Chapitre 12 : New York City

Vendredi 30 juin, aéroport international de Portland, tôt le matin

Je dépose mon pied en dehors de la carlingue avec une petite boule d'appréhension dans le creux du ventre. Cela fait des années que je ne suis pas sortie de l'Oregon et encore plus longtemps que je n'ai pas pris l'avion. La dernière fois, c'était quand je vivais encore avec mes parents et qu'on allait fêter Thanksgiving avec la famille du Kentucky. J'appréhende toujours l'avion, bien que je l'ai pris à plusieurs reprises, c'est une angoisse tenace qui s'éteint à chaque fois que l'avion est en stationnaire. Une façon que mon corps a comme pour me signifier que nous avons rien à faire dans les airs. J'inspire profondément puis me dirige vers le coffre pour sortir ma petite valise cabine. Mais l'occasion est si belle, je ne peux pas faire état de ma peur.

Elle est bien légère dans mes mains et j'entends la portière de la voiture claquée.

   " C'est bon ? Demande Allen en arrivant à mes côtés, semi souriant, semi contrarié. T'as tout ?

   - Oui, je crois, ne t'inquiète pas, ce n'est qu'un petit voyage de rien du tout, je reviens vite. Je dépose le bagage à mes pieds puis me penche vers lui pour l'embrasser. Ses lèvres me paraissent gelées à son contact et je tremble légèrement. Un frisson désagréable me parcourt et j'espère qu'il ne l'a pas remarqué."

Il ferme le coffre avec force pour être sûr qu'il soit verrouillé puis me suit alors que je marche sur le trottoir. Il faut qu'il dégage le dépose-minutes très rapidement. Je me retourne et observe la figure concentrée de mon petit copain qui s'appuie contre le flanc droit de la voiture en croisant les bras contre son torse, le regard presque lubrique.

   " Quoi ? Qu'est-ce que tu as à me regarder comme ça ?

   - Mh ? Il remonte les yeux vers le ciel recouvert de verre. Oh, rien, je pensais juste à toutes les choses que j'aurais pu faire avec toi ce week-end, dommage que tu partes aussi rapidement, tu vas rater quelque chose. Allen esquisse un sourire puis attrape ma main pour m'attirer contre lui. Tu n'as pas idée Élie... Passionnément, il dépose un baiser enflammé dans mon cou et descend sa main le long de mon t-shirt froissé, arrivant presque à la fin de mes hanches.

   - Je n'en doute pas une seconde grand malade, fais-je en me décollant doucement de lui, les bras autour de sa tête, pas une seule seconde. Gardes des réserves pour mon retour. Je caresse sa joue doucement.

   - Tu vas énormément me manquer, tu ne peux même pas imaginer... J'ai l'impression qu'en 8 ans ensemble, c'est la première fois que tu seras aussi loin de moi et aussi longtemps. Il souffle en baissant sa tête, son front s'attelant contre le mien.

   - Cela changera des habitudes, ça ne peut qu'être bénéfique pour nous deux, non ?

   - Être à l'autre bout du pays avec un homme en qui je n'ai aucune confiance et que tu connais depuis une semaine, excuse-moi d'être un peu sur mes gardes. Il se retire tandis que je me recule pour attraper ma valise. C'est très rapide, même pour la meilleure journaliste que je connaisse, d'en arriver là.

   - Tu sais, je pense que la roue tourne, la vie va avoir un autre sens à partir de maintenant et grâce à toutes ses opportunités, on pourra faire des choses ensemble mais pas sans avoir à passer par certains changements.

   - Par opportunités, t'entends quoi exactement ? S'arque Allen, aussi surpris que méfiant.

   - Je ne sais pas, tu as quelques jours pour essayer de le comprendre. Finis-je par faire, un sourire suffisant sur le visage."

Un klaxon interrompt notre conversation et, en chœur, nous tournons notre tête dans la direction du bruit. Une voiture qui me parait bien trop familière débarque et colle le train arrière de notre transport. Il y a deux personnes à l'intérieur et je peux reconnaître le conducteur. Oh merde.

