Chapitre 5 : « You've got mail »

Une brise légère frappe ma joue puis un rayon de soleil atterri en plein milieu de mes deux yeux, sur l'arrête de mon nez, m'harcelant longuement pour me réveiller.

" Non... Laisses-moi encore... Fais-je en me retournant, aspirant la couette avec moi et baillant. Ma joue droite me tire étrangement. Encore... Quelques... Minutes...De plus.. ."

S'il vous plaît, la nuit fut si courte...

Mais pas de repos pour les guerriers, c'est mon téléphone qui joue aux réveils. Ma main claque aléatoirement autour de moi, balançant au passage un objet non identifié qui se fracasse au sol. Le bruit me surprend et j'ouvre les yeux en grand -enfin, tout est relatif- pour voir l'étendue des dégâts, me positionnant pour n'avoir qu'une moitié de corps encore appuyée et allongée contre le lit, l'autre volant au dessus du parquet. Un mouchoir usé et le dos de la coque de mon téléphone le jonche sans élégance.

" Merde ! Je pousse un grognement de rage et ramasse sans réfléchir puis le retourne. La vitre est brisée, fendue, tout ce que vous voulez mais elle s'est bien ébréchée. Je bascule ma tête en avant puis pousse un soupir en reposant l'objet là où il était après avoir éteint l'alarme. Encore un coup d'Allen qui m'a ajouté un réveil pour me faire chier. Ce genre de blague le fait toujours mourir de rire, mais ce n'est pas possible merde, on est le week-end ! Telle une sirène, je m'arque sur le matelas, cheveux emmêlés et pousse un appel venant du plus profond de mes entrailles. Allen !"

J'entends des pas affirmés se balader dans l'appartement puis la forme de la carrure de mon petit-copain qui se grave sur le mur. Il débarque devant l'entrée de la chambre et s'appuie négligemment contre l'encadrement de la porte, les bras croisés avec un petit rictus amusé.

" Oui, qu'il y a-t-il ma douce et tendre ? Sa voix se veut mielleuse mais me fait plus l'effet d'une batte de baseball en meeting avec mon crâne."

Mon humeur n'est clairement pas au beau fixe ce matin et mon homme a décidé de jouer avec le feu. Je roule des yeux et m'assoie correctement sur le bord du matelas enfoncé avant de lui répondre sur un ton similaire.

" Oh mon amour, tu apprendras ce vieil adage très rapidement si tu ne veux pas te faire broyer les bijoux de famille voire pire, entrer en période de grève, "Laisses dormir ta fem- copine le matin si elle est fatiguée et ne viens pas la saouler dès le petit jour. Compris ?

- Je pense que je pourrais m'en souvenir, mon attirail est trop sensible pour être violenté. Il lève la tête au ciel, deux doigts sous le menton, pensif. Élie, où étais-tu cette nuit ? Je m'apprête à lui répondre. Oh non, attends je crois savoir ! Tu ne serais pas allée dans un certain bar alors que je t'avais interdit d'y aller, pour le bien de tous ? N'est-ce pas ?"

Je m'écroule, m'étalant de tout mon long, poussant un râle.

" Et alors ? Je n'ai rien fait de dangereux si tu veux tout savoir. Un autre l'a fait à la place.

- Celui qui t'a ramené je suppose ? Sa voix devient plus grave et sérieuse. Le beau châtain qui semble s'être fait tabassé ? Limite je préfère que ce soit lui que toi qui se retrouve dans son état actuel. Mais ça ne m'explique pas où tu étais le reste de la soirée. Se faire tabasser ne prend pas trop de temps généralement. Enfin il n'était pas à l'article de la mort non plus vu qu'il a quand même pu te ramener...

- Monsieur joue au jaloux ? Très bien, je déclare d'une voix solennelle. Ne t'inquiètes pas mon garçon, je me lève du lit et le rejoins en quelques pas rapides tout en m'étirant, l'homme que tu as vu vient de demander sa compagne en mariage. Mais elle l'a malencontreusement rejetée.

