Chapitre 27 : Changements de perspective
Une puissante chaleur frappe mon front tandis que je sens tout mon corps ankylosé. Une main est posée sur ma hanche et lorsque j'ouvre les yeux, le soleil m'éblouit. Je mets ma main en pare-soleil puis me relève doucement. C'est en retrouvant une position assise que je me rends compte que j'ai dormi sur ses cuisses pendant quelques heures et qu'il a du s'assoupir à son tour par la suite. Luke dort paisiblement assis, avec un sourire doux, comme s'il m'avait regardé dans cette position tout du long de mon sommeil. C'est limite glauque à envisager. Je souris en sortant mon téléphone de mon sac que j'ai gardé contre moi. L'écran s'allume malgré les dix pour-cent de batterie restants et l'horaire s'affiche. J'écarquille les yeux en voyant huit heures et demie d'afficher. Oh bordel, c'est une chance que l'on ne se soit pas fait remarquer par la police pour nous éjecter du parc. J'attrape mes chaussures à la hâte puis secoue sans ménagement l'épaule de Luke pour le réveiller:
" Luke, eh oh, on ouvre les yeux ! Il grogne en secouant la tête. Il faut qu'on rentre à l'hôtel maintenant, je n'ai plus de batterie et je ne sais pas comment Olivia peut nous contacter pour nous dire que Caleb est prêt à nous recevoir si on est injoignable ! Luke baille et s'étire sans dire un mot. Et puis on doit se changer, je ne veux pas rester comme ça. Il me sourit puis se frotte les yeux.
- Qui aurait cru que ce soit toi qui soit la première réveillée ! J'ai entendu dire que tu étais une petite marmotte. Cependant, tu as raison, rentrons, j'ai besoin de prendre une douche."
Il se lève sur ses deux jambes puis alors que je commence à clopiner vers la sortie, il m'interpelle:
" Cobb ? Tu peux te retourner deux secondes ?
- Qu'est-ce qu'il y a encore ? On va être à la bourre avec tes conneries ! Je me retourne cependant, aussi intriguée que excédée mais adressant un grand sourire."
C'est là que je vois cet idiot avec son téléphone à la main devant son nez, prêt à prendre une photo:
" Un petit sourire pour la caméra ? Il rit en me prenant en photo. Tu as une tête à faire peur, c'est hilarant !"
Il retourne son téléphone vers moi et je me découvre complètement déchaînée. Mes cheveux sont en équilibre sur un côté de mon crâne, ma robe à moitié relevée, des ampoules aux pieds et mon maquillage qui a coulé autour des yeux. On dirait que je me suis battue avec un ours et pourtant je réussis à presque sourire comme si de rien n'était.
" Supprimes-moi ça, c'est à faire pisser des gosses devant un film d'horreur !
- Jamais, Cobb, tu m'entends ? JA-MAIS, je ne me sépare de cette photo ! Il exulte, ravi de sa bêtise. Je la mettrais même en cadre pour le bureau.
- Ah mais si tu ne veux pas la supprimer, je ne vois plus qu'une solution !"
Sans attendre, je saute sur lui pour attraper le téléphone qui met le plus haut possible en levant le bras. Je me retrouve collée à lui, sur la pointe des pieds pour attraper le fruit du mal mais impossible de l'atteindre. Longuement, je m'amuse, nous rions en cœur. J'abandonne en me remettant à terre mais lorsque je m'apprête à faire un pas en arrière, le bras droit de Luke me presse contre lui. Je ne suis plus qu'à quelques millimètres de ses lèvres que je rêve d'embrasser. Je me sens emplie d'un profond désir qui me donne la chair de poule. Mes cuisses me picotent délicieusement et sentir ses phalanges dans le creux de mes reins me donne une bouffée de chaleur. Quelque chose dans son regard me supplie de le faire mais c'est en fermant les yeux que je vois l'image d'Allen. Je ne peux pas faire ça. La première fois c'était l'alcool, ce n'était pas réellement voulu. Je souffle en baissant la tête pour la mettre contre son torse.
