#37 Renaissance
Quand j'ouvris les yeux, Colin et moi étions confortablement blottis sous les couvertures. Je ne pouvais pas dire qui de nous deux était blotti dans les bras de l'autre. Quand je levai les yeux, je tombai nez à nez avec son visage assoupi et détendu, et sans pouvoir y résister, je picorai ses lèvres de baisers. Il fronça les sourcils, son nez se retroussa. Je souris, et continuai jusqu'à ce qu'il n'ouvre les yeux en grognant.
« Bonjour, lui murmurai-je.
— Bonjour.
— Ah c'est pas possible, t'es trop mignon », geignis-je en l'attirant contre moi.
Il chercha à se débattre mais je rabattis la couette sur nos deux corps en riant. Je n'avais pas envie de me lever, je voulais rester toute la journée dans cette tente.
« Isaak, tu m'étouffes », grogna Colin, sa voix étouffée par les couches de tissu.
— Oh, pardon Col', m'excusai-je en le libérant.
Son visage émergea, et il me fit un véritable sermon tout en s'extirpant des couvertures. Je ne l'écoutai pas, mais restai silencieux, simulant le regret. Les souvenirs de la veille ressurgirent à nouveau, et je me plongeai dans mes inquiétudes.
« Isaak ! »
Sa voix me parvint avec clarté, et je me rendis compte que je ne faisais plus attention à lui depuis un petit moment, car son visage paraissait inquiet.
« D-désolé.
— Tout va bien ?
— Ce serait plutôt à moi de poser la question. »
Il soupira en enfilant ses lunettes.
« Il n'y a vraiment rien, Isaak. Je vais très bien, Léanne va très bien. Content ?
— Et Emilio ?
— Lui aussi il va bien. Je crois. Ce n'est pas très important.
— Je t'ai entendu Colin ! » retentit une voix depuis l'extérieur.
Quand nous sortîmes de la tente, Emilio nous observait, l'air vexé. Et à côté de lui, Léanne se retenait visiblement de rire. Je me relevai et passai à côté de lui en tapotant son épaule.
« T'inquiète pas, un jour tu vaudras quelque chose aux yeux de Col'. »
Je faillis me prendre un coup et m'écartai en riant. Nous n'avions rien pour le petit-déjeuner, aussi nous décidâmes de rentrer manger, puis de revenir avec de quoi tenir pour la journée. De toute façon, il n'y avait jamais personne dans cette forêt.
Le chemin du retour se fit en silence. Colin semblait peiner à marcher à côté de moi, parce que la pente était parcourue de racines proéminentes, et de cailloux. Mon pauvre ami n'était pas très sportif. Distraitement, j'observai la nature autour de moi. La végétation était dense, et les troncs des arbres semblaient interminables.
En songeant aux innombrables photographies dans le salon de Charlotte, j'eus l'envie d'immortaliser ce que je voyais. Ce désir dépassait ma peur d'échouer, ma résignation. J'étais plus attaché aux images qu'aux mots, et je ne voulais pas que cette nature formidable ne reste qu'un souvenir. Sans un mot, je m'éloignai, et sortit mon téléphone. Je n'avais pas d'appareil photo, mais je pouvais tout de même immortaliser ce qui m'entourait.
Petit à petit, mon esprit observa les alentours, et chaque détail qui capta mon attention fut photographié. J'y prenais tant de plaisir que j'en oubliai mes amis, qui me laissaient faire en silence. Je ne revins vers eux que lorsque la maison de campagne s'imposa à nous, grandiose et pittoresque. Léanne se rapprocha de moi, et jeta un œil à mon téléphone.
« Tu as pris de belles photos ? » me demanda-t-elle.
Je rougis d'embarras, et dissimulai mon portable dans ma poche. Je n'avais pas vraiment envie de partager mes trouvailles, pas maintenant du moins, alors qu'elles étaient encore fraîches dans mon esprit, alors que leur valeur n'était pas encore définitivement claire pour moi.