Luke, dans toute sa splendeur, sort avec une femme de la petite Mercedes et jette les clefs à cette dernière. Il attrape un sac de sport sur la plage arrière tandis qu'Allen et moi détaillons la scène, quelque peu ébahis par l'arrivée grandiose de mon collègue.

   " Alors c'est lui. Constate mon compagnon dans un souffle assez long pour me faire comprendre son agacement.

   - Ouais, rapidement, Luke se place à mes côtés avec son sourire plutôt ravageur, accompagné de la fille fine et recroquevillée sur elle-même qui me paraît immensément timide, Allen, je te présente Luke Hoffman, mon partenaire chez le Weekly. J'atterris à côté d'Allen, histoire de ne pas envenimer la situation, et passe le bras autour de sa taille. Hoffman, voici Allen, l'homme avec qui je passe ma vie depuis presque une décennie. Je jette un coup d'œil vers la petite rousse qui semble mal à l'aise.

   - Ravi de te rencontrer en vrai Allen, Élie passe ses journées à parler de toi, c'est complètement faux, ça en devient presque énervant. Il finit sa phrase par un petit rire hypocrite, tendant sa main vers lui, puis me regarde en comprenant mon énervement sous-jacent. Sans surprise, Allen la refuse et le toise de haut en bas. Oui, donc, euh... Il toussote puis regarde sa compagne. Avant que tu ne te fasses des films Cobb, voici Jane Hoffman, ma demie-sœur."

Étonnée, je ne peux m'empêcher d'ouvrir la bouche, manquant d'air. Mon cœur qui battait à vive allure se calme lentement, ce qui me surprends. Est-ce une sorte de soulagement ? Non impossible.

   " Ta demi-sœur ? Mais pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? M'exclamé-je, la gorge grillée.

   - Peut-être parce que j'ai encore droit à une vie privée Cobb, aussi surprenant que cela puisse paraître. Dit, sarcastiquement, Luke, son sac en bandoulière sur son épaule, son ticket et son passeport à la main, il se tourne vers sa sœur et lui parle si doucement que je n'entends pas ce qu'ils se disent.

  - Et moi qui pensais avoir dépassé ce stade, tu me vexes Hoffman, je lâche faussement déçue."

Allen me serre contre lui en s'écartant des deux Hoffman, qui s'étreignent doucement et approche ses lèvres contre mon oreille pour murmurer:

   " J'ai de moins en moins confiance en lui.

   - Je crois que le comprendre et disséquer sa vie va être un travail de longue haleine. Ajouté-je à mon tour. Mais je vais bien m'amuser.

   - Plus tu restes loin de lui, mieux ce sera pour toi et moi, okay ? Et puis c'est pas pour ça qu'on t'a engagée à la base donc tiens toi à ton affaire, malgré ton envie maladive de tout savoir, okay ? Il dépose un dernier baiser contre ma joue puis me laisse lentement rejoindre Luke. Et puis appelle-moi quand tu seras là-bas.

   - Promis Allen, je t'appelle. Je tente un air entendu bien que je suis brouillée par des émotions et pensées contradictoires."

Luke fait une dernière bise à sa sœur puis se tourne vers moi.

   " Prête pour l'aventure ?

   - Et comment ! Réponds-je, cette fois contente de sortir de l'Oregon. C'est parti."

Un dernier signe de main dans la direction de mon cher et tendre puis je m'éloigne avec hâte vers l'intérieur bien que mon angoisse resurgit petit à petit. Avant de passer les portes de l'aéroport, j'entends la voix forte d'Allen dans mon dos qui me fait me retourner pour le voir:

   " Je t'aime Élie, fais bien attention à toi !"

Je tourne la tête pendant un quart de seconde vers Luke qui a avancé de quelques pas mais qui arbore un regard moins neutre que je ne le pensais. Mon premier réflexe est de hocher la tête et de sourire pour faire bonne figure mais ne réponds rien malgré que mon devoir devrait être de lui retourner la phrase. Je baisse la tête en regardant le sol puis trottine vers mon partenaire qui fixe droit devant lui sans broncher.

   " J'ai hâte d'arriver à New York City. Glissé-je, en sa direction.

