Chapitre 40 : Une fresque de la triste réalité

À l'autre bout du pays, au même instant

L'écran d'Elie vient de s'éteindre sous mes yeux. Je les clos un instant, éblouis par la violence de la lumière bleue qui jaillit. Je reprends mon souffle puis je ferme le clapet de l'ordinateur portable puis la lampe de bureau. La fatigue me mitraille l'avant du crâne. Tout ce fait noir autour de moi et je me dirige vers la grande porte fenêtre pour regarder la vue. La mer est d'un calme étrange cette nuit. C'est la première fois que je la vois comme ça depuis que je suis arrivé dans ce coin paumé du Maine, il y a presque deux semaines.

C'est le calme avant la tempête.

Je sens mon cœur battre dans ma poitrine. C'est toujours comme ça quand je vois Elie et ça l'est encore plus depuis que j'ai aperçu la petite larme qu'elle s'est empressée de retirer. J'ai feint n'avoir rien vu, pour d'une part ne pas la mettre mal à l'aise mais encore plus ne pas sentir mon coeur se serrer à la voir se braquer et nier. Je ne m'y attendais pas. J'expire une longue bouffée d'air en regardant dans le vide alors que j'analyse, comme je l'ai souvent fait jusqu'ici, cette femme qui me rend dingue. Elle est attachée à moi. Je rêve. Derrière ce masque et cette distance constante, Elie tient à moi, j'en ai eu la preuve sous les yeux. Et ça, je ne m'y attendais pas.

Comme je ne m'attendais pas à être aussi attaché à elle.

J'ai besoin de prendre l'air, c'est devenu irrespirable ici. J'enfile un pull fin puis pousse la porte. Je fais quelques pas puis enfonce mes pieds dans le sable frais. Cette maison de famille est un véritable palace. Immense, style colonial de bord de mer, une plage en supplément d'un gazon parfaitement entretenu et au bout, un ponton où est amarré un petit bateau à moteur. Le rêve des riches qui cherchent le calme tout en exposant leurs trop nombreux dollars. Elie aurait adoré courir ici, j'en suis sûr. Je l'aurais emmené faire un tour de bateau et nous nous serions perdus l'un dans l'autre à plusieurs reprises. J'aurais eu tout le loisir de la regarder, et de profiter de toute occasion pour se chamailler. Cependant, elle a volontairement décidé de s'exiler chez elle.

Cette décision a fait l'effet d'une brûlure. Je n'ai pas compris pourquoi au départ. Cela faisait des semaines que nous étions cul et chemise et je me suis rendue compte que, malgré les circonstances, j'avais passé les meilleures semaines de ma vie avec elle. Alors j'ai fait un constat: je suis accro à Elie Cobb, à ses cheveux mal brossés, ses grands yeux combatifs, à son odeur de café de mauvaise qualité qui habite chaque particule de sa peau et même à cette façon agaçante qu'elle a de me remettre en place à chaque faux pas que je fais. Mais sans le savoir, elle avait pris la bonne décision, pas que pour les Barnes-Lawford mais aussi pour nous deux. Il fallait absolument que l'on se sevre de l'autre. Trop de dépendance. À travailler ensemble, à passer du temps ensemble, à coucher ensemble. Elle occupait toutes mes pensées, chaque seconde de la journée, cela en devenait contre-productif. Partir à l'autre bout du pays pour interroger Riley Cordell et préparer l'article n'était qu'un prétexte pour apprendre à vivre l'un sans l'autre, revenir à la normalité. Espérer revenir à cette clarté d'esprit que j'avais avant qu'elle ne débarque dans ma vie. Sauf que plus le temps passe, plus je me rends compte que je ne veux surtout pas revenir à ma vie d'avant, pas depuis que j'ai eu un échantillon de ce qu'est la vie avec Elie. C'est peut-être un peu trop fleur-bleu mais j'ai toujours été un grand romantique à qui on a piétiné bien trop de fois le cœur. Je n'ai qu'une seule appréhension depuis des semaines : qu'Elie me fasse revivre tout ça, et sans s'en rendre compte en plus. Alors l'idée de partir, de prendre les devants sur ce qui semble finalement être l'inévitable, est arrivé dans mon esprit. Mais cette larme, même dissimulée, remet tout en question dans mon esprit. Putain mais à quoi tu penses Luke ? 

