Chapitre 38 : Rendre le monde plus juste

" Les possibilités deviennent de plus en plus fines Luke, fais-je, le front posé sur le bois de ma table, abattue... On n'a absolument aucune double page, page ou même colonne tout court pour publier l'article. Zéro, nada, niet.

- Tu n'as pas besoin de me le redire Élie, je le sais bien. La voix de Luke dans le combiné est agacée, lui aussi se prend la tête depuis des heures, si ce n'est des jours pour trouver quelqu'un de prêt à accepter notre dossier. Walter a bloqué toutes les options que je peux penser, mes contacts deviennent plus inutiles les uns que les autres. À croire que je suis devenu un pestiféré. C'est déprimant."

Je pousse un râle en me prenant la tête dans les mains. Depuis qu'il ne reste plus rien ici -plus rien de personnel du moins-, je ne passe plus que mon temps à contempler le rien tandis que mon téléphone sonne dans le vide. Personne ne veut répondre, ni à Luke, ni à moi. Cela ne m'étonne pas, on veut nous réduire au silence et j'ai la gorge serrée. Comment trouver une solution alors que toutes les portes se ferment devant nous ? Maintenant, nous n'avons plus qu'à prononcer nos noms et prénoms pour que l'on nous refuse gentiment, au mieux, ou qu'on nous raccroche au nez, au pire.

" Honnêtement Cobb, je ne vois plus aucune solution envisageable. On aura beau remué ciel et terre, il faut se rendre à l'évidence. Notre boulot devra se trouver un public de niche au mieux. Tu publiais sur un blog à un moment n'est-ce pas ?

- L'Unofficial ? Non, non, arrête tout de suite. Bien que j'adore mes anciens partenaires de galère, n'y penses même pas Hoffman. C'est même plus de la niche là, c'est carrément un trou de souris ! Personne ne viendra, j'ai pu le constater avec le temps... C'est à peine s'il y a dix personnes journalières sur le site et lorsqu'ils sont là, c'est pour les théories du complots.

- Eh bien, je ne vois aucune solution à l'horizon..."

Luke est tout aussi désespéré que moi, tout trahit un mal-être ambiant. En silence, je réfléchis à toutes les possibilités que nous n'avons pas pu encore explorer. Toutes les personnes et autre journaux appelés sont répertoriés dans un document sur internet. Je passe en revue tous les refus, dépitée. Il reste bien une option mais je ne suis pas sûre qu'il soit prêt à l'entendre alors je la pose doucement.

" Luke, il reste bien une solution mais elle ne va pas te plaire.

- Dis toujours, ça ne pourra pas être pire que le reste. Il pousse un long soupir.

- Il reste bien deux personnes que tu n'as pas appelé et je pense qu'après tout ce que tu as pu vivre avec eux, ils peuvent bien te rendre ce service."

Un ange passe le temps qu'il réalise de qui je parle:

" Marlène et Danyel ? Mais tu as perdu la tête ? Après le coup que je leur ai fait la dernière fois, il est hors de question que je ne leur demande quoi que ce soit. Hors. De. Question. Je suis catégorique.

- Même s'ils ne peuvent pas nous aider pour avoir une place dans un journal, ils pourraient bien appuyer nos recherches. Ils sont respectés dans leur profession, tu le sais aussi bien que moi, cela pourrait nous permettre d'avoir une crédibilité supplémentaire. Et toujours, ils te doivent un nombre incalculable de services. Appelle-les. Et ce n'est pas une proposition, c'est un ordre. J'entends Luke grommeler.

- Tu as le don pour me foutre en rogne, tu le sais ça Elie ?

- Je sais mais tu sais que j'ai raison."

Je me lève de ma chaise, m'étirant le dos et les jambes puis reprends sur un ton plus apaisé:

" Tout se passe bien dans le Maine ? Je change de discussion, le temps de prendre une pause et de calmer le jeu. C'est sympa comme endroit ?

- C'est... Comment dire ? Excessivement calme ? Oui, c'est ça, trop calme pour un citadin comme moi. Je tourne en rond lorsque je me retrouve seul dans ce manoir. De temps en temps, Riley me rejoint pour que l'on puisse se porter compagnie et j'en profite pour lui poser des centaines de questions, mais mise à part ça, je ne vois presque personne. Monsieur Barnes est terré dans son bureau du matin jusqu'au soir. Quant à Lawford, elle s'efforce de tenir la barque en son absence et je la croise juste assez pour lui dire deux mots par jour. Je la vois dépérir de jour en jour... Mon cœur se serre en l'écoutant. Cette femme est plus d'étonnante, je te le jure, ça se voit comme nez au milieu de la figure qu'elle est amoureuse de son homme. Je trouve ça juste malheureux que ce dernier ne se rende pas plus compte de la force de la nature qu'il y a à ses côtés. Au lieu de ça, il boude comme un enfant !

- Je suis pas certaine qu'il s'en soit rendu compte réellement. Une fois Olivia m'avait rencontré ce qui les avait amenés à tomber amoureux. Même si, dans un sens, c'était de la pure folie et qu'il l'avait traité particulièrement mal dans un premier temps, elle m'avait expliqué qu'il avait réussi à casser sa carapace et changer. Je m'arrête de m'agiter et me rapproche du téléphone. Je suis persuadée qu'il ne veut absolument pas ressembler à son père et qu'est là sa plus grande peur. Mais maintenant, il s'exile et ça, ça ne l'aide pas.

- Je suis du même avis.