   - J'en connais un qui a hâte que tu atterrisses à Portland. Clôture-t-il, amer. Et qui aurait aimé que tu lui répondes peut-être."

Je déglutis avec difficulté. Je ne le sens plus aussi bien ce voyage maintenant.

———

Quelques heures plus tard, New York City, aéroport de JFK

   " Luke, si tu ne te dépêches pas un peu, on n'aura plus de place dans sa navette et on sera à la bourre ! M'egosillé-je, en regardant dans tous les sens sans m'arrêter."

C'est une grande première de me retrouver dans un aéroport aussi immense. J'ai l'impression d'être écrasée dans cet espace qui est si ouvert. Il y a des centaines et des centaines de personnes qui naviguent dans les couloirs et autres halls bruyamment. Des groupes, des familles, des personnes seules ou en couple, ainsi que diverses nationalités, la représentation même de la diversité.

J'enfonce une casquette des Yankees que j'ai acheté dans une boutique avant de sortir sur ma tête et pose mes mains sur mes hanches, ma valise contre la jambe. Luke est dix pas derrière moi, pas très pressé par le temps et s'avance nonchalamment tel un touriste en pleine visite. Je regarde la montre sur mon téléphone puis relance, agacée:

   " Je te jure Hoffman, si tu ne te presses pas un peu, je t'abandonne ici et je vais à la conférence toute seule !

   - C'est la première fois que tu débarques ici et tu crois que tu peux t'en sortir toute seule en claquant des doigts ? Répond-il en s'approchant sans accélérer. Et puis on est 6 heures en avance donc tout va bien. Il réajuste ses lunettes sur son nez puis se retrouve enfin en face de moi, amusé. Madame est contente?

   - Qu'est-ce que tu peux être chiant quand tu fais ça ! Finis-je par grogner.

   - Et encore, ça ne fait que une semaine qu'on se connaît alors tu n'as rien vu ! Il tapote mon épaule puis continue de marcher dans la direction des taxis. De toute façon, on ne prend pas la navette, j'ai un ami qui vient nous prendre et il n'est pas encore arrivé."

Excédée, je lâche un râle et le rejoins au pas de course.

   " Tu as beaucoup d'amis dis donc ! Encore une de tes nombreuses aventures incroyables, c'est ça ?

   - Les amis, les vrais du moins, ça se compte sur les doigts d'une main Cobb. Il sort son téléphone pour pianoter sur le clavier. Certains ne sont que des connaissances qui ne savent pas quelle est la différence entre un vrai sourire d'un faux. Mais lui, c'est mon colocataire de fac donc je peux le considérer comme tel.

   - Un autre journaliste je suppose ?

   - En effet, au HuffingtonPost, il s'appelle Danyel Gerald."

Je m'arrête précipitamment et le dévisage, comme si j'avais vu un fantôme. Je savais qu'il était reconnu par la profession mais qu'il avait comme ami et colocataire de fac Danyel Gerald, ça non, je ne savais pas. Il va vraiment falloir que je lui fasse passer un interrogatoire un jour.

   " C'est lui ta relation qui t'as refilé les documents sur l'affaire ?

   - Quoi ? Il lâche ses bras contre son buste et pousse un bruit blasé. Mais non, ce n'est pas lui ! Et même si c'était lui, tu crois vraiment qu'il m'aurait filé tous les dossiers comme ça, sans avoir réfléchi à ce qu'il aurait pu gagner en rédigeant cet article ?

   - Et bien pourquoi pas ? Cette affaire va nous prendre un temps monstre donc, puisqu'il a une femme et des enfants, ça me parait normal qu'il puisse refuser pour privilégier sa famille ! Et puis, tu es son ami.

   - Élie, ne sois pas si naïve, on parle de Danyel Gerald, un chasseur d'histoires à gros profit, même s'il le voulait, il ne pourrait jamais faire passer sa famille d'abord, ni même son pote. Son travail, c'est sa vie. Il revient vers moi brusquement et se penche: C'est pour ça qu'il ne faut en aucun cas que tu parles de ce que nous détenons, lui aussi tourne autour de l'affaire et il veut tout autant que nous sortir le papier en premier. On va le prendre de court si on garde le secret. Compris ?"