Je déambule sur la plage, les bras serrés contre moi, la tête baissée. L'embrun marin me caresse doucement les mollets et je regarde à ma droite. Tout à l'heure, j'ai dit que je vendrais père et mère pour ressentir le frisson du premier article. Mais cette solitude que je traînais depuis des années devenait de plus en plus pesante. C'était faux, je donnerais tout pour avoir ma jeune collègue à mes côtés à cet instant précis. Mon souffle se coupe et je me tiens face aux vagues, le regard perdu dans ses doux remous. Soudain j'entends une voix dans mon dos:

   " Problème pour dormir, hein ? Je tourne la tête et je vois Caleb qui se place à côté de moi. Je fais des insomnies régulièrement depuis quelques mois, j'espérais que me réfugier ici me permettrait de m'apaiser. C'était idiot, le bruit des vagues m'empêchent de fermer l'œil.

   - Sommeil léger en plus d'insomniaque ? Vous les accumulez Caleb.

   - Probablement... Il m'invite à m'asseoir dans le sable, comme lui. Toute cette situation me transforme en quelque chose que je déteste.

   - Parce que vous n'êtes pas quelqu'un d'autoritaire et froid comme la pierre normalement ? "

Caleb Barnes éclate de rire en balançant sa tête en arrière et je ne peux m'empêcher de retenir un petit sourire. Il est décidément bien loin de l'image que les médias font de lui. Comme quoi nous ne faisons qu'interpréter une réalité. Il s'arrête, reprenant un visage détendu, regardant au loin.

   " En temps normal, non, mais depuis que je suis à la tête de Mediatics, je me sens dépérir. Comme si je n'étais plus moi. Il y a des choses que j'ai dit, des choses que j'ai faites qui me dégoûtent profondément. Il y en a même que j'ai fait à Olivia, des crasses pas possible qui me donnent la nausée aujourd'hui.

   - Au moins vous avez des regrets. Vous vous êtes déjà excusé auprès d'elle ?

   - Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai voulu le lui dire mais ce n'était jamais le bon moment...

   - Pour elle ou pour vous ?

   - Pour moi. Elle est tellement attentive, prête à se battre contre le monde entier pour moi, tandis que, de mon côté, j'ai l'impression de pourrir tout ce que je touche. Et pourtant elle est la seule qui me fait tenir le coup depuis tout ce temps. Il se frotte le front, à bout moralement. Vous savez, lorsque je l'ai rencontrée, elle avait déjà cette fougue et ce merveilleux sourire désarmant... Comment, j'étais censé résister, il regarde dans le vide. Aujourd'hui, elle est à peine l'ombre d'elle-même, et je sais que je n'y suis pas étranger...

   - Je crois que vous ne vous êtes juste pas encore rendu compte qu'elle se donne à 100% pour vous car elle pense que vous valez le coup. C'est votre phare dans la nuit. Mais il serait temps de vraiment prendre part à la bataille, l'aider, l'écouter et surtout lui faire confiance. Non, le principal, c'est d'être avec elle, de ne pas l'abandonner. Olivia fait autant ça pour vous que pour elle. Je pense qu'elle vous a choisi pour de bonnes raisons. Il n'en tient qu'à vous de prendre conscience de cela, pour vous faire pardonner mais aussi pour vous pardonner vous-même. "

Je prends une poignée de sable dans ma main que je laisse filer entre mes doigts.

   " Vous avez un conseil pour moi ?