« Je te les montrerai ce soir » lui dis-je en souriant.
Elle s'en contenta et lia son bras au mien. Je savais que Léanne était heureuse de ce que je venais de faire. Je lui avais confié mes craintes, mes réticences quant à la photographie, elle m'avait dit qu'elle me soutiendrait quoi que je fasse.
« Comment ça va, entre Emilio et toi ? », demandai-je tandis que nous grimpions les marches du perron.
Emilio et Colin étaient déjà entrés dans la maison, et étaient sans doute pris d'assaut par Charlotte. Léanne cessa de monter les marches, et j'en fis de même.
« Ça va, me dit-elle. On apprend à s'aimer, à se redécouvrir. Il faudra un peu de temps, mais j'en ai envie. Je refuse de laisser le passé me gâcher le présent. »
Je l'écoutai, ému, et l'attira contre moi pour l'enlacer. J'étais très admiratif de sa force, fasciné par sa capacité à pardonner.
« Ma Léanne, je suis tellement fier de toi ! » m'exclamai-je en riant.
Notre étreinte fut interrompue par la voix d'Emilio qui nous appelait depuis la cuisine. Après un dernier échange de regards complices, nous les rejoignîmes en souriant.
Les deux garçons étaient confortablement installés à table, et sur celle-ci était étalé un véritable festin. Il y avait de tout : du café, du lait, du jus de fruit, des biscottes, de la confiture, des fruits de saison, des œufs au plat... La nourriture était abondante et alléchante.
« Charlotte, tu es la fée du petit-déj, lançai-je.
— Dis donc gamin, je ne crois pas t'avoir autorisé à me tutoyer, me répliqua-t-elle.
— Pas de chichis Mamie. La famille de Léanne et ma famille ! »
Sur ses mots, je m'installai après m'être reçu un coup invisible de Charlotte sur la tête. Je croisai le regard de Colin, occupé à se goinfrer d'un quatre-quarts. J'étais toujours impressionné par sa capacité à se concentrer pleinement sur une chose à la fois. Et pourtant, je parvenais à attirer son attention de plus en plus facilement. J'étais peut-être bien le seul capable de le détourner de ses études. Le seul pour qui il arrêtait de lire un livre. Le seul qu'il écoutait toujours, qu'il n'ignorait pas. Et cette constatation me rendait tellement fier, et heureux.
Désormais, je n'étais plus mu par le désir de faire changer Colin. Je voulais l'aimer tel qu'il était, et savourer l'attention qu'il ne me refusait presque jamais. Colin n'était pas quelqu'un qu'il fallait changer. Il était simplement un chat un peu sauvage, qu'il fallait apprendre à apprivoiser, jusqu'à ce qu'il ne morde plus votre main tendue.
« Qu'est-ce que vous avez prévu de faire cet après-midi ? » nous demanda soudainement Charlotte.
Je détournai mon attention de mon adorable ami, et jetai un œil à Léanne. Je n'avais pas la moindre idée de ce qui était prévu, parce que je n'avais absolument pas fait attention, chaque fois qu'elle cherchait à élaborer un programme. Mon regard dévia vers Emilio, pour chercher son soutien, mais il semblait tout aussi ignorant que moi. Et il était probablement inutile de demander à Colin.
Constatant notre mutisme, Léanne soupira longuement. La pauvre devait certainement retenir une flopée de juron à notre égard.
« Puisque les garçons ne servent à rien, j'ai préparé un petit programme moi-même. Ce sera une surprise, et ils n'ont pas intérêts à râler. »
Elle ne nous regardait pas mais la menace implicite était très clairement adressée à Emilio et moi. J'aurais pu en trembler, si j'étais capable de craindre les bras fluets de mon amie. Son psychologue faisait certes des miracles, mais il lui fallait encore progresser avant d'atteindre un poids raisonnable. Le point positif était qu'elle ne s'essoufflait plus aussi rapidement. Ses joues étaient plus rondes, et les traces sur ses poignets n'étaient plus que de vieilles cicatrices.
