Chapitre 2 : Bad Day

" Et là, Trevor débarque et hurle pour avoir des donuts ! Je te jure, on ne peut plus rien faire pour l'aider, et encore s'il ne me faisait le coup que pour de la bouffe mais en ce moment... Je souffle, coude sur la partie supérieure de mon canapé si abîmé que le cuir qui le recouvre part en lambeaux et s'éparpille partout sur mes vêtements, en regardant Allen qui baille. Il semble ailleurs depuis qu'il est arrivé, il y a deux heures. Enfin, une météorite de la taille de San Francisco s'est écrasée entre le rayon fruits et légumes et celui des viandes."

Ma remarque finale le surprend et il bondit de sa place, surpris. Ça y est, il réagit enfin à ce que je dis. Cette technique marche toujours autant.

" Quoi ? S'exclame-il, en une syllabe.

- Non, rien, je vais prendre des nouvelles de la plante verte faute d'être écoutée par le gars qui se trouve être accessoirement mon petit copain... Je m'écrase dans le sofa ma tête reposant sur les genoux de Allen, amusée. Dis-moi directement si je te fais chier, ce sera peut-être plus rapide. Quoique si j'en parle et que tu es ailleurs, imagine-moi dans cette supérette six jours par semaine.

- Oh non, Élie, je t'écoutais... Tu racontais un truc... Sur... Il prend son menton entre les doigts et le palpe en cherchant une réponse convenable. Allen McCoy me cherche du regard, et je le fixe en retour, froidement en croisant les bras toujours à l'horizontal. Bon, d'accord, j'avoue, j'ai lâché dès que tu as commencé à me raconter ta journée."

Je lui colle une petite tape sur l'épaule alors qu'il se penche pour essayer de m'embrasser, et il sort une petite onomatopée en se frottant la partie concernée. Mauviette va ! Je me retire en escaladant le dossier du canapé puis rejoint la cuisine à grands pas. En arrivant dans la pièce qui est séparée du séjour/salle à manger, je prends deux verres à whisky, ou tumbler si on en écoute ma bourgeoise de mère, et une bouteille du même alcool, cela va de soit, qui est généralement plantée derrière une fente encombrée où s'enfonce des dizaines et des dizaines de vieilles recettes de Mamita - elle est décidément partout chez moi - et de reçus de carte de crédit American Express. Certains datant de mes grands débuts à Portland d'ailleurs.

En revenant dans le salon, je pose les verres sur la table basse et les remplis d'un assez large fond, puis en tends un vers Allen qui semble réellement blasé. Il faut que je lui colle le breuvage sous le nez pour qu'il le prenne de ma main, en roulant des yeux sous mon sourire angélique. Je le sais, j'ai déjà gagné.

" Tu veux vraiment boire alors que tu sais pertinemment que l'on, il grimace, bosse demain ? Sa voix se fait rauque, il résiste à son envie de poser les lèvres sur la tranche pour aspirer le liquide brun. Ce n'est pas une bonne idée Élie, tu le sais aussi bien que moi.

- On est dans un cas où la discussion s'impose alors cul-sec et pas de question. Il refuse d'un coup de tête de gauche à droite. Si tu ne veux pas, je poursuis avec l'appétit de Trevor, l'histoire est encore très longue, je peux rester toute la nuit éveillée s'il le faut, et tu le sais aussi bien que moi. J'effectue un clin d'œil appuyé tandis qu'il cède cette fois réellement.

- Même la mort est douce à côté de tes histoires sur Trevor. Nous rions en cœur avant qu'il ne s'exclame en levant son verre en l'air. Cul-sec ma belle!"

Nous portons nos verres à la bouche et je fais un décompte partant de trois avec les doigts avant d'avaler le petit fond qui nous fait tousser nos poumons. La si délicieuse brûlure de l'alcool vient me chatouiller le bout de la langue et le fond de mon gosier, jusqu'à ce qu'elle m'incendie la bouche tellement ce breuvage est bon marché. Avant même, qu'un arrière goût désagréable vienne prendre la place de cette chaleur. Horrible, absolument horrible.

" Wow, mais il sort d'où lui ? Son goût est... Absolument atroce ! Fait Allen en reposant le verre contre la table.

- Ça fait longtemps qu'il est dans la cuisine, je crois l'avoir peut-être piqué au bar, un jour de grande soif, sans vraiment regarder, c'est tout. Je craque mes phalanges de doigts puis me positionne correctement pour avoir mon petit copain dans ma ligne de mire. Vas-y, je t'écoute, tu as toute mon attention.

- Tu es sûre ? C'est barbant au possible !

- Je suis prête à tout pour savoir.

- Mais quelle curieuse celle-là ! Déclame Allen en levant les bras au ciel.

- Tu savais qui j'étais quand tu as signé, n'est-ce pas et puis je ne dirais pas curieuse mais plutôt attentionné envers son cher et tendre petit ami. Je souris, amusée par le ton mielleux que je viens de prendre.

