Chapitre 43 : Pourparlers dans le couloir

" Ça ne s'est pas si mal passé que ça finalement, glissé-je à Luke lorsque nous sortons de la salle pour une pause.

- Si tu trouves que c'était « pas si mal », il serait peut-être temps de se réveiller Cobb. Je vais prendre l'air. Il part les mains dans les poches, tête baissée."

Je reste immobile quelques secondes en le regardant s'éloigner. Olivia, suivit de Caleb et l'avocat de notre camp, arrive à mon niveau, le visage éteint. Tous deux sont abattus mais ils savent bien que c'est la stratégie du jour. Quant à Maître Moore, il est impassible, réfléchissant au prochain mouvement pour mettre au tapis les adversaires. Lorsqu'il était à la barre il y a quelques heures, je pouvais sentir l'ambiance électrique qui naviguait entre lui et Maître Phelps, l'avocat de la défense. C'était un vrai combat de coq.

" Je ne me serais jamais doutée qu'un procès pouvait être aussi épuisant mentalement, commente Olivia en observant la salle se vider.

   - Je vais devoir vous appeler à la barre monsieur Barnes, déclare maître Moore entre deux gorgées d'eau, il s'est rapproché avec une élégance incroyable.

   - Faites ce qu'il y a à faire maître, répond Caleb à impassible en serrant un peu plus la main de Liv'. Je vois bien que cette nouvelle ne le ravit pas, mais cet événement est prévu depuis le début. Ce ne fait jamais du bien d'affronter ces démons en personne, même en s'y préparant.

   - Caleb, tu e-..., commence Oliva soudainement inquiète, en saisissant la main de son compagnon, certainement afin de tenter de nous en dissimuler son pouce, mais monsieur Moore n'a d'yeux que pour son client.

   - Votre seul témoignage risque de ne pas suffire en vue de toutes les personnes prestigieuses qui viennent intervenir en faveur du clan adverse, continue l'avocat en jetant sa bouteille d'eau vide dans une poubelle. Il faut trouver le moyen de déstabiliser une des personnes qu'ils considèrent comme acquises. C'est un peu comme dans «Les douze hommes en colère», il en suffit d'un pour changer l'issue d'un procès. Je comprends la référence et écoute la suite. Mais nous ne pouvons pas faire intervenir mademoiselle C. dès le premier jour, ce serait une erreur de stratégie monumentale."

Le silence retombe dans le groupe. Longtemps. Trop longtemps pour l'état d'angoisse, de stress que nous ressentons tous. Olivia et Merry ont des petits frissons, Caleb, Luke, qui est revenu, et Dave se tiennent comme s'ils tenaient la voûte du ciel, puis enfin il y a moi, qui gère cette situation en dévisageant le monde entier. Monsieur Moore finit par nous laisser quelques instants afin de vaquer à ses occupations d'avocat, ou à ses occupations tout court. Enfin à six, nous restons tous là à se regarder dans le blanc des yeux, en attendant une illumination tombée du ciel.

Le tribunal est bruyant, tous les spectateurs et les journalistes attendent à l'extérieur tandis que chaque partisan d'équipe s'évite soigneusement comme la peste. C'est la première fois que je suis confronté à une telle hypocrisie ambiante. Chacun est là pour une raison bien précise, une raison personnelle aussi inavouable que perverse. Ils jubilent tous à voir ce scandale, et cherchent tous les moyens pour en prendre parti. Pour résumer, l'ambiance près de la seule machine à café disponible dans le couloir est magique. Olivia et Caleb réfléchissent ensemble à voix basse, tandis que je regarde Luke observer tout ce petit monde. J'ignore mon envie soudaine de café, et essaie de mettre mon cerveau en marche pour l'effort de groupe. C'est stupide mais rien n'y fait. Et mon partenaire analyse chaque personne présente dans ce grand hall, il passe à toute vitesse en revue chacun des partenaires de Caleb, d'Andrew, les amis de la famille, les investisseurs, les hommes de loi, la famille... Tout y passe.

Soudain il s'avance et prend à partie tout notre petit groupe:

" J'ai peut-être une idée, intronise Luke. S'il nous suffit qu'une seule personne ne parle, il faut que ce soit quelqu'un que votre père ne soupçonne pas, parce c'est une personne qu'il n'estime pas dangereuse, poursuit-il, incertain de son idée soudaine. Je suis son regard en tentant de comprendre où il veut en venir. Puis soudain illumination.

   - Une femme donc, qui pourtant a toujours été là, qui a tout vu comme vous, mais qui est tout de même assez intelligente pour savoir qui dit la vérité, je termine pour Luke, un peu plus certaine, en échangant un regard complice sorti des enfers.

