Chapitre 25 : Les petites sauteries en grand comité

" Tu comptes faire quelque chose d'utile ou rester planter là et attendre que ça se passe ? Demande Luke, décontracté, accoudé à un des nombreux mange-debout de la salle.

- Tu m'emmerdes Hoffman. Je place mon micro sac sous mon aisselle tandis que j'attrape une coupe de champagne lors qu'un serveur passe.

- Quel élan de maturité Cobb, il siffle longuement, ah, vraiment quelle maturité !"

Je ne prends même pas la peine de lui répondre. Je suis en colère et je sais que ne pas lui parler me permet de me contenir. Et puis de toute façon, je n'ai aucune envie de m'adresser à sa petite personne à l'égo surdimensionné, surtout dans cette robe ridicule me compresse et m'irrite déjà suffisamment. Elle n'a rien de confortable mais je n'ai pas pu refusé de la porter, c'est un prêt d'Olivia puisque je ne comptais aller à une soirée mondaine durant ce séjour. Mais bordel, je pourrais tuer pour une ensemble de tailleur pantalon bien moins moulant et plus adapté aux mouvements. Je ne comprends pas comment elle peut, en toute connaissance de ce genre de vêtements, accepter de passer une soirée entière aussi inconfortable. Je commence à siffler mon verre en passant la salle en revue, faisant bien attention à ne pas croiser le regard de Luke. Je l'entends souffler de frustration dans son coin.

" Je vais me mêler dans la foule puisque tu n'es pas décidée à te lancer. À dans une heure, je saurais te retrouver, tu seras encore à la même position. Il part sans jeter un regard en arrière, excédé."

Il fend la foule tandis que je le regarde s'éloigner. La salle est au dernier étage d'un immeuble du quartier de Wall Street. La hauteur sous plafond est très haute, le sol en carrelage plus brillant qu'une étoile, d'immenses fenêtres recouvrent chaque centimètres carré des murs. Les décorations ajoutées par l'équipe événementielle ramènent des touches de bleu roi et de blanc, couleurs du premier logo de Médiatics à sa création, de manière très élégante et sophistiqué. Mais tout respire le fric ici, c'est presque indécent.

Je me permets enfin de respirer un grand coup lorsqu'il sort enfin de mon champ de vision. Je m'accoude sur la table en baissant la tête. C'est épuisant cette situation.

" La vue est magnifique mais le seul soucis c'est la pollution lumineuse. Impossible de profiter correctement des étoiles ici. Une voix masculine arrive par l'arrière et je me retourne, ne la reconnaissant pas."

C'est un homme à peine aussi grand que moi mais ayant bien entamé sa cinquantaine, voire sa soixantaine, qui sourit. Les cheveux brossés en arrière, il a un espèce de regard de fouineur qui ne me rend intriguée lorsqu'il se place à mes côtés. Je le sens très légèrement bourré, ce qui m'arrange grandement.

" En effet, de là où je viens, il n'y a pas ce genre de problème. C'est dommage de ne pas pouvoir assister à ce spectacle. Surtout pendant une soirée d'été. Fais-je, le dos droit, tendant ma main vers mon locuteur. Je suis Élie Cobb et vous êtes ?

- Le seul et l'unique Jeremiah Kowalski, un des très grands amis de Monsieur Barnes ! Il sourit de toutes ses dents blanches immaculées et je frissonne en sentant son haleine alcoolisée. Junior, tout naturellement. Ajoute-il à la hâte en me voyant froncer les sourcils. Plus personne ou presque ne veut avoir affaire avec le senior de nos jours.

- On peut comprendre pourquoi, non ?

- Tout à fait. Mais cessons de parler de ce mouton noir, parlez-moi de vous, que faites-vous dans la vie, Élie. Sa voix est rauque, mon prénom dans sa bouche me paraît presque souillé.

- Je... Je réfléchis avant de ne lui répondre, lui dire que je suis journaliste ne serait pas une bonne idée. Je suis collaboratrice de projet en Oregon mais c'est confidentiel, je ne peux vous en dire plus Monsieur Kowalski. Je pourrais me faire virer si j'en dévoilais un peu trop. Je feigne un sourire de faux-cul, vérifiant s'il croit en ma réponse vague.

- Oh, c'est excitant tout ce secret ! Je paierais cher pour en savoir plus, il rit, je suppose que je ne peux pas en savoir un tout petit peu plus ? Et puis appelez moi Jeremiah, cela me fait paraître moins vieux.