- Et c'est censé me rassurer ? Fait-il avec humeur.

- Absolument si tu veux mon avis. Je passe à sa gauche pour rejoindre la salle de bain, traînant du pied pour l'atteindre, me faisant courser par Allen, bien décidé à me faire la leçon."

Lorsque j'atteins enfin la terre promise du nettoyage, Allen attrape mon avant-bras pour me stopper, une mine déconfite sur le visage. Il semble presque triste.

" Chérie, je t'en supplie, ne refais plus jamais ça.

- Par "ça", qu'entends-tu ? Je retire mon bras de son emprise et les croise contre ma poitrine, exaspérée.

- Essayer de me rendre justice, je peux me défendre seul. Et te faire sauver par des inconnus beaux gosses par extension."

Maintenant il paraît inquiet que l'on lui retire son jouet. Je pousse un immense soupir et attrape la porte de ma main droite, puis lui réponds en la refermant sur lui.

" Il va falloir que tu te rentres quelque chose dans la tête mon grand. Je suis une grande fille qui sait ce qu'elle fait et, avant preuve du contraire, je n'ai aucun engagement autre que moral, ou sexuel si tu insiste, envers toi donc si j'ai envie de jouer les super-héroïne, je le ferais. Ensuite, si d'autres viennent m'aider dans ma quête, c'est mon problème, pas le tien. Ensuite, si tu n'es pas capable de me faire confiance, parce qu'un mec a eu le courage de prendre un coup par ma faute, ça c'est ton problème, plus le mien. La porte est presque fermée et une mince fente me permet encore de voir Allen. Enfin, tu m'épuises à croire que je pourrais te tromper, tu sais pertinemment que ça n'arrivera pas, et j'ai des preuves tangibles à la clef. Allez, bisous à toi et à tes moralités, je vais me laver sur ces bonnes paroles."

Je ne lui laisse pas le temps de répliquer que je claque la porte après lui, rejoignant le lavabo et la glace pour rassembler mes cheveux en chignon, enlever mon pyjama pour enfin pénétrer dans l'enceinte de la douche. La journée risque d'être longue s'il remet le sujet sur la table à plusieurs reprises. Très longue.

J'actionne le bouton de l'eau et celui de l'eau chaude, tellement chaude qu'elle me brûle la peau. Je hurle si fort de surprise que je suis persuadée que même Nelson, le voisin, a pu l'entendre. Putain de copain qui se lave toujours à l'eau bouillante.

" Argh putain !"

A travers les flots, je perçois la voix d'Allen qui me répond amusé:

" Bisou sur tout ton petit corps! Et sur tes moralités bien sûr. Finit-il, ne se gênant pas pour rire le con."

Oui, aujourd'hui sera une très très longue journée.

" Cette touche E me pourrira toujours la vie visiblement ! Déclamé-je à Allen qui est allongé dans le canapé, un magazine aléatoire dans les mains, faisant semblant d'être concentré et intéressé par celui-ci.

- S'il n'y avait pas eu cette touche et ton vieux PC de la fac, on ne se serait peut-être jamais connu et je n'aurais pas tenter ma meilleure technique de drague. Fanfaronne-il toujours les yeux sur ce magazine.

- Sache que je t'en veux toujours, abruti, t'as ruiné mon début de boulot avec ton petit coup "involontaire" dans mon dos. Répliqué-je, tournant ma chaise vers lui, un rictus moqueur sur les lèvres.

- Mh, involontaire, peut-être pas... Il replonge dans sa revue, le nez presque collé au papier. J'admets ne pas l'avoir fait sans arrières pensées.

- Quel acte courageux tu viens de faire, j'en suis toute éblouie !"

Soudain, mon attention est dirigée vers un petit pop-up qui apparaît dans le coin de l'écran du bureau. Je n'entends plus ce qu'a pu me répondre Allen, dans un de ses meilleurs traits d'esprit.

