Chapitre 33 : Panser et soigner les blessures
Le vendredi matin, quatre jours après la rupture
" J'ai l'impression que l'on m'a roulé dessus avec un semi-remorque. Trois fois. "
Mes lunettes de soleil sont enfoncées sur mon nez, la moindre lumière me brûlant la rétine. Luke me tend un gobelet en carton du magasin de café indépendant au coin de la rue que j'attrape sans me faire prier. Il s'assoie sur le banc, laissant une distance confortable entre nous deux. Je ne me sens pas complètement grillée par des pulsions et puis de toute façon avec la nuit que je viens de passer, je pense que je suis vaccinée pour l'instant, même sevrée. Lui aussi réajuste sa paire iconique de lunettes de soleil en s'installant plus confortablement.
Ce matin, Portland semble fonctionner au ralenti. Je ne vois que peu de personnes s'activer dans la rue. Nous sommes en plein milieu du mois de juillet, les gens partent en vacances, profitent de leurs familles, font de nouvelles rencontres et moi, j'ai décidé, après plusieurs heures interminables de pleurs, que je devais trouver un moyen de contourner tous ces sentiments. C'est moi qui est voulue me séparer, je dois affronter les conséquences comme une grande, comme une adulte que je ne semble pas être au final. Cependant, les mœurs d'un cœur brisé semble être plus compliqués que prévu. Lors de mes précédentes relations au lycée, j'ai toujours largué mes mecs sans remords ni même larmes. On m'a pris pour une insensible, et j'ai pensé qu'ils avaient raison. Toutes mes copines qui étaient passées par des ruptures avaient eu besoin de jours, de semaines, voire de mois pour certaines pour s'en remettre. Moi, c'est comme si je tournais la page sans me retourner, en les laissant en plan, livrés à leur tristesse, sans grande compassion de ma part. C'était une des choses qui avaient incité les gens à parler dans mon dos plus durement. J'étais la serial jeteuse de petits-copains, ni plus ni moins.
Enfin, ça, c'est que je croyais. Visiblement, ce genre de comportement ne fonctionne pas lorsque la relation dure huit ans. Il y a ce sentiment inconnu qui est venu s'installer en moi juste après avoir fermé la porte de mon appartement, quand j'ai réalisé que c'était la fin, la vraie. La grande peine amoureuse a toqué et est venue s'installer dans mon salon. Elle a réclamé son verre de vin rouge et a ramené la boîte de mouchoirs sous le coude, dans sa grande gentillesse. C'est elle qui fait que tu as l'impression que le ciel s'effondre sur toi, qu'il est impossible de se relever et qu'il ne reste plus à pleurer sur les cendres du passé pour toujours et à jamais. Elle qui me fait me sentir faible. J'étais abattue, et je le suis toujours, n'allez pas vous méprendre, mais tout mon histoire avec Allen a pris fin brusquement malgré tout. J'ai pleuré tout ce que je pouvais et dans tous les lieux possibles de mon appartement longuement. Il a fallu que je me reprenne en mains rapidement car je n'ai pas de temps à perdre pour l'instant. Je ferais mon deuil plus tard. Alors entre deux mouchoirs usagés, j'ai compris qu'il serait inutile de traîner dans le lit à attendre que le sommeil passe. Je n'aurais pas pu dormir même si je le voulais.
C'est pourquoi qu'en plein milieu de la nuit, je me suis mise à travailler. Les pleurs ne m'aideront pas à avancer. Je trime pour essayer d'oublier ma peine et les remords qui m'accompagnent. Et Luke est le seul qui puisse comprendre ma démarche.
" C'est toi qui préfère passer ta vie au bureau, non pas que ça me déplaise, mais ne viens te plaindre si tu nous claques entre les doigts. Il boit sa boisson puis balance sa tête en arrière, poussant un râle. C'est à peine si je dors avec toi qui ne cesse jamais.
- Travailler est le meilleur moyen que j'ai trouvé pour m'occuper l'esprit, tu peux le comprendre n'est-ce pas. Je tourne la tête dans sa direction tandis qu'il pousse un long soupir.
- En effet, je peux. J'ai encore entre la gorge la bague de fiançailles qui m'a coûté un bras pour finalement me la faire jeter à la figure.
- Elle aura appris à voler au moins, c'est toujours ça de pris, non ? M'amusé-je, Luke feint de rire.
