortit son téléphone de sa poche et cessa brusquement de me fixer, reportant son attention sur son écran. Je le vis commencer à écrire quelque chose avant de se raviser et de porter l'objet à son oreille. Je me demandais bien qui il pouvait appeler à ce moment-là.
-Salut Eren ! s'exclama-t-il en me fixant.
-Qu'est-ce que tu fais ? chuchotai-je.
-Ben, je t'appelle, ça se voit pas ?
-Pourquoi ?
-En fait, j'espérais que tu pourrais m'expliquer pour quelle raison tu veux pas que je t'adresse la parole en public. Je comprends pas.
-C'est compliqué, grimaçai-je.
-C'est toujours compliqué. Alors ?
-Si je te le dis tu vas t'enfuir.
-Mais non.
-Tu vas prendre peur.
-Je te promets que non, insista-t-il. Allez, explique-moi !
-Tu vas pas me croire alors que c'est la vérité.
-Si c'est la vérité je te croirai, affirma le garçon.
Je poussai un long soupir avant de capituler
.-À part toi, personne peut me voir, lâchai-je.
-Hein ?
-Je te dis pas que tu m'imagines, à la limite ça serait plutôt l'inverse, mais tu es vraiment le seul à pouvoir. C'est la première fois en vingt ans que quelqu'un me remarque, avouai-je d'une traite avant de me laisser le temps de changer d'avis.
-Comment ça ? J'avoue que je suis pas sûr de te suivre, là, Eren...
-Écoute-moi bien, Alec. Je le redirai pas.
-Ok...
-Je suis mort. Ça fera vingt ans demain. Tu parles à un fantôme coincé sur Terre parce qu'il a pas réussi à être heureux.
Dire cela à voix haute me faisait l'effet d'une dague en plein cœur. J'avais l'impression de mourir à nouveau.ll y eut un silence.
-Comment ? finit-il par me demander.
-Comment quoi ?
-Comment est-ce que c'est arrivé ? précisa-t-il.
-Tu me crois ? m'étonnai-je.
-Ouais. Enfin je crois.
-Merci, déclarai-je après une hésitation.
Je laissai les bruits de la rue nous entourer à nouveau, sans rien dire. Je ne savais pas si je me sentais capable de lui raconter les évènements de ma mort. Mais je supposai que je lui devais bien ça. Il me voyait, me parlait, et surtout me croyait.
-Ok, écoute bien, lançai-je.
Flashback
C'était Noël. Et, dans ma famille, qui disait Noël disait journée en famille et gâteaux à n'en plus pouvoir.Mon frère et moi avions passé toute la journée à rire, à manger et à tester nos cadeaux flambant neufs avec nos cousins, prenant parfois quelques minutes pour discuter avec nos parents, nos oncles, nos tantes et nos grands-parents. Du moins, en apparence. J'étais vraiment dans une mauvaise passe. J'avais complètement échoué mon premier semestre de médecine, ma petite-amie m'avait quitté pour mon meilleur ami, je me sentais perdu, et pour ne rien arranger ma petite sœur de quatorze ans à peine passait Noël à l'hôpital à cause d'une rechute de sa maladie. Autant dire que la fin de l'année mille neuf cent quatre-vingt-seize était loin d'être joyeuse.Vers minuit, mon père avait décidé qu'il était temps de rentrer et je me retrouvai donc dans la voiture avec mon frère et mes parents, en pleine nuit. Nous avions roulé près d'une heure sans encombre puis... En fait, je n'avais pas vraiment de souvenir clair de ce qu'il s'était passé. Je me rappelais d'un bruit de pneux crissant sur le bitume, d'une lumière aveuglante, de cris, et surtout de la douleur. Elle, je me souvenais parfaitement d'elle. Une douleur atroce, indescriptible. Puis, peu à peu, la douleur s'était apaisée. J'étais resté dans une sorte de flou durant ce qui était sans doute plusieurs heures, avant de reprendre enfin conscience du monde qui m'entourait. J'étais allongé sur une sorte de brancard. Je m'étais redressé, avant d'observer ce qui se trouvait autour de moi. Et là, ça avait été le choc. Sur le brancard sur lequel je me trouvais à présent assis se trouvait quelqu'un. Cette personne, c'était moi. J'étais couvert de sang. J'étais mort...J'avais cherché un long moment à obtenir des explications, du réconfort, n'importe quoi, mais personne ne me répondait, personne ne semblait ne serait-ce que remarquer ma présence pourtant je pleurais toutes les larmes de mon corps. Et puis, à un moment, j'ai enfin obtenu une réponse, de la part d'un vieil homme en chemise d'hôpital.
Fin flashback
-C'est lui qui m'a expliqué que pour partir il fallait être heureux. Plus tard, j'ai découvert que mon frère et ma mère étaient morts sur le coup, et que mon père avait tenu jusqu'au bloc opératoire... Mais pas plus. Apparemment, je suis mort dans l'ambulance... La seule bonne nouvelle c'est que ma sœur a été guérie définitivement environ deux semaines plus tard et un de nos oncles l'a prise chez lui, en Italie, conclus-je d'une voix plus faible que je l'aurais souhaité.