- Mais je n'ai rien signé Madame à vrai dire. Il m'attrape soudainement par la taille pour m'enfoncer sous lui dans le canapé et lance des regard discrets et nerveux vers le porte-manteau.

- Merci de me le rappeler, mon chou. Dis-je, d'une façon plus rêche que je ne l'aurais voulu. Ma réticence à m'engager nous tuera. Bon arrêtes de tourner autour du pot, et racontes maintenant !"

Il souffle vers le plafond, mains croisées sur mon dos, il pose sa tête sur mon ventre puis ferme les yeux, allant jusqu'à les serrer au maximum.

" Je me suis fais viré comme un malpropre. Par mon patron qui ne me trouve plus assez performant pour tenir toute la nuit avec le bar. Voilà, c'est tout. Lâche-il, comme une bombe.

- C'est tout ? C'est tout ? Je rugis assez fort pour que le voisin puisse se déplacer pour nous demander de nous la fermer, comme d'habitude. Tu te fous de moi ? On te vire sans raison valable et c'est tout ? Mais c'est une immense blague ? Je me lève en m'extirpant, enfile ma veste et commence à marcher rageusement de long et en large afin de m'empêcher de sortir lui refaire les dents à celui-là.

- Élie ! Stop ! Tu ne feras rien, c'est comme ça, je ne suis plus assez compétent pour ce mec, okay, on passe à autre chose ! Je retrouverais du travail, ne t'inquiètes pas... C'est exactement pour ce genre de réaction que je ne voulais pas t'en parler. Il grommelle tandis que je tambourine du pied le sol, énervée.

- Ton ancien patron est un abruti fini si tu veux mon avis.

- Je sais. Il lâche sa phrase et roule des yeux, excédé.

- Si tu sais, je peux aller lui décoller le nez du coup ? Je demande d'une voix enfantine."

Je remonte les manches de ma veste et pose mes mains sur mes hanches, énervée. Allen se lève alors de sa place avec difficulté, en évitant quelques objets mal rangés qui jonchent le sol. Si, avec le temps, j'ai développé une technique imparable pour éviter de me ramasser au sol et me frayer un chemin à travers l'appartement, ce n'est pas le cas de tout le monde, pourtant il a eu le temps de s'entraîner en huit ans de couple et de soirées dans ce salon. Toutes les cochonneries que l'on a pu faire sur ce sofa... Bref ! Allen me rejoint et me prend les mains avec douceur, les décelant de mes hanches comme le Roi Arthur et son Excalibur. Je roule des yeux et penche ma tête sur le côté en haussant un sourcil circonspect mais amusé. Quant à lui, il semble prêt à tout pour me garder ici. Il prend son air le plus enjôleur et murmure:

" Élie chérie, s'il te plaît, écoutes moi au moins une fois dans ta vie, je m'apprête à lui couper la parole, oui, je sais, c'est dur mais tu vas rester avec moi ce soir et tu ne vas pas casser le nez de cet abruti, d'accord ?

- Je peux même pas le lui effleurer ? Fais-je, innocemment, en battant des cils. Allez, ce serait tellement plus libérateur autant pour toi que pour moi. Une pierre, deux coup, tu vois le genre ?

- Élie ! Il hausse la voix."

Je retire mes mains et recule en me débarrassant ma veste. Allen sourit, il sait qu'il a gagné, tandis que je passe mes bras autour de son cou, collant volontairement la partie inférieure de mon corps contre le sien, faisant subtilement monter la pression et la chaleur entre nous. Il expulse un souffle libérateur avant de briser la ligne invisible qui nous sépare en déposant ses lèvres contre les miennes, se pressant un peu plus contre moi.

Oui, mon message est bien passé.

" Monsieur est content ? Dis-je en plaçant mon nez dans son cou alors que ses lèvres descendent dans le mien.

- Monsieur l'est, dit-il en faisant un clin d'œil, cependant, je pense que dès que je ne t'aurais plus dans mon champs de vision, tu vas courir au bar lui refaire ces fameuses dents, en guise de supplément."

Je balance ma tête en arrière, en réfléchissant très brièvement, décollant mon buste du sien.

" Non pas du tout voyons, marmonne-je, longuement puis ne le voyant pas réagir je lâche, c'est fort probable, Monsieur me connaît bien. Je finis par un sourire puis recèle ma bouche contre la sienne.

- Je ne peux donc rien faire pour t'arrêter, petite teigneuse... Répond-il, en passant son nez contre mon cou, en grognant de frustration quand mes mains viennent effleurer la peau de son ventre chaud.

- Cela dépend de ce que tu m'offre en échange, je murmure à son oreille me délectant de son souffle saccadé sur ma peau."

Il enlève son nez de mon épaule qu'il embrassant et, d'une voix charmeuse, me questionne:

" Est-ce un message subliminal que l'on m'envoie tu penses?

- Prend ça comme tu veux, je soupire en retrouvant ses lèvres, fais moi juste l'amour. Je saute sur lui en passant mes jambes autour de sa taille. Il perd son équilibre avant m'attraper et me bloquer contre lui.

