Chapitre 28 : Le poids de la culpabilité

Aucuns messages, ni appels d'Olivia. Juste Luke et moi, seuls au monde dans une ville dansante, toujours en mouvement. S'arrêter, faire un pause est impossible, c'est comme mourir ici. L'énergie devient grisante, Luke répond à absolument toutes mes questions, des plus débiles aux plus compliquées. Je me sens à l'aise, même si un poids me gêne dans ma poitrine.

Est-ce le poids de la culpabilité ? Celle de ne m'être pas rendue compte plus tôt que je retiens Allen pour un semblant de sécurité.
Probablement.

Nous nous asseyons sur l'herbe du Madison Garden Park, vue sur le magnifique Flatiron Building. Je bascule en arrière pour m'allonger en observant le ciel. Les bras repliés sur la nuque, je reste silencieuse, ailleurs.

" Tu fais une tête d'enterrement Cobb, la visite culturelle était si à chier que ça ? Demande innocemment mon compagnon de marche qui s'allonge à son tour à mes côtés.

- Oh, non, non, ça n'a rien à voir, c'était top ! Je serre les paupières en me frottant le front. Tu sais quand tu es venu me voir dans ma chambre, ça faisait un temps fou que je restais dans la douche. Quelque chose me trotte dans l'esprit depuis un moment et je me suis rendue compte qu'il fallait que je mette un terme à ça.

- Ça a l'air profond tout ça. Ça a à voir avec ta vie perso ? En lien avec ton mec ?

- Tu es détective privé ou quoi ? Me moque gentiment.

- Pas du tout, juste observateur.

- Ouais, c'est ça, je vais te croire ! Je roule sur le côté pour le regarder. Dis moi comment tu peux déduire ça ?

- Tu me parais juste bien obsédée par notre baiser bourré et tu ne parles jamais de lui, comme si tu voulais l'effacer de ta vie dès que tu es avec moi ou une autre personne. C'est limite si j'aurais eu connaissance que tu étais en couple si n'y avait pas eu cette bagarre dans le bar de ton mec et si je ne l'avais pas rencontré à l'aéroport. Il prend une grande inspiration en fermant les yeux, je reste muette comme une carpe. J'ai vu juste puisque tu ne sembles avoir perdu l'usage du sarcasme en même temps que celui de la parole."

Je m'écrase abattue sur le dos, une main sur le front.

" Tu n'as pas tort à vrai dire... Je suis complètement à la ramasse.

- Tu comptes le larguer ?

- J'envisage la possibilité.

- Ah. Fait-il, sans une once d'émotion."

Je fronce les sourcils, perplexe.

" Comment ça "ah" ? Tu n'as pas de meilleur conseil que juste un "ah" ?

- Parce que tu me demandes des conseils maintenant ? Excuse-moi, c'est nouveau pour moi venant de ta part !

- Arrête de te foutre de moi et crache le morceau, Hoffman. Je me balance sur le ventre tandis qu'il se met sur le côté.

- Je n'ai aucun conseil à prodiguer, j'ai tendance à être le largué plutôt que le largueur. Je penche la tête, ce n'est pas faux. Tout ce que j'ai pu retenir c'est que, si la femme que tu aimes est malheureuse avec toi, il faut mieux la laisser partir parfois.

- Je suppose que tu sors ça d'un de ces films d'amour, n'est-ce pas ?

- Excuse-moi de ne pas avoir claqué tout mon argent dans des thérapies de couple et des livres de développement personnel pour te sortir des âneries pareilles. Mais passons, si tu es si perturbée parce que tu n'aimes plus ton Allen, il est peut-être temps de le laisser partir. Il trouvera une femme qui le comblera dans le futur s'il a un peu de chance. Il est plutôt pas mal dans son genre donc je n'ai pas trop d'inquiétude de ce côté. Luke m'adresse un sourire. Fais ce que tu penses est le mieux pour toi.

- Mais si ce n'était pas le mieux pour l'autre ?

- Certains ne cherchent même pas à se poser la question."

Je choisis de ne pas répondre mais nous nous regardons pendant un instant qui me paraît une éternité. Je me perds dans ses yeux couleur charbon, la courbure de sa mâchoire, les petits cheveux blancs presque invisibles qui persent, les petites ridules autour de ses yeux et l'amorce d'une petite barbe mal rasée. Sans le rendre compte, je retiens mon souffle jusqu'à entendre la sonnerie de mon téléphone. Luke m'indique ma poche sans un mot et je décroche sans regarder l'écran.

" Oui, Élie Cobb à l'appareil, j'écoute.

- Bonjour Madame Cobb, je suis Caleb Barnes, Olivia m'a parlée de vous et votre collègue, je pense que l'heure a sonné pour avoir une petite conversation. La voix masculine de mon correspondant est froide comme de l'acier, j'en manquerais d'être impressionnée. Rejoignez nous à la maison que vous avez pu visiter hier, nous vous attendons.