Léanne, ma douce Léanne, était plus pétillante de jours en jours.
Cela n'empêchait pas ses yeux de lancer un million de menaces lorsqu'elle le souhaitait. Embarrassé, je me concentrai sur ma tasse de café qui me paraissait soudainement comme un bouclier. J'y enfonçai mon nez pour fuir la fureur de ma meilleure amie.
« Ce matin, on part randonner dans la forêt. Et cet après-midi, c'est visite de Tullahoma. »
La voix de Colin s'était élevée, confiante et claire. Je lui jetai un regard surpris. J'étais quasiment certain que Léanne et lui n'avaient pas parlé du programme, et je le savais car j'étais toujours pendu au bras de l'un ou de l'autre. Face à mon air éberlué, Colin reposa la tranche de gâteau dans son assiette – probablement la cinquième qu'il dévorait, et pris conscience de l'assemblée qui le dévisageait.
« Pourquoi tu parles du programme avec Colin, et pas avec moi ? m'adressai-je à Léanne, le visage déconfit.
— Parce que tu ne m'écoutes que quand ça te chante, et parce qu'Emilio a le cerveau complètement dédié au football. Le seul en qui je peux avoir confiance ici, c'est Colin. Lui il n'oublie pas tout en cinq minutes ! »
Je reniflai, outré, et croisai les bras. Je pris un air profondément blessé et interloqué, plus pour tenir mon rôle, que par sincérité. Que Léanne fasse plus confiance à Colin qu'à moi était compréhensible, mais horriblement vexant.
« Pour tes prochaines peines de cœur, ne compte pas sur moi ! m'exclamai-je.
— Ah tu veux jouer à ça ? Eh bien la menace t'est retournée, abruti !
— Comme si j'avais besoin de ton épaule pour pleurer ! Tu...
— On ne se dispute pas dans la maison de quelqu'un d'autres. Vous entendre gâche le petit-déjeuner », nous interrompit Colin.
Cela eut le mérite de nous interrompre, et je réalisai finalement que nous avions levé la voix dans la cuisine de Charlotte... qui semblait terriblement penaude. Instantanément, je m'en voulus, et ce fut certainement le cas de Léanne car elle se rapprocha de sa grand-mère, le regard plein de regrets.
« Ne t'inquiète pas mamie ! On se dispute tout le temps mais Léanne ne pourrait pas se passer de moi... lui expliquai-je en souriant.
— Parle pour toi », grommela Léanne.
Mais la bombe était désamorcée, et bientôt Charlotte retrouva sa douceur et sa joie habituelle. Silencieusement je soupirai, et jetai un œil à Colin. Aussitôt, il m'asséna un regard lourd de reproche, que j'acceptai avec un sourire d'excuses. À mes côtés, Emilio s'était lui aussi détendu, bien que toujours éternellement silencieux.
Il avait toujours été du genre taciturne, j'y étais habitué. Lorsque nous jouions, enfant, j'étais celui qui parlait presque continuellement. Emilio était celui qui écoutait, me corriger, ou me contredisait. Lorsque nous nous disputions, il devenait soudainement très bavard. C'est pourquoi j'aimais depuis toujours le provoquer. Une vieille habitude qui m'avait quitté lorsque nous nous étions éloignés.
« Je suis heureuse de te voir si bien entourée, en tout cas », confia Charlotte à sa petite-fille.
Flatté, je lui offris un sourire rayonnant, tandis que mes deux amis se contentaient d'accepter le compliment avec un peu d'embarras. Personne ici n'avait été tendre avec Léanne, pourtant. Colin l'avait simplement méprisé, comme il méprisait tout le monde. Emilio lui avait infligé des souffrances irréversibles. Et je m'étais comporté comme un con.