   - Soyez là pour elle comme elle est là pour vous. Ne vous exilez pas dans votre bureau, c'est un combat que vous devez mener ensemble. Parce que vous êtes aussi son phare.

   - Merci Luke. Il se mord la joue, indécis sur ce qu'il va dire. Je peux vous avouer quelque chose ?

   - Ce que vous dites ici reste ici.

   - Ça fait longtemps que je n'avais pas pu me confier à quelqu'un comme ça. La dernière fois, c'était avec mon frère et il m'avait avoué qu'il souhaitait s'échapper un maximum de notre famille. À l'époque, je n'avais pas compris, j'étais en colère qu'il veuille nous - non, m'abandonner-. Maintenant je comprends bien pourquoi il a voulu traverser l'océan pour démarrer quelque chose de nouveau. Il pousse un soupir puis penche la tête. J'aurais été ravi de rencontrer Riley dans d'autres circonstances mais surtout au bras de Liam, pour être tout à fait honnête ! Il se relève avec énergie et m'adresse un sourire de remerciement. Je vous vois demain, au shooting, n'est-ce pas ?

   - C'est ça, demain, dès que l'ami d'Elie est prêt.

   - C'est noté, merci beaucoup Luke. Il commence à s'éloigner, la main dans les poches puis s'arrête et se retourne pour ajouter quelque chose. Eh, Luke, le conseil sur ne pas abandonner sa moitié, etc... Vous devriez l'appliquer avec votre Elie, je suis persuadé qu'elle le mérite tout autant que vous. Bonne nuit !"

Caleb Barnes repart sans attendre n'importe quelle réponse de ma part. J'ai la gorge sèche et les yeux qui brûlent. Ce connard vient de retourner sa carte contre moi.

Et je dois admettre qu'il n'a pas eu tort.

———

Le lendemain, début d'après-midi

Le bureau d'Andrew Barnes, actuellement occupé par son fils cadet Caleb, est complètement transformé en salle de shooting. Des objets installés avec une précision chirurgicale jonchent le sol, les étagères, tous les meubles possibles et imaginables. Putain, quel foutoir ! L'appareil photo est placé face au grand bureau en chêne massif et la composition prend forme. Caleb est à moitié assis sur le coin du bureau, Olivia est accoudée contre la bibliothèque droite tandis que Riley est assise dans le grand fauteuil en cuir rouge du bureau. Elle a un air de dirigeante née. Dans sa main, elle a une sorte de pique qui pointe le grand tableau juste au-dessus d'elle de la famille Barnes au complet. Cependant ils ont tous l'air un peu mal à l'aise, surtout Riley qui n'a jamais été volontairement mise sous les feux des projecteurs. Elle doit se ronger les sangs. Et je la comprends.

Quant à moi, je reste à l'arrière, attentif. Nelson Wallace s'active avec une rapidité et une efficacité phénoménale. Je ne sais pas comment Elie et lui ont mis au point le projet, mais son idée semble être bien précise. Un vrai dictateur, ou un artiste au sommet de son art, je ne sais pas trop. Le jour précédent, je lui ai transmis des photos de repérage dans la maison pour qu'il puisse prévoir à l'avance ce qu'il comptait faire. Et forcer de constater qu'il a été inspiré. La composition s'annonce incroyable, pour le peu qu'il nous en a révélé. À l'autre extrémité du pays, Elie m'envoie régulièrement des messages pour savoir où nous en sommes et je lui réponds avec des photos des backstages accompagnées par quelques phrases courtes et vagues. Mais aucune autres allusions.