- Tu sais Luke, je crois que tu devrais essayer de lui parler. Je me mords la lèvre, mal à l'aise. Il devrait se rappeler que le monde ne peut pas s'arrêter sur demande et que le travail titanesque auquel nous faisons face ne peut pas se faire sans lui. J'aurais bien aimé le lui dire moi-même mais être à un peu plus de 5000 kilomètres de vous m'empêche de lui remonter les bretelles."

J'entends Luke éclater de rire, ce qui m'arrache un sourire. L'écouter me donne du baume au cœur, j'ai l'impression qu'il est en face de moi, que je peux le voir, le toucher. La pulpe de mes doigts me picotent mais j'essaie de contenir cette émotion de joie et d'excitation que je ressens dans toutes les particules de mon corps. Après quelques secondes, il s'arrête enfin et un long silence s'installe entre nous. Il y a un bruit sourd qui me surprend et je m'inquiète:

" Luke ? Tout va bien ? J'ai entendu du bruit.

- Ne t'inquiète pas, je viens juste de m'allonger dans mon lit. Pas de casse, tout va pour le mieux. Je sens l'ironie pointée le bout de son nez. Tu as peur que je me fasse quelque chose ? Je compte tant que ça pour toi ?

- Bien sûr ! Tu comptes énormément pour moi, Luke, tu ne peux même pas imaginer ! Je sors ça sans réfléchir et après ma bourde, je pose mes mains sur ma bouche, les yeux écarquillés. Et merde. Enfin, je veux dire, tu es important pour la réussite de notre entreprise et je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose qui pourrait nous mettre en péril."

Il ne répond plus rien. J'ai tué notre conversation avec ma débilité et mon franc parler. Super. Ma gorge devient très sèche, comme si elle s'était transformée en désert et qu'il y avait un cactus en plein milieu qui la décorait. Je tuerais pour un verre d'eau. Ou bien pour une douche froide.

" Tu es toujours là Luke ?

- Il faut que j'y aille Cobb, envoie-moi un message si tu arrives à trouver quelque chose. Il parle très rapidement, aussi mal à l'aise que moi. À plus tard."

Il raccroche avant que je ne puisse lui répondre. J'ai vraiment merdé comme jamais je n'ai merdé. Je pousse un petit cri d'énervement, gorge déployée.

" Vraiment la reine des abrutis putain !"

Il faut que je prenne l'air sinon je vais exploser ici. Je prends mes clefs, mon sac, mes écouteurs et mon téléphone. Il devient urgent que je m'éloigne de cet appartement maudit. Je descends les escaliers et en atteignant le rez-de-chaussée, je crois Nelson qui rentre dans le bâtiment, dépité, avec un papier dans la main. Prise de compassion, je retire mes écouteurs des oreilles et le salue:

" Tu fais une tête mon pauvre, qu'est qu'il t'arrive ?"

Il hausse les épaules sans dire un mot, la mine défaite. Il remonte les marches sans dire un mot et je le suis, inquiète. Sur le pas de son appartement, je lui redemande:

" Tu veux bien me le dire ?"

Nelson m'indique de rentrer d'un geste de la main. Je manque de rater un battement. Son chez-lui n'a jamais été aussi vite, aussi inhabité. C'est comme si tout l'âme de cet appartement avait été effacée. Quelque chose cloche !

" La vache, mais qu'est-ce qui se passe ?

- Je suis en panne complète, je n'arrive plus à m'intéresser à rien et pour en rajouter une couche, je viens de recevoir un avis d'expulsion. Trop de bruit, des loyers en retard, bref, je suis un mauvais voisin. Je dois partir dans les jours qui suivent... Comment je vais bien pouvoir annoncer que tout va changer à mes abonnés ? Est-ce que je vais réussir à trouver un endroit qui me permettra de créer ? Tu me diras, ça tombe bien, toi aussi tu mets les voiles mais pour le coup, c'était volontaire... Il s'assit contre le mur, des larmes manquent de lui monter aux yeux. Je le rejoins à sa gauche et lui caresse le dos tranquillement.

- Le propriétaire et les autres habitants de ce taudis ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont d'être près de toi. Tu trouveras bien mieux, peut-être à Portland ou peut-être dans une autre ville, un autre pays. Un endroit qui te permettra d'exprimer tout ton art à tes millions de followers. Je suis persuadée que n'importe où tu seras, ils continueront de parler de tes oeuvres, d'aimer ce que tu fais et de les partager à leurs amis, fais-je en le rassurant. Et puis honnêtement, ce sont tous des connards ici donc tu ne loupes rien."

Brusquement, j'arrête le mouvement circulaire que je fais avec ma main pour le détendre et le rouge me monte aux joues. Tous mes problèmes s'effacent d'un coup d'un seul. Je viens d'avoir l'idée du siècle ! Je me place bien en face de lui, sur les genoux, avec un immense sourire de joie qui habille mon visage fatigué. Nelson me dévisage en fronçant les sourcils:

" Bah pourquoi tu as arrêté, c'était super agréable ! Tu as eu une révélation divine ou quoi ? Tu me fais peur avec cette tête que tu fais !

- C'est un peu ça ! Dis-moi Nelson, j'ai deux questions. D'abord, qu'est-ce que tu penses de faire un projet photo dans le Maine, ensuite, est-ce que tu crois que tu serais d'accord de rendre le monde un peu plus juste et enfin, est-ce tu penses que le costume de super-héros t'irait comme un gant ?"

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