Je souffle puis hoche de la tête.

   " Compris. Acquiescé-je en roulant des yeux. Je comprends.

   - Cool... Cool, cool... Il s'étire en craquant sa nuque puis se tourne vers la rue en regardant au loin. Je crois qu'il arrive d'ailleurs."

En effet, dans le fond de mon champ de vision, un point rouge apparaît et se précise plus il s'avance vers nous. Une BMW X5 rouge débarque alors, un homme à l'allure tranquille au volant, avec un coude sur sa portière. Danyel Gerald arrive à notre niveau et ouvre sa fenêtre. Il se penche et repositionne ses lunettes de vue d'un geste rapide. Un immense sourire illumine son visage lorsqu'il s'adresse à Luke:

   " Salut Luke, t'as une sale tête dis donc, tu regrettes NYC ? Elle te manque ? Chambre-il, en regardant son ami.

    - Jamais je ne regretterais mon choix, Portland m'apporte bien plus que cette ville qui ne dort jamais. Luke s'accoude à la fenêtre, m'occultant la vue sur Monsieur Gerald. Et tu sais au combien le sommeil est important pour moi, n'est ce pas petit emmerdeur."

Ils parlent en code ou quoi ? J'ai comme l'impression que dormir signifie autre chose. Arrête de t'imaginer des truc Élie !

   " Pas besoin de me le redire deux fois, je me souviens bien de l'époque où tu dormais plus que tu n'étudiais. Ils rient en chœur et Luke se décale légèrement.

   - Ne m'en parles pas ! Dany, je t'en avais parlé au téléphone mais voici ma partenaire, il s'écarte réellement cette fois-ci, Élie Cobb. Elle est novice chez le Weekly et c'est avec moi qu'elle va faire ses armes dans le monde des grands."

Novice ? Il se fout de moi ? Je suis dans le métier depuis presque aussi longtemps que lui ! Enfin, c'est sûr que si on compte que les jours payés pour être journaliste, je fais pâle figure à côté de lui... Je balaie sa remarque de la main et m'avance pour la tendre vers Danyel qui me regarde étrangement. Il accepte ma poignée de main puis fait:

   " Et bien, bienvenue à New York City Mademoiselle Cobb, en espérant que vous allez être envoûté par ses charmes."

Je lui rends un sourire entendu puis ouvre la portière arrière en prenant ma valise entre les mains. La plage arrière est recouverte de jouets pour enfants en tout genre, d'un sac de sport anthracite et d'un rehausseur derrière le siège du conducteur. Je reste incrédule quand je me trouve face à cette vague d'objets en tout genre. Danyel semble gêné et pousse du bras certain d'entre eux pour me laisser de la place. Je l'aide en décalant les autres puis prends ma valise et l'installe à mes côtés.

   " Gerald ? Ça te dérangerait de nous héberger le temps du séjour ? Je n'ai réservé aucun hôtel ici et Élie non plus. Je rougis, en effet, Luke devait s'en charger.

   - Marlène sera contente de vous avoir à la maison et puis mon fils est parti chez ses grands-parents la semaine dernière donc pas de problème. S'exclame Danyel en faisant un grand geste théâtral. Il démarre la voiture et s'éloigne du dépose minute.

   - Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu Marlène et moi, et puis la dernière fois... Luke baisse la tête et se triture les doigts, inquiet.

   - Elle n'est pas rancunière et je l'ai prévenu de ton arrivée. Je t'avoue qu'elle a légèrement grimacé mais rien de plus. Il sourit et regarde dans son rétroviseur intérieur. Alors Mademoiselle Cobb, qu'est-ce que ça fait de bosser avec cet abruti ?

   - C'est déroutant aux premiers abords mais finalement, c'est juste un abruti comme les autres. Fais-je en gloussant.

   - On se comprend bien alors ! Il sourit avec ses dents blanches tandis que Luke se retourne en me signifiant qu'il ne trouve ça pas très drôle. Ce soir, on pourrait se faire un petit apéro, j'ai plein d'anecdotes à vous raconter sur votre collègue.

   - Vous n'imaginez pas à quel point j'ai hâte d'y être..."

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