Chapitre 34 : Bienvenue chez les Cobb

Une boule me serre la gorge lorsque la voiture s'arrête devant la clôture de la maison de mes parents. Si la dernière fois je suis venue ici le cœur léger et reposée par une sieste sur le siège passager, aujourd'hui, je suis aux antipodes de ces sensations. Je baisse le pare-soleil pour observer mon visage quelques instants. Je suis effrayante par mon teint cireux et des poches sous les yeux aussi grosses que deux valises pleines à craquer. Je sais déjà que je vais me prendre des reproches dès que je passerais le portillon. La seule arme de défense que je peux utiliser étant le sarcasme, je suis sûre qu'avant le dessert, certains regards se feront en croix. Luke retire la clef de sa voiture puis balance sa tête contre l'appuie-tête, fermant les yeux. Je me détache et me tourne dans sa direction complètement, sérieuse:

   " Bon, on y est, mais juste avant d'entrer dans l'enfer, on va devoir parler des vices et autres horreurs que tu pourras peut-être rencontrer ici...

   - Eh bien, c'est rassurant mais tu es sûre que ce sont les portes de l'enfer ? Il regarde derrière moi en se penchant. Parce qu'honnêtement, je vois plutôt les réminiscences d'une enfance relativement heureuse et probablement l'odeur des gâteaux maison.

   - Tu ne vois que ce que l'on veut bien te laisser voir. C'est tout. Je frotte mes cuisses. Bref, là-bas, c'est presque un champs de bataille. L'ennemi est ma mère, Andrea, qui ne va pas être conciliante sur le fait que je viens de quitter mon ex et que je me pointe tout de suite avec quelqu'un d'autre sous son toit. Le terme "ami" ne sera pas compris, c'est certain. Elle est la reine de la remarque et du bon mot qui fait toujours mal. Mon père est un papa poule, il est très drôle mais si tu la lui fais à l'envers, je ne suis pas sûre que tu ressortes vivant d'ici. Le pompon est que tu ne viens pas uniquement pour manger ce qui est l'affaire d'une demi-journée mais aussi pour dormir donc deux jours complets au minimum. C'est presque du suicide de s'infliger ça.

   - Mais pourquoi tu m'as proposé ça si c'est si horrible ? Je viens de perdre mon travail essentiellement pour toi et la famille de fous furieux de l'autre bout du pays donc ce n'est vraiment pas très reconnaissant de ta part. Il croise les bras contre son torse, comme s'il voulait prouver un point. Je ris.

   - Je suis certaine que personne ne viendra nous tirer les vers du nez à Astoria puisque personne n'est au courant que mes parents vivent ici au Weekly. On pourra bosser tranquillement malgré tout. Et puis j'avais accepté de venir dimanche pour le déjeuner familial mensuel de toute façon donc autant te faire souffrir avec moi."

Luke pose sa main sur la poignée de sa porte, demandant d'un mouvement s'il peut sortir:

   " Ça va, t'as fini ton cirque ? J'aimerais bien me dégourdir les jambes avant de rencontrer tes parents."

Je grimace et lui attrape l'avant bras droit:

   " Que l'on soit bien d'accord Luke Hoffman, nous ne sommes en aucun cas en couple donc ne va pas t'imaginer que tu dois être en mission séduction auprès de mes parents pour leur plaire ! Reste naturel et un poil sarcastique si tu le souhaites mais ne viens pas faire de la lèche sinon je te jure que je te ferais la misère.

  -  C'est entendu Cobb. De tout façon je n'y aurais même pas pensé. Il roule les yeux, impatient. C'est bon maintenant ?

   - C'est bon. Allons-y."

Nous sortons ensemble et prenons nous affaire avant de passer le portillon. Sur le perron, mon père nous attend de pied ferme, avec ce même air qu'il arbore à chaque fois que je ramène un homme à la maison. Nous nous pointons face à lui et Stephen Cobb dévisage de haut en bas Luke qui se tient nonchalamment. Ce dernier ne semble pas le moins du monde impressionné par la carrure de mon père dans l'encadrement de la porte. Je déglutis en observant la confrontation non-verbale des deux hommes. On dirait un combat de coqs silencieux, les coups se faisant par des regards appuyés. Je me racle la gorge pour les ramener à l'ordre.

