Jour 31 : une main tendue


Encore une nuit à sillonner les rues de la capitale. Yves et Bertrand roule sur des rues calmes dans leurs fourgons de la croix rouge. Dedans, de la nourritures, des boissons chaudes, des couvertures, des vêtements chauds, des radios rechargeables et d'autres consommables. Ils savent où leurs "clients" sont : les porches de magasin, les bouches de ventilation de métros, sous les ponts, dans les tunnels... tout endroit où ils peuvent trouver le chaud, oui au minimum, se protéger du froid et de la bruine. Premier arrêt devant un magasin de surgelé. Plusieurs personnes se tiennent debout sur une bouche d'air qui recrache de l'air chaud. Ils ne parlent pas, seulement pour un petite merci de dépit. Yves essaye de les persuader de les amener dans un foyer d'urgence, rien n'y fait. La rumeur sur le fait que ceux qui y vont se font voler et molester fait bon train, et ils préfèrent généralement mourir dans la rue par le froid que par des coups de pieds.
Deuxième arrêt, une ruelle sombre. les deux sortent des troches pour mieux y voir. Chaque soir est la même chose, il débusque les sans domicile comme on chercherait des rats dans l'arrière cour d'un restaurant. Le plus souvent, se sont des habitués qui ne crachent pas pour un peu de soupe et des vêtements de rechange. Les nouveaux ont les cadeaux de bienvenu, la radio, la couverture, quelques conserves et des nécessaires pour la toilette. À eux aussi, le bon pour un séjour au chaud dans un centre d'urgence est un cadeau empoisonné. L'un deux leurs montres des bleus sur les bras et le visage. Encore une fois, les vigiles d'un supermarché du coin ne fait pas la distinction entre un nécessiteux et un nuisible. Mais que vaut la parole d'un homme qu'on laisse délibérément dans la rue contre un autre qui gagne bien sa vie ? Alors ils pansent les plaies, ils donnent des numéros de téléphones qu'ils ne composeront jamais, et le cycle recommencera.
Troisième arrêt, la bouche d'un métro. C'est l'une des seules dans la capitale qui reste ouverte la nuit, grâce au métro automatique qui ne nécessite plus de chauffeur et plus de salaire. C'est ici que Yves et Bertrand en retrouve le plus grand nombre. C'est ici aussi qu'ils voient comme l'homme est cruel envers ces semblables. Les bancs ont des accoudoirs centraux pour éviter qu'on s'y allonge, le sol est rugueux pour éviter aussi qu'on s'y allonge, l'eau est coupé dans les WC à partir de 23h, et la luminosité des néons est augmenté la nuit. Tout pour faire fuir ceux qui ont besoin d'un toit. De plus, Yves et Bertrand ne peuvent pas prendre beaucoup de chose en même temps, et doivent souvent faire plusieurs aller-retour entre la camionnette et le quai. Certains sans-abris ont trouvé des parades : des cartons sur le sol font office de sommiers, et ils font le stock d'eau au robinets des WC, quand ils ne prennent pas l'eau des accumulateurs d'eau des WC. Ils ont toujours un petit sourire quand on leurs offre de quoi survivre une nuit de plus. Rare sont ceux qui meurent délibérément, le plus souvent, c'est leurs corps qui lâchent avant leurs têtes.
Dernier arrêt, sous un pont. C'est là où il fait le plus froid mais où ils sont le moins emmerder par les attaques opportunistes de rues où par les flics qui les chassent. Comme chaque soirs, une dizaines se retrouvent devant un baril où un brasier fait de bois et de journaux brule. L'air y est irrespirable, mais chaud. La radio est bienvenue, comme les couvertures et quelques gel douche. Ils discutent un peu avec eux, essayer de les convaincre que le centre d'urgence serait mieux pour eux, peine perdu. Ils se consolent en distribuant des cafés et des barres hyperproteinées. La tournée se termine ainsi, ils ont pratiquement tout distribué, la vie de ses malheureux peuvent se prolonger une nuit ou deux de plus.
Bertrand rentre chez lui vers les 6 heures du matin. Son appartement est modeste, pas de télé dernier crie, pas de console de jeu, pas cuisine high tech. Sur la table de sa petite cuisine, le courrier du jour qu'il n'a pas lu. Il n'a pas envie de le lire. Il sait ce qu'il y a dedans. Il a des loyers en retard, une procédure d'expulsion est en cours. La banque lui réclame encore plus d'argent. On lui refuse des aides financières parce qu'il gagne trop pour en avoir. Il tend la main tous les soirs, mais personne ne lui tend la main. Il va donc se coucher une fois de plus, peut-être la dernière fois avant qu'il aille rejoindre ceux qu'il aide chaque soir.
Vers midi, quelqu'un frappe à la porte. Bertrand se réveille, son moral tombe de suite. Il traine les pieds, sachant pertinemment qui s'était. C'était donc aujourd'hui qu'il allait tout perdre. Il ouvre la porte, et quel fut sa surprise en voyant son voisin.
« Tout le monde sait pour toi, lui avoue-t'il. Viens chez moi le temps que tu trouve un autre endroit.
- Je... non t'inquiète p... »

Il n'a pas fini sa phrase que le voisin le gifle. Ce n'est pas une grosse gifle qui l'aurait mis à terre, juste une gifle pour l'arrêter dans ces propos. »
« Viens chez moi c'est tout, je te laisse pas le choix. J'ai déjà tout préparé pour toi, tu ne te rend pas compte que tu donnes tellement. Tu as une main tendue, maintenant prends-là et ressaisie-toi ! »

C'est ainsi que Bertrand fut sauver de la rue. Parfois, donner ne rapporte rien, mais une main tendue ne se refuse pas, car c'est sans doute la dernière main qui peut vous remonter avant de sombrer.

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