Un silence s'installa entre nous. Un bus passa mais Alec ne fit pas le moindre geste pour monter à l'intérieur, contrairement au couple.
-Donc, reprit-il finalement. Donc, si j'ai bien compris, pour que tu puisses aller... Là où vont les morts, il faut que tu deviennes heureux ?J'acquiesçai sans le regarder.
-Dans ce cas, je te rendrai heureux, Eren, déclara le garçon avec détermination, me surprenant au plus haut point.
Je le regarda ébêté. Que pouvais-je répondre à cela ? Au final, je lui adressa tout de même un "merci" en souriant.
-On as un problème dit-il soudainement.
-Qu'est ce qu'il y a ? M'inquietais-je.
-On as loupés le bus. Tempis, ils nous restent plus qu'à y allé à pied.
-Attend ! Il n'y en a pas un autre qui va passé ?
-Non.
-Tu es sûr ?
-Oui. Pourquoi tu veux autant que sa prendre le bus ? S'interrogea-t-il.
-Eh bien commençais-je. Même si je suis un fantôme, les petits objets me traversent et cela me fait l'effet de plein de petits glaçons répondis-je en grimaçant.
-Oh je vois. Tu veux un parapluie ?
-Je ne pourrais pas le tenir soufflais-je. >>
Il me regarda l'air un peu triste, puis me demanda de l'attendre, avant de partir en courant.
Il ne m'as quand même pas laissé en plan ? A mon plus grand bonheur, il revient quelques minutes plus tard avec un parapluie. Il se mit à côté de moi et mis le parapluie de telle sorte à ce qu'il nous protège tout les deux.
Je le remerciai d'un sourire et il m'entraîna avec lui dans une grande rue. Ce jour-là, qu'elqu'un prit pour la toute première fois le temps d'apprendre à me connaître et à me comprendre. En ce vingt-quatre décembre deux mille seize, je compris ce qu'étaient vraiment l'amitié et la gentillesse.
Ce jour-là, pour la première fois depuis de très longues années, un sourire sincère s'était installé sur mon visage.
Alec passa tout le reste de son réveillon de Noël à m'entraîner d'un lieu à un autre, me demandant à chaque fois ce que je voulais faire ou voir, ne semblant pas se lasser une seule seconde de courir d'un bout à l'autre de la ville.
A vingt-trois heure cinquante-huit, nous nous assîmes sur un banc. Il s'était arrêté de neiger aux Alentours de vingt heures et la ville était couverte d'un magnifique manteau blanc.
-Plu que deux minutes avant Noël, déclara Alec. Ça fera vingt ans, c'est ça ?
J'acquiesçai. Un silence confortable nous enveloppant un instant avant que je ne reprenne la parole.
-Merci pour aujourd'hui.
-Ça m'a fait plaisir, me sourit-il.
Je sentais la sincérité dans sa voix alors je lui rendis son sourire.
Une douce chaleur m'enveloppait et j'eûs presque du mal à l'identifier. Le bonheur. Je me sentais heureux. Pourtant nous n'avions pas fait des millas de choses et rien de bien extraordinaire, mais le seul fait d'avoir quelqu'un avec moi, qui plus est quelqu'un qui se souciait de moi, avait suffit à me rappeler ce qu'était la joie.
Une cloche près de nous se mit brusquement à résonner dans la nuit. Minuit. Je m'apprêtais à parler lorsque je vis les yeux de mon nouvel ami s'écarquiller.
-Eren, tu...tu disparais ! S'exclama-t-il.
La surprise ma paralisa une seconde puis je baissai les yeux sur mon corps. Il disait vrai, je commençais à voir le banc à travers moin je restai bouche-bée.
-Est-ce que ça veut dire que...tu vas partir ? Me demanda-t-il timidement.
-Merci Alec ! M'exclamais-je pour seule réponse.
Une lueur triste apparut dans son regard mais se contenta de me sourire.
-Tu vas me manquer, murmura le brun.
-A moi aussi, fis-je alors que la chaleur s'intensifiait.
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Ils se regardèrent sans rien dire encore plusieurs secondes avant qu'Eren ne disparaisse totalement, laissant Alec seul sur le banc. Un objet attira soudain son attention, le garçon était pourtant certain qu'il ne s'y trouvait pas lorsque les deux amis étaient venus s'assoir. C'était une lettre. Il la prit. Son nom était écrit en capitales d'imprimerie sur l'enveloppe, il l'ouvrit donc avec curiosité.
Au fil de sa lecture, un grand sourire se forma sur ses lèvres,un peu triste, certes, mais aussi heureux. Heureux d'avoir rencontré Eren. La lettre était de lui. Comment avait-il pu l'écrire alors qu'il était incapable de toucher de petits objets, et quand avait-il réussi à l'écrire sans qu'il ne se doute de rien ? C'était un mystère. Mais Alec ne s'en souciait pas, il était simplement heureux d'avoir un souvenir de lui.
Serrant la lettre contre lui, il se leva et prit la direction de chez lui.
Eren n'était plus là, mais c'était pour le mieux, n'est-ce pas ? Alors que cette pensée traversait son esprit, le garçon aurait juré avoir entendu la voix D'Eren lui chuchotait qu'il serait toujours à ces côtés.
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