   " L'un comme l'autre, vous avez l'air ridicule à vous regarder comme ça. Vous aurez tout le temps de le faire pendant l'intégralité du week-end donc j'aimerais embrasser mon père et pénétrer dans cette baraque maintenant."

Je vois mon père prendre un air satisfait lorsque je me penche vers lui pour le prendre dans mes bras. Cependant je suis quasiment sûre qu'il doit lancer un regard noir dans la direction de mon collègue lorsqu'il me serre plus fort contre lui. Je suis la prunelle de ses yeux et rien ne pourra retirer ça. Je pousse un soupir lorsque nous cessons notre étreinte. Il me fait le coup à chaque fois, le coup de l'intimidation pour effrayer le potentiel concurrent au cœur de sa fille.

Malheureusement pour lui, ce n'est pas un concurrent qu'il a en face de lui cette fois-ci.
Nous pénétrons dans la maison qui sent toujours aussi fort le bois de sental mais bizarrement plus réellement l'œuf brouillé. Je fronce les sourcils, étonnée. Ce n'est pas normal ce changement. Mon père attrape ma valise pour la monter à ma place et invite Luke à voir la chambre où il va dormir les prochains jours. Je me retrouve seule dans le hall d'entrée lorsque j'entends les petits pas de ma mère qui frappent le carrelage pour me rejoindre. Elle tend ses bras pour me serrer à son tour contre elle. Elle a dû se réasperger de son parfum à la lavande avant que nous n'arrivions ici puisque l'odeur est absolument atroce tant elle est forte. Je me retiens d'en faire un commentaire tandis qu'elle me regarde sous toutes les coutures:

   " Il serait temps de réinvestir dans l'anti-cernes que je t'ai offert à Noël Elie. Tu as une mine de croque-mort.

   - Merci du compliment maman, je suis ravie de le savoir. Balancé-je, ironique.

   - Tu ne peux pas imaginer à quel point ton père et moi sommes heureux que tu viennes passer le week-end chez nous ! Elle ne relève pas mon ton et enchaîne. Ça fait des lustres que tu n'es pas venue pour dormir. Avec cet Allen, tu partais toujours avant. J'espère qu'avec ce Luke, les choses changeront et que je pourrais plus profiter de ma fille. Elle arbore un grand sourire en me frottant le bras alors que je me laisse grimacer lorsqu'elle me tourne le dos.

   - Il ne se passe rien avec Luke, ce n'est pas mon petit-copain. Nous sommes collègues.

   - Ne viens pas me raconter des cracks Elie, j'ai des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Elle roule les yeux. Tu n'inviterais jamais un homme sous notre toit s'il n'y avait pas plus que juste de la camaraderie."

J'essaie de répliquer mais mon père et le concerné arrivent derrière moi comme d'un seul homme. C'en est presque flippant. Stephen se place à côté de sa femme, Andrea puis prend la parole:

   " Bien, nous sommes très contents que vous soyez parmi nous plus longtemps que prévu et j'espère que votre séjour en notre compagnie loin de la ville vous permettra de remettre les compteurs à zéro. Monsieur Hoffman, nous espérons que vous vous plairez ici. Il attrape des coupes de champagne qui n'attendent qu'à être sirotées sur le comptoir de la cuisine. Levons nos verres à notre nouvel invité et aux nouveautés qui nous attendent ! Bienvenue chez les Cobb !"

———

L'après-midi semble s'étendre en longueur. Notre déjeuner m'a paru une épreuve alors que nous nous faisions attaquer de questions de toutes parts par mes parents. Ni Luke, ni moi n'avons réussi à avouer que nous venions de perdre nos emplois respectifs. La bombe sera lâchée plus tard, je suppose. Après un détour dans le jardin, histoire de le faire découvrir à notre invité, nous nous sommes rendus dans le salon pour un ultime café. C'est là que j'ai décidé de m'esquiver. Comme quand je vivais ici et que les invités de mes parents m'ennuyaient. Sauf que là, ce n'est pas l'invité qui me dérange.