Mais aujourd'hui nous étions tous là pour elle, et nous nous étions améliorés. Alors j'étais heureux que notre amitié soit approuvée par un œil extérieur, mais bienveillant. Nous avions fait du chemin, et nous en ferions encore. Ensemble.
*
« Colin, rends-moi mon écharpe ! Il fait trop froid ! »
Colin ignora ma plainte et continua de marcher derrière nous. Je roulai des yeux et m'arrêtai en pleine ascension pour l'attendre. Une fois à sa hauteur, je tendis la main pour saisir l'extrémité de l'écharpe, mais il s'écarta brusquement, et faillis trébucher.
« Putain, fais attention », grognai-je en attrapant son bras in extremis.
Il m'offrit un sourire d'excuse et continua de grimper. Il me fallut un moment pour comprendre que désormais, j'étais celui laissé derrière. J'étouffai un juron, et me dépêchai de les rejoindre.
Nous avions décidé de marcher un peu dans le coin, mais maintenant cela ressemblait plus à l'ascension d'une montagne tant la pente était prononcée. Malgré l'effort, la sueur ne suffisait pas à me réchauffer, et le froid était agressif ce matin. Pourtant, impossible pour moi de récupérer mon écharpe : Colin se l'était appropriée et refusait catégoriquement de me la rendre.
Finalement, après de longues minutes de marches, j'aperçus la silhouette de Léanne s'arrêter. Nous étions désormais sur le sommet d'une colline, et devant nous s'étendait une plaine immense. Le climat hivernal ne lui retirait rien de sa superbe, et çà et là, des touffes d'arbres formaient de petites forêts. En plissant les yeux, je repérai la maison de Charlotte.
« J'ai toujours adoré venir ici quand j'étais petite ! On peut voir toute la vallée, jusqu'à Tullahoma. » nous expliqua Léanne.
Personne ne lui répondit. Nous étions tous absorbés dans notre contemplation. La verdure faite de monts et de creux semblait grignoter le ciel, complètement dégagé. Pas un seul nuage n'était en vue, et s'étendait seulement le bleu céruléen, profond et saturé. Discrètement, je jetai un œil à Colin. Il semblait, lui aussi, occupé à observer les environs. Aucune expression ne transparaissait sur son visage, et l'on aurait pu croire qu'il était fait de pierre. Je profitai de sa concentration pour m'approcher de lui. Une fois suffisamment proche, je lui volai mon écharpe. Il n'eut pas le temps de la retenir, et je m'éloignai en riant.
« C'est mon écharpe », me justifiai-je quand il me fusilla du regard.
Je l'enroulai autour de mon cou, savourant la chaleur qu'elle m'apportait. Et puis je me rendis compte qu'elle était imprégnée de l'odeur de Colin. Je rougis sans pouvoir m'en empêcher, et y enfouis mon nez.
Nous redescendîmes après vingt minutes. Cette fois, Colin et moi marchions en tête, tandis que Léanne et Emilio gambadaient main dans la main. J'aurais aimé les taquiner, mais j'avais décidé de les laisser en paix aujourd'hui. Nous étions en vacances après tout, et moi aussi j'avais envie de profiter de mon... amoureux, après tout.
*
Puisque la nuit était tombée tôt, nous avions décidé de retourner aux tentes après une petite visite de la ville. J'avais adoré me perdre dans les rues en entraînant Colin avec moi. Mon ami avait un très mauvais sens de l'orientation, alors nous nous étions amusés – du moins, je m'étais amusé – à retrouver notre chemin sans utiliser de carte, ou notre téléphone. En fin d'après-midi, il nous avait fallu appeler Léanne et Emilio, occupés à je-ne-savais-quoi, pour qu'ils viennent nous chercher en voiture.
Puisque nous avions fait quelques courses, nous étions restés au campement pour dîner. J'avais émis l'idée de faire une veillée, mais le plan était très vite tombé à l'eau lorsqu'Emilio et Léanne avaient commencé à se bécoter un peu trop longtemps. Alors, discrètement, Colin et moi avions fuis dans la tente, et autant vous dire que nous n'étions pas allés y dormir.