" Non, non Luke, on ne peut pas faire ça. Tu le sais aussi bien que moi. C'est l'insolation qui nous monte au crâne. Je reste silencieuse puis poursuis: Je suis encore en couple, je ne peux pas faire ça."
Il me tient contre lui quelques secondes de plus, le temps d'évaluer la situation puis je sens son bras me libérer dans son emprise. Son regard a perdu cette lueur qui l'habitait puis il se détache sans demander son reste.
" Je ne sais pas ce qui m'a pris, rentrons. J'ai besoin de prendre une douche, histoire de me réveiller."
Luke s'éloigne à grandes enjambées alors que je reste immobile, comme une statue de cire en plein milieu de la voie. Bordel, qu'est-ce que c'était que ça encore ?
———
L'eau du pommeau de douche frappe sans discontinuer mon corps qui est statique. Je suis debout en plein milieu sans rien faire, juste moi et mes pensées. Luke est une putain de girouette. Il n'y a pas d'autres solutions. Je ne comprends pas ce qui aurait pu le pousser à faire ça. Il sait très bien que c'est une connerie sans nom, pourquoi il s'y tenterait ?
Je sais bien que tout ceci est très tentant de mon côté, je ne peux pas y faire abstraction mais malgré tout... Il y a Allen. Allen, bien qu'un peu jaloux, est mon meilleur ami, mon confident depuis presque dix ans, celui pour lequel j'aurais pu me jeter sous un bus il y a encore quelques mois. Être avec lui est une sécurité réconfortante, il en va sans dire. Je ne me sens pas juger, je peux me mettre à nu sans craindre...
Mais en même temps, je n'ai jamais réussi à m'engager plus loin qu'un appartement voisin au mien. Même pas dans mon appartement ! Nous ne partageons plus les mêmes ambitions, les mêmes besoins. Il aimerait me passer la bague au doigt, emménager dans une maison dans la banlieue... J'aimerais juste avoir la liberté de pouvoir être ambitieuse, être libre de pouvoir prendre des décisions sur un coup de tête, de partir à l'autre bout du monde, d'embrasser la vie sans remords. J'ai 28 ans, bientôt 29 et j'ai l'impression d'avoir gardé une muselière sur ma bouche cette dernière décennie.
Je pose ma tête sur le carrelage de la douche, yeux clos, laissant l'eau glisser le long de mes cheveux, suivant les bosses de ma colonne vertébrale. Est-ce qu'il serait temps de repartir à zéro ? Sur le plan romantique, je suis au point mort depuis si longtemps que je m'y suis habituée. Jamais je n'ai voulu m'engager, jamais je n'ai voulu être menottée à une personne sans avoir pu découvrir ce que la vie peut réserver.
Est-ce que j'aime réellement Allen pour lui faire vivre un enfer pareil ? Ou est-ce que je repousse l'échéance d'une vie posée avec lui juste parce que je ne partage pas la même...?
Merde, bordel, je ne suis plus amoureuse. Plus depuis longtemps. Et je me mens sur mes sentiments car j'ai peur d'être seule si je le jette. Car qui pourrait me supporter plus que lui ?
Personne. Et c'est bien ça le problème.
L'eau s'abat sur moi en torrent mais je crois entendre quelqu'un frapper à la porte de ma chambre. J'éteins le robinet puis enfile une serviette à la taille, laissant mes cheveux imbibés d'eau tomber dans mon dos. Les coups sur la porte se font plus insistants et ça a le don de m'énerver.
" J'arrive putain, deux secondes ! Crie-je, en me ruant vers la porte. Vous n'avez pas vu le petit papier "Ne pas déranger" sur la poignée, espèce de pe-..."