Ma chambre d'ado a presque complètement changé comparée au jour où je suis partie de la maison et que j'ai déménagé en ville il y a neuf ans. Le lit est toujours au même endroit avec encore quelques objets de décoration qui m'appartiennent mais la plupart ont été mis à jour. La pièce est devenue un espèce de bureau pour mon père, les murs auparavant beige immonde sont devenus blanc perle, la vieille moquette sale a été remplacée par du parquet brun et l'essentiel des meubles ont transformé ma vieille chambre en showroom IKEA. Heureusement qu'il reste la banquette avec les coussins sous la fenêtre où j'écrivais mes articles pour le journal du lycée et les tableaux que j'avais trouvé dans les dépôts ventes, toujours accrochés aux murs. Je m'assois à la fenêtre puis pose mon front sur le verre froid. La sensation me ramène des années en arrière et je ne retiens pas mon sourire. Je me sens bien et en sécurité. Personne ne peut me mettre au pied du mur ou me retirer mon bien-être.

Soudainement j'entends quelqu'un toquer à la porte qui est restée entrouverte. Et bien finalement si, quelqu'un me peut déranger apparemment.

   " Oui, entrez ! Fais-Je en allongeant mes jambes le long de la banquette. Mes pieds touchent le mur en face de moi.

   - Je ne te dérange pas ? Je reconnais la voix de Luke qui pousse tranquillement la porte de ma chambre. Je ne savais plus quoi raconter en bas et tes parents voulaient savoir ce que tu faisais pour mettre tant de temps pour redescendre.

   - J'ai mis au point une technique ancestrale d'évitement. Il ricane en me demandant s'il peut s'asseoir à mes côtés. Je pousse mes jambes pour lui laisser de la place. Lorsque j'en ai marre de parler pour rien dire avec eux, je viens ici. C'est plutôt efficace en général.

   - Apparemment, me dire de venir te voir est aussi leur technique pour me demander d'aller voir ailleurs si j'y suis."

J'éclate de rire en acquiesçant. Cela ne m'étonne pas venant de leur part.

   " Alors, cette première après-midi avec eux, tu en penses quoi ?

   - Je pense qu'ils peuvent être sympathiques mais que j'ai eu des aprioris à cause de tout ce que tu me vends par rapport à eux. Mais ils parlent beaucoup, ma parole, je vais avoir besoin de prendre des pastilles pour la gorge ! Ceci étant dit, ils ne sont pas des monstres, j'en ai connu des bien plus horribles...

   - Je pense que niveau horreur, les Barnes se placent bien dans le classement. Nous rions sottement puis j'ajoute plus bas. Je suis heureuse d'avoir des parents comme les miens, je sais que je peux compter sur eux même quand j'ai une galère.

   - Tous ne peuvent en dire autant malheureusement..."

Mon compagnon de course regarde ma chambre dans le détail, souhaitant mener la conversation dans une nouvelle direction:

   " Je n'aurais pas imaginé ta chambre d'enfance ainsi en fait. C'en est si loin.

  - Je te rassure, moi non plus. Ma chambre est devenue un bureau, la plupart des trucs qui recouvraient les murs ont été vendus, jetés, repeints ou transférés dans mon appartement. Ce qui donnait une identité à cette pièce a été détruit depuis.

   - Chez mon père, ma chambre est restée intacte, j'ai refusé qu'on retire ce qui a formé l'homme que je suis. Luke se penche vers des photos sous cadre qui ornent quelques étagères de la bibliothèque. Je ne pouvais pas envisager que le sanctuaire de mon enfance devienne une salle de sport où je ne sais pas quoi encore.

   - Quel sentimental ! Raillé-je en me levant à mon tour. Ton père aurait peut-être adoré mettre un rameur et un vélo d'appartement à la place de ta télé et de ton armoire !

   - On ne touche pas aux souvenirs Élie, c'est sacré ! Fait Luke, avec un sérieux sans pareil."

Je tique à sa phrase. À part l'existence de sa demi-sœur Jane, cette petite rousse timide que j'ai rencontré à l'aéroport avant mon premier voyage pour New York, et qu'il a vécu enfant dans le New Jersey, Luke ne m'a jamais parlé de son enfance. Il reste toujours distant et évasif. Je n'arrive à lui sortir les vers du nez uniquement lorsque je le pousse dans ses retranchements.

   " Tu ne parles pas beaucoup de ta famille. À part ton New Jersey, Marlène et Danyel et que tu te prends régulièrement des râteaux, je ne te connais pas tant que ça.  

- Je préfère ne plus trop en dévoiler, avoir la langue bien pendue m'a déjà portée préjudice. Et quoi raconter de plus que ce tu as connaissance ?

   - Peut-être parce que tu es actuellement en train de visiter ma chambre d'ado et que tu viens de rencontrer mes parents ? Une histoire d'équilibre dans la balance."

