Chapitre 35 : Brutal retour aux affaires
Juillet est passé en un claquement de doigts et août s'est installé tout aussi rapidement dans notre Oregon, ces belles couleurs d'été qui tourneront bientôt à celles de l'automne. À mon grand désespoir. Les dernières semaines se sont faites ici, à Astoria, près de la mer, éloignés de nos problèmes. Après une longue conversation avec père et mère, ils nous ont proposés de rester ici. L'idée de cohabiter avec eux m'a d'abord parue être un cauchemar, mais finalement nous y sommes bien loin aujourd'hui. Ça a été le meilleur moyen de travailler sans discontinuer et dans le calme le plus absolu, contre toutes attentes. Les côtes de l'Oregon et le jardin entretenu de la maison ont été les meilleurs endroits pour réfléchir, écrire et ne pas trop attirer l'attention sur ce que nous trafiquons.
Mais ça a surtout été comme des vacances pour moi comme pour Luke. Une parenthèse, une bulle de calme. Et un bon mois de semi abstinence entre lui et moi. J'ai refusé que nous faisons quoi que ce soit dans la maison. C'est une sorte de blocage que je me suis créée sur le fait qu'ils puissent entendre quelque chose et qu'ils s'imaginent que nous soyons quelque chose de plus des collègues. Enfin, nous sommes des collègues avec des avantages, bien évidemment mais cela reste une ligne que je ne souhaite pas dépasser avec les Cobb séniors, l'un comme l'autre. Et ce, pendant la semaine précédant leur départ en voyage et celles qui suivront leur retour. Mais au point où nous sommes, la frontière entre le travail et le plaisir a été profondément traversé un nombre incalculable de fois.
Je ne compte plus le nombre de baisers entre deux portes, les sorties dans le jardin pour se cacher dans le cabanon en bois afin explorer plus loin que la pelle et le râteau ou bien les balades en voiture pour, je cite, "lui faire découvrir notre merveilleuse petite ville". Je n'ai jamais autant apprécié jouer à cache-cache pour ne pas nous faire griller. Mais, lorsqu'ils sont partis en vacances, à leur tour, les semaines sans eux sont devenues si simples, si libres, si brûlantes.
C'est comme si je pouvais enfin respirer à pleins poumons sans avoir peur de prendre de trop grandes inspirations. C'était grisant. Luke a vibré en harmonie avec moi au lit comme à la table, entre des draps ou sur des piles de papiers et des post-its collés en pêle-mêle. Ses yeux dans les miens, la moiteur de ses mains attrapant mes hanches, mon dos s'arquant à son contact, comme traverser par un éclair électrique. Et tout ça sans craindre les yeux baladeurs et les remarques désobligeantes.
Puis est arrivé ce matin. Fin des réjouissances, retour de la réalité aussi brusquement, voire plus, que je ne l'aurais imaginée. Un bruit pressant me tire de mon sommeil et je manque de perdre patience lorsque le son strident revient à la charge. C'est celui de la sonnette, à qui j'ai oublié la haine qu'elle m'évoquait dans l'enfance.
Je retire la couette de mon lit sans ménagement, m'asseyant sur le bord pour me réveiller. L'écran du réveil indique sept heures et quart et je fronce les sourcils. Nous n'attendons personne aussi tôt et encore moins ici. Debout, je décale doucement le rideau de ma fenêtre pour regarder le portillon, tout en grommelant des mots indéfinissables. Un homme et une femme attendent, s'échangeant quelques mots. Ils ont l'air d'être en conflit à cause des regards qu'ils se lancent mutuellement. Une froideur les englobe tout entier. Je plisse les yeux, ma vision étant un peu brouillée par le réveil encore récent puis me rends enfin compte de qui il s'agit.
" Putain, mais comment ils ont réussi à débarquer ici ? Fais-je, en manquant de m'étrangler."
