Épilogue : Une margarita et une rondelle de citron vert
Quelques années plus tard, lors d'une belle soirée, un vendredi soir de décembre
" Ce n'est pas la fin du premier arc, c'est l'écriture d'un nouveau chapitre qui commence ce soir..."
Je pousse un long soupir en passant ma main sur mon front. Ma voix se perd dans le brouhaha qui s'entend à travers l'ouverture des coulisses. Je n'arrive pas à me concentrer. Il y a tellement d'agitations autour de moi. Je suis comme engloutie par mes émotions. Mon stress atteint des sommets et ma feuille avec mes notes pour le discours est cornée sur tous les coins. Je ne peux pas m'empêcher de la tordre dans tous les sens. Tout mon corps est tendu comme un arc depuis deux bonnes heures. Pourtant je me suis préparée, j'ai répété mon discours sans discontinuer durant la semaine - enfin dès que je le pouvais. Je jette un coup d'œil vers l'assemblée qui discute tandis que la nausée monte.
Nous sommes le vendredi soir précédant la semaine de Noël et le goût de cet événement est pourtant particulièrement délicieux. Il y a des années de cela, je devais avoir 23 ou 24 ans, je me tenais dans cette même foule, sur la pointe des pieds et j'essayais de découvrir qui allait changer Mediatics. Qui allait finalement changer ma vie. Je me souviens toujours de mon agacement à cause des personnes qui me bloquaient un point de vue sur mon nouveau patron. Je me souviens de la sensation d'oppression dans ma poitrine lorsque je l'avais découvert. De moi qui fuit l'endroit sans savoir où me rendre. De tout ce qui a suivi, le bon comme le mal, le sordide comme le magnifique. Mais ça vous le savez déjà n'est-ce pas ? On est tous les trois un peu pareil, Elie, Caleb et moi.
Nous ne sommes pas dans Wall Street même, c'était trop pour moi alors nous avons réservé un espace magnifique dans le Financial District pour le temps de quelques heures. La pièce est haute et imposante, sublimement décorée selon le style Art Déco. De lourds rideaux couvrent les coulisses où je me suis réfugiée. Au plafond, les lumières semblent illuminées une voûte céleste, un peu à la manière du Grand Central Terminal. Les femmes qui se meuvent dans la foule ressemblent à ces petites ballerines de boîte à musique tandis que ces monsieurs paraissent bien pressés de recevoir une collation. En première ligne, il y a des photographes et des journalistes spécialisés en économie. Au fond, je vois ma famille qui exulte de joie. Ma mère et mon père font la conversation avec ma belle-sœur et Riley qui sont toutes les quatre venus pour l'occasion. J'arrive à percevoir au loin la figure de mon mari, une chemise en lin enfilée dans un bas de costume. Il discute passionnément avec Luke, un verre à la main. Probablement des nouveaux appareils photos qui viennent de sortir. Caleb vient de rentrer dans sa phase où la peinture ne suffit plus et que la photo est le médium qu'il préfère. Attendez, comment a-t-il trouvé un verre ici ? Le bar n'est même pas encore ouvert. Il aura toujours ce super-pouvoir bien à lui je suppose. Je souris en regardant mon alliance contre ma bague de fiançailles. Les années passent mais nous sommes toujours les mêmes idiots transis.
Ce soir signe la fin de cet arc de ma vie et le début d'un nouveau. J'étais dans la foule, maintenant je suis la dirigeante. J'étais sur la fille cachée dans la masse, je suis devant le micro, en évidence. Tout change, se détruit, se modifie, se crée sans que l'on ne le demande. Les rôles s'inversent ce soir et pour tous ceux qui suivront.
Highlight prend la place de Mediatics.
Alors que j'en viens à contempler tous ces gens sur leur 31, une main vient se poser sur mon épaule et me sort de ma torpeur. Je reviens à moi, avec mon stress et mes nausées qui ne font que de s'accentuer au fil des jours et des heures.
" J'en reviens pas qu'on soit déjà ici après si peu de temps. J'ai l'impression qu'Highlight n'a commencé que depuis hier, s'amuse Elie en se plaçant à mes côtés. Ça ne te fait pas cet effet ?
