Chapitre 20 : Problèmes de confiance
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur l'effervescence d'une cohue s'activant entre un immense écran plat qui passe les informations en continu et leurs postes, prenant des notes, écrivant leurs articles. Je me retiens de lâcher un soupir de joie lorsque je retrouve cette ambiance.
Cependant, un nombre plus important de personnes que d'habitude s'agite devant la télévision. Je tiens mon sac cabas bien fermement contre ma hanche, ressentant la forme du carnet où j'ai mis mes notes pendant mon rendez-vous avec Riley à travers le tissus. Ma main tremble encore, dû au reste des émotions et de l'adrénaline qui me parcourent depuis que je suis sortie du taudis d'Olivia et de son amie. Je me frotte une tempe avant de commencer à écouter ce qui se dit.
La présentatrice a un self control incroyable, elle pourrait presque être inhumaine tant elle maîtrise ses émotions à la perfection. Sur le bandeau, un flash news annonçant qu'Andrew Barnes allait être relâché car sa caution étant payée et que les preuves ne sont pas encore assez incriminantes, il allait devoir rester chez lui jusqu'au procès. Interdiction de sortir du territoire, doit se rendre tous les jours au commissariat faire état de sa présence, interdiction de s'approcher des affaires de Médiatics, etc...
Ma bouche se fait sèche. Comment est-ce possible que ce monstre soit relâché et pas mis en prison jusqu'au procès et à son inculpation ? Je serre le poing en écoutant son avocat parler, ou plutôt vendre son barratin. La même soupe à laquelle on a droit à chaque fois. Ma colère gronde dans mon torse et je dépose violemment mon sac contre mon bureau. J'attrape une bouteille d'eau à moitié vide qui traîne et l'avale cul sec. Je suis persuadée d'avoir les joues rouges et que je pourrais bien avoir de la fumée sortant des oreilles. Qui faut-il payer pour rendre justice dans ce foutu pays ?
C'est là que j'entends un dossier frappé mon bureau. Je trouve la tête vers la personne qui vient d'arriver, prête à lui dévisser le crâne et lâcher un taux élevé d'injures. Mais ce n'est pas le visage de Luke qui est là mais celui d'un personne assez intimidant. Celui du directeur, Walter Wells, me fixant, les bras croisés, relativement mécontent. J'essaie de reprendre un semblant de constance et fausse un sourire qui ne trompe personne. Avec sa voix inquisitrice, il commence:
" Je peux savoir ce que foutait une simple collaboratrice pour arriver à une heure si tardive alors qu'elle vient à peine d'être embauchée ?
- Je-... Je peux tout expliquer... glissé-je, maladroitement. J'ai-... Je m'apprête à sortir mon carnet de mon sac avant de me raviser. Je ne peux faire confiance à personne, alors je ne peux pas justifier de mon absence de cette manière."
C'est à ce moment précis que mon sauveur arrive, dans toute sa désinvolture et les cheveux légèrement en pagaille. Il me jette un coup d'œil, comme s'il m'avait sondé en une fraction de seconde puis me montre deux trois feuillets, s'apprêtant à répondre à ma place:
" Mon cher Walter, ma jeune collaboratrice que tu as en face de toi est allée récupérer des documents très importants à l'autre bout de la ville, tu comprendras qu'avec ce fil de réunions sans fin, je n'ai pas le temps de tout faire alors j'ai délégué. Walter le toise, perplexe. Luke agite ses dossiers dans l'air. Elle me les a envoyé par mail depuis là-bas pour être plus efficace et je viens de les imprimer. Rien de mal à l'horizon !
- Rien de mal à l'horizon, c'est ça... Le directeur se rapproche de lui et glisse, menaçant : Je n'ai pas confiance en cette nana mais la prochaine fois qu'elle joue les coursières, j'attends à être prévenu. Je ne suis pas le chef pour rien bordel, c'est bien compris Hoffmann ? Quand à vous, Cobb, sa voix se fait sifflante, comme le bruit d'un serpent, j'attends une exemplarité dans vos présences. Je ne vous paie pas pour aller faire le tour de Portland. Du moins, pas encore. Au boulot maintenant !"
Le grand manitou s'éloigne avec un pas énergétique puis Liam et moi nous nous regardons enfin. Je pourrais jurer que j'ai une sueur froide qui coule le long de ma nuque. Luke est moins expressif, il me tend les documents, m'invitant de la tête à les consulter. Je sens sa main frôlée la mienne et un frisson me parcourt l'échine, mais nous nous séparons rapidement. Je m'assois à ma place tandis qu'il se cale à moitié assis sur mon bureau, attentif.