Je me rue de l'autre côté du lit pour secouer Luke qui dort à poings fermés sur le ventre, serrant bien contre lui la couette. Nous avons encore passés une nuit bien courte, souhaitant profiter de toutes les dernières heures possibles avant le retour de ma famille. De quelques temps de liberté avant le retour à la normale. Une mèche de cheveux est tombée sur son front et j'arque un sourire, regrettant le réveil que je lui réserve. Il a l'air si paisible, apaisé par le calme et la douceur des draps. Je remue son avant bras comme un hochet ce qui le fait grogner un peu. Il ouvre vaguement un œil, agacé:
" Mais qu'est-ce que tu fous Cobb ? Il referme l'œil et enfonce sa tête plus profondément dans l'oreiller.
- Réveille-toi abruti, tu ne devineras jamais qui est sur le perron de la maison ! Je retire son précieux confort d'un coup sec et il remonte comme un coucou en position semi-assise.
- Tu crois que j'ai envie de jouer aux devinettes à cette heure ? Je suis épuisé Cobb, tu m'as complètement épuisé !
- Merci, je le prends comme un compliment mais là n'est pas le problème. Je me lève et lui jette un t-shirt, un caleçon abandonné par terre et le pantalon d'hier qui traîne dans la pièce. Habille toi, on a de la visite et pas n'importe laquelle."
Sans demander mon reste, je sors de la pièce, mais Luke m'interpelle de sa voix rocailleuse:
" Elie, de qui s'agit-il ?"
Je reviens sur mes pas, me reposant sur le contour de la porte, en enfilant à la hâte un haut et en passant un coup de déodorant sous les aisselles.
" Lawford et Barnes junior, ni plus ni moins, donc dépêche toi, s'ils ont pris la peine de trouver notre lieu de replis, c'est que cela doit être important !"
———
Nous sommes tous assis dans le salon, les deux étrangers à la demeure, tirés presque à quatre épingles, et les deux habitants temporaires, ressemblant à des déchets humains au réveil brutal. Je pose le plateau en bois de ma mère sur la table à basse, donnant chacune des tasses à son propriétaire. J'arrive à trahir la fatigue qui habite Olivia comme Caleb qui reste bien silencieux dans son coin à siroter son café. Il doit se demander ce qu'il fait ici, si loin de la richesse ostentatoire auquel il a toujours eu droit. Ici, rien n'est de designer de renom, tout à au minimum vingt ans dans ce salon. Le papier peint a passé de couleurs et il y a encore cette foutue odeur de bois de santal qui vrille le nez à quiconque n'est pas habitué. Et pas de service de majordome ou de femmes de ménage, cela va de soit.
Je m'enfonce dans mon fauteuil, celui de mon père, en tirant sur mon short pour cacher un peu plus mes jambes nues. Je porte mon café à mes lèvres, en silence. Nous sommes tous les quatre très mal à l'aise. Je ressens qu'Olivia est très gênée d'avoir fait interruption à une heure pareille sans avoir prévenu de leur venue à Astoria. Comme je l'ai dis plus tôt, Caleb semble déconnecté de son monde. Quant à Luke, il a la tête d'un réveil trop rapide, et ne semble pas avoir atteint la totalité de ses fonctions pour lancer une vraie conversation. C'est pourquoi je me dévoue à la lancer pour briser la glace:
" Nous sommes plus que surpris que vous soyez ici, nous n'avons prévenu personne que nous nous replions chez mes parents quelques temps. Comment avez-vous réussi à nous trouver ?
- Je me suis rendue chez toi mais j'ai fait face à une porte close. C'est là que j'ai rencontré ton voisin de palier...
- Nelson ? Mais je ne lui ai même pas-...
- Non, non, pas lui, il m'a dit qu'il s'appelait Allen et qu'il te connaissait très bien. Fait Olivia, sans se rendre compte de qui elle parle exactement, je palis, préférant ne pas l'informer sur notre passif commun. Il m'a dit que tu étais censée avoir un repas de famille mais que tu n'étais pas revenue ici depuis ton départ. Il m'a gentiment donné l'adresse, supposant que c'était assez important pour que je puisse vouloir te déranger en vacances. Elle finit par un sourire doux. Il n'avait pas tord sur ta localisation. Elle tourne la tête vers Luke. Je n'aurais cependant jamais cru que vous seriez aussi présent monsieur Hoffman.