Luke Hoffman rit dans sa barbe en soulevant un biblot poussiéreux. Il ne le lâche pas des yeux.

   " Oh, je vois, l'équilibre...

   - Oui, l'équilibre me semble être la base. Si c'est trop compliqué pour toi de trouver une idée, parle-moi de ces fameux souvenirs auxquels tu t'accroches tant par exemple. Je serais très heureuse de te connaître mieux, maintenant que nous partageons un projet commun et que nous dormons sous le même toit.

   - Mais pas dans le même lit. Fait-il, se retournant enfin.

   - Mais pas dans le même lit... Répété-je, soutenant son regard. Je t'écoute...

   - Alors je n'ai vraiment jamais le choix avec toi ?

   - Non, jamais. Je me rassois sur la banquette et tapote la place restante. C'est que je commence à m'impatienter là."

Il lève les bras au ciel puis se résigne enfin à me rejoindre. Luke s'installe puis me regarde longuement avant de commencer. Je souris bêtement lorsqu'il s'élance enfin:

   " Bien, si tu veux absolument une histoire... Je ne te promets pas la plus passionnante mais c'est la seule qui me vienne à l'esprit. J'ai vécu toute mon enfance et mon adolescence avec mon père dans la charmante ville d'Elizabeth, à côté de Newark. Une banlieue agréable mais assez proche de la ville avec des opportunités pour des familles en herbe. Il me regarde et ajoute: Je n'ai jamais connu ma mère, avant que tu ne poses la question. Je sais juste qu'elle est partie car elle ne se sentait pas prête à élever un enfant."

Il balaie l'air de la main tandis que j'ouvre la bouche pour parler:

   " Laisse-moi finir avant de poser des questions, s'il te plaît. Je ne lui en veux pas, c'est une partie de mon identité. Mais niveau responsabilité parentale, on repassera. Elle a décidé de claquer des doigts et disparaître sous mes yeux de nourrisson. Et même avec les années, elle n'a jamais essayé de prendre des nouvelles et moi non plus d'ailleurs. Je n'ai aucun compte à lui rendre."

Mon cœur se serre, je n'aurais jamais pu imaginer ce passif pour un homme aussi sûr de lui. La blessure de la perte de sa mère a du fragiliser ses fondations pour faire confiance à l'autre. Les apparences sont si trompeuses et le voir avec le visage sombre me retire toute envie de sourire.

   " Bref, quand je vivais encore seul avec mon père, avant qu'il ne rencontre ma belle-mère de l'époque avec qui il a eu Jane, j'allais dans une école où les enfants ne voulaient pas comprendre que je n'avais pas vraiment de maman. Je n'avais pas de réponses à leur donner et je n'avais pas envie de parler de ça. Qui aurait envie d'écouter les chouineries d'un enfant ? On m'aurait tout de suite catégorisé en tant que victime de la vie et des autres si je l'avais fait de toute façon. J'ai été mis à l'écart en quelque sorte à cause de mon refus de parler de moi, de ma vie, mais je m'en fichais, j'étais plutôt solitaire. Si je ne pouvais pas avoir d'amis, alors j'allais m'en créer. D'abord, je me racontais des petites histoires avant de dormir, puis avec le temps, je notais quelques phrases sur des cahiers mais l'imaginaire a commencé à ne plus me suffire. Je voulais raconter des faits réels, des histoires inscrites dans le temps qui me permettaient de découvrir le monde sans bouger de chez moi. Si je ne pouvais pas voyager par manque de moyen, alors je voyagerais avec les mots, les connaissances. C'est comme ça que m'est venu l'amour pour l'écriture et ensuite du journalisme.

   - Ton enfance a été chaotique ! Je ne m'en serais jamais doutée. Tu n'as jamais eu de regrets de ne pas avoir pu sociabiliser avec des gens de ton âge malgré tout ?

   - Aucun regret non, là encore ça m'a appris à n'accorder ma confiance à peu, pour n'en garder que le meilleur. Cela ne m'a pas empêché de faire des grosses boulettes dans ma vie affective. Je ris. Poursuivons. Par la suite, avec les années, je n'étais plus la cible des remarques déplaisantes. Ils avaient compris que je m'en fichais royalement. J'avais trouvé le moyen de raconter les tracas de chacun, de mettre en lumière leurs faiblesses à travers des petits articles et ça les avaient calmer. Je n'en suis pas très fier, loin de là mais c'était le seul moyen que j'avais de me défendre à cette époque. Je tendais l'oreille, je prenais des notes et je rassemblais les pièces pour construire leurs histoires sur papier. Cela m'a valut quelques heures de retenue d'ailleurs. J'ai eu le pouvoir de réduire à néant certaines réputations dans mon lycée. C'était tout bonnement jouissif d'exposer tous leurs torts et travers. Il regarde dans le vide avec un petit sourire."

