Chapitre 18 : Tendres mœurs et retour à l'envoyeur

Tandis que Luke semble continuer à avancer le long du chemin, je m'arrête pour contempler le paysage à l'arrêt de la Great Lawn. C'est assez surprenant de la voir si calme, comme vierge de toute infrastructure. Il n'y que moi et l'étendue verte, moi et mes pensées qui s'entrechoquent, qui s'emmêlent dans un merdier impossible qui me caractérise si bien. Des images des photos de Caleb, de Liam, ainsi que celles issues du dossier des Barnes se retrouvent avec celle de Luke, de la soirée et de ses lèvres sur les miennes. Difficiles à oublier, leur texture et leur goût d'alcool fort ainsi que celui de ses doigts agrippés à la base de mon cou, brûlants comme le fer.

Perdue dans cette vision étrange, je sens Luke revenir vers moi, se demandant probablement ce que je fais.

   " Elie ? Ça va ? Je... Il s'est sans doute arrêter pour réfléchir à ce qu'il allait dire. Il se passe quelque chose ? Crois-je percevoir, complètement ailleurs."

Il pose sa main sur mon bras, transmettant un mélange de chaleur et d'humidité au contact de ma peau. Lentement, mes pieds pivotent et j'en viens à le fixer, détaillant l'ossature de sa mâchoire, les petites ridules aux coins de ses lèvres, la courbure de ses petits cils mouillés. J'aimerais réitérer l'expérience du baiser alcoolisé, l'expérience de la bêtise. Lui aussi paraît dans un autre monde, resserrant légèrement plus fort sa poigne, comme pour ne pas vouloir me laisser partir. Pendant l'espace de quelques secondes, je crois être seule au monde, ou plutôt seule au monde avec lui, les yeux plongés dans ceux de mon coéquipier. Bien que nous soyons dans Central Park, un des parcs les plus fréquentés au monde, j'ai vraiment l'impression qu'il n'y a plus personne autour de nous. Bon c'est peut-être le cas puisqu'il pleut mais j'ai la sensation que New York City redevient, pendant un quart de seconde, une ville à part entière, une terre presque vide de vie, un havre de paix.

Puis soudain, son toucher s'arrache de ma chair, ses sourcils se fronçant si forts qu'il doit avoir ressenti une décharge à mon contact. Il a été plus sage et mature que je ne l'ai été durant ce lapse de temps.

C'est une sorte de désillusion qui me transperce mais Luke s'est détourné pour continuer sa route. Tout est redevenu jungle, immense et indomptable pour une personne comme moi. Alors, à présent, je me sens suffoquée, presque asphyxiée par ce qui m'écrase. Je reviens à la réalité, il a eu raison de s'éloigner et je dois vraiment prendre du recul sur la situation. C'est impératif ! Ce n'est pas en moins d'un mois que l'on commence à vouloir s'envoyer en l'air avec son collègue. Rien ne me retient ici, quelqu'un m'attend chez moi, une femme que je pourrais aider. Rectification, il semblerait qu'il y en ait deux en réalité et la seconde est la seule à pouvoir réfréner mes accès envers Luke.... De toute façon, je n'ai plus de rendez-vous de prévu dans cette ville étouffante. Je ne peux pas expliquer comment Olivia Lawford a réussi à se fondre dans New York City aussi facilement, cela relève de l'impossible ! Enfin, je dis ça mais je ne sais pas comment elle a fait pour s'adapter. Il serait intéressant de lui poser cette question la prochaine fois.

   " Cobb ? Toujours sur Terre ? Entends-je, la voix ferme, presque sévère de Luke me ramenant à ses côtés.

   - Malheureusement, toujours oui. J'esquisse une moue en agitant la tête pour me remettre en route puis le regarde. Je... Comment expliquer que je souhaite m'éloigner de lui pour ne pas avoir tout le temps envie de me jeter sur lui justement ? Nous sommes d'accord qu'il n'y a rien de prévu pour demain ?"

Surpris, Luke croise les bras et réfléchit, les yeux à moitiés levés vers le ciel. Je pourrais presque voir sa réflexion intense à base de calendrier dans son cerveau, ce qui manque de peu de me faire rire.

   " Besoin de réfléchir autant pour me répondre Hoffman ? Raillé-je, pouffant légèrement, installant un stratagème pour retirer ce feu qui grandit doucement en moi."

Il lâche un petit bruit, comme celui des serpents à sonnette, presque boudeur et décide enfin à me répondre:

   " Non, rien qu'une petite visite de New York City ensemble et du travail en perspective. Sinon aucuns impératifs de mon côté ni du tien. Il m'indique le chemin puis se range encore une fois sous mon parapluie, des gouttes perlent de ses cheveux, il va être malade, c'est sûr !"