" Même si je t'ai sauvé les miches avec Walter, je peux savoir ce que tu foutais pour être partie aussi longtemps ? Je croyais que c'était une course rapide, genre t'acheter un plateau repas, pas passer 5 heures Dieu je ne sais où ? Tu ne croyais pas t'en sortir aussi facilement quand même ?"
Je m'installe plus confortablement dans mon siège, les bras croisés sur l'abdomen, soutenant son regard.
" C'est bon ? Tu as fini de jouer au papa?"
Luke fronce les sourcils, très peu amusé par ma remarque. Il replace une mèche de cheveux invisible de son front tout en me répondant:
" Cobb, j'ai beau accepté que tu sois avec moi une bonne partie du temps et j'apprécie grandement la solitude et le silence quand tu n'es pas là à piailler mais, ne me laisses pas sur la touche quand Walter vient me remonter une énième fois les bretelles. Je ne me suis pas pris un savon à ce point-là, plutôt un car wash."
Je me retiens de pouffer en imaginant la situation. Mon locuteur roule des yeux.
" Ça n'a rien de drôle Cobb...
- J'espère que tu es propre comme un sou neuf dis moi !"
Luke, visiblement exaspéré, balaie l'air de sa main puis m'indique la porte de son bureau.
" Bureau, tout de suite."
Il s'éloigne sans m'attendre tandis que je réunis quelques papiers qui traînent sur mon ordinateur. Je vois un bout de mon carnet sortir légèrement de mon sac et hésite à l'emmener avec moi. Il serait plus sûr de le prendre, des fois que des yeux baladeurs passent par là.
Luke regarde avec attention un document qu'il épingle sur le tableau en liège alors que je m'installe délicatement à ma place habituelle, sur un petit fauteuil, près de la fenêtre. Un fin rayon de soleil perce encore, un des derniers de la journée qui arrive à son terme. Je meurs de chaud dans cette pièce, je sens de la sueur décorée mon dos et mes cheveux devenir poisseux. Quelle horreur de travailler comme ça !
" Je te demanderais une dernière fois Élie. Il parle dos à moi, détaché. Où es-tu partie aujourd'hui ?"
Je grimace en me remettant un peu plus droite. Mon carnet est sur les genoux, bien sous mes yeux et je déglutis. Je peux transformer un peu la réalité non ?
" J'ai rejoint quelqu'un qui était sensé me donner des informations sur le meurtre de Liam Barnes."
Luke pivote, étonné. Il m'indique de parler moins fort et ferme la porte de son bureau rapidement. Après ça, il vient se placer, presque à genoux devant moi, histoire de se mettre à niveau, attentif. Son visage est très proche du mien et je peux voir les gouttes de transpiration humidifiées ses tempes et la base de ses cheveux. Humidité fait légèrement frisé quelques mèches solitaires. Je ne peux pas m'empêcher de penser à la courbe de sa mâchoire serrée, le goût de ses lèvres alcoolisées sur les miennes, encore et toujours. Je secoue la tête, chassant ces pensées du mieux que je peux.
" Dis m'en plus. De qui s'agissait-il ?
- Une personne qui a connu Liam dans ces derniers mots, ils se sont vus quelques jours avant et il était déjà un peu anxieux. Le soir du meurtre, elle était sensée l'avoir au téléphone puis se donner rendez-vous dans Londres. Il n'est jamais venu jusqu'à elle mais elle oui. Cette personne n'avait jamais entendu parler des Barnes auparavant mais elle a entendu des coups de feux et des brides de conversations. Elle a su reconnaître la voix d'Andrew Barnes plus tard. Je retiens mon souffle, épuisée.
- Je suppose que tu ne me donneras pas de nom, n'est-ce pas ? Lâche Luke, quelques dizaines de secondes plus tard.
- Elle a refusé de me communiquer son nom donc non."
Je croise les doigts pour que Luke gobe mon mensonge tout cru mais il me dévisage longuement, sans rien dire. Je sais qu'il ne me croit pas sur la dernière information et serre la mâchoire, déçu.
" Tu sais Élie, si tu veux que ça fonctionne, il fait un aller-retour de la main entre lui et moi, il ne faut pas que ça n'aille que dans un sens si tu veux qu'on avance. Ce n'est pas en me cachant des informations que tu rends service à la cause. J'espère qu'il y a une bonne raison pour que tu fasses des cachoteries aussi puériles."
