Chapitre 4 : Fin de soirée
Chambre d'hôpital, en plein milieu de la nuit
" Pas trop mal ?
- Pas trop mal ? Répète sarcastiquement Luke Hoffman. C'est un euphémisme ! En effet, des ecchymoses ont doublées de volume et on prit une teinte bleue, presque violette. J'ai l'impression de m'être fait roulé dessus à trois reprises mais sinon, ça va.
- Tout va bien alors ! M'écrié-je en frappant mes mains entre elles. Vous n'allez pas mourir ce soir Luke. Enfin sauf si vous vous décidez à revenir à ce stupide bar ou que vous passez sous une voiture ou encore...
- Ouais. Il n'a pas l'air très convaincu. Je tiens à vous rappeler que je suis le héros de la soirée, et rien que pour ça, vous me devez une reconnaissance éternelle. Un fin pincement de lèvres se dessine mais cesse immédiatement avec la douleur.
- Vous voulez un baiser tant que l'on y est ? Je suis une princesse en danger et vous le beau prince ? Terminé-je, sarcastique."
Il hausse les épaules en observant le plafond, semi-pensif.
" Pourquoi pas si c'est proposé si gentiment ! Il se penche vers moi avec une bouche de poisson et yeux fermés. Un petit baiser pour le sauveur..."
Je m'approche de lui amusée et assez proche pour sentir son souffle contre ma peau. Au dernier moment, je me recule et place ma main sur ses lèvres en position de stop. Il part en arrière en ouvrant ses yeux tandis que je ris comme une folle dans mon coin. J'en viens même à pleurer de rire. Une infirmière énervée passe sa tête par l'embrasure de la porte et nous demande de faire moins de bruit. Lorsqu'elle repart à ses occupations, Luke s'est réinstallé correctement et j'ai arrêté de rire.
" Jamais de la vie je ne vous embrasserais, même si ma vie en dépendait. Déclaré-je, fière.
- Quel dommage, vous ne savez pas ce que vous manquez.
- Mais quelle modestie ! Il sourit et finit par un clin d'œil. Après ça je serais obligé de vous jeter mon verre au visage, alors vu l'issue de cette soirée, nous allons éviter. Et puis, ce ne serait pas correct.
- En effet, ça ne le serait pas. Ce qui me mène à conclure que vous êtes avec quelqu'un, peut-être même mariée. Son regard dérive sur mon annulaire gauche qui est désespérément vide. Pas d'alliance, juste en couple, qu'attend-t-il pour vous mettre la bague au doigt?
- Allen n'est pas vraiment pressé pour faire une demande et j'avoue ne pas être très pressé non plus pour l'entendre. Nous sommes ensemble depuis 8 ans. Mais bon, mariée ou pas, je suis heureuse avec lui et c'est le plus important. C'est pour ses beaux yeux que j'étais prête à coller une raclée à l'autre armoire à glace. Je perds ma bonne humeur l'espace d'une seconde mais me reprends. Assez parler de moi et ma vie sentimentale, parlez-moi de vous puisque nous sommes coincés ici.
- Ce Allen a beaucoup de chance de vous avoir. Je lui réponds par un sourire puis il reprend. Que voulez-vous savoir de moi ? À appart que j'achète du savon à l'amande douce et du papier-toilettes triple épaisseur comme tout le monde, évidemment."
Que pourrais-je demander ? Boulot ? Famille ? Amour ? Tellement de possibilités... Amour? Ne faisons pas plus de mal que ça à ce bébé sauveur. Famille? Je n'ai pas envie que l'on s'étale sur la mienne alors pour écouter les louanges de celles des autres très peu pour moi. Il ne reste plus que... Je tranche en demandant:
" Dans quoi travaillez-vous?
- Aussi surprenant et ironique que cela ne puisse paraître, je suis journaliste. Répond-il, blasé.
- Vous rigolez là ? Vous ? Journaliste ? Alors que vous disiez que ce sont des vermines ? M'étranglé-je, surprise. Et dans quel journal travaillez-vous, que je lise vos magnifiques textes ?"
Ce Luke devient définitivement plus intéressant sur le point de vue professionnel, je rapproche ma chaise de lui, prête à l'écouter. Quand il perçoit ma réaction, il regarde dans un coin, amusé et évite mon regard insistant voire presque rempli d'étoiles. Que voulez vous c'est mon rêve.
" Je suis toujours d'avis que les journalistes sont des rats, en connaissance de cause, il lève le bras vers le plafond et se pointe du doigt, vous faites face à la pire raclure de tout Portland. Je ne supporte pas mes collègues d'investigations, tout simplement, et eux non plus visiblement. Travailler seul me paraît définitivement plus amusant.