Depuis notre conversation face à la mer avec Caleb, je réfléchis beaucoup à ce que je veux pour après cet épisode « Barnes ». Elie monopolise la plupart de mes pensées et je me demande si nous pouvons avoir un avenir ensemble. Elle m'a bien montrée qu'elle avait peur de s'engager et que, par conséquent, elle pouvait ruiner ses relations comme elle l'avait fait avec Allen. J'ai peur. Je ne sais pas exactement de quoi, mais quelque chose réduit tout espoir que je pourrais avoir. Alors que j'ai les yeux perdus dans le vague, je sens mon téléphone vibrer dans mes mains. Nelson me jette un coup d'œil noir et me demande en silence de répondre en dehors de la pièce, histoire de ne pas le déranger. Ma présence a l'air de l'emmerder de toute façon alors je sors sans demander mon reste. Qu'il fasse sa magie sans moi, cela ne me dérange pas. Je verrais le résultat après coup.

Le bureau est desservi par un long couloir avec, à ma droite, des portes fermées et à ma gauche une pléiade de fenêtres larges donnant sur un jardin potager bien entretenu. C'est à croire que quelqu'un vit ici toute l'année. Cette aile de la maison, l'une des plus privées puisqu'il s'agit de celle des propriétaires, est absolument édifiante. De petits chandeliers en métal brossé et cristal décorent les deux consoles en chêne massif style Louis XVI. Il y a de nombreux tableaux accrochés au mur, qui ont l'air si rares que je me demande bien ce qu'ils fichent ici au lieu d'être dans un musée. À côté du petit meuble, il y a une chaise sur laquelle je m'assois, les jambes légèrement ouvertes, penché en avant. Dans ma main, mon téléphone vibre si fort que je me tente à l'éteindre. Je sais pertinemment qui appelle. J'ai reconnu le numéro qui est resté le même depuis au moins dix ans. Je le connais par cœur malheureusement. Mais si je ne réponds pas, ce n'est que juste remettre l'échéance à plus tard. Que ferait Elie à ma place ? En retenant un soupir, j'appuie sur le bouton pour répondre, la tête dans la main:

   " Oui, Luke Hoffman à l'appareil.

   - Luke, c'est moi... La voix douce de mon ex rentre dans mon oreille. J'ai envie de me claquer pour avoir répondu. C'est Marlène. Je...

   - Danyel a fini de corriger ? J'aimerais tout récupérer rapidement. Tu sais que je n'ai jamais été patient pour ce genre de chose. Putain, mais pourquoi j'ai dit ça ?

   - Je... Je la sens hésitante au bout du combiné."

Lorsque nous étions « ensemble » - si on peut dire ça comme ça -, je la voyais souvent se recroqueviller dans un coin du canapé, le regard perdu dans le vide, car elle ne savait plus où elle allait. Marlène peut être anxieuse de temps à autre et j'imagine que me parler doit être une des dernières choses qu'elle ait envie de faire. Je ne lui en veux pas, je crève de pouvoir raccrocher mais une curiosité malsaine me maintient, attentif à chaque respiration qu'elle peut avoir. Si elle a pris la peine de m'adresser la parole après l'esclandre du début de l'été, c'est que cela doit être intéressant. Soudain, je l'entends pousser un petit bruit d'exaspération, celui même qu'elle a lorsqu'elle est agacée.

   " C'est fou, c'est moi qui appelle et pourtant, c'est moi qui n'arrive pas à aligner trois mots ! À l'époque, c'est toi qui répondait à chaque occasion parce que j'étais incapable de parler correctement. Trop de pression pour moi et je constate que c'est encore le cas après tant d'années ! Pourtant, j'y travaille, Danyel m'aide beaucoup mais ça n'avance à rien, j'ai toujours autant la nausée de devoir faire face à... Tout quoi. Elle rit nerveusement puis reprend son souffle. Je reste mutique, ce qu'elle remarque. Luke, tu es toujours là ?

    - Je suis là, je n'ai juste rien à dire, fais-je, le plus platement possible. Qu'est ce que tu veux me dire exactement Marlène ?