Je préfère rester silencieuse, ne détachant pas mon regard du sien. J'aurais tant aimé tout lui raconter mais ça me coûte déjà de lui en avoir dit autant. Une partie de moi voudrait tout lâcher, sur tous les plans mais une force me retient en permanence. Est-ce que je peux faire confiance en Luke Hoffman ?
Puis soudain il se relève et revient devant le tableau, concentré. Je pousse un micro soupir de soulagement puis lance mon air le plus dégoûté:
" Je suis désolée Luke, ce n'est pas...
- Cessons d'en parler, veux-tu ? Tant que tu ne me fais pas confiance, je préfère mettre ce sujet en sourdine jusqu'à que tu me dises tout. Il ne daigne même pas me regarder et plonge son attention sur les documents accrochés, puis détache celui qu'il a épinglé plus tôt. De mon côté, j'ai vraiment des nouveautés qui me sont parvenues directement de New York.
- De New York ? Je me reprends, me levant pour prendre le document et le lire à mon tour. Tu as rencontré quelqu'un pendant la conférence ?
- Des vieux amis, enfin amis, c'est vite dit. Danyel m'a remis en contact avec des connaissances que j'avais lorsque je vivais sur la côte Est. Une d'elles connaît la famille Barnes plus intimement et a passé quelques fêtes chez eux ces dernières années. Quelques mois avant la mort de Liam, cette personne était à un dîner avec la famille presque au grand complet. Je lis les mots en diagonale de la page. Ce mail confirme que cette personne a assisté à une immense dispute entre Andrew et son fils lorsque ce dernier est venu vers la fin du repas, complètement éméché, régler ses comptes. Les invités, dont ma connaissance, ont été prié de partir et elle a entendu les hurlements et des menaces assez violentes entre les deux personnages. Assez violentes pour que le lendemain, l'équipe travaillant pour les Barnes les ait tous appelés pour acheter leur silence par rapport à cette histoire.
- Combien vaut le silence d'une personne d'après Andrew ?
- Plusieurs milliers de dollars, un nombre à 5 chiffres pour être sûr que l'intégrité de sa famille reste intacte je suppose.
- En tout cas, ça n'a pas marché, les bouches se délient aujourd'hui. Je m'évente avec la feuille tandis qu'il me la reprend, préférant que je prenne un porte-document vide. Putain mais qu'est-ce qu'il fait chaud ici !
- L'air climatisé s'est cassé lorsque tu es partie. Le technicien devrait venir dans quelques heures.
- Je vais faire un malaise si ça continue comme ça !
- Imagine toi dans la même configuration avec ton boss qui te hurle dessus. Je me mords la langue. C'est moins drôle d'un coût. Bref, revenons à notre conversation de base. Ce que le témoin de cette altercation a entendu semble corroborer notre hypothèse d'un crime pour faire taire, sans remords. À l'époque, elle n'avait pas compris le sens de ces éclats de voix. Je suppose que Liam a du découvrir le poteau rose lorsqu'il a commencé à se préparer pour succéder à son père dans l'entreprise familiale. J'hoche la tête, le laissant poursuivre. De plus elle dit qu'elle connaît une certaine Annabelle qui s'occupait de la maison des Barnes senior à l'époque et qu'elle lui a confié qu'elle avait vu le père plusieurs fois dans une colère folle, complètement incontrôlable envers ses gosses mais qu'il pouvait être aussi doux qu'un agneau. Il me montre un passage souligné au stabilo. Aujourd'hui elle a quitté le service d'Andrew pour s'occuper de celui de son dernier fils vivant.
- Ces deux personnes pourraient témoigner tu crois ?
- Je ne sais pas, la peur des représailles est là, sinon elles n'auraient pas attendu aussi longtemps pour s'exprimer..."
Nous restons silencieux un long moment avant que Luke ne reprenne la parole, se tournant vers moi, l'air grave.
" Tu vois Élie, ce qu'il vient de se passer là, c'est ma confiance que je viens de te donner par rapport à ce sujet. J'aimerais juste avoir une égalité dans le partage. Sa main attrape la mienne, je frissonne. On est en équipe, en duo, on est sensé être en symbiose. Il lâche ma main sans préavis et la laisse retomber le long de ma cuisse. Mais là, et depuis New York, on est loin de l'être. Alors je vais te poser la question simplement. C'est quoi le problème, bordel ?"
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top