Chapitre 7 : Le Sacro-saint

Je me retiens de respirer lorsque la porte de l'ascenseur du Portland Weekly s'ouvre devant moi. Sur l'instant, je suis tellement ébahie que je n'arrive plus à bouger. C'est si incroyable d'être là, dans les locaux de mes rêves. Je vais pouvoir checker ma bucket-list ce soir.

Dans mon dos, je sens la main de Luke me tapote. Il veut que je passe la porte et même si je le veux au plus profond moi, j'ai l'impression de ne pas être à ma place. Exaspéré par mon manque de réaction, il se place devant moi et croise les bras.

" Ce serait bien de bouger maintenant, je sais ça fait un choc mais franchement, reviens sur Terre, et arrêtes de bloquer l'ascenseur s'il te plaît. Il se recule et poursuit. Regardes, tu fais comme moi, un pas devant l'autre. On appelle très communément ça marcher."

Je redescends de mon nuage et décroche un regard condescendant avant de le rejoindre. Nous sommes dans le hall desservant tout l'étage, on dirait presque une artère géante avec des murs vitrés, des bureaux à ne plus savoir quoi en faire et des dizaines de journalistes, assistants et stagiaires avec des dossiers ou des planches entre les mains. Tous saluent Luke lorsqu'ils passent à côté de lui. Nombreux baissent le regard après nous. Cela, il ne semble pas y prêter attention. Cependant, personne ne me remarque et une femme me bouscule presque alors que je me mets à sérieusement avancer. Un dossier glisse presque de ses bras mais elle le rattrape de justesse sans rien dire avant de poursuivre sa route.

Quant à Luke, il s'arrête quelques mètres plus loin et rentre dans une pièce qui semble être un bureau, mais je me stoppe en regardant à droite, quelques pas plus tard. Un frisson me parcourt l'échine tandis que je découvre un long open-space avec des dizaines et des dizaines de personnes devant des ordinateurs. D'autres sont devant une immense maquette du nouveau numéro et je meurs d'envie de voir les articles accrochés au mur. Cet espace me semble infini et je ne semble être qu'un grain de sable dans une immense industrie en marche. Même chez Pensez Vert il n'y avait pas autant d'agitation. C'est grisant. J'ai des picotements dans les bouts des doigts et la bouche grande ouverte tant je suis excitée.

" Cobb, tu vas avaler des mouches à force. Se moque Luke qui passe la tête à travers la porte."

Cette pique me sort immédiatement encore de ma rêverie et sans attendre, je rejoins son bureau rapidement, non sans prendre un doux plaisir à finir d'observer ce théâtre incroyable.

Debout à côté d'une bureau recouvert de livres, dossiers et maquettes, Luke attrape une chemise en papier remplie à ras-bord et sigler « Médiatics » en énorme la couverture. Tandis que je me rapproche pour regarder, il l'ouvre et me tend la première feuille du dessus.

" Ce que tu vas voir, tu ne dois en parler sous aucun prétexte donc tu dois me promettre d'être absolument muette à ce sujet en dehors de ce bureau."

Il attise ma curiosité et malgré ma confusion, j'acquiesce en silence avant de la prendre.

Entre mes doigts, une suite de mots soulignés, rendant la page presque entièrement fluorescente. Des parties sont occultées en noir, comme si on voulait cacher quelque chose. Après une rapide lecture, je comprends de quoi il s'agit.

" Où as-tu eu ça ? Demandé-je en retenant un cri puis rendant la feuille à Luke qui la glisse soigneusement.

- J'ai des relations à New York City. Il le repose sur la table et croise enfin mon regard interloqué. Ou plutôt une grosse relation qui me devait un service.

- Mais comment as-tu pu garder un document aussi secret ? Aucun autre journaliste ne détient un exemplaire ?