   - Eh bien, ce serait... Le visage de Caleb Barnes devient blême alors que l'idée initiale de Luke prend forme dans son esprit.

   - Ta soeur, finalise Olivia, l'air grave."

Le groupe se tourne avec le plus de naturel possible vers ladite personne. Meghan Barnes. Cette dernière est habillée d'un ensemble Chanel telle une enfant sage. Bien que la presse nous dit le contraire chaque semaine. Elle est placée à la droite de sa mère, raide comme un piquet tandis que cette dernière parle avec énergie à l'avocat de son mari. Et le détail que Luke a vu me saute soudainement aux yeux. Meghan ne peut s'empêcher de regarder son frère malgré la conversation animée devant elle. Le message est clair. Je m'apprête à m'élancer vers elle mais une main me retient par la taille. Son contact me brûle sous mes vêtements. Luke me regarde alors que je me fige soudainement.

" Hop, hop, hop, ne bouge pas de là toi, je pense que c'est à son grand frère que Meghan veut une explication, pas à une journaliste folle en manque de café."

Je reste pontoise à la légèreté de ses mots, jusqu'à ce que mon esprit finisse par passer l'éponge et que je les laisse tous pour cet or noir salvateur. Si je m'éloigne, je pourrais me contrôler. Tout ça pour aussi mettre toute ma concentration à oublier ce frisson qui a vrillé tout mon corps. Je ressens encore la pression de la pulpe de ses doigts sur ma peau.

Caleb semble avoir réussi à attirer l'attention de sa sœur, qui se dirige vers lui dans un endroit à l'abri des regards, près du couloir des toilettes. C'est une conversation privée voyons Elie, Luke a raison. Mais la curiosité est beaucoup trop forte. Une fois mon café et ma sucrette en main, je me dirige avec le plus de naturel possible vers un banc, heureusement vide, duquel je pourrais possiblement entendre ce que disent le frère et la soeur sans me faire prendre. Je ne vois Luke nulle part, rien ne peut entraver mon plan.

Une fois bien installée et après ma première gorgée, je constate que la conversation a déjà bien commencé :

" Non mais tu te rends compte de ce que tu fais ! Il s'agit de notre famille putain ! Papa a toujours tout fait pour nous.

   - Mais justement Meg, il a toujours fait tout pour nous parce qu'il attendait que l'on fasse toujours tout pour lui. Quand vas-tu comprendre que ce n'est pas normal ?

   - Je ne vois pas en quoi ce n'est pas normal d'être là pour sa famille, s'entête sa sœur. Tu as trahi les tiens, comme Liam l'a fait avant toi en nous abandonnant !

   - J'ai l'impression d'entendre parler maman ! Réfléchis par toi même merde !

   - Et bah tu sais quoi, ouais, je parle comme maman ! Parce que maman a toujours été la seule à ne pas oublier ma présence à défaut de quelqu'un d'autre. Je l'imagine soutenir le regard de son frère fulminant. Tu sais très bien que je parle de ta secrétaire qui n'en veut que pour ton argent et de ta notoriété, tout comme Sharon ne vivait que pour ça !"

Une présence arrive soudain à côté de moi, je sursaute à la vue de Olivia qui comme moi quelques minutes plus tôt prend une gorgée de son gobelet fumant de chocolat chaud, attentive. On échange un regard inquiet sans dire un mot. Je me rends compte que j'en ai délaissé mon café.

" Laisse Olivia en dehors de tout ça, la voix de Caleb est tranchante. Elle n'est comme personne et encore moins une pâle copie de Sharon. Rentre toi bien ça en tête. Cette femme, que tu ne connais pas, m'a ouvert les yeux sur l'énormité de la situation et elle n'a pas fuit lorsque c'est devenu compliqué ! Elle ne fuit pas à chaque fois qu'on trouve un problème de plus, ou lorsque je suis infect, même avec elle."

Je me tourne un peu vers Oliva qui fronce les sourcils, et passe une main sur son avant bras afin de lui signifier silencieusement que je la soutiens. Mon amie recouvre immédiatement ma main de la sienne.

" Si tu apprenais à la connaître au lieu de suivre les paroles de nos parents comme l'evangile tu verrais que-, sa voix tremble, que rien dans notre enfance était normal. On ne se résume pas qu'à des coups de temps en temps ou encore à des privations de desserts lorsqu'il fallait vraiment sévir. Tu le sais, tu l'as vu toute ta vie. On a toujours été terrifié par cet homme ! Rappelle-toi lorsque la nuit on se rejoignait tous les trois dans la chambre de Liam. Personnellement, ce sont les seuls souvenirs que je n'échangerais pas sur toute une enfance. Et lorsque les coups n'ont plus suffi, c'était le chantage affectif. Je voulais faire de l'art et regarde ce que j'ai récolté en échange."