" TheUnofficialPortland.com

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Je déglutis de surprise et approche dangereusement le petit ordinateur vers moi, relisant le pop-up une seconde fois. Si le Portland Weekly est l'hebdomadaire le plus populaire de la ville, The Unofficial Portland est sa version sans grand budget et venant du net. Rares -très rares même- sont ceux qui connaissent ce petit journal en ligne. Cela vient presque du miracle de l'avoir visité au moins une fois. Et dans mon temps libre, j'écris des petits papiers pour eux.

Alors, certes, j'ai un peu d'expérience, oublions l'épisode du magazine de jardinage, mais repartir à zéro, sur une plateforme plus calme où se faire connaître revient à du pur bouche à oreille, est plus agréable.

Je partage mes rapports, je relate les faits et délivre quelques axes de recherche sur certains sujets à un groupe restreint qui me convient. Ce qui est surprenant, c'est que je ne connais absolument pas ce pseudonyme. Surtout sur mon dernier article, sur un événement que je trouve très intéressant par ailleurs.

Peut-être que vous ne connaissez pas cette affaire -mais merde, vous vivez dans une grotte ou quoi- qui a quelque peu embarrassée une certaine firme américaine. Cette entreprise se nomme Médiatics et est spécialisée dans les échanges de fonds et d'informations à travers les secteurs de l'audiovisuel. Ce sont comme des géants producteurs dont l'empire vient d'être placé dans une mauvaise passe. En effet, vous le savez sans doute, mais il y a quelques mois, l'affaire de fraude fiscale a éclaté alors que Médiatics venait d'entrer à Wall Street et que son président-fondateur, Monsieur Andrew Barnes, quittait ses fonctions le soir-même pour les léguer à son demeuré de fils -pardon- Caleb Barnes. La partie la plus fun de l'histoire est lorsque, une semaine après la passation de pouvoirs, l'ex-femme de ce dernier, Sharon Dawson, est allée à la télévision nationale pour lâcher la bombe avec son petit sourire suffisant et sa petite phrase qui s'est gravée dans ma mémoire.

" Mon cadeau de divorce chéri. J'espère qu'il te plaît."

Quand j'ai vu les images, il était environ 19 heures ici, 22 heures à New York City et j'étais assise sur le canapé où se tient actuellement Allen, un paquet de chips ouvert coincé entre les cuisses, la télécommande de la télévision dans la main, limite somnolente, le zapping me tenant dans un état de conscience incertain. La journée avait été assez longue et exténuante, c'était un pur miracle qu'à cette heure, je sois dans mon appartement. C'est par habitude que j'ai mis la CNN qui avait bien commencée depuis une bonne heure, en priant que les informations me maintiennent encore quelques instants de plus en éveil. Le présentateur était accompagné d'une femme en tenue noire, proche d'être habillée pour un deuil, qui arborait un visage presque radieux.

" Cette fille paraît vraiment sûre d'elle. Me suis-je dite, l'observant avec plus d'attention encore."

Ses cheveux bruns encadraient avec élégance son visage et son maquillage cuivré faisait ressortir ses yeux bleus. Ils paraissaient presque intenses à travers mon écran. Elle semblait confiante, réellement.

Je me souviens avoir retenue mon souffle et écarquiller les yeux en attendant la révélation de cette femme qui sous ses traits de nymphe, cachait bien plus. Pendant quelques instants, je me suis passée l'image en boucle, le temps d'analyser la situation. À partir de quel degré de méchanceté, on affiche devant la terre entière l'adultère de son ex et ses magouilles financières? Autant la seconde partie, pourquoi pas, mais la première... Je n'ai pu me retenir de pousser un long soupir puis de me lever de mon siège pour m'asseoir devant mon ordinateur portable. Mon instinct de investigatrice s'était activé en visualisant cette Sharon Dawson, sa colère perchée sur une paire de talons hauts.