- C'est le seul en dehors du dossier du procureur que tu peux trouver. J'ai promis de garder cette information secrète jusqu'à avoir l'autorisation de la dévoiler. Et tu as de la chance, les petites lettres en bas de mon contrat me disent que, je n'ai le droit d'en parler uniquement qu'avec mon partenaire sur l'affaire. Il sourit. En l'occurrence, toi."

Bouche-bée, je manque de m'effondrer dans une petite causeuse industrielle qui se trouve en face du bureau. Il détient réellement un exemplaire du dépôt de plainte de Caleb Barnes. Un vrai exemplaire, non une de celles qui sont sur internet dont les informations ne sont qu'un tissus de mensonges.

" Donc, ce papier, tu le détiens depuis combien de temps ? Tenté-je de faire alors que je louche sur la pile d'autres feuilles du paquet. Tu en as d'autres dans le même genre ? Des rapports d'enquêtes, des regroupements d'hypothèses ? Même si c'est impossible, une idée de scène de crime ?

- Pour l'instant, et tant que tu n'as pas signer d'accord de confidentialité, je ne peux rien dire.

- Traduction, oui, tu as plus. Fais-je, neutre. Il est où ce papier que je le signe ? Je me lève de mon siège et tape dans mes mains.

- Juste derrière toi. Clôture Luke en regardant la porte ouverte. Je me tourne dans sa direction et dessine la silhouette d'un homme dans le cadre. Bonjour Walter, voici mademoiselle Élie Cobb. Cobb, tu es en face de Walter Wells, notre dévoué-... "

De toute sa hauteur, l'homme en chemise retroussée sur les bras et pantalon de costume a une présence qui manquerait presque de me couper l'envie de parler. Il paraît autoritaire, assuré et confiant. Il a comme une aura de supériorité autour de lui, accentuant d'autant plus le respect. Ses cheveux ramenés en arrière, il doit bien avoir une cinquantaine d'années à tout casser, voire moins. Avant que Luke n'est fini, je comprends à qui je fais face:

" Oh mon dieu, vous êtes Monsieur Wells ! Si vous saviez à quel point je peux vous admirer ! J'ai lu pratiquement tous vos articles, j'adore surtout l'interview que vous aviez faites de monsieur Kowalski pour le lancement de son entreprise à l'époque en relation avec l'entreprise Barnes ! Telle une enfant, je me rue sur lui en tendant ma main, il a un visage oscillant entre le mépris et l'amusement. Ce n'est pas étonnant, on le raconte comme étant un homme qui n'offre pas sa confiance facilement et qui est assez froid.

- Je vous remercie, répond-t-il sans accepter ma poignée de main, ce fut mon premier article à succès mais aussi la première grande affaire sur New York City que l'on m'a officiellement confié. "

Il me frôle en prenant garder à observer chaque millimètre de mon corps. Je frissonne en redescendant ma main. Luke a les bras croisés contre son torse et hausse un sourcil, mécontent. Je comprends le message: Pas d'effusions sentimentales en présence du patron.

Monsieur Wells se place à ses côtés et me détaille quelques secondes de haut en bas sans rien dire. Mal à l'aise, je baisse la tête pour voir ma tenue. Un jean et un haut fatigués par les multiples lavages ainsi que des baskets sales. On a vu mieux comme association pour un entretien d'embauche.

Je pousse un petit soupir interne et attends que l'un des deux hommes de la salle prennent la parole. Luke se décide finalement à me secourir et lance en prenant place sur l'un des siège:

" Bon, qu'on en finisse ?

- Qu'est-ce qui t'assures que cette fille sortie de nulle part est la bonne ? Tu sais très bien comment cela c'est fini avec la dernière. Il a un regard lourd de sens, perplexe.