   - Oh, je t'interromps dans quelque chose ? Danyel m'a laissé voir le papier que tu lui as envoyé, je l'ai trouvé excellent mais il y a quelque chose de différent dans ton écriture pour être tout à fait honnête. Je ne sais pas exactement ce que c'est mais... mais... "

Ce quelque chose, c'est Elie Cobb qui me retourne l'esprit et le cœur mais ça je n'oserais jamais l'avouer tout haut. J'ignore la boule dans ma gorge et je la coupe, un peu plus durement que je le voudrais :

    " Les gens changent Marlène, c'est tout.

   - Pour avoir lu tous tes derniers articles le jour de leurs sorties, il y a vraiment quelque chose en plus... Ce je-ne-sais-quoi qui accroche, qui coupe le souffle et te hurle d'en savoir plus. C'est vraiment excellent Luke honnêtement ! 

   - Oui, très bien et donc, tu m'appelles pour ça ? Tu aurais pu envoyer un mail, ça revenait au même. Je deviens glacial.

   - Tu n'aurais même pas pris la peine de le lire, je le sais très bien. Surtout après notre dernière conversation."

Elle n'a pas tord, j'aurais probablement laissé le mail pourrir dans ma boîte, par principe. Marlène poursuit:

   " Luke, j'ai beaucoup réfléchi depuis et surtout après avoir lu ton article avec ta nouvelle collaboratrice, Ellen, c'est ça ?

   - C'est Elie. Elie Cobb.

   - Pardon, c'est vrai, Elie, je me mélange les pinceaux en ce moment... Marlène laisse un silence qui me semble infini. Je voulais m'excuser pour tout le mal que je t'ai fait... Je rentre en apnée. J'ai réalisé que ce que j'avais fait est vraiment dégueulasse. T'avoir laissé espérer, préparer une vie à deux, trouver la maison parfaite et faire une demande en mariage absolument magnifique, c'était juste honteux ce que j'ai... Elle renifle dans le téléphone, je sens qu'elle se retient tant bien que mal de pleurer. À l'époque, j'étais à côté de mes pompes, je ne pensais qu'à moi et à moi-même. Être avec toi, ça m'assurait une sécurité qui me plaisait beaucoup. Tu étais prévenant, attentif, sans langue de bois et affreusement intelligent. Le futur mari parfait en somme. Et ça m'a fait peur. J'étais trop trop loin de tout ça. Comment je pouvais faire ma place dans le monde en étant madame Hoffman ? Surtout qu'on voulait les mêmes choses. Elle s'arrête un instant, avant de reprendre. Au début, je me suis rapprochée de Danyel uniquement pour me confier. J'avais une épaule sur qui déverser tout ce qui me pesait sur la conscience. Danyel m'avait expliqué qu'il ressentait un peu la même chose. Nous avions peur de ta réussite, de ta facilité à faire rentrer toutes les pièces et de savoir d'exprimer comme si tu avais fait ce métier depuis des décennies. Du coup, on vidait nos sacs ensemble. J'admets que c'était totalement ridicule de réagir de la sorte... Il aurait toujours ce sentiment de compétition qui me tordait le ventre si on était resté ensemble. Elle pleure à chaudes larmes à présent et mon coeur se serre horriblement. Elle reprend après s'être calmée. Bref, avec le temps passé à parler de nous, c'est Danyel qui a été le premier à faire tomber le masque. Tu dois me croire, au début, j'ai pris peur et j'ai fui autant que je pouvais. Mon avenir était déjà tout tracé avec toi, un truc parfait en plus ! Je m'en voulais encore plus, à m'en rendre malade. Mais c'est après plusieurs mois que j'ai compris que ce que je portais en moi, ce dégoût d'être en perpétuelle comparaison, c'était ce qui allait tuer ce qui était entre nous. Marlène prend une grande inspiration saccadée par des tressauts de voix. Le soir où tu as... Que tu as posé le genou à terre, c'est là que j'ai réalisé que je ne voulais pas, que je ne voulais plus... Je l'entends se moucher. Oh Luke, si seulement j'avais eu le courage de te dire toutes mes vérités avant ce moment, les choses auraient été probablement très différentes... Je te demande ton pardon, j'ai été égoïste de ne pas avoir dit ce que je voulais et de t'avoir laissé faire toutes ces choses magnifiques que tu m'as permis de vivre..."