- Un peu aussi. On dirait que le temps file à une vitesse que je n'arrive plus à suivre. Je me penche vers Elie, en confidence. Et puis, concernant ce soir, si ça ne tenait qu'à moi, on aurait fait une visio-conférence ou même une vidéo du discours comme ça je n'ai pas à faire face à quelques centaines de personnes.
- Ça aurait été bien mais bien moins amusant, franchement !
- Parle pour toi, tu n'as même pas à ouvrir la bouche de toute notre intervention... Sauf si...
- Arrête avec ça, il n'y aura pas de si, tu vas gérer ça comme tu le fais toujours. Avec l'envie de te rouler en boule sur le sol tout en conservant ton poker face des mauvais jours. Elie me dévisage, attentive à chacun de mes mouvements. Dis donc toi, tu as vraiment une gueule à faire peur. Mauvaise nuit ?
- Mauvaise semaine tu veux dire."
Elie vient de passer ses derniers jours en plein milieu du Colorado pour couvrir une nouvelle enquête dont j'ai oublié le nom. Elle n'est revenue d'hier soir et la lumière ne devait pas être assez forte pour qu'elle ne se rende compte de mon état pitoyable. Le stress me fait oublier certaines informations depuis quelque temps, c'est infernal. De ce fait, elle n'a pas pu assister à ma décomposition quotidienne du matin ainsi que celle avant de manger. Je me frotte l'estomac, mal à l'aise. Je crois que je me prends des coups de poings dans le ventre à répétition.
" Je ne sais pas comment je vais faire pour prononcer ce discours sans vomir devant tout le monde. Tu serais prête à prendre ma place si je ne me sens pas mieux ?
- Tant que tu ne le fais pas en plein milieu d'une phrase, je suppose que oui. Elie me dévisage en croisant les bras. Tu n'y penses pas quand même ?
- Moi, non, non, pas du tout...
- Tu ne me parais pas très convaincante.
- Je ne le suis pas."
Elle pousse un soupir et un râle en levant les bras en l'air, dramatique:
" Que l'on nous vienne en aide !
- Mesdames, interpelle l'organisatrice de l'événement en apparaissant comme par magie, c'est l'heure, on vous attend !
- Crois en mon expérience, Elie m'attrape les mains, solidaire, et j'ai interviewé les grands noms de ce monde, tout va se passer comme il le faut. Je t'en fais une promesse."
Je force un sourire puis jette un coup d'œil vers la scène. Ça, c'est que nous verrons.
——
Non mais qu'est ce qu'elle m'a fait comme plan la ?! En cinq longues années, Olivia n'a jamais osé me faire un coup pareil.
Non pas que parler devant un auditoire guindé qui n'y comprend rien me gêne à présent, mais jamais je n'aurais cru qu'elle m'aurait laissé terminer le discours qu'elle travaille depuis des semaines avec toute l'angoisse du monde sur ces épaules. Tout a été balayé d'un revers de main. Enfin pas exactement, mais l'idée y est. Je croise le regard de Luke au loin, un verre à la main, attentif comme tous les autres malgré cette interruption inattendue. Il ne semble pas passer une mauvaise soirée, bien au contraire. À ces côtés Caleb observe sa dulcinée partir un peu surpris mais en voyant Meghan à sa suite, il se garde de toute intervention. Sa femme n'est pas seule, c'est tout ce qui importe. C'est à la fin du discours que je me précipite avec le plus de naturel possible vers les toilettes, où Olivia s'est précipitée en me laissant sur la scène.
Je retrouve donc Meg dans l'espace carrelé blanchâtre, qui je constate est de la même couleur que le bout de visage de Olivia planté dans la cuvette des toilettes. Je jette mon sac à l'entrée pour me précipiter vers mes amies en difficultés. Le spectacle n'est pas beau à voir... Et à l'évidence, le son non plus. Meghan est penchée au-dessus d'elle et lui tient les cheveux avec beaucoup d'application ; tant pour Olivia que son tailleur immaculé. Puis elle finit par me lancer un regard inquiet entre deux remontées.
" Et bien dis donc ma chérie, lance Meg, je te savais angoissé, mais pas au point de sortir des enfers tes cinq derniers repas.
- C'est pas ça, marmonne avec difficulté Olivia en posant sa joue sur la cuvette avec désespoir. Ça fait plusieurs jours que ça me fait ça... Et honnêtement ça craint."