- Elle a ce truc qui s'appelle l'envie d'être ici. Très peu l'ont aujourd'hui, et tu le sais aussi bien que moi Walter. Luke semble prêt à tout pour que je sois intégrée, cela me fait chaud au cœur. Et puis la dernière n'était qu'une empotée qui avait peur de franchir les règles, elle n'aurait jamais pu être une vraie journaliste. Il lève le bras vers moi en m'indiquant sans me regarder. Elle, elle a le culot de chercher, de creuser où c'est interdit. Et d'après ce que j'ai lu, elle a surtout du talent, assez pour que je me porte garant d'elle dans cette affaire."

Sans répondre, Monsieur Wells me fixe en l'écoutant déblatérer son ramassis de paroles. J'en arrive presque à croire qu'il ne l'écoute pas. De mon côté, je rejoins son air affable en essayant d'être le plus digne possible, forte en option, enfin j'essaie... Ce n'est qu'après son discours que mon potentiel futur patron décide enfin de reprendre la parole:

" Mademoiselle Cobb, vous savez à qui vous me faites penser ? Demande-t-il, de but en blanc.

- Je ne suis pas dans votre tête Monsieur. Réponds-je, un brin ironique, ce qui me vaut un coup d'œil assassin de Luke qui est passé derrière le bureau entre temps. Cependant cela fait rire légèrement Walter.

- Vous me faites penser à monsieur Hoffman lorsqu'il n'était encore qu'un novice. Fougueuse et hors des clous mais tout de même naïve. Il pose mon contrat sur la pile supérieure. Croyez moi mademoiselle, notre milieu n'épargne personne, pas même les journalistes. Luke a fait des erreurs -de très grosses erreurs même- au début de sa carrière et j'ose espérer que vous ne les reproduiriez pas. Savoir repousser les règles est un fait, mais savoir s'arrêter en est un également. Luke semble gêné et triture son stylo en fuyant mon regard insistant. Oh oui je découvrirais cette histoire, et il le sait.

- Je ferais de mon mieux. Assuré-je, la main sur le cœur.

- J'espère pour vous, sinon ce serait un retour à la case départ. Il attrape un stylo dans sa poche et me le donne avant de reprendre le sacro-saint papier. Vous vous engagez dans une longue carrière à nos côtés Mademoiselle, si les dires de monsieur Hoffman sont fondés et tant que vous vous conformez à mes règles morales, ainsi donc à celle de l'entreprise."

Wells se place dans mon champs de vision et occulte presque Luke par sa prestance. Je déglutis lorsqu'il se rapproche de moi avec son air inquisiteur. On dirait mon père lorsque j'ai fait ma crise d'adolescence. Et autant vous dire que ce n'était une période facile ni pour moi et surtout ni pour eux. Si vous connaissez le nombre de frasques que j'ai pu faire, on en aurait pour la nuit ! Règles morales? J'ai intérêt à apprendre par coeur le mémo à ce niveau là...

" S'il le faut, alors je m'y plierais."

Parce que vous y croyez vous ?

" A la bonne heure, je vous laisse signer ce contrat associant vos horaires, votre salaire mensuel mais aussi les clauses de confidentialité relatives à votre nouveau poste. Évidemment, en un commun accord, vos avancées sur cette affaire me seront partagées, il en va de même avec vos activités au sein de notre entreprise. N'est-ce pas Luke ?

- Tout le monde est logé à la même enseigne ici. Connu ou non.

- Je comprends. Finis-je avant de poser le stylo sur l'encart de la feuille."

Soudain, Monsieur Wells décroche un sourire oscillant entre celui de politesse et celui calculateur. Ainsi, il se recule, se laissant toute la joie de me détailler de haut en bas tandis que je me pense pour signer. Trop de bla-bla, assez d'action, je le lis en travers rapidement. Mon cœur bat à une vitesse folle quand j'apporte ma signature en bas de page. Je tremble légèrement en me rendant compte de ce qui se passe. Lorsque c'est fini, Walter Wells reprend le stylo et le contrat puis ajoute:

" Miss Cobb, vous êtes officiellement journaliste au sein du Portland Weekly. Bienvenue parmi nous."

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