Nous poursuivons la route en silence avant de reprendre, soudain très impliqué:

   " Au risque d'être chiant, pourquoi ?"

Je glisse un sourire moqueur puis avec toute la sériosité et la contenance que je peux avoir en moi, je fais:

   " Et la notion de vie privée, tu connais ? Mon collègue comprend où je veux en venir et souffle, mi exaspéré, mi-amusé. Non mais tu comprends, je suis ta collaboratrice, tu n'as pas à connaître ma vie, j'ai mon jardin secret !

   - Putain, qu'est-ce que tu peux être chiante quand tu t'y mets ! Grimace-t-il en roulant des yeux. Qu'est-ce qu'il a de mal à ne pas tout te dire ?

   - Premièrement, je ne suis pas de la CIA et si tu me parlais un peu plus de toi on aurait une relation un peu plus basée sur la confiance, deuxièmement, j'aimerais savoir à qui je fais face et avec qui je collabore, troisièmement, je suis curieuse et j'adore te casser les pieds avec mes questions qui sont, ma foi, plutôt pertinentes. Je dois développer plus ?

   - Non, ça suffira. Il plisse les yeux alors que nous rapprochons de plus en plus de la sortie du parc. Ça ne me dit pas pourquoi tu veux absolument partir plus tôt que prévu."

SURTOUT ne pas dire la vraie raison de mon envie de prendre le large. Sous aucun prétexte !

Assez peu à l'aise, je me bafouille pour chercher un élément potable:

   " Je-... Disons que-... Je n'ai plus de rendez-vous et j'ai laissé les documents pour travailler au bureau. Au vue des... Des nouveaux éléments apportés, je crois qu'il est plus judicieux de revenir à Portland."

Luke m'inspecte d'un oeil, cherchant la faille de mon excuse bidon puis souffle en hochant la tête. Je crois qu'il sait très bien que les documents sont avec moi et que ce que je viens de lui servir n'est qu'un moyen pour cesser de penser à son corps contre le mien. Peut-être que lui aussi... Non, non, ce serait de la folie.

   " Je ne sais pas ce qui est le plus ridicule entre le fait que tu aies oublié le dossier au travail ou que tu me sortes une excuse franchement limite qui va nous coûter un bras pour décaler le jour de retour. Mais qu'est-ce qui t'a pris d'oublier tous les éléments sur ce quoi on bosse à l'autre bout du pays alors que tu savais parfaitement que l'on en aurait besoin ici ? Fait-il avec humeur."

J'étire un sourire désolé puis me cramponne à mon parapluie. Attendez... Comment ça "nous coûter" ?

   " Qu'est-ce que tu veux dire par nous coûter ? Dégluté-je, appréhendant sa réponse.

   - Si tu rentres, je rentre voyons ! Je ne vais pas rester une journée de plus tout seul chez Danyel alors que je ne peux plus le voir en peinture ? Surtout avec cette vipère de Marlène. Ce serait du suicide. Il accélère le pas. Il n'y plus rien qui me retient ici non plus de toute façon."

Tout mon plan de repos et de remise en question tombe à l'eau. Mais je ne peux m'empêcher de me poser des questions.

   " Dans l'optique de notre relation basée sur la confiance et le partage, je peux te poser quelques questions Luke ?"

Il grogne, mécontent mais se ravise et me regarde:

   " Je suppose que je n'ai pas le choix donc je t'écoute...

   - Qu'est-ce qui s'est passé avec Danyel et surtout Marlène ? Votre animosité se voit comme nez au milieu de la figure. Lâché-je, de but en blanc."

Doucement, il ralentit son allure, nous rapprochant dangereusement de la sortie et donc de s'engager dans le métro.

   " Évidemment, tu choisis une question comme ça... Il bascule la tête en arrière et réfléchissant. C'est un peu compliqué mais pour faire court, Danyel était comme un frère lorsque j'étais encore à l'université, on était cul et chemise, toujours ensemble, que ce soit en cours ou en soirée. Un soir, nous étions invités dans une fête de bar et Marlène était là. Elle était avec un groupe d'amies et fêtait dignement la fin des examens. Franchement, elle était divine, et j'avais vraiment envie d'aller à sa rencontre. Son regard se perd dans le vide, il doit revisualiser la scène. C'était le genre de personne que tu ne rencontres qu'une fois dans ta vie et auquel tu veux t'accrocher comme un malade. On est sorti deux ans ensemble. Je me souviens que l'on allait emménager ensemble, que l'on faisait des projets et j'ai même failli la demander en mariage. Et par failli, je veux dire qu'au moment où j'ai posé le genou à terre, elle m'a annoncée qu'elle me trompait avec Danyel depuis quelques mois et qu'elle ne voulait pas me blesser encore plus qu'elle ne l'avait fait. Il renifle, réellement triste. Des conneries si tu veux mon avis, elle était là que pour ce que je pouvais lui apporter, pas pour ce que j'étais.