- Appelez-moi Luke, ce sera moins cérémonieux. Fait mon collègue en balayant la main dans le vide."
Personne ne sait quoi dire, je paierais pour pouvoir avoir accès aux pensées qui agitent tant Caleb et Olivia. Ils sont installés côte à côte mais pourtant, ils instaurent une distance de sécurité entre eux qui me chagrine. Il est normal qu'il y ait des hauts et des bas dans une relation, cependant j'aurais préféré pour eux que ce ne soit pas des raisons si sombres qui engendrent ses bas. Je serre mes bras contre mon torse, comme un bouclier avant d'envisager de prendre la parole:
" Bien, maintenant que vous nous avez trouvés, qu'est-ce qui vous amène?
- Nous avons entendu que vous aviez perdu vos emplois au journal ce qui compromet nos plans. Lance froidement Caleb qui regarde par la fenêtre. Il a l'air détaché de la conversation. Qu'est-ce qui s'est passé ?"
Je déglutis, comme si on m'avait prise sur le fait et que j'allais me prendre une punition. Je jette un regard vers Luke pour qu'il réponde, ne me sentant pas prête à le faire. Il hoche la tête et prend la parole.
" Elie et moi nous sommes fait bien avoir par Monsieur Wells. Il m'avait promis une double page sur votre affaire mais il s'avère qu'il utilisait toutes les informations possibles que nous trouvions pour les rapporter à votre cher paternel. Son ton est mesuré mais je sens que le sujet du licenciement n'est pas encore digéré par mon compagnon. L'article n'était de factice, il n'aurait jamais été imprimé. Maintenant, nous devons faire cavaliers seuls sans les aides du Weekly, voilà le problème."
Olivia a les yeux grands ouverts et elle a perdu toutes ses couleurs. Elle envisage déjà le pire et ça se voit. Quant à Caleb, il essaie de cacher son inquiétude mais je le vois frapper le bois de l'accoudoir avec son pouce qui s'agite brusquement. Cela doit être un spasme, peut-être dû à un problème moteur ou une blessure qui a impacté cette zone. Je tente de rassurer le couple sans attendre:
" Monsieur Wells ne connaît pas l'identité de Riley, que ce soit celle de Portland ou celle de naissance. Je la vois s'apaiser lentement mais elle reste tendue sur son siège, à l'affût. Cependant, il cherchait précisément tout ce qui pouvait mener à elle, allant jusqu'à être violent pour obtenir des informations. Il sait qu'elle existe et il est prêt à tout pour la retrouver."
Caleb se pince l'arrête du nez en fermant les yeux. Il essaie de se calmer mais la pièce est remplie d'une énergie électrique qui pourrait exploser à tout moment. Olivia se mord un ongle, incapable de se détendre à présent. Luke assiste à la scène en silence, s'avançant vers le bord du canapé:
" Elle n'est plus en sécurité en Oregon, il est temps qu'elle revienne dans un état plus proche de New York. Histoire qu'elle se prépare mentalement à la tornade médiatique qui va lui tomber dessus à partir du moment où nous trouverons le moyen de faire paraître notre dossier. Vous avez une idée de lieu où elle pourrait aller ?
- Absolument aucune. Grimace Olivia. Vous avez des propositions pour nous ?"
Je laisse le groupe parler, se donnant des idées peu fructueuses, tandis que je me rends dans la cuisine pour nettoyer la vaisselle sale et réfléchir seule. Je dépose toutes les tasses dans le double vasque de l'évier, les passant tour à tour de gauche à droite, au fur et à mesure que je les nettoie. En faisant ce mouvement répétitif, une idée perce mon cerveau. Je lâche tout et me rue dans le salon. En déboulant, échevelée et avec les mains mouillées, on me regarde comme si j'avais l'air d'une folle. Je me tourne vers Caleb avec une assurance que je n'aurais pas imaginé:
" Vous avez bien une maison de vacances dans le Maine Caleb, n'est-ce pas ?