Plus tard dans la nuit, alors que nous étions tous deux blottis, nus, dans les draps, j'étais sur le point de sombrer dans le sommeil lorsque Colin me secoua avec vigueur par les épaules.
« Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandai-je en grognant.
— Habille-toi.
— Hein ? »
J'allais protester, assurant qu'on pouvait dormir nu sans problème, lorsque je le vis enfiler ses chaussures. Très bien, en fait Colin n'avait absolument pas prévu de dormir. Poussant un long soupir, je me redressai en geignant, et enfilai mes vêtements, les yeux encore à demi fermés. Colin sortis de la tente pour m'attendre, et l'air soudain glacial acheva de me réveiller.
Agacé, j'enfilai mon manteau, mais oubliai mon écharpe.
« Où est-ce qu'on va ? demandai-je à Colin une fois sortis.
— Suis-moi. »
Je faillis pousser un juron en le voyant partir en silence. Pourquoi est-ce que ce garçon ne donnait jamais d'explications complètes ?! Je fus tiraillé entre ma curiosité, et mon désir de retourner me coucher. Mais Colin commençait à disparaître entre les arbres, et je grimaçai, en partant à sa poursuite.
Il faisait trop sombre pour que je ne comprenne où nous nous rendions, mais lorsque le chemin commença à devenir très pentu, j'eus ma petite idée. Et effectivement, nous arrivâmes bientôt au sommet de la colline de ce matin. Colin s'était arrêté, et observait le paysage. Tout était sombre, mais la lune était haute et lumineuse dans le ciel, suffisamment pour que la ligne de l'horizon se détache du ciel d'un noir d'encre. Sur notre droite, les lumières lointaines de Tullahoma brillaient.
La vue était bien plus impressionnante de nuit. Je me tournai pour demander à Colin ce que l'on faisait là, et le trouvait assis. Intrigué, je le rejoignis dans l'herbe.
« Si l'amour véritable est toujours contrarié, cela doit être un appel du destin. » prononça-t-il finalement.
Je fronçai les sourcils, perplexe. J'étais quasiment certain qu'il venait de citer quelqu'un, mais qui ? Finalement, face à mon silence, Colin se tourna vers moi, ses yeux de papiers luisant dans la nuit. Je fis l'erreur de m'y perdre presque complètement. Colin avait un regard qui m'avait toujours fasciné, des yeux d'un bleu-gris profond dans lesquels semblait toujours sévir une tempête.
« C'est une citation du livre que tu lisais au début de l'année. »
Face à mon nouveau silence, il soupira.
« Songe d'une nuit d'été. William Shakespeare.
— Oh. »
Je me souvenais vaguement en avoir lu les premières pages. J'étais étonné que Colin se soit souvenu de ce détail que moi-même j'avais fini par oublier. Le silence retomba à nouveau. J'étais incapable de comprendre les intentions de Colin, et lui ne semblait pas disposer à s'épancher. Pourtant, l'instant me paraissait important, et je ne parvenais pas à ignorer l'atmosphère grave qui planait.
Après de longues minutes silencieuses, seulement rythmées par les sons de la nature, Colin se détourna, et fixa son regard sur le vide.
« Oui, prononça-t-il, la voix si basse que je faillis ne pas l'entendre.
— Hein ?
— Oui. » répéta-t-il en se tournant vers moi.
Je fronçai les sourcils, presque agacé. Depuis tout à l'heure, Colin ne faisait que prononcer des phrases ambigües, sans jamais donner d'explication. Pourquoi disait-il « oui » ? Je ne lui avais pas posé de question. Mais son regard ancré dans le mien me transperçait, vacillant. Ce « oui » paraissait important. C'était quelque chose de fondamental, qui m'échappait complètement, mais dont j'aurai dû me souvenir.