Pendant un instant, je le sens s'amuser de la situation puis il pousse un profond soupir en se frottant les yeux:

   " Un jour, quand je suis rentré des cours, je devais avoir quinze ans, j'ai retrouvé mon père dans la salle à manger. Sa copine venait de le quitter, comme ma mère auparavant et lui avait laissé la petite Jane à charge. On se retrouvait donc à trois, avec un seul salaire et mes ambitions d'écoles supérieures prestigieuses qui se créaient doucement. Il était au bout du rouleau et, quant à moi, je perdais encore une fois une figure maternelle. J'étais en colère, je m'étais forgé un équilibre qui m'allait, je ne comprenais pas ce qui l'avait changé. Si en public, je détruisais des gens sans remords, en privé ma vie s'étiolait à vitesse grand V sans que je ne puisse rien y faire. J'étais perdu. Avec mon paternel, on ne parlait pas beaucoup, on vivait ensemble mais chacun dans notre bulle. C'est en m'installant à côté de mon père pour lui demander des réponses à mes questions, il m'a dit ceci, et je m'en souviens comme si c'était hier: « Luke, accumule les souvenirs autant que tu peux et retranscris-les, met les en ordre, raconte les expériences et surtout met en avant la vérité. Tu te rendras compte que c'est, des fois, le seul moyen de garder les gens auprès de nous. » Aussi plus tard, alors que n'avions dû déménager dans un appartement minuscule pour pouvoir économiser pour mon université, j'avais été reçu à la NYU, il a ajouté « Tu as la chance de savoir traduire des vies sur du papier, mon fils. Raconte les bons et les mauvais côtés de l'histoire, avec pragmatisme, car sans ça, nous n'aurions pas les informations nécessaires pour avancer, nous n'aurions personne pour nous transmettre les expériences des autres et apprendre des erreurs... Garde la tête froide, devient celui qui écoute, celui qui raconte la vie des autres, fond toi dans le monde. C'est ta meilleure chance de réussir.». C'est essentiellement pour ça que je ne parle pas beaucoup de moi. Je ne raconte pas ma vie, je raconte celles des autres."

Un lourd silence s'immisce entre nous tandis qu'il se tait. Luke pousse un long soupir en s'asseyant lourdement dans le fauteuil en cuir du bureau. Aucune sorte de sons n'arrivent à franchir le pas de mes lèvres et je suis certaine que j'ai l'air d'un folle avec mes yeux écarquillés. Je voulais mieux le connaître ? Voilà que je suis servie avec entrée, plat et dessert.

   " Je dois avoir mérité ta pleine confiance pour que tu puisses me livrer un secret d'aussi gros. Luke détourne la tête, sans me regarder en face.

   - Ça doit être quelque chose dans le genre, oui. Je n'en parle qu'aux personnes les plus proches. Ou les emmerdeuses qui ne savent pas s'arrêter de me pomper l'air comme toi. Il esquisse un sourire en coin. Après, ça n'a rien d'un secret, bien que j'aime aussi préserver un peu de mystère, beaucoup des gens de mon passé sont au courant de mon enfance, bien évidemment.

   - C'est clair mais dis-moi, je dois être ton emmerdeuse préférée alors ! Je me penche face à lui, les mains posés sur les deux accoudoirs.

   - Je n'irais pas jusqu'à là mais si ça te fait plaisir... Une lueur de désir anime son regard tandis qu'il pince doucement le bout de mon menton.

   - J'en serais ravie..."

Luke se relève légèrement de son siège, cherchant ma bouche qui pourrait s'ouvre immédiatement à son contact.

Cependant, bien que je sens que nous sommes tous deux excités par notre distance presque nulle, un son extérieur nous coupe dans notre élan. Il est assez lourd et puissant pour me faire pousser un petit cri de peur. Je me détache, mon énergie sexuelle retombant aussi brusquement qu'elle n'est arrivée pour me diriger vers le bruit, inquiète. Est-ce qu'il y a un blessé ? Je redescends l'escalier suivi de près par mon compagnon. Je retrouve mes parents assis dans leurs fauteuils, nous attendant patiemment, en silence.

