Chapitre 29 : Le point de non retour
" Cher Allen,
Je te quitte car je ne t'aime plus.
Avec tout mon amour inexistant,
~Élie"
Si je pouvais réduire à néant une relation de huit ans avec juste une phrase, sans blesser la personne d'en face, tout serait plus simple.
Installée devant mon ordinateur, de retour dans ma chambre d'hôtel, je frappe sans discontinuer les touches du clavier, notant toutes les informations en pêle-mêle que j'ai pu regrouper depuis ces derniers temps par rapport au travail. Mais mon esprit ne cesse de vagabonder parmi Allen et Luke. Et ça a le don de m'horripiler.
Impossible de me concentrer plus de cinq minutes, je décide de me dégourdir les jambes en sortant de l'hôtel où nous sommes logés. Nous sommes à quelques minutes à pied du Met et donc de Central Park. Je pourrais aussi bien visiter un autre coin de Manhattan, comme Times Square par exemple. L'établissement cossu choisi par l'équipe d'Olivia est tout à fait divin et je suis presque gênée de déambuler en son sein. En sortant dans le couloir, épuisée par le manque de sommeil et des pensées obsédantes, je passe devant la porte de la chambre de Luke qui n'a pas mis de petit encart « ne pas déranger ». Avec un peu de chance, il est libre pour s'adonner à une virée. Même s'il est en cause dans mes problèmes personnels, prendre l'air avec lui pourrait être une bonne idée. Je pourrais dire tout ce que je veux, parler avec lui me fait un bien fou. Je vais pour frapper doucement la porte qui s'ouvre dans la seconde. Je pousse un petit cri de surprise en manquant de perdre l'équilibre.
" Mais qu'est-ce que tu fous Cobb ? Demande Luke qui semble sur le point de lui aussi sortir.
- Je, euh... J'allais faire une balade pour me rafraîchir la tête et je me demandais si tu voulais venir avec moi. Et toi, tu allais faire quelque chose ?
- Juste commander un plat dans un restaurant aux alentours pour manger dans ma chambre, rien d'incroyable. Les prix pratiqués par le service d'étage sont du racket pur et simple ! Il prend sa carte électronique et ferme la porte derrière lui. Mais je peux attendre avant de manger si tu veux.
- À vrai dire, j'en serais ravie. New York seule n'a pas la même saveur quand je ne suis pas avec toi...
- Est-ce un compliment ? Fait Luke, entre ironie et surprise. Je suis touché !
- N'en fais pas tout un plat Hoffman, tu resteras un abruti pour le reste de ma vie. J'apprécie juste ta compagnie.
- Juste, il marmonne dans sa barbe, c'est cela, oui. Et bien moi, je n'apprécie juste que... Luke singe de réfléchir profondément. C'est compliqué de trouver quelque chose."
Je lui donne une tape sur le bras, un petit sourire amusée s'étirant au fur et à mesure. Il rit en balançant sa tête en arrière tout en appuyant sur le bouton de l'appel de l'ascenseur.
" Je suis sûre que tu trouveras quelque chose qui te plaît chez moi avec le temps, et je te parie que ce sera avant la fin de la journée.
- Et si tu es trop insupportable et que je ne trouve rien ?
- Tu vas te forcer. C'est tout."
Il me laisse monter dans la cage en première tandis que j'appuie sur le bouton du rez-de-chaussée. Alors que les portes se ferment, nous nous tenons chacun dans un coin de celui-ci. Silencieux, l'attente se fait dans une lenteur impensable. Luke se frotte la nuque en toussant, les yeux rivés sur ses chaussures. Il entreprend de parler le premier:
" Par rapport à ce qu'on parlait dans le parc, avant d'être interrompus, tu as réfléchis à ce que tu allais faire par rapport à Allen ? Demande-t-il innocemment.
- Ça tourne beaucoup là dedans. J'indique mon crâne du doigt. Il faut que je mette un terme à cette romance à un seul sens malgré moi, je n'ai plus le choix. Je ne suis pas très forte avec les paroles, je préfère coucher mes pensées sur papier mais là, les circonstances... Je souffle bruyamment. Je ne sais pas comment formuler ce que je veux lui dire... On n'efface pas aussi facilement des années de relation en un claquement de doigts.