- Ah. Ah. Ah. Très drôle Cobb, très drôle. Je crois que les relations amoureuses ne sont pas faites pour nous au final.
- Seul le commun des mortels peuvent les expérimenter, les élus font route seuls pour changer le monde. Réponds-je, laconique."
Je fais un clin d'œil inutile puisque mes lunettes cachent mon regard. Je suis profondément fatiguée et je ne réfléchis même plus à ce qui est logique. Luke tapote le haut de ma cuisse amicalement mais je grimace à son contact.
" S'en est presque affligeant pour nous deux mais si nous retournions sauver le monde ? Fait Luke en se levant. Je ne veux pas m'étendre plus longtemps sur cette conversation et je crois que des recherches nous attendent avec impatience.
- Tu ne veux pas encore profiter du beau soleil matinal ? C'est trop dommage !
- Je crois qu'avec nos rythmes de vie actuels, on se rapproche plus à des vampires qui tournent au café noir.
- Bon dieu, n'oublie pas la sucrette ! Nous éclatons de rire en nous dirigeant vers l'entrée du Weekly."
Nous empruntons l'ascenseur ensemble, blaguant chacun notre tour, complices. C'est en sortant de celui-ci que nous entendons un bruit lourd venant du bureau de Luke. Je fronce les sourcils intriguée tandis que ce dernier jette son gobelet et pénètre dans le lieu, agacé. Je le talonne.
La scène est surréaliste. Le bureau élégant de mon partenaire est comme parti en cendres. Des dizaines et des dizaines de papiers jonchent le sol, la plupart des tiroirs sont ouverts et presque vidés de leurs contenus. Le tableau en liège où nous faisons notre construction d'article est ruiné. Et au centre de ce tableau, une figure masculine s'agite, fouillant chaque recoin. Je ressers mon sac contre moi, mon café semble se refroidir à vue d'œil. Je regarde derrière moi, vers l'open-space, pour vérifier si quelqu'un est là. Personne à part nous n'assiste à la scène.
" Putain mais Walter, c'est quoi ce bordel ? Demande Luke, la gorge déployée."
Le directeur du journal a l'air furieux, il fouille chaque tiroir, chaque bout de papiers comme s'il était fou. Il s'agite comme une bête enragée. Quelque chose cloche. Il n'est jamais là si tôt d'habitude. Et surtout Walter Wells ne prend jamais le temps de faire lui même les choses, il délègue toujours. Sauf quand il s'agit de Luke. Sauf quand il s'agit de notre article.
" Walter ! Qu'est-ce qui se passe ?
- C'est Monsieur Wells pour toi ! Hurle-t-il, le visage rouge. Où est-ce que tu l'as mis ? Hein ? Où est-ce qu'elle est ?
- Mais de quoi tu parles ?
- Ne joue pas au plus fin avec moi, je sais que tu vois très bien de qui je veux parler !
- Excuse-moi Walter, il appuie longtemps sur le prénom, je dois être complètement arriéré pour comprendre ce que tu veux en fait. Luke croise les bras, profondément agacé.
- Où est ce putain de témoin ? Je sais que tu la caches !"
Je déglutis en me cachant derrière Luke qui garde un air neutre. Bordel de merde, comment Walter Wells peut être au courant ? Les murs ne sont pas si fins que ça ici pourtant ! Comment est-ce possible qu'il soit au courant ? Est-ce qu'il aurait appris pour mes rendez-vous avec Olivia ? Ou quelqu'un a entendu quand j'avais parlé de ma rencontre avec Riley malgré tout ? Ou alors, Walter Wells sait parfaitement qu'il y a un témoin parce qu'il le sait de sources sûres. Est-ce qu'il est ami avec une des seules personnes à savoir qu'il y avait Riley lorsque Liam a été assassiné ? Et si Andrew était un ami qui lui a demandé de lui rendre un service ?
Retrouver la femme qui l'a vu tuer quelqu'un pour la réduire au silence et lui permettre d'échapper à une condamnation de meurtre après préméditation. Il ne serait plus question d'un emprisonnement dans une prison pour cols blanc.