Plus le temps passait, et plus le visage de Colin semblait se décomposer. Et alors, je compris, je compris ce que ce « oui » signifiait. Mon visage s'illumina, et mes lèvres formèrent un « oh », silencieux.
« Tu veux... tu veux dire que c'est oui ? Définitivement oui ? » demandai-je.
Il détourna le regard, et même dans le noir, j'étais certain que ses joues rosissaient. A mesure que la réalisation s'imprégnait en moi, je sentis gonfler dans ma poitrine une allégresse dévorante. Mon visage se déforma de joie, et, explosant finalement, je me jetai dans les bras de Colin.
Il ne devait pas s'y attendre car au lieu de me rattraper, il s'étala au sol sur le dos. Après être resté un temps contre lui, je me redressai sur les coudes.
« Isaak ? » prononça-t-il, interloqué.
Les larmes coulaient désormais sur mes joues avec abondance. J'étais incapable de les réfréner. J'étais tellement, tellement heureux, que j'en pleurais. J'avais le sentiment que mon cœur allait imploser, que je ne survivrai pas à cette nuit.
« Je... excuse-moi, c'est bête, j'devrais pas pleurer... » geignis-je en essuyant mes yeux.
Les deux mains Colin encadrèrent mon visage avec douceur, et lorsque j'osai à nouveau le regarder, un sourire que je n'avais encore jamais vu trônait sur ses lèvres. C'était la plus belle expression de bonheur qu'il m'avait été donné de voir venant de Colin. Il ne m'avait jamais souri ainsi, n'avait jamais affiché tant de... de joie, sur son visage. Je reniflai, complètement submergé par mes sentiments.
Colin avait dit oui.
Plus tard, une fois que mes larmes se furent taries, j'installai ma tête sur ses genoux, et nous restâmes assis en silence. Parfois, nous nous échangions quelques mots. Je lui demandais s'il était sûr de lui, et chaque fois il me répondait la même chose, sans jamais perdre son sourire : « oui ». Pas de soupir, par de roulement des yeux, pas de réponse détournée.
Et chaque fois que rejouais ce « oui » dans ma tête, mon cœur faisait un bond dans ma poitrine. J'aurais voulu qu'il me répète sa réponse à l'infini, j'étais certain de ne jamais m'en lasser. J'avais le sentiment que désormais, ces semaines de frustrations en avaient valu la peine. Colin avait sans doute rassemblé tout son courage pour me répondre enfin, et c'était probablement de ça qu'il avait parlé avec Léanne.
Colin ne voulait pas rompre. Il n'avait pas contracté de maladie mortelle. Il avait simplement décidé de me dire « oui ». Le soulagement que je ressentis était immense, et j'avais l'impression que mon esprit flottait dans des nuages de bonheur pur. Je me sentais comme une héroïne de comédie romantique. Ou de film à l'eau de rose.
« Isaak », m'appela Colin.
Je sursautai, plongé dans mes pensées.
« Mmh ?
— J'ai quelque chose pour toi. »
Je me redressai, étonné. Il profita que j'eusse libéré ses jambes pour se tourner, et apparu alors sous mes yeux un paquet, que je n'avais encore jamais remarqué. Puisqu'il me le tendait en silence je le pris, et avisai l'emballage. J'aurais voulu le taquiner sur le papier cadeau en imprimé bonhommes de neige, mais le moment semblait important, alors je ne dis rien. Le paquet était lourd dans mes mains, et désormais Colin était sur ses genoux, un peu penché vers moi.
Je pouvais deviner, à sa gestuelle et à son regard, qu'il était angoissé. Avait-il peur que le cadeau ne me plaise pas ?
« Je n'ai pas eu le temps de te l'acheter pour ton anniversaire, alors j'attendais cette occasion », m'expliqua-t'il.