Notre sang ne fait qu'un tour, et c'est dubitative que nous échangions un regard avec Meghan. Nausées. On dirait le début d'une mauvaise blague. Riley et Merry finissent par nous rejoindre, toutefois leurs interruptions ne mettent pas de côté la soudaine appréhension que nous avons pour notre amie.
" Tu as de quoi arrêter les vomissements et les nausées ? Il n'y a rien ici pour arrêter ce carnage sérieux ? Demande Olivia avec une voix plaintive."
Meg fouille dans son sac avant de sortir le médicament approprié puis va remplir un verre d'eau que je tends à Riley. Elle revient vers son amie, prévenante:
" Chérie, j'ai ce qu'il te faut, tu peux l'avaler ?
- Est-ce que j'ai vraiment le choix de toute façon ? Olivia prend ce que Riley lui tend sans se faire prier puis s'assoit par terre, dos contre le mur. Toutes les femmes présentes dans la pièce s'installent à ses côtés. Qui aurait cru que ce meeting aurait pu se passer comme ça ? La patronne qui se retrouve en exile, malade comme un chien, alors qu'elle devrait être en train de boire un max pour fêter sa réussite dans la bourse. Heureusement que vous êtes là les filles, je ne sais pas ce que je ferais sans vous.
- Ne te pose pas la question Liv', fais-je, on est là, c'est le principal.
- Toujours avec toi, même dans les pires batailles, ajoute Merry, en levant le poing en l'air. "
Riley et moi acquiesçons sans rien dire de plus mais je dévisage longuement Liv' qui semble enfin se détendre. L'idée reste imprécise alors que je me repasse les événements de cette semaine.
" C'est quand même étonnant que tu sois la seule malade. Tu ne peux pas avoir d'intoxication alimentaire, on a mangé ensemble hier soir, ce midi et ce soir le même plat et je n'ai rien eu, fais-je, étonnée.
- Liv, depuis combien de jours tu es dans cette état ? Demande doucement Meghan en frottant le bras de sa belle soeur.
- Oh peut-être une semaine si ce n'est plus. Je pense que c'est le stress qui me crée des nœuds au ventre. Je deviens livide et mise à part Liv', nous comprenons toutes les deux de ce que cela peut signifier. Nous n'avons même pas besoin de la questionner sur son cycle menstruel. Seule Liv semble être à des kilomètres de la vérité."
Sans demander mon reste, je retourne vers mon sac laissé à l'entrée, pour y sortir un objet que je ne pensais jamais avoir a utiliser avant que l'éventualité ne me tombe dessus la semaine dernière. Et la boite en main je m'avance vers le groupe.
" Essaie ça, je dis le plus stoïque possible. Si c'est ce que je crois les médicaments pour les vomissements ne serviront à rien.
- Elie c'est-... Murmure Meghan.
- Un test de grossesse, je réponds alors que Liv' prend la boite avec hésitation.
- Comment ça se fait que tu as ça dans ton sac, demande cette dernière prise dans sa nouvelle contemplation.
- Une petite frayeur la semaine dernière, j'explique en haussant les épaules. Luke m'en avait pris deux pour avoir une confirmation si le premier s'avérait être positif...
- Et ... Ça va ? Demande Merry toujours attentive.
- Oui, j'hésite en ne sachant pas trop moi-même. Même si je crois que si il avait été positif cela ne m'aurait pas dérangé non plus. Je me sens bien avec lui, même en vivant ensemble, c'est d'un naturel presque trop naturel."
Je n'ai pas d'autres mots. Alors que c'est mon métier de bien les manipuler finalement. Au fond de moi est née une idée, alors que je reconnaissais un semblant de déception dans cette barre solitaire. Une nouvelle possibilité, qui au fil du temps pourrait devenir une nouvelle aventure dont je ne soupçonnerait pas l'existence.
" Ça veut dire que c'est le bon, conclut Merry avec un sourire heureux. Ah cette femme est un rayon de soleil à elle toute seule.