- Euh, oui... Oui, nous arrivons dès que-... J'entends qu'il a raccroché sans me laisser finir et je peste. Purée, c'était Barnes, quel connard, il m'a raccroché au nez ! Je me lève en deux temps, trois mouvements suivi par Luke. Il était d'une froideur déconcertante, on aurait dit son paternel.

- Peut-être qu'il ressemble plus à son père qu'il ne le souhaiterait finalement.

- Ne vas pas dire ça si tu veux rester en vie jusqu'à la fin de la journée, si tu veux mon avis éclairé.

- C'est peu dire, en effet ! Il ricane. Allons affronter Cerbère !"

———

Nous sommes tous les quatre assis dans de petits sofas disposés en face à face, juste une petite table en verre nous sépare. Annabella a disposé des verres que nous avons tous à peine touché depuis notre arrivée. Olivia a une mauvaise mine, assise contre un des accoudoirs. On dirait qu'elle a à peine dormi de la nuit comme son partenaire qui se tient à l'extrémité, froid comme de la glace.

" Je vous écoute. Me lance Caleb qui croise ses bras contre son torse en s'enfonçant dans le siège."

Ma bouche est d'une sécheresse extrême, aucun mot ne semble vouloir sortir naturellement. Putain de merde, je suis en train de ridiculiser. Une bouffée de chaleur plus tard, les regards des trois personnes de cette pièce me fixent avec des intensités bien différentes. Caleb est définitivement en colère, Olivia semble à bout de nerfs et Luke... Luke me dévisage juste pour me dévisager je suppose ? Je me réinstalle dans mon assise, m'avançant vers Barnes.

" Rien à dire Mademoiselle Cobb ? Fait-il, dédaigneux.

- Arrête de parler comme ça Caleb, c'est franchement ridicule... Avance Olivia, en prenant un médicament pour la migraine.

- Parce que ce n'est pas ridicule que je sois prévenu en dernier de quelque chose que tu connais depuis six mois et que tu n'as même pas eu l'idée de me dire ? En six putain de mois pour une putain de preuve que mon frère est mort ? Sa voix gronde et je sens la chair de poule gripper sur mes bras.

- Je ne voulais pas que tu ais à t'occuper de ça en plus du reste. J'ai préféré gérer de mon côté. Elle ferme les yeux en se massant les tempes. Tu devrais me remercier.

- Te remercier ? Il applaudit ironiquement. Oh mais merci de m'avoir laissé espérer que je n'avais pas perdu Liam alors que tu savais pertinemment que c'était faux ! Quel acte de gentillesse et d'altruisme, vraiment !

- Je ne m'excuserais pas pour ça donc reprends-toi Barnes. On gardera tes états d'âme pour le privé."

Je n'ai jamais entendu Olivia Lawford prendre un ton aussi sévère, aussi autoritaire et j'assiste ébahie à la scène. Son regard pourrait brûler la peau d'un humain si elle le pouvait. Elle le maintient dans celui de l'homme qu'elle aime qui abandonne en premier. Il s'enfonce dans le canapé, serrant les dents en regardant dans le vide. Quant à Olivia, elle revient vers nous avec un sang-froid à tout épreuve:

" Comme le sait Élie, je vous demanderais tout naturellement à tous de ne parler à personne de l'identité de notre témoin et de sa localisation hors de notre groupe jusqu'au moment où nous la présenterons au tribunal. Solennelle, elle nous fixe tour à tour. Est-ce bien clair ? Nous hochons tous la tête en silence. Plus de coup de Trafalgar, d'erreurs d'inattention, elle s'arrête sur moi, insistante, nous ne pouvons pas les tolérer, cela pourrait mener à une mise à mort et je ne pourrais pas le supporter..."

Elle pousse un long soupir en se levant, étirant ses jambes en faisant quelques pas, pieds nus.

" J'ai voulu préserver son identité le plus longtemps possible mais cela commence à devenir de plus en plus compliqué et c'est pour cette raison que j'ai fait appel à vous, Élie et Luke, pour nous assister. Luke se redresse, attentif. Nous savons tous ici que Andrew a payé sa caution et qu'il est donc libre jusqu'à son procès fin août. Nous avons jusqu'à cette date butoir pour trouver le moyen d'exposer ce criminel tout en protégeant mon amie.

- Ton amie ? S'égosille Caleb, surpris. Comment ça ton amie, Liv ?

- J'y arrive, soit patient. Elle fait les cent pas, tête basse. Si je connais l'existence de ce témoin, ce qui m'a autant surprise que vous tous, c'est qu'elle est aussi britannique.