- Très bien Jeremiah, c'est comme vous le souhaitez. Je lui réponds en avalant une gorgée de champagne. Le but d'un projet secret, c'est qu'il ne soit révélé au monde que lorsqu'il est prêt, non ? Je fais un clin d'œil, il glousse.

- Vous êtes un personnage bien curieux Élie, j'adore ça ! Vous êtes une nouvelle actionnaire de Médiatics, je suppose, si ce n'est pas trop indiscret...

- Je représente mon entreprise ce soir, ce n'est pas moi qui suis actionnaire directement. Et puis je connais Olivia, c'est une bonne amie, c'était une raison de plus pour venir. Cependant je n'ai pas pu lui adresser un mot de la soirée pour l'instant, impossible de la voir parmi tous ces gens."

J'enchaîne les mensonges sans difficulté, me surprenant moi-même de cette habilité.

" Si vous avez besoin d'un conseil, approcher les Barnes revient du miracle en ce moment, laissez plutôt venir à vous que vous de venir vers eux. Regardez, ça fonctionne bien pour moi pour l'instant, je suis toujours dans leur réseau ! Il rit encore et je me sens de plus en plus mal à l'aise. Et puis, ils ont besoin de moi, j'ai été un des plus grands amis d'Andrew lors de la création de Médiatics. Qui aurait pu croire que l'on en serait là aujourd'hui malgré tout...

- Que voulez-vous dire ? Fais-je, intéressée, attrapant deux coupes pleines pour Jeremiah et moi alors qu'un serveur vient prendre nos verres vides. Je lui tends la première qu'il accepte avec grand plaisir.

- Oh, vous savez, il avale son verre rapidement, j'ai vécu mille vies avec Andrew, mille vies accompagnées de mille problèmes. Il a toujours été quelqu'un avec une morale discutable, ah ça c'est sûr, mais tant que ça engrangeait du pognon, ça ne posait de problème à personne ici. Il balaie la salle de gauche à droite. Tout le monde est coupable, que des accros aux billets verts gardant le silence pour se protéger de la banqueroute. Autant vous dire qu'ils se mordent tous les doigts à l'heure actuelle vue que Médiatics est en train de sombrer lentement. Je vous parie que d'ici la fin de l'année, on passe la clef sur la porte. J'hoche la tête pour l'inviter à poursuivre. L'entreprise a été fragilisée par l'égoïsme et l'ultra contrôle maladif de son fondateur dès sa création. Son fils ne fait que planter le dernier coup pour faire effondrer le château de cartes. Et je le regarde brûler en me délectant de leur champagne hors de prix, il éclate de rire, le regard brumeux, c'est jouissif. N'est-ce pas Élie ?

- Vous ne les aimez pas trop, les Barnes, non ?

- Les aimer ? Personne n'aime les Barnes, ce n'est que du paraître ! Les honnêtes sont ceux qui, comme moi, disent tout haut ce que tout le monde -ou presque- pense tout bas. Vous faites partie des honnêtes ou des coupables Élie ? Je... Serais ravi, franchement... De le savoir... Il commence à divaguer presque et je l'emmène s'asseoir sur une banquette.

- Je m'intéresse aux honnêtes pour faire plonger les coupables Monsieur Kowalski. Réponds-je, lui rendant un regard de compassion.

- On dirait les mots d'un personnage de roman, ce que vous dites là...

- Vous m'en direz tant ! Je vais voir si je trouve mon amie, passez une bonne soirée Monsieur Kowalski, c'était un plaisir de vous rencontrer. Je le salue de la main et commence à m'écarter. Sa main touche mon poignet gauche une seconde, me laissant une sensation de brûlure à son contact.

- C'est un plaisir partagé, en espérant vous recroiser ! Il me lance un sourire presque carnassier qui me retourne. Je m'éloigne sans demander mon reste, parcourant la foule sans un regard en arrière."

Je me déplace rapidement, cherchant Luke à tout prix, déstabilisée. Il faut que je lui parle immédiatement de ce Jeremiah Kowalski. Mais c'est impossible de le retrouver. Je sors mon téléphone de mon sac prête à le contacter lorsque des bruits de voix sortent des enceintes. C'est Caleb qui tient un micro, tiré à quatre épingles. Il respire l'élégance mais je décèle aussi un petit manque de confiance dans ses gestes.

" Bonsoir mesdames et messieurs, je suis ravi de vous retrouver tous pour cette petite sauterie annuelle que nous avons la tradition de fêter tous ensemble ! Comme vous le savez tous, c'est une année compliquée pour notre entreprise mais j'ai plaisir à voir que vous êtes tous ou presque encore avec moi à bord du bateau..."