   - Les demandes en mariage, c'est vraiment pas ton truc visiblement. Essayant un brin d'humour pour le sortir de sa torpeur.

   - Tu ne crois pas si bien dire... Il poursuit en me prenant le manche de mon parapluie, me délestant de son poids. Le pire, c'est quand même d'avoir été invité deux ans après pour leur mariage dans les Hamptons et qu'ils ont eu le culot de m'envoyer une enveloppe avec écrit en lettre d'or "à notre ami le plus précieux, Luke" sur le dessus alors qu'ils ne m'avaient pas juste broyer le coeur mais qu'ils avaient aussi pris le soin de ne plus me parler que pour me demander des services durant ses deux longues années. Sa mâchoire se contracte, visiblement en colère. Je ne suis pas allé au mariage, par orgueil et en réponse à leur trahison. Pendant qu'ils se passaient la bague au doigt et se promettaient un amour éternel et tout le tralala, je faisais mes cartons seul pour partir dans un endroit assez loin de New York City pour ne plus les voir jeter leur amour à ma gueule."

Mon coeur se serre en apprenant ceci, c'est la pire chose qu'ils ont pu lui faire... Malgré la sonnette d'alarme qui me hurle de ne pas tenter un rapprochement physique avec lui, j'enlace mes doigts dans sa main libre et la presse doucement, lui transmettant un semblant de réconfort. Tous les signes sont là, je les accumule et Luke doit s'en être rendu compte. Ce n'est pas le dernier des idiots. Il se détache le premier en secouant la tête, refusant de s'attarder plus longtemps sur ce geste.

   " Je n'ai pas besoin de ta pitié. Il lâche un regard lourd puis reprend sans plus aucune trace de colère dans sa voix. Tu as eu ce que tu voulais, "une relation de confiance", ça te va Cobb ?

   - C'est plus que je ne l'espérais. J'esquisse un sourire de remerciement puis croise les bras contre ma poitrine. Merci Hoffman."

Sous ses airs d'homme bourru et inaccessible, il y a vraiment quelqu'un ayant un passif amoureux compliqué. Enfin, plus que je ne le pensais finalement. Sa façon de ne vouloir révéler aucun pan de sa vie, de se protéger émotionnellement de tout, c'est probablement une conséquence de ce que Marlène et Danyel lui ont fait vivre sans s'en rendre compte. Mon visage s'assombrit lorsque je comprends que je vais devoir revoir leurs visages, que je vais passer la porte de leur maison, que Luke a dû endurer ça depuis deux jours. Qu'ils ont joué le couple parfait sans avoir pris en considération leur « ami ».

   " Arrête de penser à ça, ça ne sert à rien de ressasser le passé. Fait Luke, fort d'une sagesse que je ne lui connaissais pas encore. Et puis, je pensais que tu avais une autre question."

Complètement absorbée par ma réflexion sur le caractère pénible que va prendre mes retrouvailles avec le couple qui nous hébergent, je reste silencieuse.

   " Ce n'était pas important, rentrons le plus vite chez nous, d'accord ? Fais-je, avant de me rendre compte que j'ai utilisé le terme "chez nous", très personnel, trop même. J'ai envie de me frapper le crâne contre un mur mais il n'y a que des troncs d'arbres à proximité.

   - Rentrons à Portland, Cobb... Il laisse sa phrase en suspens. Chez nous."

---

    Luke et moi sommes côte à côte à regarder la grande porte d'entrée de la maison des Gerald, aussi mal à l'aise l'un que l'autre. Les lumières à l'intérieur ne sont pas encore allumées et nous poussons un soupir pour évacuer la vague de colère qui nous emplit chacun. Je cherche le regard de mon collègue qui semble affronté l'endroit plus que le premier jour.

   " J'espère que c'est la dernière fois que je viendrais ici. Murmure-il à lui-même. Tu sais, lorsque je te disais que j'envisageais de vivre avec Marlène, je ne t'ai pas dis que j'avais déjà fais du repérage pour une potentielle maison pour nous deux. Et pendant mes recherches, je suis tombé sur celle-là, Marlène en est tombée littéralement amoureuse et nous avions prévu de vivre ici ensemble. C'était la maison du bonheur quand j'étais un jeune adulte. Maintenant, j'ai plutôt l'impression que la vie s'est foutue de moi lorsque je la vois. Sa voix se durcit comme son regard alors qu'il baisse la tête, tentant de se calmer."