- Je vois, vous êtes un genre d'ermite à la prose d'or, c'est ça ? Fais-je, ironique.
- Si vous voulez Élie, pour l'ermite oui, la prose d'or ce n'est pas tellement à moi d'en juger. Sinon, je suis un peu près sûr que vous lisez les papiers de mon journal.
- C'est fort probable, je passe ma vie au boulot à regarder les infos, lire les articles, cela inclut l'horoscope, et décrypter la plume de chacun des journalistes.
- Assez passionnant en effet. Il poursuit, d'un ton plutôt supérieur. Pour vous répondre, je bosse pour le Saint Portland Weekly. Tout simplement."
Ma respiration se bloque, je louche sur la personne qui me fait face, j'ai l'air d'un poisson hors de l'eau. J'ai perdu ma voix tant je suis surprise et émue. Je parle à un des membres du Portland Weekly merde ! Quel hasard, le destin a décidé que je rencontre la route de cet homme pour une bonne raison ! Intérieurement, je suis si heureuse que mon ventre joue du bongo.
" Vous pouvez répéter le nom de l'hebdomadaire s'il vous plaît ? Je tends l'oreille pour déguster le merveilleux son.
- Le Portland Weekly... Sa voix est presque sensuelle, j'en suis presque toute retournée. Ça vous fait autant d'effet que ça ? J'aurais dû vous aborder directement avec ça la première fois, j'aurais peut-être eu le droit à mon baiser."
Je lui colle une petite claque sur l'épaule, la même que j'ai fait plus tôt à Allen et réplique:
" Ce n'est pas vous qui me fait de l'effet, loin de là, c'est plus l'endroit où vous travaillez monsieur le journaliste à la prose d'or. Je veux écrire des papiers dans ce journal, c'est un rêve d'enfant. J'en viens même à les collectionner dans un coin de mon appartement pour être totalement franche. Il hausse les sourcils, comme il sait si bien le faire et me rend mon petit coup à son tour.
- C'est assez spécial comme passion.
- Ce n'est pas une passion, c'est mon rêve de gosse que je n'arrive pas à lâcher."
L'atmosphère aseptisée de la pièce me met mal à l'aise tout un coup, les lumières m'agressent les yeux et je fixe le sol comme s'il allait me parler. Le silence a pris la parole et je me demande enfin pourquoi je suis ici avec un total inconnu avec qui je n'ai conversé que deux fois. Maman disait "Ne fais confiance qu'à ceux qui t'aideront et t'aimeront.", hors cet homme m'a réellement sauvé alors que mes chances étaient si proches de zéro pour battre le Goliath. Mais bon ma mère a toujours des centaines de proverbes à la con, pourquoi celui-là sortirait du lot ?
Soudain, alors que je contemple silencieuse, chaque recoin de la pièce, un docteur débarque, arborant d'immenses cernes noires sous ses lunettes de vue, un bloc à la main. Il parcourt rapidement le dossier de Monsieur Hoffman et jette un coup d'œil vers lui puis vers moi. Il se racle la gorge tandis que je me fige.
" Vous êtes sa petite amie ? Me demande-il, sa voix est si grave qu'un frisson me parcourt l'échine."
Avant que je ne puisse répondre, Luke balance, sans me consulter:
" Oui, j'allais la demander en mariage mais un abruti s'est énervé. J'ai dû prouver qu'elle était bien à moi mais il m'a frappé et par conséquent, j'ai forcément répliquer. Ce qui nous a mené ici. Finalement, je n'ai même pas eu ta réponse mon coeur. Sa tête roule vers ma direction et il affiche un sourire niais alors que son regard en dit tout l'inverse. Espèce d'enfoiré. Mais je veux bien jouer le jeu.
- Oh, Luke chéri, ce n'est pas l'endroit... J'attrape sa main et la caresse du bout des doigts. Laisses le docteur s'occuper de toi, nous en reparlerons plus tard. Avec mon meilleur acting, je m'approche de lui et passe mes cheveux devant nos deux visages, simulant un baiser."
J'entends au loin un bruit de la part du docteur similaire à un remous d'estomac. Mon instinct me fait reculer et je regarde ce dernier, mon air le plus sérieux sur le visage.
" Docteur, quand pourrons-nous partir ? Nous avons à parler, je décroche un regard vers Luke qui a une tête mi-surprise, mi-"amoureuse", et aller nous plaindre à la police. Je bloque ma main sur ma hanche simulant une presque fiancée en rogne. Décidément oui, j'adore ce jeu ! Mais il reste un sale con égocentrique et imbu de lui-même. On dirait moi, tient.