Il continue de parler mais je ne l'écoute pas, plus occupée à trouver mon compagnon. J'avance doucement parmi les gens, activant un radar interne pour le trouver. Le téléphone en main, je lui texte " Oú es-tu ? Faut que je te parle, urgent.".

La réponse ne se fait pas attendre, je me fais gratifier d'un magnifique " Parce que tu veux me parler maintenant ? Peux pas, occupé." qui me fait sortir de mes gongs. Ma gorge se serre et je commence à avoir du mal à respirer. Il y a trop de monde ici et c'est presque cherché dans une botte de foin mon aiguille. Je gigote, me dévissant presque la tête pour regarder tout autour de moi mais c'est inutile, tout le monde est tourné vers Monsieur Barnes, donc je ne vois que des cheveux brossés à la perfection et gominés pour certains. Évacuant un long soupir, je me déplace vers un espace de la salle où il y a moins de monde. Mon souffle est haché comme si j'angoissais, ce qui est surprenant venant de ma part. Je remarque rapide une porte indiquant une sortie de secours qui pourraient me mener à l'étage supérieur de la salle en duplex. Des escaliers en métal faisant un bruit monstre avec des talons me font face lorsque j'ouvre la porte que je referme derrière moi. Brusquement, le bruit de la salle de fête se tue et je me surprends à enfin pouvoir respirer librement, dos au mur.

Je me sens complètement dans le flou artistique, ne sachant plus trop quoi faire. C'est une grande première de me retrouver dans un événement pareil et d'un côté cela m'angoisse légèrement d'être livrée à moi-même face à des hommes aussi... Je ne sais même pas comment décrire. C'est un monde à part, où tout s'achète à grand coup d'actions et de sourires mauvais. Mon téléphone vibre à nouveau dans mes mains tandis que je replace une mèche de cheveux derrière mon oreille. Ma nuque est légèrement plus poisseuse et mes yeux se posent sur le message entrant. C'est Olivia.

" Où êtes-vous avec ton collègue ? Nous n'avons pas beaucoup de temps pour que Caleb soit disponible pour vous rencontrer. Retrouvez nous au rooftop."

Son ton est pressant, je déglutis, frappant le plus rapidement possible un message à Luke.

" Arrête de faire ton gamin deux secondes, le service nous appelle, je suis dans l'un des escaliers de secours, les Barnes nous attendent au rooftop. Magne-toi !"

Sans attendre de réponse, je m'élance dans les escaliers, allant à une vitesse restreinte à cause de ces chaussures à talons démesurément hautes mais magnifiques. Je manque de louper un battement de cœur en arrivant au dernier niveau, celui du toit, poussant la porte coupe feu avec ma hanche. La température est lourde et aucun nuage ne vient obscurcir le ciel noir. J'agite ma main en guise d'éventail devant mon visage puis déambule parmi les bouches d'aération et les petits murets. Arrivant au milieu du toit, je prends un temps pour respirer. Mais soudainement, non loin de moi, je distingue deux figures qui arrivent et discutent activement, la plus grande gigotant, la plus petite, calme, les bras croisées. C'est en me rapprochant que je commence à distinguer leurs voix. Je fronce les sourcils, m'attendant à entendre l'accent britannique de la compagne de Caleb. Cependant ce n'est pas du tout celui de la femme. Elle semble être plus jeune qu'Olivia Lawford. Je me cache, prête à écouter la conversation. J'entends des pas derrière moi que je reconnais être ceux d'Hoffman qui ne s'est pas encore rendu compte de ce qui se passe.

" Tu aurais pu m'attendre quand même Cobb. Je tourne ma tête vers Luke, lui demandant de baisser d'un ton et de me rejoindre derrière une cheminée d'évacuation en tôle. Il poursuit en chuchotant. C'est les Barnes là-bas ?

- Je crois bien oui mais c'est bizarre, j'ai l'impression que ce n'est pas la voix de Liv.

- Liv ? Vous avez des petits surnoms affectueux maintenant ? Ironise-il tandis que je lui donne une coup dans la jambe. Il retient de pousser un cri et se mord la lèvre. C'est bon, c'est bon, temps mort.

- Arrête de parler deux secondes, je sais pas ce qui t'arrive pour être aussi insupportable mais là c'est important ! Malgré le chuchotement, mon ton monte légèrement."

La voix de Caleb s'élève comme le bruit du tonnerre, me coupant de court:

" Parce que tu crois que ça m'amuse peut-être de faire la guerre à papa et à maman ? Tu ne peux même pas imaginer à quel point ça me brise le cœur ! Mais les faits sont là, ce sont des mauvaises personnes et tu ne peux pas le nier.