Ce qu'il vient de me confesser m'atteint plus loin que je ne l'aurais cru, je ferme les yeux, presque aussi blessée par ce qu'il a vécu, ayant l'impression de le vivre, de vivre le mal que lui inspire ce couple. Il serre les dents en relevant la tête dans ma direction. Il se mord la lèvre inférieure de rage puis poursuit:

   " C'était une connerie incroyable de te le dire mais je crois que je suis content finalement, parce que j'ai du mal à me tenir ici sans avoir envie de hurler ma colère au monde entier."

Au plus profond de moi, je sens que quelque chose s'agite et prend le contrôle de ma raison. Tout ça me dépasse, cette fureur qui n'est pas la mienne, qui ne l'a jamais été, qui s'agrippe violemment à chaque particule de mon corps. Voir le regard irrité de Luke, celui qu'il porte à la façade d'une maison que je ne connais que depuis deux jours me retourne dans tous les sens. Je crois que la même force que la nuit de notre rencontre vit encore en moi.

Est-ce que je ne serais plus entrain de compatir mais de m'engager dans un chemin plus dangereux ? Je doute que cette colère qu'il abrite puisse se transmettre par des mots. Ou peut-être que si, peut-être que je rumine car c'est lui. C'est lui qui vit ça et je ne veux pas le voir ainsi.

   " J'aurais déjà réduit cette maison en cendres dès la première minute où nous avons débarqué si j'étais à ta place. Je croise les bras, les pressant de toutes mes forces pour me contenir.

   - Un homme m'a un jour dit qu'être sage, c'était de savoir se laisser pour vaincu pour revenir plus tard et remettre en place l'équilibre des choses. Je crois qu'il est temps de l'appliquer. Il glisse un coup d'œil dans ma direction et esquisse un sourire qui veut en dire long."

Il s'approche des marches qu'il monte deux à deux rapidement mais je l'arrête juste avant qu'il pousse la porte de la maison.

   " Cet homme, qui était-ce ? Il fronce les sourcils, étonné tandis que je lève les mains au ciel, exaspérée. Ne me regarde pas comme ça, j'aimerais juste le rencontrer un jour parce que sa manière de penser me plaît !"

Il pousse un soupir contrit en baissant mes mains doucement. Le plus sobrement du monde, il répond:

   " C'était mon père."

Puis sans attendre, il rentre, les poings resserrés, moi à semi-abasourdie. Luke s'élance dans chacune pièce de la maison afin de prendre ses affaires et enfin confronter la gorgone en chair et en os.

Nos valises prêtes, nous nous avançons vers la cuisine où des bruits se font entendre. Marlène est assise au comptoir, son ordinateur allumé, des carnets bourrés de griffonnages étalés en pêle-mêle. Même comme ça, son bazar est organisé et c'est putain d'horripilant. Sérieusement, elle ne peut pas être comme les autres humains peuplant cette Terre ?

Luke s'élance le premier, sa voix calme se confond avec une extrême tension:

   " Je crois qu'il est temps que nous partions. Énonce-il, sans déserrer les dents."

Marlène se retourne, visiblement surprise, les yeux grands ouverts.

   " Mais je croyais que tu restais jusqu'à demain, pourquoi tu pars plus tôt que prévu ? Fait-elle. Tu n'as pas apprécié ton séjour chez nous ?

   - Tu ne peux même pas imaginer quel sentiment j'ai envers ces moments que nous avons partagé ensemble Marly. Ce petit surnom me surprend, il est teinté d'amertume."

Marlène, elle aussi, l'a bien perçue et sa bouche se tord. Son sourire de faux cul se transforme doucement en une version désespérée.

   " Ça fait des années que... Elle se reprend, fronçant les sourcils. Et en quel honneur choisis-tu de me dire ça ? Après t'avoir gracieusement hébergé dans ma maison ? Tu pourrais être plus reconnaissant envers Danyel et moi qui t'avons toujours aidé."

Je reste silencieuse, spectatrice de la scène, ce n'est pas mon combat, je n'ai aucun droit de m'immiscer entre eux. Il ne manquerait plus d'un peu de pop-corn et je pourrais presque me trouver au cinéma.

Soudainement, la main de Luke frappe fortement le plan de la table à manger en bois, la veine de son front gonfle dangereusement, ses oreilles rougissent.