J'essaie de me reprendre puis me replace à côté de mon coéquipier qui fait bloc en essayant de garder un air neutre à mon tour. Il cherche des réponses à l'état de Wells. Notre chef ne cherche pas au bon endroit et je ne le sais que trop bien. Ce qu'il veut, c'est mon cahier, qui est dans mon sac, tout contre moi. Et vu dans l'état où il est, il ne manquera pas une seconde pour fouiller mon sac s'il le souhaite. Je murmure à l'oreille de Luke alors que Monsieur Wells nous tourne le dos pour chercher encore dans un casier en métal:
" Gagne du temps, je dois trouver un endroit pour cacher mon cahier d'urgence."
Il hoche la tête et m'indique de sortir d'un mouvement tandis qu'il s'avance vers son bureau.
Je m'éloigne sans demander mon reste, alors que j'entends des éclats de voix percés derrière moi. Il n'y a pas beaucoup d'endroits où je pourrais cacher rapidement un cahier. Mon cœur bat à la chamade pendant que je scanne les alentours de la pièce. Il me faut un endroit où on ne viendrait pas fouiller dans l'immédiat. Un endroit où quelqu'un de précieux comme le chef de la rédaction ne penserait surtout pas. Mon café est complètement froid et presque vide. C'est au même instant ou une illumination me frappe de part en part. La poubelle.
En deux pas je la rejoins, ouvre mon sac, attrape son carnet et le jette dedans sans attendre. Heureusement que la poubelle est presque pleine, il n'y a pas de bruit sourd qui sort. C'est au même instant que Walter et Luke sortent. Je jette doucement le gobelet de café sous le regard énervé du premier et celui inquiet du second.
" Et vous Cobb ? Vous devez savoir quelque chose n'est-ce pas ? Une femme comme vous doit savoir bien des choses et avec votre grande gueule, peut-être que vous serez plus bavarde. Je serre les dents. Où est le témoin ? Il se pointe devant moi et me pousse du doigt sans ménage, une lueur dégoûtante dans son regard sournois. Je reste silencieuse, le défiant du regard. Je sais que vous l'avez rencontré et n'allez pas prétendre le contraire ! J'ai des oreilles partout, espèce de petite-..."
Je plisse les yeux, Luke est livide dans un coin de ma vision. Ma colère gronde petit à petit. Je n'ai pas beaucoup dormi et même si j'étais en pleine forme je ne serais pas apte à répondre avec diplomatie aujourd'hui ou même un autre jour à un abruti pareil. Je le pousse brutalement et il chancelle. Je sens le sang me monter au visage.
" Qu'est-ce que vous allez sortir là, espèce de petite quoi ? Le chef ne répond pas. On ne vous a jamais appris à être poli et à respecter les femmes ? Ou même vos employés en général ? Dans quel putain de monde on apprend aux managers à être des petits chefs qui s'adressent comme ça à leur équipe ? Vous devriez avoir honte !
- Vous débarquez de nul part Cobb, n'allez pas m'apprendre à gérer une équipe ! Sans vous, tout allait bien !
- Sans moi, on n'avancerait pas sur l'affaire Andrew Barnes, mais visiblement cela vous arrangeait bien que Luke soit presque au point mort là dessus, n'est-ce pas ? Je m'avance lentement, inquisitrice. Dites-moi, pour quelle raison avez-vous accepté ma présence si vous vouliez que l'affaire meurt dans l'œuf ? Ou alors, vous nous vendez l'Amérique sur l'article pour que l'on joue aux petits enquêteurs pour vous, mais vous n'avez aucune envie que l'article sorte, c'est ça ? Ça plomberait vos affaires peut-être ? Je déglutis en reprenant mon souffle. Est-ce que vos fameuses oreilles ne seraient pas actuellement en prison en attendant son jugement prochain ? Luke et moi serions ravis d'entendre vos réponses."
Ce dernier se place à mes côtés, appuyant mes propos. Malgré son air calme, il semble perdu. Walter s'écarte en déboutonnant sa chemise d'un bouton pour respirer un peu mieux.
" Que l'on soit bien clair, je n'aurais jamais, je dis bien jamais, accepter que votre article vienne pourrir mon journal ! Vous n'êtes que deux idiots qui pensent tout savoir mais le monde ne tourne pas toujours comme on le souhaite. Votre article est enterré avant même d'être né ! Je retiens un hoquet de colère. Vous n'êtes là uniquement pour trouver des informations et je sais, je le sens, que vous savez où est cette greluche qui se croit plus intelligente que les autres."