- Sans doute ! Je rigole. En tout cas, c'est le seul qui me supporte et que je supporte. Mais assez parler de moi, allez Liv' va faire pipi pour qu'on soit fixé une bonne fois pour toute ! "
Olivia s'extirpe du sol avec difficulté pour entrer dans une autre cabine. Les minutes suivantes sont interminables. Nous attendons toutes que le test montre une ou deux barres. Une tension étrange s'est installée dans la pièce. Je fais les cent pas, me tordant les mains, comme il y a quelques jours finalement. Est-ce que l'on est sur le point d'avoir une nouvelle génération de mini Barnes en route ? Je sais déjà que mon ami sera mortifié de reproduire le pattern paternel d'Andrew. Il va devoir travailler dessus pour dépasser cette peur. Mais je sais aussi au plus profond de moi qui sera aussi content que nous, sa famille.
" Alors les filles, que dit le morceau de papier ? Demande Olivia qui est assise sur la cuvette des toilettes, terrifiée. "
Soudainement, j'entends Merry avoir un hoquet de stupeur. Toutes sommes mutiques. Je me rue sur le lavabo pour voir de mes propres yeux le résultat.
" Mon dieu, des larmes commencent à monter aux yeux tandis que je tiens le test avec précaution, Liv', Livi, Olivia... Il y a deux barres.
- J'ai besoin de le voir de mes propres yeux, passez le moi. Entre ses doigts, elle fixe le carton fin, incrédule quelques instants avant de lever la tête vers nous, au bord des larmes. Ça veut dire que je suis enceinte alors ?
- Je crois bien que oui Liv', je crois bien que oui. Je réponds heureuse, alors qu'elle commence à pleurer de joie. Tu vas avoir droit à des congés dans les mois qui suivent ma grande et Merry et moi à une masse de travail assommante ! "
Nous éclatons toutes de rire à ma dernière phrase tandis que nous fondons toutes en larmes, l'une après l'autre. Olivia n'arrive pas encore à mesurer l'ampleur de la découverte et je la serre contre moi si fort. C'est tout ce qu'elle mérite. Soit tout le meilleur du monde.
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Je regarde ce spectacle sans y croire. Tant par ce qui se joue sous mes yeux que par la chance de ma présence auprès d'eux. Parfois tard dans la nuit j'ai peur que tout cela ne soit qu'un rêve, et que la voix de mon père résonne dans le couloir de la maison. J'attends parfois cette douche froide jusqu'au lever du jour. Je sais qu'il faudra que je parle de ce que j'ai vu. Mais je suis encore trop en colère pour l'instant.
" Les filles, je crois qu'il va me falloir un verre. Ou deux... Ou un baril entier, s'exclame Elie en cachant ses émotions !"
Ma belle sœur est radieuse. Son sourire ainsi que celui de nos amies m'éclairent comme un lever de soleil clairvoyant. C'est comme une bouffée d'air pur. La vraie, celle qui te brûle les poumons tant elle est forte. L'ambiance est éléctrique, plus intense que celle des soirs précédents. C'est un véritablement tournant dans nos vies et je suis ravie d'en faire pleinement partie.
Pendant longtemps, j'étais reléguée au second plan, un prénom écrit entre deux lignes. Complètement hypothétique, oubliable. J'étais ce que l'on me demandait d'être. La fille à papa, ni plus, ni moins. Mais maintenant, c'est moi qui contrôle la narration. Regardez, je vous parle alors que je n'ai jamais eu le droit à la parole. On me laisse enfin être. Je ne suis pas que Meghan, la soeur de Caleb, je suis une femme accomplie, à la tête d'un empire et je partage de merveilleux moments assise là avec ceux que j'aime. Comme quoi, quelques verres un peu corsés, ça peut faire devenir très éloquent.
Au bout d'un moment, et après de longues effusions nous sortons toutes des toilettes. Une joyeuse troupe féminine à qui le monde appartient. Merry et Riley, se fondent toutes deux dans la foule main dans la main. C'est beau. Elie, cette tornade ambulante, retourne contrarier son journaliste. Puis je vois mon frère au loin rejoindre sa compagne, inquiet. Ce dernier lui tend un verre, elle refuse. Son visage est marqué par l'incompréhension. Quel idiot. Il va encore falloir qu'on lui serve le film avec les sous-titres à celui-là.
De mon côté, je me tourne doucement vers le bar. J'avance indépendamment de toute cette foule. Une fois ma pochette sur le comptoir, le serveur tout attentif m'interroge du regard sur ma consommation du moment. Et je réponds :
" Une margarita avec une rondelle de citron vert."
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