La main d'Olivia se serre, cette dernière finit par se lever soudainement pour partir s'isoler toute seule quelque part où personne ne peut la voir. Mon coeur se rétrécit à l'infini pour elle. Les yeux dans le vide, je finis par me rappeler que je dois écouter.

" Je ne te demande pas de suivre mes paroles comme si elles étaient une vérité absolue. Mais il s'agit de ma vérité, et je te demande de venir témoigner ta vérité à toi au monde. Montre leur que tu n'es pas que la potiche qu'il estime, et que ce n'est pas un sac à main ou un compte en banque tu te feras taire. Tu es tellement plus intelligente que ce qu'il te réduit à...

   - Tu ne sais pas ce que tu dis...

   - Bien sûr que si je sais ce que je dis. Regarde comment il a toujours traité notre mère. Elle ne vit même plus pour elle-même ! Le silence retombe une dixaine de secondes ou une vingtaine avant que Caleb n'ajoute. Meghan... Je te présente mes excuses. Je ne m'étais pas rendu compte que je faisais comme Liam l'avait fait avec nous il y a des années en partant. Je n'aurais pas dû te laisser et ...

   - Caleb Barnes, annonce une voix suave que je ne connais pas. Comme on se retrouve."

Je fronce les sourcils alors que la silhouette de Meghan me passe devant sans un regard pour moi. L'esprit complètement partagé par tout ce que son frère vient de lui déblatérer en l'espace de quelques minutes. Elle semble fuir la personne ayant interrompu leur conversation. Mon café aux lèvres, je reste attentive. Luke, qui vient de revenir dans la salle, du coin de l'oeil. Peu importe s'il me voit.

" Sharon, fait Caleb, agacé. Qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu n'es pas censée être en prison ?

- Oh mais tu sais très bien, je n'ai pas besoin de t'expliquer... Elle est enjouée. Et puis, je ne suis pas passée par la case combinaison beige, la couleur ne complimente pas ma carnation de toute façon. L'homme pousse un long soupir exaspéré.

- Tu aurais peut-être dû y faire un tour. Mais essaie pour voir. Pourquoi tu es venue mettre ton grain de sel ?"

Sharon pousse un petit rire auquel Caleb ne se joint pas. C'est là que je me remets en mémoire qui est cette personne. La femme a l'assurance folle, l'interview, le cadeau de divorce. C'est celle qui a allumé la mèche de toute cette histoire.

" Qu'est-ce que tu peux d'un hilarant chéri !

- Je ne suis plus ton chéri Sharon.

- Ça reste un détail ça...

- Si c'est pour venir casser du sucre sur mon dos Sharon, il est exaspéré, rentre chez toi. Je n'ai pas envie d'avoir à gérer un autre problème.

- Ne t'inquiète pas, je ne suis pas là pour te torpiller... Elle a un sourire malicieux. Du moins, pas de manière frontale... Et sinon, comment va notre très chère britannique ? Elle s'habitue bien aux fastes de la vie new-yorkaise ?"

Une main me tire de là où je suis assise. Luke me traîne derrière lui à l'autre bout de la pièce alors que les deux anciens mariés s'avance vers l'endroit où j'étais il y a quelques secondes.

" Décidément tu ne peux pas t'empêcher de fourrer ton nez partout. Il ajoute amère: ne dis pas merci surtout.

   - Arrête de faire comme si tu ne connaissais pas ma curiosité malsaine Luke, je me soustrais de sa poigne et jette mon contenant vide dans la poubelle. Merci pour quoi ? M'avoir empêché de finir mon café calmement assise sur un banc ?"

Je ne le laisse pas répondre et suit le mouvement de foule tandis que l'on rappelle tout le monde dans la salle du tribunal. Tout naturellement, Olivia est placée au premier rang, proche de Caleb, tandis que Luke et moi sommes plus en retrait, quelques bancs plus loin. Ce serait mal vu d'être côte à côte de Liv'. Et le pire est que ce procès m'ennuie, tout m'ennuie. Les témoins en faveur de la défense sont de plus en plus nombreux, chantant les louanges à Andrew Barnes pour son travail acharné, l'éducation irréprochable de ses enfants (les grandes écoles, les postes à haute responsabilité, etc...) et sa grande gentillesse (dons à des associations et participations à de nombreux évènements de charité). C'est à en crever de rire. Comme si tout ça pouvait effacer l'homme pourri juste qu'à la moelle qu'il est. Maître Moore s'avance vers l'assemblée, prêt à reprendre son combat, et annonce sans la moindre hésitation :

" J'appelle à la barre Caleb Barnes, fils de Andrew Barnes."

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