- Je te demande juste de cesser de faire ta croisade pendant quelque temps, tu ne te rends pas compte de ce que cela inflige aussi sur mon futur que tu es en train de piétiner à grands coups de talons ! Caleb, tu n'es pas le seul dans la fratrie, si je n'ose te le rappeler, on est deux dans la même barque et tu rames à contre-sens !"

Luke et moi nous regardons dans les yeux pour la première fois depuis des jours sans animosité, juste une profonde surprise nous anime. Il s'agit de la sœur benjamine du trio de rejetons Barnes, Mon collègue sort son téléphone pour enregistrer la scène tandis que je penche l'oreille.

" Meg, ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux pas arrêter ce qui a été lancé maintenant. Tu dois apprendre à vivre avec, comme tout le monde et faire bonne figure. Caleb Barnes commence à s'énerver profondément, faisant les cent pas devant sa sœur, insensible. Tu ne vas pas te positionner en martyr j'espère parce que je crois que si Liam était là pour parler, il serait du même avis que moi.

- Ça a toujours été comme ça, tu n'as jamais été capable de te décoller de notre grand frère, incapable de te forger tes propres opinions, et maintenant tu te laisses complètement berner par ta britannique en suivant le moindre de ses dires alors que tu ne la connais que depuis quoi, six mois ? Elle ricane, amère. C'est complètement ridicule ! Reviens sur Terre Caleb !

- J'espère que tu vas ouvrir les yeux Meg, parce que là, je ne sais même plus quoi faire pour que tu ne te rendes compte des conneries que tu peux sortir.

- Ne t'inquiètes pas pour moi, je suis bien capable de me gérer. J'aurais juste aimé que tu ne pourrisses pas mes études supérieures, pas un an avant le diplôme.

- Toujours des reproches et toujours aussi égocentrique, le monde ne tourne pas autour de la petite Meghan Barnes, première de sa promo, désolé de te l'apprendre !

- Désolé de t'apprendre qu'exposer toute une vie de famille, aussi dysfonctionnelle qu'elle puisse être, ça ne fait pas que des bonnes choses ! Et puis je sais bien que mes deux frangins ont toujours rêvés de voir leur famille exploser en morceaux. Je suis sûre que tu en es plus ravi que tu n'admets de l'être."

Caleb s'arrête et se tient droit face à sa sœur, le visage crispé par la colère. Il sort un papier de sa poche puis le tend à sa sœur qui le prend, rouge écarlate. Luke penche son téléphone pour mieux capter le son.

" Tu pourras cracher tout ton venin mais dès que papa sera sous les barreaux jusqu'à la fin de sa vie -je n'en n'attends pas moins-, tu peux me croire, je ne vais pas sauter de joie. Ça reste notre père après tout. Malgré tout le mal qu'il nous a fait subir. Mal que tu sembles oublier que quand ça t'arrange.

- Je n'oublie pas Caleb. Je n'oublierai jamais.

- Et pourtant tu es capable de traverser le pays pour venir me demander de le laisser tranquille. Bien que ferme, je sens qu'il s'adoucit et sa sœur aussi, ils deviennent limite mélancoliques. Bref, j'ai cru comprendre que Berkeley ont décidé de couper les ponts avec notre famille et je n'ai réussi à te faire accepter que dans une seule école qui ne s'est pas arrêtée au désastre qu'est nos vies. Tu déménageras dans le Dakota du Nord pour les deux prochains semestres, le temps de finaliser tes études. En espérant que ce changement d'air te fasse prendre conscience...Il souffle exténué. De ce qui ne va plus chez nous."

Meghan est devenue aussi muette qu'une carpe en dépliant la lettre qu'elle a dans les mains. Passer de la chaleur de la Californie et la rudesse de l'hiver dans le Dakota du Nord, tu parles d'un changement d'air !

" Ça ne se finira pas comme ça, tu vas encore entendre parler de moi Caleb, je te le jure, tu vas me le payer !"

Rouge de rage, Meghan Barnes part sans demander son reste, tandis que je vois enfin Olivia arriver en silence. Elle devait être là depuis le début sans que je ne la remarque. Elle vient prendre dans ses bras son amant puis jette un coup d'œil dans notre direction. Elle sait que nous avons tout entendu.

Olivia se détache puis lui prendre les mains délicatement:

" Chéri, je crois qu'il est temps que je te parle de quelque chose."

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