Alors que j'essaie de reprendre la parole, Luke me devance, sa voix rugissant:
" Parce que tu crois réellement que si nous savions quelque chose, nous le partagerions avec toi ? Il éclate de rire, sarcastique. Comment faire confiance à un homme qui est prêt à se vendre à un criminel pour avoir une crédibilité et du pouvoir ? Tu peux aller te faire, il s'arrête volontairement dans sa phrase pour te retenir puis continue, Walter, c'est tout."
Walter Wells, de toute sa hauteur, se rue vers nous avec une grande fureur. Il attrape mon bras violemment et me pousse vers l'ascenseur, l'appelant.
" Je crois qu'il est grand temps de se débarrasser de la vermine par ici, déclare-il en me jetant de toutes ses forces dedans. Je me cogne contre la paroi et pousse un petit cri. Quant à toi Luke, tu as le choix, si tu me dis le petit nom du témoin, tu restes dans l'équipe, dans le cas contraire, tu rejoins ta petite copine et tu es viré ! Sache que dans les deux cas, ton enquête s'arrête immédiatement et que toutes les informations et documents recueillis lorsque tu travaillais ici seront propriétés du Weekly donc tu ne pourras plus les utiliser. Mais sache que si tu pars, ne vous attendez ni l'un ni l'autre à travailler dans un journal. Je fais bien attention à ça. Échec et mat, fin de la partie."
Luke écarquille les yeux et je suis sans voix. Il ne sait pas quoi dire, quoi répondre et je ne sais pas encore si son destin sera scellé comme le mien. Est-ce qu'il serait prêt à me suivre et à garder sa dignité mais abandonner toute la vie qui s'est formée ici, sa réputation ou alors de rester et faire comme si rien ne s'était passé ? Ma gorge est sèche, en l'espace d'une semaine j'ai perdu mon petit copain et mon travail de rêve. Est-ce que je vais perdre aussi mon collègue, mon compagnon de route aussi ?
Plusieurs longues secondes s'écoulent tandis que Luke reste immobile. Il jette un coup d'œil dans ma direction et je le vois profondément atteint parce ce dilemme. Puis soudain il se retourne et se dirige dans son bureau, sans dire un mot. Je lâche un petit hoquet de tristesse et Walter se retourne dans ma direction, un immense sourire carnassier habillant son visage.
" Alors Cobb, je crois que votre très cher ami a pris une décision, quant à vous, vous êtes licencié immédiatement pour mauvaise conduite et insubordination envers votre supérieur hiérarchique. Je suis ravi que vous ne soyez plus parmi nous-... Il poursuit sans que je ne l'écoute."
Je regarde derrière son épaule, Luke ressort de son bureau avec son sac sur l'épaule et il ressort de la poubelle mon cahier pour l'enfiler entre son ordinateur et d'autres objets qui traînent. Il met un doigt sur ses lèvres puis s'élance vers nous. Je manque de lâcher un soupir de soulagement. Lorsqu'il arrive au niveau de Walter, il tapote son épaule et tire un grand sourire avant de lui coller son poing dans la figure, le plus fort possible. Walter titube en arrière en se tenant le nez en poussant un râle de douleur.
Luke entre dans l'ascenseur et appuie sans arrêter sur le bouton du rez-de-chaussée pour que les portes se ferment plus vite. Alors que celles-ci s'enclenchent, Luke dit alors:
" Va au diable Wells !"
Nous entendons vaguement la voix rugissante du rédacteur en chef mais l'ascenseur se met en marche et nous descendons, chacun à une extrémité de la cabine. Nous nous dévisageons sans rien dire, choqués tous les deux parce qu'il vient d'arriver.
" Je... Je... Tu... Je bégaie puis m'approche de Luke qui est sous le choc. Aucuns regrets ?
- Aucuns regrets, je ne sais pas, toute ma nouvelle vie était ici mais apparemment, ce n'était pas la bonne. Il baisse la tête, abattu. Ce n'est jamais la bonne."
Je prends la tête entre mes deux mains et l'attire doucement contre mes lèvres. Ses mains se placent directement sur mes hanches et le creu de mes reins. Vous restons ainsi quelques instants avant qu'il ne se décolle et demande:
" Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?"
Je réfléchis aussi rapidement que possible, il nous faut un endroit pour réfléchir à la suite. Soudain, tout fait sens:
" Est-ce qu'un week-end sur la côte te dit ?"
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top