- Oui, bien sûr, pourquoi ? Fait-il, intrigué.
- Est-ce que ça vous dit de prendre des vacances et d'emmener Riley dans vos valises ?"
Ils écarquillent les yeux, perplexes mais soudain, Olivia cherche le regard de son petit ami. Ils semblent envisager cette possibilité en silence avant qu'elle ne prenne la parole pour me répondre:
" C'est possible. Mais comment faire pour qu'on ne remarque pas sa présence ?
- Elle saurait jouer les employées de maison pour au moins deux semaines ? Cela lui permettrait d'être à proximité de vous sans éveiller les soupçons et je suis sûre qu'Annabella sera ravie d'avoir une personne aussi adorable que Riley à ses côtés.
- En effet, c'est peut-être une possibilité qui pourrait fonctionner. Annonce Caleb, stoïque. Personne ne pourrait se douter que l'ennemie principale de mon père pourrait déjà être infiltrée entre nos murs. On ne viendra jamais la chercher là.
- Si elle passe les prochaines semaines dans le Maine et pas en Oregon, il faut qu'au moins Luke soit avec vous pour pouvoir l'interviewer sans être dérangé et avancer. Ajouté-je, neutre."
Je regarde Luke qui se lève brusquement. Il semble très surpris que je ne m'incluse pas dans le voyage, tout comme nos deux invités.
" Elie, qu'est-ce que tu fais toi ? Tu comptes venir ? Il se rapproche, surprenant très inquiet de mon avenir. Je suis très touchée mais contiens mon émotion.
- Si nous partons tous les deux dans le Maine, cela va éveiller des soupçons, il ne faut surtout pas que l'on se rende compte que l'on travaille encore ensemble. Je vais rester ici, à Portland et on se reverra que lorsqu'on arrivera à New-York, au compte goutte. On va être les premiers à être traqués Luke. Si Liv et Caleb ont réussi à savoir qu'on est ici ensemble, je ne donne pas cher de notre peau si Andrew le découvre à son tour. Vous devez partir le plus rapidement possible."
Je vois bien que Luke est tenté de me prendre dans ses bras mais qu'il retient tout élan romantique en présence de tierce personnes. L'idée de me retrouver seule ici ne me réjouit guère mais je sais que c'est le seul moyen qui pourrait nous faire passer la seconde. Et qui pourrait nous sauver la mise. Les Barnes-Lawford se lèvent à leur tour, en cœur et Olivia pose une main réconfortante sur mon épaule.
" Je suis convaincue que ton idée est le seul moyen que nous avons pour la protéger. Et c'est surtout la seule idée potable applicable en si peu de temps. Je vais organiser une rencontre entre elle et toi pour lui annoncer, il ne faut surtout pas que l'un de nous trois, elle s'indique elle-même ainsi que les deux hommes de la pièce, ne la voit avant d'arriver dans le Maine. Merci beaucoup Elie, vraiment. Elle me lâche et regarde Luke. Merci Luke, nous vous enverrons les détails du trajet et l'adresse de la maison rapidement. Elle tend sa main vers Caleb qui l'attrape doucement. Nous devrions ne pas traîner, le temps presse, il ne nous reste que deux semaines. À très vite Luke, et à très vite, à New-York Elie. Encore merci pour tout."
Ils prennent la porte tandis que Caleb nous salue tour à tour d'un hochement de tête. Il me jette un regard reconnaissant puis s'éloigne sans se retourner.
Je me tourne vers Luke qui ferme la porte derrière eux. Il me dévisage longuement, muet. Brusquement il m'attire contre lui et me presse contre la porte.
" Finalement, il nous reste moins de temps que prévu Cobb... Sa voix est rauque.
- En effet Hoffman, en effet..."
J'enfonce ma tête dans le creux de son cou, reniflant doucement son odeur. Je crois que son absence va plus me manquer que je ne l'imagine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top