La scène me paraît que trop familière. La façon dont ils sont tous deux installés, le téléphone qui retourné face au ciel. Je reviens à mes années lycée, lorsque des réunions de famille express prenaient place dans le séjour par rapport à mon comportement avec mes petits camarades. Ma mère à gauche, mon père au centre et ma grande sœur, à moitié hilare que je me sois encore faite prendre, à moitié allongé dans le canapé. Alors que je me faisais remonter les bretelles plus ou moins violemment, la présence d'Allison me permettait de traverser ses zones de tempête sereinement. Malheureusement, elle n'est pas là aujourd'hui pour me rassurer. Et même si elle l'était, je ne suis pas sûre qu'elle serait amusée de la situation. Bien au contraire. Je trouve Luke qui est à mes côtés, ne sachant pas de quoi il s'agit. Je le plains d'avance. Je croise le regard désapprobateur de mon père, je sais déjà de quoi il s'agit. C'est le calme avant la tempête.

   " Je viens de recevoir un appel d'un ami qui connaît un ami qui connaît quelqu'un qui travaille dans votre magazine. Quelle fût ma surprise lorsque l'on m'apprend que les deux idiots qui me font face ont été virés en même temps ? Vous croyez que vous allez garder ça secret ? Fait mon père, avec un ton étrangement neutre.

   - On allait vous en parler ce soir justement, tenté-Je, essayant de conserver un semblant de contrôle de la situation, on voulait attendre un peu, c'est tout.

   - C'est tout ? Fait ma mère qui élève la voix, rouge de colère. Mais qu'est-ce qui s'est passé dans vos têtes pour vous retrouver dans cette situation ?

   - Et pourquoi vouloir attendre avant de nous le dire ? Si vous n'étiez pas venu ce week-end, aurais-tu seulement eu la présence d'esprit de nous informer ta mère et moi de tes incartades Elie ?"

La chaleur me monte aux oreilles avec une rapidité impressionnante. Je ne sais presque plus quoi dire et c'est en me voyant interdite que Luke prend la parole, solennel:

   " Nous avons appris que notre boss était un pourri qui n'attendait de nous que de retrouver la personne qui peut disculper Barnes Senior. La promesse de l'article que nous étions censé publier n'était pas réelle donc nous avons décidé de plier bagages pour travailler avec dignité. Mon père tente d'ouvrir la bouche mais Luke le stoppe un mouvement de main bref. Nous croyons en nos informations et ne pouvions certainement pas mettre en danger un personne juste pour de l'argent. Quant à notre volonté de ne rien dire de prime abord, je pense que vous avez pu constater que au vu du caractère de l'information, nous n'aurions pas passé un très bon moment à table si vous l'aviez appris immédiatement. Il a un petit sourire qui détend l'atmosphère de la pièce. Avec son ton diplomate, il fait un pas vers mes parents qui ne savent plus quoi dire. Vous comprenez n'est-ce pas ?"

Mon père jette un coup d'œil vers ma mère qui hoche la tête, puis il se lève de son fauteuil, l'air grave:

   " Nous comprenons mais il va falloir nous expliquer de A à Z ce qui s'est passé Luke si vous ne voulez pas que je vous fiche à la porte.

   - Mais j'y compte bien! Il rit ce qui semble apaisé la colère des Cobb. De A à Z vous avez dit ?"

Il poursuit dans ses explications en s'asseyant avec élégance dans le canapé et j'en reste pantoise. Je n'ai jamais réussi à dompter la fureur de mes parents lorsque je me retrouvais dans la même situation. Jamais de ma vie que je n'ai réussi à retourner la situation à mon avantage. C'était plutôt le pilotis qui m'attendait que la tasse de café et le spéculos sur le petit plateau. Observer Luke utiliser son éloquence pour les convaincre de sa bonne foi et de nos intentions envers Caleb, Olivia et Riley est tout bonnement incroyable. Je me permets enfin de sourire lorsque je m'assois aux côtés de mon collègue, appuyant ses dires d'un mouvement de tête.

Il va falloir que j'afine mes compétences de persuasion pour pouvoir changer des avis aussi facilement. Et ce n'est qu'avec Luke que je peux le faire.

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