C'est en ouvrant la porte en grand que je tombe sur Luke, habillé d'un polo qui me laisse perplexe et d'un jeans décontracté. Il me dévisage de haut en bas, les yeux ronds alors que je ne suis enveloppée qu'une serviette qui me paraît bien ridicule maintenant, mais c'est la plus grande que j'ai eu à ma disposition. La retenant au niveau de la poitrine, elle arrive tout juste au niveau de mi-cuisses. Nous sommes tous deux troublés, aucun de nous deux n'arrive à ouvrir la bouche. Je me sens vraiment mal à l'aise et ne lui laisse même pas en placer une pour refermer la porte, prenant la décision pour les deux. Je me mets dos à elle puis dis, la voix enrouée:
" Laisse moi cinq minutes le temps que je m'habille et je te laisse entrer ! Tu n'as pas le choix de tout façon.
- Euh, okay, je vais attendre là..."
Quelques instants plus tard, après m'être séchée à la hâte, avoir enfilée une tenue décontractée et ramenée mes cheveux humides en chignon, je lui ouvre la porte, rougissant comme une tomate. Mais pourquoi je réagis ainsi ? Ce n'est pas dans mes habitudes... Enfin, c'est la première fois que je suis aussi désarmée devant quelqu'un depuis des lustres. Ma gorge est serrée tandis que nous nous installons dans la chambre, lui sur le bout du matelas, moi contre le petit bureau. Je croise les bras, presque pétrifiée sur place.
Luke évite mon regard puis prend la parole en sortant son téléphone:
" Je croyais que tu n'allais pas mettre autant de-... Enfin je veux dire, je pensais que tu étais déjà prête depuis longtemps, je ne voulais pas interrompre ta-... Il bégaie, c'est aussi la première fois que je le vois dans un état pareil. Ton-... Il fronce les sourcils, agacé. Bref, tu m'as comprise, je ne vais pas te faire un dessin ! Je suis désolé de te déranger dans ton presque plus simple appareil !
- J'avais compris, merci. Je pousse un soupir en regardant vers la fenêtre. Il y a une raison pour que tu sois venu me voir ? Tu as reçu un message de Lawford ?
- À vrai dire, non, je suis venu pour te proposer de sortir avec moi, au lieu de rester dans cette chambre jusqu'à notre convocation. Je reste surprise, décontenancée. Pourquoi ne pas profiter d'une belle journée d'été comme celle ci pour visiter la capitale économique de notre pays ?
- Tu me proposes de sortir ? Mes yeux sont ouverts comme deux soucoupes. Genre, balade sur Times Square, traversée du Brooklyn Bridge à pied, panoramique au Top of the Rock, c'est ça ? Tu me fais une vanne là ?
- Aucune vanne, si tu le souhaites, je suis ton guide en tant que bon natif new-yorkais. Il se lève en frottant un pli imaginaire de son jeans. Et pour me faire pardonner pour mon comportement d'abruti fini, tu pourras poser toutes les questions que tu veux.
- Oh, mais c'est mon jour de chance aujourd'hui alors ! Je commence sans attendre ! Une simple, tu es né ici ?
- Staten Island mais on est parti vivre très vite dans le New Jersey par la suite. Techniquement je suis new-yorkais même si j'ai vécu toute mon enfance dans l'état frontalier. Il tend sa main vers la mienne. Allez, tu n'as rien à faire de mieux, et moi non plus, sortons tant que nous le pouvons. Luke m'adresse un sourire tandis que je pose ma main dans la sienne. Allons-y !
- Stop, deux secondes, je prends mes affaires, ce n'est pas un day off non plus ! Fais-Je en lâchant sa poigne.
- Quelle journaliste dédiée !
- Ne te fous pas de moi, tu sais aussi bien que moi que je ne suis pas encore journaliste. Pas officiellement en tout cas. Je fais un clin d'œil dans sa direction en attrapant mon sac que j'avais hier en arrivant à NYC.
- Quelque chose me dit que les choses vont bouger dans très peu de temps, ne t'inquiètes pas pour ça."
Je ferme ma chambre, peut-être que cette journée me permettra de faire le point sur toute cette situation finalement.
Et si tout foutait le camp et changeait ? Est-ce que ce serait quelque chose de mal ?
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