- Oh si, on peut, c'est juste que tu n'as pas le courage de le dire. Tu ne veux pas quitter ton confort et c'est tout à ton honneur de vouloir protéger son petit cœur d'artichaut avec des promesses que tu ne comptes pas tenir.
- Eh, je ne t'ai pas demandé d'être corrosif Hoffman !
- Je ne suis pas corrosif, je t'expose des faits. Aies le courage de lui dire comme cela te vient, pas en préparant des longs discours inutiles au préalable. Ou reste avec lui, ronger par les regrets et en développant une haine de sa personne."
Je louche, immobile sur son visage grave alors que les portes en métal s'ouvrent sur le hall d'entrée. Mon collègue sort en premier, m'invitant à le rejoindre.
" Je connais un café à emporter pas loin, ça te dit ? Balance-il.
- Comment refuser un café, même à une heure aussi tardive ? Il faut que je reste éveillée pour travailler ce soir. Toutes ces pensées parasites perturbent mon esprit et je mets un temps fou à avancer.
- On se tuera à la tâche à deux alors, allons-y !"
———
La Lune commence à percer doucement le ciel qui se pare de ses couleurs bleutées. Nos verres en carton dans la main dans le métro, nous avons décidé de rejoindre Times Square et sa foule exaltée. C'est la première fois que je me rends dans un endroit aussi lumineux, changeant en permanence de couleurs sur ses buildings et où marcher est presque impossible. Les yeux levés vers les grattes-ciels, je ne réussis pas à m'en détourner.
" C'est... Dis-je à Luke qui est à mes côtés.
- Très surfait. Répond ce dernier en avalant son café sans me regarder. Ce ne sont que des pubs lumineuses après tout.
- Qu'est-ce que tu peux être rabat-joie quand tu t'y mets Hoffman ! Ce n'est pas tous les jours que l'on voit un paysage pareil. Je lève les bras en tournant sur moi-même
- Parle pour toi Cobb. Il sourit amusé.
- Oh, pardon, monsieur le new-yorkais du New Jersey ! Je me moque en me rapprochant de lui pour qu'il puisse m'entendre.
- Eh, je ne m'excuserais pas pour une nana de la campagne profonde !"
Alors que je m'apprête à lui répondre, quelqu'un me bouscule et je trébuche sur Luke qui reçoit une partie de mon reste de café qui a bien refroidi depuis. Quant à moi, j'atterris contre lui, absorbant une partie du liquide sur mon haut. Son polo blanc est probablement couvert d'une tâche marronnasse mais je n'arrive pas à me décoller, encore légèrement sous le choc.
En temps normal j'aurais pesté, insulté père et mère car le pressing est cher mais à cet instant précis, ma bouche est close, mes yeux rivés sur l'homme qui me fait face. Nous ne sommes qu'à plus que quelques centimètres l'un de l'autre, complètement captivés par son prochain. Ma main se pose mécaniquement sur son épaule, ma respiration se bloque et je pense que Luke me reserre contre lui comme ce matin à Battery Park. Le bout de mes doigts picotent légèrement, mes jambes me tirent et un éclair de désir se manifeste dans mon bas-ventre.
Dans cette foule incroyable, personne ne nous regarde, nous sommes inconnus, invisibles parmi eux. Nous n'existons pas. Immobiles, dans un instant hors du temps, cette fois-ci nous sommes entièrement conscients de nos faits et gestes. Plus d'alcool, plus de "j'étais bourré". Je ferme les yeux en sentant son étreinte devenir plus puissante, comme si j'étais une bouée de sauvetage et qu'il s'accrochait à tout prix pour ne pas me perdre dans l'océan d'hommes et de femmes. Nos bouches ne sont plus qu'à un rien de se rencontrer et je décide de me lancer en première. Merde Allen, merde les on-dit-que, merde le monde.