- Votre nez n'est pas cassé, votre arcade a été recousue visiblement, vos ecchymoses vont disparaître dans les prochains jours. Il écrit quelque chose et se retourne vers la sortie. Vous pouvez y aller. Bonne soirée et tous mes voeux de bonheur vous accompagnent pour votre mariage."
Il sort sans demander son reste et j'attends que la porte se ferme entièrement pour lâcher la main de mon voisin ainsi que d'arrêter de sourire niaisement. Je pousse un soupir et me lève de mon assise en défripant mes vêtements du plat de la main. Quant à Luke, il pose ses pieds sur le sol tout en restant assis sur le lit, les yeux dans le vague.
" Ne m'obligez plus jamais à faire ça, c'était un supplice d'être si proche de votre visage. Je ramène mes cheveux sur une épaule. C'était...Dégoûtant. J'espère qu'Allen ne saura jamais tout ça. Je réfléchis un instant en regardant l'heure. Oh merde ! Allen ! J'espère qu'il ne s'est pas réveillé. Chiotte, il va me tuer en rentrant !
- Quel chanceux ce Allen, il a une femme qui s'inquiète pour lui. La mienne m'a lancé un verre à la figure alors que je voulais bientôt la demander en mariage. La vie est une... Il se retient de finir sa phrase et se lève enfin, tandis que je me mords la lèvre, attristée pour lui. Bref, je pense que vous voulez rentrer.
- En effet.
- Parfait, c'est aussi mon cas. Allons-y mon amour. Il attrape ses affaires et m'indique la porte de la main.
- Si un mot de cette histoire sort de cette chambre je retrouverais votre voiture et la ferait disparaître dans le Columbia, avec vous dedans."
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Devant la porte d'entrée de l'immeuble
Je dépose mon pied sur le trottoir et sors de la voiture en m'en extirpant d'une main. Lui aussi sort pour m'accompagner jusqu'à l'entrée du hall. Je roule des yeux puis regarde les fenêtres de mon appartement. Les lumières sont éteintes. Je souffle de soulagement et reporte un instant mon intention sur Luke, qui se tient à mes côtés. Lorsqu'il lève les yeux vers la façade, il semble souffrir légèrement et revient à ma hauteur pour alléger sa douleur.
" Vous n'étiez franchement pas obligé Luke, je suis une grande fille qui sait rentrer chez elle toute seule vous savez. Ricané-je en stoppant ma progression vers le petit hall.
- Je suis gentleman que voulez-vous et stoppez-moi ses vouvoiements bon-sang.
- C'est la chose la plus drôle que vous aillez dites jusqu'ici, et il y en a eu des belles. Cependant il est tard, je ne vais pas remettre en cause les dernières paroles d'un homme passé si près de la mort. Je poursuis, plus tard. Malgré tout, merci. C'est le moins que je ne puisse dire. Il hoche la tête. Je tapote vaguement son épaule et recule jusqu'à atteindre le perron puis me retourne avant de rentrer tandis qu'il est revenu sur ses pas. Bonne nuit Monseigneur. On se revoit rayon savonnettes et papier-toilettes !"
Il a sans doute la main sur la poignée de porte de sa voiture et remonte la tête une ultime fois. Un fin sourire marque son visage meurtri.
" Bonne nuit Mademoiselle Cobb. Ce fut un plaisir de vous aider. Son corps se courbe et il effectue une révérence à laquelle je réponds."
Puis il pénètre dans l'habitacle, attache sa ceinture, pose sa main sur le volant, l'autre sur le frein à main et l'actionne. Son visage dérive une ultime fois vers moi et je secoue ma main dans sa direction, comme une enfant. Le ventre noué, je rejoins mon appartement avant de ne le voir partir, au pas de course.
En y arrivant, j'effectue une seconde fois mon passage pour rejoindre le lit après mettre changer en pyjama, sans réveiller mon aimé qui est tourné vers le mur, ne me laissant une vue que sur son dos -ce qu'il aime me le montrer lorsqu'il dort celui-là. Je me réinstalle à ses côtés sans rien dire et ferme les yeux mais les réouvre quelques secondes plus tard:
" On en parlera demain de ta super soirée. Articule Allen, toujours vers le mur."
Je déglutis et me tourne, dos à dos, perdant mon sourire. J'ai merdé. Mais cette fois mes yeux se ferment sur cette dernière pensée.
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