- Tu es vraiment une négociatrice exceptionnelle, Élie Cobb. S'amuse-il à dire, en déambulant à tâtons vers la chambre obscure."

En arrivant devant le lit, il s'arrête et je m'entends lui répondre, au loin:

" Parce que c'était de la négociation ?"

Ma masse pondérale est éjectée en arrière sur le lit où je ris comme une petite folle tandis qu'un Allen torse nu s'installe sur moi, déposant des baisers brûlants sur chacune des parcelles de ma peau à découvert. Il grogne au niveau de mon ventre un magnifique "Tais-toi" qui restera dans les annales avant de nous me faire sombrer dans les joies du sport de chambre.
J'aime cette expression: sport de chambre, pas vous?

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Quelques heures plus tard, après une séance de sport très intuitive et appliquée.

Mes yeux sont grands ouverts alors que je devrais dormir depuis quelques heures déjà, mais rien à faire pour me défaire de l'injustice sous mon nez. Je regarde le plafond qui me fait face chaque nuit depuis des années, en cherchant à découvrir une autre partie que je ne connais pas ou que je n'ai pas encore explorée. C'est peine perdue, j'ai déjà fais le tour depuis le temps. Mon regard se pose alors sur le dos nu d'Allen qui dort à poings fermés. Sa respiration est douce et si calme... J'aimerais pouvoir dormir aussi facilement parfois.

Silencieusement, je retire la couverture qui me recouvre et attrape des vêtements qui traînent au sol, comme quoi, ça sert d'être bordélique, puis les enfile en rejoignant la sortie de l'appartement, sur la pointe des pieds.
J'arrive au point final sans encombres, revêt ma veste pour finaliser ma tenue et ouvre la porte en jetant un coup d'œil sur le salon. J'ai l'impression de retourner dix ans en arrière, lorsque je sortais de chez mes parents pour aller m'amuser.

Aucun signe de m'être fait repérer, je peux sortir. J'attrape mon double des clefs, mon téléphone et sors. Lorsque je clos la porte derrière moi, je me permets de souffler enfin, me rendant compte que je retenais à moitié ma respiration depuis quelques secondes déjà.

Mais évidemment, il me reste encore une étape à franchir. J'entends des pas dans mon dos se rapprocher et quand je me retourne enfin, un homme assez grand me fait face avec une posture censée me faire peur.

" Bouh ! Crie-il, en levant les bras au dessus de moi.

- Salut Nelson, quoi de neuf? Je range mes clefs puis commence à me déplacer sur le côté et joindre les escaliers pour descendre, en mettant les mains dans les poches.

- Tu n'as même pas eu peur ?

- Non pourquoi, c'était le but de ce bruit inutile ?

- Même pas un peu ? Nelson, mon voisin prend une voix d'enfant.

- Tes tentatives pour me faire peur ne le sont plus depuis tellement longtemps, si tu savais. Limite, j'aurais plus peur le jour où tu ne seras plus entrain de tenter de me donner la frousse. Au moins je serais prévenue si tu meurs seul dans ton appartement."

Nelson, ce dadais de quelques années de plus que moi et qui paraît plus jeune mentalement, croise les bras dessus en me suivant jusqu'à la première marche. Ça y est, il boude.

" Tu n'es vraiment pas drôle par rapport à l'ancienne locataire Élie.

- Dois-je te rappeler que "l'ancienne locataire", comme tu peux le dire, avait 80 ans, cardiaque et qu'elle a fait une attaque à cause d'une de tes blagues ?"

Il réfléchit en levant le menton sur le ciel, puis déclare, dans un instant de génie:

" Pas faux, rappelles-moi de ne plus jamais tenter le monstre du Loch Ness à des petites vieilles fragiles, j'ai failli la tuer ce jour là. Et Dieu sait qu'elle est réaliste ma représentation de cette bête."

Je pouffe en descendant les marches et fais, en perdant de vue mon ami:

" Je sais, je sais sinon je ne serais pas ta voisine aujourd'hui, bonne soirée Nelson, à demain !

- C'est plutôt un bonne nuit que je devrais recevoir vu l'heure ! Salut petite Élie et te fais pas trop mal cette fois hein ?"

En arrivant au rez-de-chaussée, j'entends la porte d'entrée de l'appartement de Nelson Wallas se claquer bruyamment derrière lui et je me surprends à croiser les doigts pour que cela ne réveille pas Allen.

Je me retrouve dans la rue humide et sombre de mon quartier dès que je passe la sortie de mon immeuble. L'odeur et la chaleur de fin juin m'harcèlent gentiment et j'esquisse un sourire, j'adore Portland sous la lumière de la Lune, je m'en sens moins seule lorsque je marche jusqu'à mon arrêt, mains dans les poches, épaules relevés. J'inspire un grand coup et m'avance.

Direction le bar pour que le nez du patron fasse une petite rencontre avec mes phalanges. Quelle bonne soirée cela va être !

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