C'est comme ça que j'ai commencé à me renseigner sur le sujet. Puis les vannes se sont ouvertes dans les temps qui ont suivis. Fraudes, infidélité, divorce, découverte de la fameuse briseuse de ménages, une anglaise fraîchement débarquée de son comté qui répond au nom d'Olivia Lawford, procès contre Sharon, qui avait piquée et tentée de blanchir une partie de la fortune colossale de son ex, etc... Mais plus récemment, une plainte a été déposée contre le père, Andrew, par son propre fils. Il l'accuse d'homicide volontaire sur Liam Barnes, l'aîné, de violence et menaces envers ce dernier et lui-même. Bon dieu je vendrais mon poisson rouge pour avoir l'occasion de fouiner dans une affaire pareille. Attendez, je n'ai pas de poisson rouge.

Seulement, peu de preuves confirment ses affirmations. Les quelques rares personnes proches de la famille peuvent attester de violentes colères mais pas d'actes criminels. Même si Liam Barnes a clairement disparu des radars, aucun corps n'a été retrouvé et pas toujours pas de témoins pour affirmer la version de son petit frère. Alors le procès stagne depuis six mois et les américains veulent le fin mot de l'histoire. Dont moi.

Personne ne sait qui croire entre les deux clans qui s'opposent, d'un côté, Andrew, sa femme et sa benjamine, de l'autre, son cadet et sa petite-amie, représentant Liam par la même occasion. Si de l'un, ils cherchent à cacher les secrets crapuleux, de l'autre, ils veulent découvrir la réalité, quitte à en perdre des plumes.

Que s'est-il passé ? Pourquoi Liam Barnes a disparu ? Si c'est bien le senior, qui a pu l'aider dans sa tâche ?

Trop de questions sans réponses et je me délecte de toutes ses mouvances qui donnent du piment à mes articles. Il faudrait que j'essaie un jour de les noter.

Quoi ? Vous croyez vraiment que j'allais me larmoyer sur leur pauvre sort ? "Oh, pauvre famille, elle les cumule ces derniers temps ! Comment va elle se relever ?" Je n'irais jamais plaindre ces gens. Et puis, ce n'est sans doute pas que la seule boîte de son domaine qui trafique selon moi. Ce serait trop facile sinon.

" Élie ? Tu es toujours avec moi ? La voix d'Allen parvient étouffée à mes oreilles, comme s'il portait un scaphandre et qu'il était sous l'eau. Je crois comprendre qu'il me rejoint et que ses mains massent lentement mes épaules. Sa tête descend vers moi et il s'arrête au niveau d'un de mes oreilles justement pour me susurrer mon prénom. Hé ho, Élie ?

- Mmh ? Marmonné-je en tordant le cou sur le côté, dans un petit gémissement.

- Tu es trop occupée pour m'écouter, c'est ça ? Il se penche sur le mail qui vient de s'ouvrir. Nouveau commentaire ? Il plisse les yeux. Par UnofficialReader. C'est bizarre, je ne le connais pas ce pseudonyme.

- Moi non plus à vrai dire. Mais ce mec a répondu à mon article sur Médiatics et c'est ça le plus important.

- Tu m'étonnes, cliques que l'on regarde ! Fait-il, excité."

Lorsque j'ouvre le lien associé au mail, j'atterris sur la page menant à mon article. Des dizaines et des dizaines de paragraphes et photos défilent sous la molette de ma souris jusqu'à arriver à l'espace commentaire qui était muet jusqu'à que ce UnofficialReader débarque. Nous retenons notre souffle avant que je ne commence à lire à voix haute.

" Je dois avouer que vous êtes très douée, vos déductions et hypothèses sont plausibles dans la mesure des informations que nous avons sur le dossier. Cependant, l'idée qu'il y ait une preuve sur la mort de Liam qui courre dans la nature me rend perplexe. Pourrions-nous en parler ensemble autour d'un café ?

PS: Nous nous connaissons déjà Mademoiselle Cobb. "

Allen me jette un long regard interrogatif tandis que je cherche l'identité de celui ou celle de son expéditeur. Tandis que je réfléchis, il demande:

" Tu comptes faire quoi ?

- Y aller serait la bonne solution. Je me lève de ma chaise et tire sur mon haut. Et je pense que c'est ce que je vais faire."

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