   " Putain mais c'est l'hôpital qui se fout de la charité ! Je crois que tu es la personne la moins placée sur terre pour me dire ça ! Il referme ses phalanges, blanchissant ses jointures presque livides.

   - Tu ne sais pas tourner la page ? Ce qui est passé est passé et je ne veux pas en reparler, ça a été assez dur à gérer...

   - Dur à gérer ? Excuse-moi mais ce n'est pas toi qui a été jeté comme une merde au moment de mettre le genoux à terre, surtout pour être remplacé par son meilleur ami qui était déjà au pied levé. Il éclate de rire, ironique, non, rageur. Alors faire les grands discours sur ô combien tu as été une amie pour moi, je crois que c'est mal venu."

Marlène, elle aussi sur le point d'élever la voix, détourne son regard pour accrocher au mien. Elle me dévisage et siffle:

   " Peut-elle sortir de la pièce ? Ce n'est pas de ses affaires."

Luke baisse la tête et m'indique gentiment la porte. Je rassemble mes affaires en silence et avant de sortir, je me retourne vers les deux personnes présentes. Marlène me suit de l'œil, espérant que je pars le plus vite mais mon instinct m'arrête pour la toiser du regard, lui faisant comprendre que si quelque chose arrive, elle saurait à qui elle a affaire. Merde, c'est une réaction puérile au possible.

Quant à mon compagnon, il garde la tête basse, les ongles enfoncés profondément dans sa chair, cherchant à garder sa colère en lui, la réfrénant le plus possible. J'ai un pincement au cœur que j'expulse le plus loin possible.
De l'autre côté de la porte, je prends le temps de rapprocher les sacs contre moi, prête à partir. Le salon qui m'entoure me retourne le cœur. Tout y est agréable, adulte si je puisse dire, si familial. Des photos de bonheur conjugal et d'enfants accrochés dans des cadres coordonnés, de famille que Luke aurait pu avoir dans une autre vie, des canapés confortables avec des dizaines de coussins et des plaids pour les soirs de grands froids, des livres installés un peu partout. Et des jouets d'enfants. Une vie rangée et pourtant si représentante de l'énergie new-yorkaise. Il aurait pu avoir tout ça avec Marlène il y a quelques années. Tant d'espoir tué dans l'œuf, c'est immonde. Soudain j'entends des fracas de voix intenses et sans arrêt jusqu'à distinguer Marlène hurler, me sortant de mes pensées :

   " Mais tu ne comprends pas que je n'étais pas heureuse avec toi ! Je ne l'ai jamais été !"

Le chaos s'éteint presque immédiatement, me laissant bouche bée. La double porte en verre polis qui me fait face s'ouvre en grand et dans un grand fracas. Luke, rouge de fureur, se retrouve dans l'encadrement de celle-ci, comme s'il avait du mal à respirer. Il s'appuie à celle-ci, les yeux écarquillés. Mal à l'aise et du fait de son état, je tente d'approcher ma main de lui, prête à le soutenir mais il s'écarte brusquement, me dévisageant avec honte. Mes doigts qui l'effleurent presque se reculent à l'instant même où Marlène reprend, plus doucement et presque au bord des larmes.

   " Je ne t'ai rien dit parce que j'avais peur de détruire notre amitié à l'époque mais quand tu m'as demandé en mariage, je... Je ne voulais pas poursuivre dans le mensonge... Elle renifle et je devine qu'elle écrase ses larmes avec sa main. Je n'ai jamais voulu en arriver à ça, comprend-le..."

Dans l'attente d'une réaction, des bruits de pas qui se rapprochent de nous me font comprendre qu'elle veut tenter un geste envers son ex compagnon. Alors qu'elle pose sa main sur son dos, il se dégage violemment et se raidit à mes côtés, la regardant dans les yeux:

   " Je crois qu'il n'y a rien d'autre à dire. Je t'enverrais de quoi payer notre séjour ici quand je serais chez moi. D'ici là, j'espère ne plus jamais entendre parler, ni de toi ni de cette raclure. Sa voix est posée, contenue bien que je sens qu'il aimerait hurler à la mort. Allons-y Ellie, nous allons être en retard."

Il sort de la maison avec une vitesse qui me surprend et je le suis au pas de course tandis que je sens la main de Marlène m'arrêter. Son visage est défait, des larmes coulent le long de ses joues.

   " Tu pourras lui dire que je suis désolée d'être en arriver à là ? Qu'il comprenne que... Je la stoppe avant qu'elle ne poursuive.

   - Je crois que ce n'est pas moi qu'il faudrait convaincre, Marlène. Je souffle, alors qu'elle me lâche enfin. Et comme vous l'avez si bien dit, ce n'est pas de mes affaires."

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