Je lui souris doucement, pour le rassurer, puis commençai à retirer l'emballage. Très vite, je me mis à le déchirer, pas patient pour un sou. Mes yeux s'écarquillèrent lorsque devant moi apparu la photographie d'un appareil photo magnifique. Ma mâchoire failli se déboiter, et mon regard passa de Colin, à la boîte.
« Tu... Tu m'as offert un appareil photo ? Pourquoi ? m'étonnai-je.
— C'est Léanne qui m'a parlé de la photographie. Du fait que tu adorais ça, mais que tu n'avais jamais osé t'y consacrer... Alors je t'offre la chance de t'y mettre. J'espère que ça te plaît...
— Bien sûr que ça me plaît, idiot ! » l'interrompis-je, à nouveau au bord des larmes.
J'ouvris la boîte délicatement, et en sortis l'appareil. Il était imposant et lourd, je passai de longues secondes à l'admirer sous tous les angles. Je le trouvais magnifique. Avec un sourire d'enfant je l'allumai, et levai l'objectif vers Colin. Je pris une première photo, puis l'admirai. Je n'aurai jamais cru qu'immortaliser son visage puisse me procurer autant de satisfaction. J'éprouvai le désir de couvrir mes murs de clichés de Colin. Lui ne me dit rien, se contenta d'observer mes réactions, et j'étais certain qu'il était en train d'analyser chaque mouvement de mon visage.
J'allais prendre une nouvelle photo lorsque des bruits de pas se firent entendre. Je me tournai pour voir Léanne et Emilio arriver, tout sourire. Ils s'assirent à nos côtés, s'amusant de mon incompréhension.
« J'espère qu'il te plaît, me lança Emilio. Colin a passé deux semaines à nous demander notre aide pour choisir le bon modèle. »
Je ne pus m'empêcher de rire, et serra la boîte contre ma poitrine. Enfin, je me tournai vers Colin, qui arrachait de pauvres brins d'herbes en observant ma réaction.
« Merci, lui murmurai-je. C'est le plus beau cadeau d'anniversaire. »
Son visage s'illumina et je ne pus résister à l'envie de l'embrasser. Il agrippa immédiatement les épaules pour se rapprocher de moi. Derrière moi, j'entendis Léanne pousser un soupir, mais je savais qu'elle était probablement très heureuse pour moi. Et je notai dans un coin de mon esprit, qu'il me faudrait la remercier plus tard, elle aussi.
Le baiser terminé, nous restâmes tous les quatre assis, à observer le ciel parsemé d'étoiles. C'était une nuit magnifique, et j'étais comblé de la savourer avec Léanne, Emilio... et Colin. Mon petit-ami.
Désormais, l'avenir qui me tendait la main brillait d'un nouvel éclat. Et au bout de cette main tendue, c'était Colin que je voyais. Ses boucles d'encre. Ses bras de poulet. Ses yeux de papier. Ses lèvres charnues. Son sourire unique.
Ma renaissance.
« Certaines personnes sont faites pour s'entendre. D'autres, pour ne jamais se rencontrer... Mais lorsque la petite flamme pleine de vivacité s'éprend de l'inatteignable chat noir... Alors peut-être que, finalement, croire aux miracles devient possible. »
---------------------------------------
C'était le dernier chapitre. Je suis très émue d'avoir enfin écrit le dénouement de cette histoire. Bien sûr, ce n'est pas entièrement terminé, puisqu'il manque encore l'épilogue ! Je voudrais aussi m'excuser pour l'exceptionnelle longueur de ce chapitre : je ne pouvais tout simplement pas m'arrêter de l'écrire, ni faire plus court.
Enfin, l'histoire d'Isaak et de Colin touche à son terme ! J'espère que vous aurez aimé les suivre tout au long du récit, comme j'ai aimé écrire leur histoire. C'est une histoire qui trotte dans ma tête depuis des années, et que j'ai enfin pu mettre en forme, alors j'en suis très heureuse :')
Bref ! J'attends vos avis, je vous embrasse et vous dis à très vite pour l'épilogue ! <3<3<3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top