Mes lèvres contre les siennes se collisionnent dans une urgence si violente que je me manque de trébucher une fois encore. D'abord surpris, il m'agrippe la hanche, nos bassins l'un contre l'autre. Notre baiser devient plus profond, démentiel, me dépassant presque. Il est puissant. Sa bouche, sa langue n'ont plus le goût de l'alcool que j'avais pu goûter auparavant. Des amertumes de grains de café rendent l'expérience bien plus agréable. En plein milieu de la place la plus connue du monde, nous sommes sauvages. Et je m'en fous éperdument. Je me sens vivre comme jamais auparavant. La chair de poule s'empare de tous mes membres, l'excitation nous agite lui comme moi et si je le pouvais, j'exploserais sous la pression avec lui entre mes bras. Ma respiration devient saccadée, je sens que la sienne aussi, et je décide de cesser avant que mon cœur, ou pire, mon désir prennent l'ascendant sur ma raison. Je suis à bout de souffle, mes poumons me brûlent doucement. Luke balance sa tête en arrière, les yeux grands ouverts, comme s'il n'en croyait pas lui même. Je pourrais m'en vouloir à mort, mais étonnamment rien ne vient.
" Tu as raison finalement, ça peut être très joli par ici lorsqu'on décide enfin de le regarder comme une peinture... Il reste autour de lui, l'œil brillant. Ou alors je suis complètement euphorique grâce à une accumulation rapide et excessive d'endorphine. Je te laisse choisir la réponse qui te conviens le plus pour le coup."
Il me regarde cette fois, comme pour me poser une question silencieuse, sûrement quelconque regret, et décidément je dois trouver la réponse bien vite car un sourire apparaît sur son visage. Je roule des yeux, ce petit sourire en coin en crée un similaire doucement sur mon visage alors que je dévisage Luke qui se met à regarder son environnement avec plus d'attention, inspiré. Mes doigts tapotent ses lèvres rougies doucement.
" Oh, je t'en supplie, tais-toi !"
Mon touché descend sur son torse doucement et nous reprenons un baiser enflammé encore plus naturellement, ce qui nous rend encore plus exaltés que précédemment. Le peu que nous découvrons au milieu de cette place bondée crée en moi le désir d'aller bien plus loin. Je n'arrive plus à réfléchir, je sens la pulpe de ses doigts caresser mes cheveux et mes jambes deviennent de plus en plus tremblantes, terrassées par la violence de ce que je ressens. À bout de souffle, il se sépare enfin de moi, sa poitrine se soulevant par soubresaut, et m'embrasse une dernière fois rapidement. J'ai du mal à me tenir debout alors je m'accroche à lui pour ne pas m'effondrer.
" Et si nous rentrions ? Demandé-je, débordante de désir de me dévoiler à lui, toute entière.
- Tu es sûre Élie ? Sa voix est profondément sexy et caverneuse, mais je sais que la question est sérieuse. Et décidément ni même ou encore les prétendu sentiments pour Allen ne viennent entraver à ma réponse.
- Absolument sûre Luke..."
Nos mains s'entrelacent alors que nous reprenons le chemin vers notre chambre et je me laisse porter alors que nous fendons la foule, ce touché m'anesthésie toute entière. Il fait grandir la chaleur dans mon bas ventre, mais aussi une excitation que je pensais perdue depuis longtemps. Alors que nous montons dans la rame du métro, Luke me prend doucement contre lui, approchant mon oreille pour chuchoter à l'intérieur:
" Je crois avoir trouvé une chose qui me plaît chez toi.
- Oh, vraiment ?
- Je n'ai jamais été aussi subjugué par une femme aussi sexy, insupportable, intelligente, courageuse, et lunatique, je lui donne une tape sur son bras, en riant, outch ! Mais surtout, j'aime ce que j'éprouve ici, il m'indique son cerveau, mais surtout là, puis il pointe son cœur, lorsque je suis à tes côtés. Je me sens complet. Je n'ai plus besoin de jouer un rôle. "
Profondément touchée, je reste muette comme une carpe. Il approche mon visage du sien, mon cœur prêt à exploser. Je crois bien que c'est la première fois que ce que je ressens est aussi puissant. La chaleur agréable de mon bas ventre atteint ma poitrine, et me porte tout le long du trajet de retour.
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