Je ne sais plus quoi dire. Elle a dit tout ça sans réfléchir et mon coeur que je pensais cicatriser depuis le temps commence à se remettre à saigner. Je sens le goût du sang de ma bouche et surtout la brûlure de la coupure puisque je me suis mordu la langue. Sans le vouloir, je pousse un petit cri pour ne pas alerter les personnes dans le bureau.

   " Luke ? Tout va bien ?

   - J'aimerais bien te dire oui mais, en plus d'avoir le cœur piétiné et je viens de me couper... Elle pousse un petit hoquet de surprise. Marly, Marly, Marly, ce n'est rien de grave, ne t'inquiète pas, tout va bien ! Je regarde le jardin à travers la fenêtre, pensif. Je comprends, j'apprécie ton honnêteté... J'accepte tes excuses et je te présente les miennes. La dernière fois que l'on s'est vu, j'ai vrillé. J'avoue. Voir votre vie de famille m'a fait réaliser que je n'aurais jamais rien de tout ça et ça m'a fait mal. Parce que je me suis vu à la place de mon meilleur ami, j'ai vu tout ce que vous aviez... C'est comme si j'avais devant les yeux tout ce que j'avais manqué dans ma vie. Tu sais, si j'avais su pour tout ça, je me serais retiré de moi-même, à l'époque je ne voulais que ton bonheur.

   - Merci beaucoup Luke, ça me retire un poids... Mais j'ai une question.

   - Dis-moi, je t'écoute.

   - Et maintenant, que veux-tu, demande-elle, très sérieuse ?"

Alors là, j'en reste pantois. C'est bien le soucis justement. Ce que je veux, je ne suis même pas sûr que ce soit ce qu'elle veut. Elle est tellement « électron libre » dans son genre.

   " Je n'en ai aucune idée.

   - Menteur.

   - Attends, quoi ? Pourquoi menteur ?

   - Luke, j'ai lu tout ce que tu as pu écrire ces années loin de New York, j'ai vu la façon dont tu dévorais des yeux ta collègue mais là, tu es complètement fou de ne pas...

   - Marly, arrête, ne me donne pas de leçon.

   - Tu ne vas pas faire la même erreur que moi ! Je te l'interdis ! Tu dois lui dire, tu es raide dingue de cette fille, tout chez toi le hurle ! Sa voix devient de plus en plus forte, Marly reprend de l'assurance. Tu pourrais être surpris du résultat.

   - Qu'est-ce que tu en sais, tu ne l'as vu que deux jours au maximum.

   - J'ai mes contacts. Je la sens sourire et je ne peux pas m'empêcher de le faire aussi. Je t'en supplie, n'abandonne pas une fille comme elle, aussi compliquée soit sa vie. Je dois y aller, le devoir m'appelle et je dois me préparer à couvrir le procès de l'année. Tu voudras bien qu'on garde contact ?

   - J'y réfléchirais."

Après des au revoir rapides, je pose le téléphone sur la console pour regarder le plafond. Je n'aurais jamais imaginé avoir cette conversation avec mon ex dans ces circonstances et surtout qu'elle me donne des conseils amoureux. Alors je me repasse tout ce qu'il s'est passé à New York, j'analyse ce sentiment inconstant en voyant Marlène et Danyel. Et je comprends un truc gigantesque. Ce n'était pas la frustration de voir Marly qui me retournait le cœur, c'était le sentiment de ne jamais pouvoir atteindre ce stade avec Cobb.
Car j'en suis sûr, ce sont des sentiments amoureux que je ressens pour Elie. Je l'aime, sans savoir qu'elle puisse m'aimer au moins autant que moi. C'est ça qui est terrifiant.

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