- Et tu es amie avec toutes les britanniques de la Terre je suppose ? Grimace Caleb.

- Non mais je le suis avec la seule que tu as trouvé le moyen de sauter avant que l'on ne se rencontre donc autant te dire que je dois être vraiment une excellente amie pour vouloir l'aider autant. Ma mâchoire manque de tomber, Riley et Caleb, ensemble ? C'est une vanne ?

- Attendez, stop, on revient en arrière, fait Luke en se levant à son tour, comment ça, vous la connaissez tous cette fille ?

- Je ne me souviens pas avoir eu une relation avec une... Caleb fronce les sourcils, perdu dans ses pensées. Il écarquille les yeux soudainement. Oh, merde, c'est de CETTE fille que tu parles ?"

J'ai l'impression d'être spectatrice d'une pièce de théâtre, complètement hors de l'action. Tout s'agite autour de moi sans que je n'y prenne part. Je préfère rester assise en silence, à l'écoute.

" Oui, c'est bien d'elle Caleb !

- Est-ce que je peux comprendre de quoi vous parlez là? Fait mon collègue qui est tout aussi dépassé que moi, je pose ma main sur son bras pour qu'il se rassoit. Cobb, explique-moi !"

Encore une fois, tous se tournent dans ma direction, Olivia m'incite à prendre la parole d'un mouvement de la main.

" Je te jure, je viens d'apprendre comme toi tout ça mais j'ai eu l'occasion de la rencontrer. Elle s'appelle Riley Cordell et est installée à Portland en ce moment. Elle était la petite amie de Liam depuis quelques mois, lors de son voyage en Angleterre, jusqu'à sa mort. Elle est capable d'identifier Andrew, elle l'affirme haut et fort. Elle peut prouver sa culpabilité. Je me tourne vers Caleb qui semble être hors de son corps. Mais je ne me serais jamais douter que les deux frères auraient eu une relation avec la même personne même si quelques années séparent cet incident. C'est une histoire très croustillante tout ça. J'ose esquisser un sourire mais Luke me pince pour me rappeler à l'ordre, je pousse un petit cri de surprise en lui jetant un regard noir. Enfin, si nous réussissons à sortir une interview avec elle qui sortirait tout juste avant le procès ou le jour-même, je pense que cela permettra de nous mettre les jurés dans la poche."

L'assemblée reste silencieuse, penseuse tandis que je me lève pour me mettre près de la fenêtre. Luke se frotte les cheveux doucement en enregistrant toutes les informations avec une vitesse impressionnante.

" Personne ne doit savoir que Riley et Caleb ont eu une relation, même si ce n'était que pour un soir. On pourrait s'en servir pour discréditer cette dernière, l'étiqueter comme arriviste, croqueuse de diamants, tout ce que vous voulez. On pourrait même croire que vous avez tout préparé à l'avance. Explique Luke, en alerte. Y-a-t-il des personnes qui ont pu vous voir ensemble, à ce moment là Caleb ?

- Je ne crois pas, non...

- Il n'y a pas de place pour la croyance dans cette réponse, nous avons besoin de certitude, ni plus, ni moins."

Caleb Barnes pousse un long soupir interminable.

" Je suis incapable de vous répondre Hoffman. Je ne m'en souviens plus. Ce n'est pas une nuit qui m'a particulièrement marqué.

- Et bien il va falloir faire des efforts de souvenirs car il nous faut savoir où, quand et comment s'est passée cette soirée pour pouvoir assurer vos arrières et celui de la témoin. J'ajoute en me plaçant derrière Luke, m'appuyant sur le rebord. Sinon on est tous dans la merde.

- Nous sommes déjà dans la merde et ce, depuis des mois et regardez, ça nous réussi bien jusqu'à là. S'exclame Olivia en sortant, le mal de tête l'emportant sur sa volonté."

En la voyant partir sans demander son reste, Caleb devient plus terne et se lève à son tour.

" Excusez-moi, je vais la rejoindre. Si un rien me revient ou si je tombe sur une facture, n'importe quoi, je vous appelle immédiatement."

Il part alors lui aussi, nous laissant, le duo de choc de Portland seul dans cette grande salle d'apparat moderne. Luke se lève puis se tourne vers moi en époussetant une poussière imaginaire:

" Ça, c'est juste énorme Cobb, juste énorme ! Il me prend les avants-bras, un immense sourire sur les lèvres. Une histoire de coucheries en plus d'un meurtre, là c'est de l'or ! Cette famille est complètement corrompue à tous les niveaux, les lecteurs vont adorer !

- En effet... Les lecteurs vont adorer..."

J'acquiesce sans m'étendre tandis que Luke prend mes affaires en m'indiquant la sortie. Il prend ma main doucement la mienne et la serre:

" Notre article va être historique Élie, soit en sûre."

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top